12 mai 2009

Une bien jolie comédie au pays du froid

Romaine par moins 30 
par Agnès Obadia, avec Sandrine Kiberlain et Pascal Elbé (2009) 

Pour Noël, Justin a fait une surprise à Romaine, un voyage à Montréal, vaste dépaysement nimbé de neige et d'accent québécois. Mais celle-vi n'aime pas le froid, et aime-t-elle encore Justin, finalement ? Le couple explose durant le vol, et voici Romaine dans la ville canadienne inconnue, sans argent, sans passeport, sans même le billet de retour.

Voici un schéma classique de comédie, mêlant les problèmes de couple à la confrontation à un univers inconnu et une nouvelle culture. Situation riche en quiproquos et incompréhensions, le terreau habituel pour aligner les gags et glisser quelques sentiments, n'en jetez plus, voici une comédie française ! Il suffit d'une minute de réflexion pour retrouver les ficelles de nos chers Ch'tis, champions de France 2008 : un couple bringuebalant, une plongée dans une région inconnue, avec basse température et accent prononcé, mais aux habitants tellement humains, finalement. 
Quand le logo provincial du Québec s'affiche en début de film, on craint fortement le long clip bon enfant subventionné à la gloire de la Belle Province...

Mais "Romaine par moins 30" s'ouvre aussitôt sur la musique "Ring of Fire", et un film préférant Johnny Cash à la guimauve convenue "I just come to say I love you" ne peut être foncièrement mauvais. Le tube chrétien du grand Johnny est serti de trompettes vaguement mariachi et de choeurs féminins, sur lesquels plane l'ombre profonde de la voix grave, un équilibre étrange entre kitsch et émotion. Message d'amour, donc, mais doublé de décalage léger et souriant, pas de côté qui se fait exquis une fois superposé au mètre de neige recouvrant la ville de Montréal. Le ton est donné, le film naviguera entre clins d'oeils, trouvailles fines et second degré à peine esquissé, caché dans les détails.

Certains personnages impriment ainsi un grand sourire dans la mémoire, comme l'acupuncteur chinois aux prises avec le fisc, l'hôtesse de l'air ayant la phobie des atterrissages ou le chauffeur de taxi cherchant un mariage express. Les scénaristes n'hésitent pas à en faire un tout petit trop, pousser un trait de caractère ou une bizarrerie un peu loin, pour libérer la folie dans les situations. Une grande comédie, c'est une folie sans retenue, sans jamais craindre d'en faire un peu trop, car le rire ne prend pas en présence de trop de retenue ; la retenue, défaut majeur du dernier tiers des Ch'tis, lui donnant des airs de soufflets se dégonflant mollement à vouloir rester inoffensif. Mais cette Romaine au Canada ne bride pas ses instincts hystériques, les scénaristes n'hésitant pas à vêtir Sandrine Kiberlain d'une robe de mariée et d'une doudoune rouge durant la moitié du film.

Ce film laisse rouler les billes de sa folie dans la neige canadienne, comme un sale gosse ne reculant pas devant les blagues potaches. Un sale gosse sans gentillesse, car la gentillesse et les bonnes intentions affadissent toute comédie, les bons sentiments ne rendent jamais grandioses le rire. Ici, on rit des personnages surprenants et improbables, mais l'on rit surtout autour d'une histoire de désir éteint, d'une lutte contre la frigidité au pays du froid. Les silhouettes ressemblent parfois à de petits clowns ou des caricatures, mais des caricatures en quête de baiser fous et de sexe intense, des clowns désirants à la chaire en éveil. Par cet aspect également, on se trouve loin du Ch'ti adolescent à l'amour chaste, où le baiser dans le cou devient une marche immense & le romantisme vibre tiède comme un regard de soap cheap. A Montréal, il fait vraiment -30°C l'hiver mais les corps se frottent et savent prendre leur plaisir, que ce soit en pétrissant la pâte à pain ou en rentrant à la maison pour satisfaire ses envies de baiser. Enfin, ses envies de dormir, bien sûr.

Ainsi, l'ampleur du film s'étend entre ses deux points, folie caricaturale des personnages hauts en couleur, profondeur de leur désir. Ce désir s'affiche souvent outré, mais il ancre les personnages dans la réalité physique, leur apportant existence et épaisseur. Voilà la force du film, proposer de véritables personnages avec un peu de personnalité, et non de simples figures de papier ; caractéristique appréciable face aux comédies à thèmes, où les personnages ne servent qu'à dire quelques blagues et véhiculer leur stéréotype. Ici, l'hôtesse de l'air phobique fait d'autant plus sourire qu'on perçoit son trouble amoureux maladroit.

Mais sur ce plan-là, le personnage de Romaine écrase la concurrence. Personnage central du film, bien entendu, moteur de l'action, mais surtout figure forte par la grâce de Sandrine Kiberlain. Romaine se cherche durant le film, initialement passive et sans désir, déboussolée, et explorant peu à peu sa remise sur pieds. Un parcours initiatique riche en situations improbables, maladroites scénaristiquement à une ou deux occasions, mais que la comédienne parvient toujours à faire tenir debout. Ses moues et ses bafouillements sonnent justes, pour improbables et décalées que soient les répliques prononcées. Superbe performance, d'autant que cette subtilité comique ne se fait pas au détriment de l'épaisseur du caractère de Romaine. La jeune fille gagne peu à peu son indépendance, et la scène finale s'étale grandiose. Dans l'immensité blanche, les traits du visage tremblent longuement, résonant d'hésitation, mais Romaine a su atteindre son libre-arbitre.



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