28 février 2010

Comment ai-je pu passer à côté de "I love London" ?

I love London
by Crystal Fighters (2009)

En mai 2009, Loo & Placido sortait un long mix de 2 heures, mélange fascinant des DJs premières classe de la Bastard Pop. Je me retrouvais 3 ou 4 ans en arrière quand j'écoutais gourmands les musique de DJ Zebra ou des 2manydjs, capables de dégainer la house anglaise et les voix hip-hop, les riffs classiques rockes et les basses de club. Au milieu de ce mix, titre inédit de Loo & Placido, dénommé "Pull up London" : basse étranges et proéminentes sur lesquelles un voix féminine répétait régulièrement "I LOVE LONDON" d'un air presque nonchalant. Un bel hommage à la scène londonienne, au dynamisme fou du dubstep et de l'UK funky.

Ce "Pull up London" a été une grosse claque de mon année 2009, un de ces titres immédiats que je ressors régulièrement des mes archives. Certainement une des raisons pour lesquelles j'ai commencé un peu à m'intéresser au dubstep ces derniers mois.

Je croyais ces paroles tirées d'un morceau pop ou hip-hop, à la manière du "London Burnin' " des Clash qui surgissait dans les morceaux plus anciens des la paire de DJs. Mais je suis finalement tombé sur le morceau d'origine ce matin et c'est un tube monstrueux.

"I love London" est joué par Crystal Fighters, un groupe espagnol. Le morceau est apparu sur la compilation Kitsuné Vol. 8 en mai 2009, et la maison française a également produit le single du groupe. Pas facile de dénicher beaucoup plus d'informations sur le groupe qui n'a sorti que 2 singles jusqu'à présent. Ils sont apparemment 5, espagnols, peut-être même basques d'après les commentaires évoquant les rythmes de "I love London".

Quoiqu'il en soit, ce "I love London" est un tube immédiat, sans aucun doute. Kitsuné a toujours fait preuve de goût et d'un joli sens de la découverte, et le label a une nouvelle fois visé juste. Il n'y a qu'à voir le nombres de remix qui ont été faits de ce titre, une joli collection est rassemblée sur le site The Blue Walrus. Mais la version initiale se passe de commentaire, elle déguste encore et encore, entre cowbell et voix vaguement bancale.


5 février 2010

Bright Star est pâle et bien peu lyrique

Bright Star
by Jane Campion, with Abbie Cornish & Ben Wishaw (2009)

"Je recherche les instants poétiques. Ces moments où les mots veulent sortir trop vite, se bousculent, s'échappent, incontrôlables."
Nicolas Sornaga, réalisateur du Dernier des Immobiles

La poésie romantique offrait lyrisme et débordements, et John Keats en fut un des plus beaux représentants du Royaume-Uni. Verve magnifique et bouffées follement amoureuses nimbent ses plus beaux poèmes, parfaits témoins de sa légende ; amoureux fou pendant trois ans de Fanny Brawne, il meurt de la tuberculose à 25 ans. Ses derniers vers témoignent d'un amour immense & désespéré, dément - Fanny et John n'ont pourtant pas échangé plus que quelques baisers.

L'histoire laisse rêveur, touchante aux yeux d'un large public, bien plus large que les spécialistes de vers romantique. Il est presque surprenant que le cinéma ne s'en soit pas emparé plus tôt ou plus souvent, étant donnée la stature de Keats dans le monde anglo-saxon.

Jane Campion s'attaque donc au mythe rempli d'enthousiasme et de respect. Elle n'hésitait pas à parler de "la première grande histoire d'amour moderne", plus touchante que Roméo & Juliette - simple fiction. Les costumes du XVIIIème siècle s'animent donc parfait à l'écran, les jeunes visages, un superbe accent britannique & une belle diction ; esthétiquement proche de la perfection.

Pourtant, le film ne m'a pas totalement convaincu. Je le reconnais, je suis certainement passé à côté des subtilités de la langue anglaise, très recherchée, niveau trop élevé pour mon anglais moderne et pas totalement courant. Mais c'est l'élan du film qui a plus fait question à mes yeux : où allait-il ? avec quelle envie de lyrisme, quel bousculement, quelle envie d'images qui s'échapperaient toutes seules ?

L'interview de Nicolas Sornega m'a à nouveau revenu en mémoire. Cherchant à réaliser un documentaire sur le poète Matthieu Messagier, il avait avoué s'être trouvé dans une impasse. Comment montrer la poésie de Messagier à l'écran ? Pas par l'interview, ni les lectures banales de vers, mais en faisant soi-même de la poésie, par les images & son film lui-même.

Et c'est quand Jane Campion se fait poète que Bright Star s'élance et trace des vers à l'écran, rendant hommage à la poésie. Voici Keats allongé au sommet d'un arbre en fleur, voici un coeur de voix d'hommes qui se prolonge dans la scène suivante, un plan très large sur un champs au vert magnifique, une entrée au bois dans un décor enneigé. Les jeux de teintes sont souvent brillants, la mise en scène maîtrisée, comme ce superbe plan de 1-2-3 soleil improvisé avec une gamine rousse. Beau, vif, frais comme un amour de vingt ans.

Mais l'ensemble du film ne tient pas cette folie et goût esthétique purement cinématographique. Sans même parler de la longue marche à la mort de Keats, beaucoup de passages génèrent une étrange déception. Keats et Fanny assis côte à côte, mêlant leurs doigts, pendant que Keats offre, ému, ses plus beaux vers d'amour ; beau, mais tellement classique, presque distant et froid, avec un jeu convenu : comme les regards instables de Keats semblent prévisibles. N'y avait-il pas moyen de chercher un montage plus original, peut-être plus éloigné de la réalité, plus fantaisiste ? La conventionnelle biopic apporte un peu trop de sagesse aux élans picturesque magnifiques de Jane Campion.

A tel point que je me suis interrogé : suis-je vraiment intéressé par une telle histoire d'amour ? Amour débordant de jeunesse, amour fou, amour tragique et donc éternel. Le déroulement du film m'a surtout donné une impression d'histoire mono-dimensionnelle, plus que de mythe idéal & indépassable.
Je n'aurais certainement pas dit cela il y a quelques années ; mais même grandiose & follement romantique, cette histoire d'amour en costumes m'a paru bien plate, m'a à peine touché.

Quel intérêt à retranscrire avec tant de respect cette histoire réelle ? Comment aurait-on pu s'y prendre pour éviter les pièges de la reconstitution ?

Explorer la place de Keats dans le public actuel aurait pu être intéressant, en partie mêlée avec les faits historiques. Quoique les risques de superficialité deviennent plus grands, puisqu'il faut développer deux demi-films. D'ailleurs, oups, l'expérience a été réalisée pour une autre figure tragique de la littérature anglaise, Virginia Woolf. The Hours ; quoique Prix Pulitzer, le roman n'est pas loin de la catastrophe et de la caricature, et le film ne surnage que grâce à ses actrices...

De même, quelques plans de nature, bruts, m'ont laissé espérer une poésie discrète et puissante comme celle de Lady Chaterley de Pascale Ferran. Bien sûr, le caractère platonique des amours de Keats rendait impossible des élans sensuels comme ceux de Marina Hands ; mais cette plans de fleurs et de nature m'ont paru assez sous-exploités par Jane Campion...
Ou n'aurait-il pas fallu tenter une expérience plus folle, un système mêlant rêve et réalité historique ? Une approche façon Todd Haynes cherchant à capter Bob Dylan dans I'm not there, irrespectueuse des faits bruts, mais visant au respect de la légende, de l'image, du travail de l'artiste. Démarche très risquées & instables, mais les rares moments fantaisistes de Bright Star laissent quelques regrets...

Mais d'une certaine manière, cette approche totale & débridée a déjà utilisée pour rendre hommage à John Keats ; il s'agit d'Hyperion, le cycle de Science-Fiction de Dan Simmons. L'histoire de Keats apparaît à travers un clone créé à partir du code génétique du poète, et la destinée de l'univers se voit liée au poète romantique, les planètes nommées comme ses poèmes, les lieux, les personnages. Hommage post-moderne indépassable, à la créativité vertigineuse, qui m'avait fait rêver de la destinée de Keats pendant de longues semaines ; Bright Star paraît bien pâle par comparaison.