30 décembre 2010

Barney's Version, adaption linéaire du roman foisonnant de Richler

Barney's Version 
by Richard J. Lewis, with Paul Giamatti, Rosamund Pike, Jake Hoffman (2010)
based on the book by Mordecai Richler

Barney ? Barney est juif, anglophone, montréalais pure souche ; passionné de hockey ; alcoolique. Braney est producteur de télévision, des soaps bas de gamme subventionnés par l'état canadien pour soutenir l'identité canadienne. Barney se marie 3 fois, la première fois forcé, la deuxième fois avec une riche héritière ; la troisième fois, par amour fou - coup de foudre survenu le soir-même de son deuxième mariage. Barney est aussi accusé du meurtre de son meilleur ami...

Oui, Barney est un personnage fascinant, le narrateur et anti-héros truculent du roman de Mordecai Richler, Barney's Version. Il s'agit du dernier livre du grand auteur de Montréal, publié en 1997, et sorti en France sous le titre "Le Monde de Barney". Roman foisonnant, porté par la voix d'un Barney âgé racontant sa vie, toutes ses aventures, une voix cynique, acerbe, amoureuse ; une voix vieillissante sous les coups de l'Alzheimer. Un best-seller, un immense livre.

Et une mine fantastique de situations et de personnages pour le cinéma. Mais comment adapter un tel livre au cinéma en 2h environ ?

Surtout, comment parler du film sans entrer dans une plate comparaison comptable "le livre est mieux, il manque ceci ou ceci" ? Barney's Version m'a emporté dans une lecture enthousiaste et rebondissante, et bien sûr, j'ai tenu les comptes durant la projection. Pourquoi le Paris bohème des 50s devient-il le Rome juste ensoleillé des 70s, par exemple ? Mais de telles considérations ne sont pas très intéressantes pour le lecteur, et ne constitue pas une grande réflexion sur le film lui-même. La seule question valable doit être : le film offre-t-il un tout intéressant ?

Le film offre un portrait très linéaire de Barney et son histoire. La vie de Barney défile purement chronologique, laissant parfois place à des passages contemporains, afin d'introduire le Barney vieillissant. Approche très sage, assez factuelle, sans trop de place pour des voies de traverse, des épisodes mineures qui enrichiraient la figure désagréable mais complexe de Barney. Choix compréhensible : le film dure déjà 2h12, et il aurait pu en durer presque le double. Barney est omniprésent à l'écran, sous les traits mi-bonhommes mi-cyniques de Paul Giamatti. La première moitié du film est plutôt rythmée, bondissant du Barney apprenti bohème au Barney croqueur d'héritière, introduisant force bons mots made in Richler.

Le rythme se modifie légèrement pour le deuxième mariage, longue séquence, tournant du film. Séquence peut-être un peu inégale, mais plutôt réussie, offrant sourires, rebondissements, coup de foudre. Le temps s'écoule lentement, donne du temps aux scènes et dialogues, se fait moins succession d'anecdotes. Rupture sobre, mais qui fonctionne bien. Après quelques ellipses, le temps réel reprend pour  le dénouement du deuxième divorce, pour le premier rendez-vous du grand amour. Economie du récit compréhensible, cohérente avec le personnage de Barney : ce sont les scènes-clés de sa vie et de son histoire personnelle, quand les deux premiers mariages n'étaient que des péripéties méprisables.

Mais là, le fil du film se casse, se distend trop. Barney a atteint son objectif, épouser la femme de sa vie. Longues années de bonheur familiale en perspective, avec enfants, profondes affection et désir, petites chicanes de couple. Le réalisateur ne peut s'empêcher de montrer ses scènes, Barney coupe un oignon près de son premier né, Barney à la pêche avec son second, la femme aimée nue et radieuse sur le lit conjugale. Tout cela est bien convenu, maladroit, paresseux, surligné par une musique prévisible et insistante. L'élan de Barney se brise, le film se perd, la sentimentalité bon marché l'emporte. Les écarts de  Barney et sa chute prévisible surviennent lentement, se traînant presque, trop mollement : à quoi bon ?

Le film retrouve un peu de justesse dans sa dernière partie, Barney vieillissant, découvrant peu à peu ses faiblesses mentales, sa déchéance. Là aussi, le thème est convenu, prévisible, les petites gaffes devenant absences inquiétantes ; bientôt, il doit garder ses coordonnées dans sa poche ; à la fin, ce n'est plus qu'un spectre vague posé sur un banc. De manière presque surprenante, ces scènes ne tombent pas à plat, trouvent une légère émotion, par le jeu de Giamati, par l'affection de ses proches. Le film retombe presque sur ses pieds et laisse le spectateur doucement touché.

Le film parvient donc à montrer le personnage de Barney, à introduire ces facettes, ses tares et un peu de sa folie ; on rit souvent. Tout cela n'est pas désagréable. Mais il pêche à deux niveaux. Tout d'abord, par déséquilibre d'adaptation, il n'y a pas d'autres mots - je dois bien en revenir au roman : la joyeuse vie conjugale de Barney est présentée de manière allusive, sous forme de détails saupoudrés au gré du livre. Condenser cela en un long tunnel cul-cul n'est pas un choix très heureux. Mais plus généralement, par le classicisme de la forme choisie, portrait linéaire et factuelle, sans véritable ambition ; rien qu'une petite histoire. C'est plutôt dommage malgré les quelques bons mots marquants.



Dates de sortie :
  • Canada :  sortie limitée le 24 décembre 2010
  • USA :       sortie limitée le 14 janvier 2011
  • France :   pas encore de date sur IMDB
  • Allemagne : sortie prévue le 9 juin 2011...




28 décembre 2010

L'appât, pauvre comédie policière pour comiques québécois

L'appât 
by Yves Simoneau, with Rachid Badouri et Guy Lepage (2010)

Le parrain de la mafia italienne de Montréal est assassiné ; tué par ingestion de cacahuètes empoisonnées avant son extradition vers l'Europe. Par hasard, le parrain a rendu son dernier soupir dans les bras du lieutenant Poirier, le plus mauvais flic du pays. L'épais policier risque d'avoir entendu des informations précieuses, à même d'intéresser les bandes rivales. Pour déblayer les pistes, les polices canadiennes et françaises décident d'utiliser l'épais comme appât ; et pour assurer la réussite de l'entreprise, l'épais se voit adjoint un coéquipier de chocs, agent français, une véritable épée...

C'est petits jeux de mots ne sont pas de moi, ils décorent les affiches du film : l'épais, l'épée, l'appât. Voilà qui plante aussitôt le ton de cette comédie policière à l'ancienne, vieille recette du duo dépareillé, le québécois gaffeur et le français ultra-pro. Ajoutez quelques autres idées classiques, promesses de gun fights ou possibles confusions linguistiques, approche tentante après l'énorme succès en 2006 de Bon Cop Bad Cop et son duo Québec / Ontario... Une bonne recette simple pour les fêtes de fins d'années, pourquoi pas ?

Hélas, cet Appât affiche une pauvreté assez profonde. Les deux personnages de flics sont extrêmement caricaturaux, joués par deux comiques canadiens, donc distrayants, mais sans jamais pousser la parodie dans des extrêmes délirantes. Le scénario ou les personnages sont stupides mais le monde alentour est vaguement réaliste, les gags sont des blagues polies d'émission télé. On ne nage plus dans les eaux d'un Flic de Beverly Hill, les choses ne sont plus assez crédibles, mais on reste trop loin des délires permanents de Qui a tué Pamela Rose ou OSS 117. Le film n'est jamais vraiment hilarant, juste légèrement drôle, quelques idées sympathiques sans plus ; beaucoup de situations semblent sous-exploitées : les gags franco-québécois se comptent sur les doigts d'une main, sans vraiment délire linguistique ; le tout enrobé dans une réalisation très télé.

Le film fait donc assez pâle figure à côté des comédies policières québécoises que j'ai déjà pu voir. J'ai déjà cité le précieux Bon Cop Bad Cop (dont je devrais certainement parler plus en détails...), mais Tel Père Tel Flic offrait aussi un joli sujet et des gags bien trouvé. Cet Appât laisse dont un peu perplexe, même si la salle dans laquelle je l'ai vu était bien rempli, avec de nombreux rires pour certains gags basiques de personnages tombant. Il en faut pour tous les goûts, et Guy Lepage et Rachid Badouri ont certainement leurs fans au Québec. Le premier appartient à un grand groupe de comiques, et apparaît souvent à la télévision ; le second est un jeune humoriste qui monte, ici dans son premier rôle au cinéma, et dont le 1er DVD est justement sorti il y a un mois à peine - la cohérence marketing est bien réglée... Mais le film n'arrive pas vraiment à sublimer ces deux figures, paresseuse opposition de deux archétypes ; je ne donnerai pas plus de détails sur le scénario, dont la progression est assez désespérante.

Intrigué, j'ai donc exploré un peu la fiche IMDB du réalisateur, Yves Simoneau. Plusieurs films à son actif dont la note IMDB dépasse rarement le 5.0/10, beaucoup de réalisations télé sur les 10 dernières années. Mais une carrière lointaine qui semble un peu plus mystérieuse et difficile à cerner en quelques lignes de texte : il a ainsi tourné Free Money en 1998, dont la vedette principale n'était autre que Marlon Brando - avec tout de même 30 millions de dollars de recette, donc autant que des succès d'estime comme Kick Ass... L'ami Brando tournait un peu n'importe quoi dans les 15 derniers de sa vie, il me semble, mais il est troublant de l'imaginer sur le plateau. Brando âgé en 1998 et un tout jeune Badouri en 2010 : les carrières cinéma ne sont pas linéaires au Canada !

24 décembre 2010

The Mystic Masseur, Naipaul offre une farce dans le Trinidad colonial des années 40

The Mystic Masseur 
by V.S. Naipaul (1957)

Ganesh est un fameux masseur, c'est certain. Pas un de ces escrocs habituels de Trinidad, masseurs auto-proclamés, sans formation, sans aptitude à guérir ; Ganesh possède tellement de livres, près de 1500 volumes, c'est un érudit ! Un penseur. Et très bientôt, un mystique, un guérisseur d'âme, capable de chasser les esprits entre deux prières murmurées vêtu d'un turban. De masseur à mystique, Ganesh connaîtra le succès, la renommée, l'ascension dans le petit monde du Trinidad des années 40, petite société coloniale britannique.

V.S. Naipaul est un écrivain célèbre dans le monde britannique. Un écrivain reconnu, ayant reçu le célèbre Booker Prize Award en 1971, et surtout le Prix Nobel de Littérature en 2001 ; à Ottawa, mon professeur de littérature n'hésitait pas à le décrire comme le meilleur écrivain vivant de langue anglaise... Pourtant, j'avoue ne pas vraiment avoir entendu son nom avant mon arrivée au Canada. En France, l'ami Naipaul ne semble pas aussi fameux que d'autres lauréats Nobel comme Günter Grass ou Garcia Marquez. Un rapide coup d'oeil à sa bibliographie française confirme cette impression : seuls deux livres de Naipaul ont été traduits en français avant 1981. Il avait déjà publiés 10 romans et 6 essais à cette époque !

La page Wikipedia française de V.S. Naipaul présente une unique photo, couverture d'un roman en traduction allemande...

Pourtant, les deux romans que j'ai lus cette année affichent un talent fort intéressant. Je reviendrai plus tard sur "In Free State", livre lauréat du Booker Prize en 1971, fascinant plongée dans différentes situations post-coloniales. Son premier livre, "The Mystic Masseur" date de 1957, traduit en France en 1994, et propose un ton fort différent de la riche d'In Free State : une farce caustique, riche de sous-entendus et de personnages hauts en couleur.

Avec, bien sûr, la figure centrale de Ganesh, le masseur mystique, le petit érudit de Trinidad. Personnage fascinant, dont la vie est lancée par un envoi tardif au collège, où il se passionne pour la lecture. Goût qui en fait une sorte d'être contemplatif, sans envie de travail, quittant son métier d'instituteur après 6 mois, se calfeutrant dans un village perdu, vivant dans une case qu'il emplit de livres selon une méthode systématiques : tous les livres des Editions Pinguin, tous ceux des éditions Everyman ! De fil en aiguille, cherchant à écrire lui-même, cherchant à délivrer des conseils mystiques, adoptant doucement une carrière politique qui le conduit jusqu'à l'assemblée législative.

Ganesh est une sorte d'escroc bienveillant et malgré lui, délivrant sa sagesse en toute bonne foi. Mais le peuple de Trinidad l'écoute, le soutient, le rend peu à peu célèbre ; Ganesh parle de destinée, il s'agit juste d'une sorte de résonance entre son dilettantisme lecteur et les envies des gens, qu'elles soient mystiques ou politiques.

The Mystic Masseur est un magnifique portrait d'un anti-héros, petit personnage sans envergure mais attiré par la sagesse. C'est aussi une galerie de personnages distrayant et truculents, femmes sans éducations, petits marchands cherchant à faire des affaires, petits politiciens aux combines dérisoires, tous parlant un anglais un peu biscornu, approximatif, joliment rendu dans les dialogues. Sous forme de farce, Naipaul présente la société de Trinidad dans les années 30 - 40, son île natale, île où les rumeurs propagées par les ouvrier de la canne à sucre peuvent faire d'un petit masseur un grand mystique, un homme politique influent. Tous ces enchaînements sont profondément drôles, scènes superbement présentées en quelques détails, en situations ridicules et cocasses : dans ses excès, Ganesh n'hésite pas à faire construire un temple hindou, où sa femme sert du coca-cola, ou à publier un livre sur les peines & plaisirs de la constipation... 

Petites médiocrités d'une petite île coloniale, bien loin de la sagesse libératrice d'un Gandhi ou d'un Nehru, emblèmes indiens contemporains sans cesse évoqués par les petits personnages de Trinidad. La création d'une identité nationale pour un peuple si jeune n'est pas une tâche facile, pas forcément une tâche entreprise par de grands hommes, semble dire Naipaul avec humour et dérision.

Le Moral des Troupes de Jimmy Beaulieu, superbe récits au dessin envoûtant



Le Moral des Troupes 
by Jimmy Beaulieu
Collection Mécanique Générale - Editions Les 400 Coups (2004) 


Depuis plusieurs mois, je suis les dessins de Jimmy Beaulieu sur son blog. Très jolies dessins, extraits comme bruts et épars d'un carnet, à la jolie fluidité entraînante, agréablement sensuels. Majoritairement des silhouettes féminines, nues ou habillées, aux longues chevelues ; traits vibrants et tremblants, touches d'aquarelles, galerie délicieusement parcourues. Mais je n'avais pas eu l'occasion de lire un ouvrage complet de l'auteur québécois, pourtant prolifique. Déniché à la bibliothèque d'Ottawa, Le Moral des Troupes me permet d'entrer un peu plus dans l'univers de Beaulieu, de goûter à sa narration.

Publié en 2004, Le Moral des Troupes est un recueil d'histoires autobiographiques, récits de quelques pages évoquant goûts musicaux, moments en famille ou avec sa copine, réflexions sur la vie à Montréal ou l'état du monde après le 11 septembre. L'auteur joue avec ses propres réflexions, et le fait avec un bel appétit de bande dessinée, offrant des moments de pures dessins et longs textes juste illustrés. Le crayonné s'affiche en noir et blanc, traits apparents et énergiques, sensuels et souples, ajustés à l'énergie des récits. La variation des thèmes est belle, l'auteur ne s'attarde pas trop sur les sujets un peu rabattus comme la famille ou la mort, laissant transparaître ses sentiments subtilement ; certaines planches deviennent même passionnantes pour le lecteur français, quand Beaulieu songe à l'identité québécoise ou à la vie  Montréal, tellement moins douce qu'à Québec. 

Agréable alternance, condition humaine et condition québécoise se passant la parole d'une page à l'autre, avec toujours se dessin fascinant.

Quelques clics rapides sur Internet permettent d'en savoir un peu plus sur Beaulieu. Né en 1974 sur l'île d'Orléans, près de la ville de Québec. Passionné de dessin, entré vers la bande dessinée autour de 1998, et un des membres fondateurs de la collection Mécanique Générale. Maison importante pour la bande dessinée québécoise, et un rôle d'éditeur que Beaulieu prend à coeur, un prolongement de son activité d'auteur, comme il l'existe dans cet intéressant entretien. Une gamme variée d'activité, puisque Jimmy Beaulieu a aussi travaillé dans plusieurs librairies, ou anime encore un atelier de bande dessinée au Gégep du Vieux Montréal ; toutes activités cohérentes pour sa démarche de recherche et de création. Une création qui ne se ralentit pas, dans la mesure où de nombreux ouvrages devaient voir le jour entre septembre 2010 et le printemps 2011. Ouvrages maintenant tournés vers la fiction, mais toujours sensuelles et vibrantes. Les couvertures des livres "A la Faveur de la Nuit" ou "Comédies Sentimentales Pornographiques" sont des plus prometteuses...





Liens :
Illustrations de ce texte tirées de l'album "Le Moral des Troupes", ©Jimmy Beaulieu

23 décembre 2010

The Fighter, visant oscars, mais accumulant les petites erreurs : défaite aux points





The Fighter
by David O. Russell, with Mark Wahlberg, Christian Bale, Amy Adams (2010)

Micky Ward boxe, doucement, petits combats sans trop d'espoir, tournant souvent court : à quoi bon combattre un type qui pèse 10 kilos de plus, même pour l'argent ? Mais la mère s'occupe du management, et le frère entraîne ; entreprise familiale, passion partagée. Afin d'aller un peu plus loin que ce frère justement, vivant dans le souvenir de ce combat victorieux contre Sugar Ray Leonard. Vivant surtout en accro au crack...

Fin d'année calendaire, aux Etats-Unis : le buzz monte autour des films à Oscar. Depuis quelques semaines, on entend des titres de films, des réputations montent, rumeurs de nominations. Des films plutôt sérieux, à pitchs assez tranchés, ou tirés d'histoires vraies, reconstitutions de faits historiques. Véhicules pour réalisateur cherchant à montrer leur sérieux, pour acteurs cherchant à démonter leur capacité à incarner toute la profondeur humaine. Il y a deux ans, la reconstitution, c'était Milk de Gus Van Sant et le San Francisco gay des 70s ; le gros pitch, c'était Benjamin Button et son vieillissement à l'envers ; le numéro d'acteur, c'était Mickey Rourke en catcheur dans The Wrestler ; le plus gros mélange, c'était Slumdog Millionaire, les aventures de pauvres indiens avec Qui veut Gagner des Millions ?. L'an passé, le sujet fort, c'était Hurt Locker et les bombes en Irak ; les grands acteurs, c'était Jeff Bridge dans Crazy Heart ou la fille obèse de Precious ; j'en oublie. Amusant de retrouver ces petits codes prévisibles chaque année durant la course aux oscars, et plus amusant encore de voir les oublis parmi les favoris d'alors, ceux dont on ne se souvient plus...

Cette année, le buzz monte autour du King's Speech (grand numéro de Colin Firth ET reconstitution historique), Black Swan (le ballet vu sous un angle masochiste, ça c'est du pitch), 127 Hours (inspiré d'une histoire vraie ET grand numéro de James Franco bloqué dans un ravin) ; sans même revenir sur The Social Network : trahison autour de Facebook, quel meilleur pitch ?

Et aussi ce Fighter, inspiré d'une histoire vraie, la réussite un peu surprenante d'un boxeur pro des 80s. La boxe est toujours bon client pour les Oscars, rappelons-nous de Rocky, Raging Bull ou même Million Dollar Baby. Des questions de valeurs, des histoires de rédemptions, de la photogénie et du spectaculaire ; souvent, des histoires de famille ou de drogues pour rendre tout cela plus vivant et parlant.  The Fighter a coché presque toutes les cases, pas étonnant de le voir nominé si souvent pour les prochains Golden Globe.

Mais les nominations ne font pas un vainqueur. Et elles ne font pas un grand film non plus.

Il faut une vision, il faut un peu d'originalité. Quelques petites choses à dire, à montrer, un discours, une idée esthétique. Il faut prendre le temps, ou sauter les étapes, il faut construire quelque chose, pas dérouler platement un cahier des charges.

The Fighter n'est pas désagréablement filmé, il propose quelques jolies images et une photographie parfois bien ajustée, bien cadrée ; tout du moins dans ses extérieurs - je reviendrai sur les combats de boxe eux-même. Le scénario propose de jolies pistes : frère raté accro au crack sur lequel on tourne un documentaire ; mère ayant eu 9 enfants, dont les filles traînent sans cesse à la maison ; une copine bien plus éduquée mais devenue simple serveuse. Non, c'est certain, les pistes ne manquent pas, les aspérités, les idées plutôt intéressantes.

Mais pourquoi ne rien en faire ?

Le film déroule son programme, ne se laisse pas le temps d'explorer, de montrer. La famille vit dans une ville pauvre : presque pas une vue de la ville, aucun de ces longs plans malades qui faisait une des forces de The Wrestler. La mère a eu 9 enfants, dont une bordée de filles apparemment désoeuvrées : pas un seul vrai regard sur cette troupe féminine, vague choeur d'un seul bloc, à l'utilité narrative vague, souvent raté. La copine a eu un peu plus d'éducation mais n'est qu'une serveuse un peu alcoolique : pas un seul moment pour elle, pas une seule scène montrant sa vie, ses doutes, son existence intérieure ; elle est "la copine" ; relation amoureuse elle-même vague, dont l'intimité ou la force d'échange n'apparaît pas. J'allais oublier : Miky à une fille, vivant à la mère remariée ; mais rien de cette histoire passée ni de ces conséquences n'est développé, à peine deux ou trois scènes.

Que reste-t-il de ce programme dont la dilution surprend un peu plus chaque fois que j'y songe ?

Les deux rôles principaux, pense-t-on. Mark Wahlberg, Christian Bale, les têtes d'affiches. Christian Bale grimace une bonne partie du film en junkie survitaminé au crack, tête à claque superficielle et rigolarde ; c'est rarement juste, souvent agaçant, plein d'énergie dépensée un peu étrangement. Au moins, ce n'est pas aussi opaque et creux que certaines de ses performances récentes, spectre étrange de Public Ennemy par exemple. Mais cela ne devrait pas aller plus que la nomination au meilleur second rôle. Quand à Wahlberg, il est plutôt sobre, vaguement juste, mais assez souvent détaché du reste, famille ou entraîneur, sans qu'on sente trop pourquoi. Ses motivations restent peu claires, son chemin intérieur transparaît peu, ses interrogations, ou même simplement son dialogue avec ce qui l'entoure. Ce détachement éclate d'ailleurs dans une scène très bizarre, réunion chez la mère où il vient annoncer son envie de s'entraîner loin de la famille. La mère et le frère hurle, le père reste faible, toutes les soeurs balance leurs remarques bêtes de vieilles gamines, la girlfriend défend ; et Wahlberg flotte un peu, on ne sait s'il est sûr de lui ou totalement perdu, assez loin de l'énergie de la scène. On ne croit pas à l'existence de liens familiaux dans ces différences d'énergie, on ne croit pas non plus à une rupture décidé. La scène est assez ratée, bizarrement longue...

Mais les scènes les plus étrangement peu convaincantes sont les scènes de boxe. Un peu d'entraînement, mais pas trop : on ne sait que retirer de ces instantanés. Et les combats eux-mêmes sont assez déroutants. Il y a bien un enchaînement un peu travaillé de 3 combats, avec gros plans sur les visages, coups échangés permettant de condenser plusieurs mois en quelques images. Mais les combats plus développés sonnent étonnamment faux : pas vraiment de sensation de fatigue sur les visages ou les corps, hormis un peu de sang, et un Wahlberg encasissant sans fin pendant plusieurs round, comme sans réaction ; mais après une demi-douzaine de reprise, il se réveille, place quelques coups, remporte le combat. Impression très bizarre, et sans même mettre en avant un côté "mise en scène assumé". Aucun intensité ne monte jamais vraiment dans ses combats. Le grand combat final, le match pour le titre, est d'ailleurs un exemple d'énergie égale, fin victorieuse mais anti-apogée. Il gagne, après 7 rounds passifs, il embrasse ses proches, une petite interview à la maison ; et c'est fini. Absence complète d'intensité, de variation de rythme, lancé d'une manière assez surprenante pour une long métrage soit-disant ambitieux : tout le début du grand combat, la montée de boxer ou les premières reprises, est tourné selon des codes télé de boxe, image vidéo, incrustations cheap, voix de commentateurs banales. Ce glissement vers un réel habituel du téléspectateur ne fonctionne pas, n'apporte pas grand chose.

Oui, The Fighter possède un matériau plutôt intéressant, tente quelques idées de réalisations, propose des jeux d'acteurs plutôt travaillés. Et l'ensemble du film est plutôt plaisant, se déroule bien. Mais tant de petits défauts, d'occasions manquées, de rythme un peu raté ou de scènes qui prennent mal : cela n'agace pas vraiment trop sur le moment, mais je doute garder aucun souvenir de tout cela d'ici un mois ou deux.





21 décembre 2010

The Edible Woman et Margaret Atwood tisse avec humour des hésitations féministes

The Edible Woman 
by Margaret Atwood (1969)

Marian n'a pas trop à se plaindre, sa vie de jeune femme prend forme. Un travail intéressant dans une société d'enquête marketing, un petit ami mignon, intelligent, promis à une belle carrière d'avocat ; quelques amis autour de Toronto, une collocation pas désagréable avec son amie Ainsley. Tout s'assemble, la demande en mariage ne va pas tarder, Peter est un bon garçon, un garçon traditionnel. C'est rassurant. Même si Marian ne sait peut-être pas trop ce qu'elle veut ; pas devenir comme son amie d'université, Clara, enceinte chaque année depuis son mariage il y a 3 ans ; mais certainement pas flotter comme Duncan, l'éternel étudiant croisé lors d'une enquête sur la bière...

The Edible Woman est le premier roman de Margaret Atwood, immense auteur canadien. Primée à de multiples reprises, internationalement reconnue, régulièrement citée par les bookmakers parmi les candidats au Nobel de littérature ; une référence. Pourtant, son roman Surfacing, son deuxième ouvrage, m'a paru terriblement daté et plat quand je l'avais lu l'an passé : agrippé à un style minimal un peu frustrant, brassant de figures de hippies bien mornes... Une belle déception... Mais il fallait bien lui donner une deuxième chance.

Mais ce premier roman offre une toute autre énergie, un ton plus léger et ironique, beaucoup plus d'humour. Les premières pages offrent de superbes descriptions de la compagnie d'enquêtes consommateurs, peuplée de femmes papillonnantes, mères de famille ou vieilles filles vierges, bricolant des questionnaires pour ce secteur naissant. Jolies images captant l'ambiance de la société de consommation nord-américaines, les femmes travailleuses à permanentes, façon mélodrame de Douglas Sirk : cherchant leur place professionnelle, mais attirées par le foyer et un bon mariage... 

Mais les mélodrames de Sirk étaient ancrés dans les années 50, tandis que Marian est une femme des années 60, n'hésitant pas à vivre en célibataire, libre dans sa sexualité ; sa colocataire Ainsley est d'ailleurs une croqueuse d'hommes revendiquée, consommant alcool en quantité, ce qui ne plaît pas vraiment à leur logeuse. De telles tensions sont le coeur du roman, jeunes gens cherchant leur place dans la société face aux idées arrêtées, qu'elles proviennent des vierges travailleuses, d'une logeuse puritaine ou même d'un boyfriend un peu conservateur...

Un tel schéma peut sembler un peu basique, surtout pour un lecteur des années 2000 habitué à de telles peintures des années 50 ou 60. Mais Atwood assemble ses personnages avec justesse, sait choisir les détails élégants ou distrayants, construit de jolies scènes et de belles surprises, et distille toute la finesse de son humour. L'humour qui semblait si distant ou plat dans Surfacing est ici omniprésent, personnages tournés en dérisions, situations étranges, remarques acides la publicité ou le monde des professeurs de lettres, fête en appartement les instabilités mondaines middle-class des films Breakfast at Tiffany ou The Apartment... 

Tout cela est assurément moins poétique que Surfacing et ses ambitions mystiques, son exploration de l'identité canadienne, comme l'évoque les critiques ; mais The Edible Woman fonctionne beaucoup mieux dans son registre plus quotidien. Un joli plaisir de lecture, portant avec intelligence et subtilité des dilemmes aux accents féministes. Voilà qui donne envie d'explorer un peu plus les ouvrages de Margaret Atwood


18 décembre 2010

Broken Social Scene in Ottawa, intense & moving & wonderful



Broken Social Scene 
December, 17th, 2010 - Concert at Bronson Centre - Ottawa, ON

J'ai déjà dit mon amour théorique pour Broken Social Scene, la séduction générée par leur légende connue à moitié ; et par conséquent, mon impatience à les voir en concert dans un format réel, et non plus un petit concert gratuit comme l'an passé. Leur performance au Bronson Centre d'Ottawa ne va pas réduire mon intérêt pour ce groupe.

Oui, comme je m'y attendais, les instruments tournent sans arrêt sur scène, passant de mains en mains, trompettiste devenant guitariste ou maniant la basse ; et plus généralement, un ballet incessant de guitares et basses de tout type, sautant d'un côté à l'autre de la scène, empilées durant les morceaux. Broken Social Scene est un groupe à guitare, certains morceaux mêlent 3 guitares et 2 basses, et ce sans presque aucun solo, rien que de petits riffs juxtaposés. Des couches bougeant ensemble toutes joyeuses, un joli assemblage, follement énergique, mais sans lourdeur, sans vraie surcharge, rien que des décharges profondes. Terriblement rock, et profondément indie : dynamique, intense, malin, sans virtuosité gratuite.

Cet été, pendant ses concerts, Arcade Fire s'était soudain emparé de guitares, 4 ou 5 s'étaient retrouvées sur scène pour un rock plus direct, pour jouer leur nouveau "Month of May". Je m'étais fait la réflexion : "tiens, ils ressemblent à Broken Social Scene". Ce n'est pas faux en effet, même si "Month of May" est un morceau plus direct que ceux de BSS...

Mais Broken Social Scene n'est pas qu'un groupe à guitare, un groupe aux nombreuses guitares : c'est un groupe boulimique de manière générale. Un deuxième set de percussions ou des claviers peuvent s'inviter. Régulièrement, une section cuivre s'invite sur scène, trompette, trombone, saxophone ; un tuba apparaît même sur une chanson. Une ou deux chanteuses entre pour varier les voix, offrir des choeurs, chanter une chansons purement féminine ou un duo avec la voix de Kevin Drew. Comme je l'imaginais, Broken Social Scene est un fantastique collectif, protéiforme, mouvant, où chacun apporte son énergie, son enthousiasme, son envie d'offrir au public et de faire vivre cette musique énergique.

Là aussi, difficile d'éviter une comparaison avec Arcade Fire, le groupe m'ayant longuement fasciné après les avoir vus en concert à Rock en Scène en 2005 : un groupe rock où "tout le monde jouait la musique tout le temps", à savoir apportait sa pierre à l'édifice, sa joie, laissait transparaître une vie folle et intense sur scène. L'impression est assez similaire ici, mais Arcade Fire est certainement plus théâtral, cherchant plus des effets cristallins, jouant avec les violons, la voix frêle de Régine, variant les intentions et les spectres de joie : la joie presque immobile d'un violon ou la folie de percutante de William Buttler & Richard Parry.

Broken Social Scene est un fantastique collectif, mais un collectif rock, varié mais plus compact, plus centré sur les guitares, leur déchaînement, leur énergie. Arcade Fire joue une euphorie à la limite de l'épiphanie, une fête teintée de mort ou spleen ; Broken Social Scene fait le fou, bondit et déconne. Les balancements d'Andrew Whiteman ou les bonds déments de Brendan Canning sont des spectacles à eux seuls, d'intenses déchaînements rocks, pas trop bien coiffés, avec des chemises bizarres, l'indie rock rappelant sa folie punk derrière les assemblages plus complexes, derrière les 9 ou 10 personnes sur scènes.

Et bien, il y a la figure centrale de Kevin Drew, chanteur à casquette portant veste sur T-shirt, les cheveux épars. Là aussi, une énergie folle, une envie de sauter et bouger sur scène, de rire, de raconter des blagues avec le public. Il chante un morceau dans la fosse, sous les regards ébahis des jeunes canadiens, entourés des téléphones appareils photos et leurs yeux contemporains. Kevin Drew, qui n'a plus l'air de vouloir s'arrêter, jouant et jouant encore, le concert a commencé plus de deux heures auparavant et il ne s'arrête pas, il propose un nouveau morceau et les deux roadies doivent s'adapter, fournir la bonne guitare à la bonne personne. Toute la foule bondit sans fin le déchaînement instrumental de "Meet Me in the Basement", présenté en vidéo hier ; longs applaudissements, Kevin Drew regarde la foule : "Ca vous dirait qu'on recommence un peu ?" et voici encore deux minutes des mêmes bondissements ravis.

Une énergie folle, qui explique mieux la fascination que le personnage peut générer. Mais une énergie qui n'explique pas tout : Kevin Drew possède une magnifique capacité à tisser des chansons fascinantes. Par couches de guitares, mais aussi des chansons poignantes, simples mais émouvantes. Presque à la fin du concert, la scène se vide de musiciens, et Kevin Drew reste seul en fond de scène, jouant au piano "Lover's Spite". Le silence se fait dans la salle, un silence au respect palpable ; un silence profond et riche, plein d'admiration ; un silence comme je n'en ai pas entendu souvent en concert, comparable au respect qui avait pris les 25.000 spectateurs d'Arras en 2008 quand Tom Yorke avait entamé "Exit Music (for a film)". Superbe image toute en douceur sereine, et à pas de loups, quatre musiciens le rejoignent sur scène en mode acoustique : mélodica, trompette en sourdine, harmonica ; intimité douce, le spectre de Broken Social Scene est large et riche.






Kevin DREW (LHS, guitar) - Sam GOLDBERG (center, guitar)
Brendan CANNING (keyboard) - Charles SPEARIN (RHS, guitar)

Lisa LOBSINGER (back left) - Andrew WHITEMAN (bass)

Kevin DREW (LHS, guitar, with cap) - Sam GOLDBERG (center, guitar)
Brendan CANNING (keyboard) - Charles SPEARIN (RHS, trumpet)
David FRENCH (sax)

Andrew WHITEMAN (LHS, guitar) - Brendan CANNING (RHS, bass)




 Andrew WHITEMAN (LHS, guitar) -Sam GOLDBERG (RHS, bass)

 Kevin DREW singing "Lover's spit"










Final Song: "Meet Me in the Basement





Video of Broken Social Scene in Ottawa

Broken Social Scene - "Meet Me in the Basement"
December, 17th, 2010 - Concert at Bronson Centre - Ottawa, ON

Great gig by Broken Social Scene tonight at the Bronson Centre. This will require more details, more descriptions, and more space for all the pictures I took. But I think this video is quite impressive enough to share some taste of the night: I am quite impressed by my new camera and its possibilities...

More to come soon!

17 décembre 2010

Fuck You, tube de Cee-Lo à ne pas oublier

Fuck You 
by Cee-Lo Green (2010)

Décembre, et les classements de fin d'année déboulent. Meilleurs livres, meilleurs films, meilleurs disques ; meilleures chansons. Période faste pour l'amateur de musique sur Internet, abreuvé d'articles récapitulatifs et de morceaux à écouter. Certains parlent de sessions de rattrapage. Rattrapage, je ne sais pas, mais toujours un bon moment pour faire des découvertes : je n'ai pas pour ambition de suivre TOUTE l'actualité musicale au jour le jour pendant l'année...

Peut-être vais-je faire un texte pour rassembler les découvertes les plus marquantes réalisées grâce aux tops de fin d'année. Pour cette année, peut-être, pour rassembler de vieux souvenirs aussi, ces chansons isolées saisies au moment d'un décembre passé. Petit assemblage qu'il sera certainement amusant de bidouiller durant les prochaines vacances de fin d'année.

Mais déjà, en passant, sans trop d'ambition, un joli morceau que je n'ai pas vraiment écouté cette année. L'intense single "Fuck You", chanté par Cee-Lo Green. Une voix soul à la profondeur sans fin, résonnante & chaude, connu également comme la voix de Gnarl Barkley ; personne n'a oublié l'immense chanson "Crazy" du duo costumé. Cette fois, Cee-Lo revient en solo, mais la même voix plonge en tout sens, moins ouvertement angoissé, crachant Fuck You dans le refrain avec hargne, mec sûr de son fait, gamin sans hésitation, souriant légèrement à la grossièreté assumé. La vidéo n'est pas désagréable, un bon petit tube à se remémorer pour la fin d'année.

14 décembre 2010

En attendant Broken Social Scene à Ottawa, une vidéo

Texico Bitches 
by Broken Social Scene (2010)

Je connais assez mal Broken Social Scene, finalement. J'ai écouté leur album de 2005, album éponyme. J'ai dû écouté quelques fois leur chef d'oeuvre, "You Forgot It In People", sorti en 2002, source d'une gloire Pitchforkienne immense ; le rédacteur en chef est un malade de Broken Social Scene, a même plublié un livre à leur sujet. Mais finalement, c'est justement cette gloire indie rock que je connais le mieux, même vaguement, et qui me fait doucement rêver ; cette gloire symbole des blogs musicaux des années 2000. Je raffole de ce genre d'histoire, des légendes, portraits vagues & flous de groupes que je connais mal, la force des mots et des récits ayant trait à la musique.

Je suis un lecteur de musique autant qu'un auditeur. Je traque les légendes et les petits compte-rendus. Explore les entretiens, paroles de musiciens qui me passionnent souvent. Et finalement, parfois juste en bout de parcours, je vois un de ces groupes en concert, ou j'écoute plus sérieusement leurs disques. Mais qu'importe, la fumée évanescente des contes musicaux comptent le plus, les images mentales.

Dans mon esprit, Broken Social  Scene est une sorte de monstre indie rock, bande expérimentale où les musiciens viennent, se rencontrent, jouent sur quelques morceaux, se passent les instruments. Broken Social Scene, c'est la première famille de Feist, d'Emilie Haynes aussi, la chanteuse de Stars traîne aussi sur certains morceaux ; plus d'une quinzaine de personnes ont joué sur leur album éponyme. Un paragraphe entier de leur page Wikipedia est dédié aux membres de leurs différentes tournées... C'est ce qui me séduit le plus dans Broken Social Scene, leur démarche, une sorte de recherche en groupe, d'assemblage sans cesse recombiné.

Et accessoirement, un emblême du rock alternatif canadien, une sorte de précurseur d'Arcade Fire, autre groupe aux nombreux musiciens.

Ainsi, avouons-le, voir Broken Social Scene en concert faisait partie de ma liste "Choses à Faire au Canada". J'ai eu la chance de les voir pour un petit concert gratuit donné durant le Bluesfest d'Ottawa en juillet 2009. Un large groupe fidèle à mon image mental, chanteuses se passant le micro, guitariste échangeant bass et guitares, passage de cuivres sur certains morceaux : un mille-feuille d'instruments, couplant parfois trois guitares fortement électriques, support dense aux jolies mélodies. Joli petit moment, mais sentant un peu l'improvisation : le groupe n'avait été ajouté qu'à la dernière minute, s'évadant pour quelques instants des sessions d'enregistrement de leur nouvel album, Forgiveness Rock Record.

Mais ce nouvel album, sorti en 2010, m'offre une nouvelle chance d'assister à une messe Broken Social Scene : les voici de nouveau de passage à Ottawa, pour un concert au Bronson Center vendredi 17 décembre 2010. Concert plus construit et rôdé, j'en suis certain, dont je me réjouis d'avance ; et dont je devrais parler d'ici quelques jours... Pour patienter, voici leur nouvelle vidéo, sorti le week-end dernier.





13 décembre 2010

Score, catastrophe musicale sans vrai hockey. Pauvre Canada...

Score - a Hockey Musical 
by Michael McGowan, with Noah Reid, Olivia Newton-John, Walter Gretzky, Hawksley Workman (2010)

"Une comédie musicale sur le hockey ?"
"Oui, ça a l'air assez ridicule, mais ça devrait être distrayant, et terriblement Canadien."

Hélas...

Bien entendu, que peut-on vraiment attendre d'une comédie musicale ? Il ne devrait pas y avoir de surprise face à un scénario schématique, mono-dimensionnel, convenu : Farley Gordon est un génie de la rondelle, mais couvé par des parents intellectuels, n'a jamais joué en compétition ; jusqu'à ce qu'un propriétaire d'équipe l'aperçoive, et en fasse une star montante. Farley Gordon saura-t-il trouver sa voie, concilier son goût de la technique face à la violence de la Ligue, saura-t-il entendre l'amour de sa voisine de palier, éternelle amie d'enfance ? Rituel adolescent, passage à l'âge adulte, on imagine les scènes, et les chansons aussi, refrain sur l'air de "fais ce qui te tient à coeur"ou "en hockey, pour être un homme, il faut se battre".

Au début, on sert les dents, guette les scènes sur glace, digère doucement les chansons pas désagréables ; on sert les dents sur les blagues rarement bonnes, lourdes, tellement bêtes qu'elles apportent un peu de stupidité. On attend avec impatience la grande compétition, les grandes scènes chorégraphiées sur glace en plan large, le mélange du "best game of the world" avec la musique et la danse, avec le cinéma.

Hélas...

Tout dérape vite vers des enjeux assez anodins. L'histoire d'amour avec la voisine de palier (musicienne, what else?), perturbée par un italien pianiste séducteur. La violence du hockey, les combats à coups de poings, qui font horreur à l'ancien garçon bien comme il faut. Le tout saupoudré par les apparitions pas très bien réglées de quelques stars du hockey. Tout cela zigzague doucement, perd peu à peu de rythme, quitte même les patinoires pour s'attarder trop sur la dérisoire bluette sentimentale. Pour se conclure par une grande scène de patinoire sans même de match. Bon sang, mais que s'est-il passé ?

Pourtant, quelques bonnes idées avaient germé dans la première moitié du film. Le jeune prodige aussitôt saisi par une firme marketing, propulsé comme la future vedette du sport nationale ; alternant apparitions publicitaires, passages réglés à la télé, couverture des grands magazines de hockey. On sentait un peu de la passion du jeu, des enjeux associés au hockey au Canada, les discussions incessantes qu'il peut générer ; et tous les vautours qui tournent autour des jeunes talents. Sans même tenter un regard grinçant sur le sport professionnel et ses dérives, il y avait beaucoup à creuser en présentant cette obsession canadienne nationale. Le hockey, plus grand sujet de discussion au boulot n'importe où au Canada, toutes ces pages dans les journaux, toutes ces statistiques, le poids d'anciennes stars comme présentateur télé, comme icônes nationales. Tout un terreau qui pouvait susciter de belles scènes en contre-points, des histoires avec des groupes de supporter du petit club, un regard sur le phénomène hockey.

Souvent, au cours du film, les gens chantent le hockey comme le plus sport du monde. Rien ne permet de toucher à cette beauté, à la passion du peuple pour ce sport, et aux raisons associées à cette passion.

Car la plus grande frustration du film reste sa faiblesse en matière de hockey pur. En début de film, le jeune génie dribble tous les défenseurs, finit toujours par marquer sur son petit terrain de quartier. Il arrive dans l'équipe de jeune, et reproduit les mêmes exploits, juste perturbé par la présence du contact physique dans la compétition. Pas une scène d'entraînement, pas une seule vraie compétition pour induire un peu de tension, aucun de ces deux classiques du film de sport ; pas une seule vraie ACTION de hockey sur glace. Tout la glace réduite à cette question : doit-on accepter de se battre sur glace quand on joue au hockey ? 

Le problème n'est pas dans la pertinence de cette question. Il est toujours surprenant de voir les supporters se réjouir quand deux joueurs, jeunes ou pro, commencent un combat de boxe instable sur la glace. Tout le machisme latent de ce sport est un thème qui mérite réflexion, quelques interrogations. Mais le film est incapable de réfléchir vraiment à cette question, réduite à une opposition entre coach barbu / couillu, et peur prof d'université décoiffé... Manichéisme noyé dans quelques blagues potaches de vestiaires, hockeyeur bas du front pétant sur briquet ; manichéisme dénoué sans conviction par une pirouette de scénario atterrante : Farley Gordon accepte de revenir sur la glace, d'affronter son adversaire, mais il se bat en lui offrant un terrible calin... Audace scénaristique de bisounours, et on se demande quel producteur a pu accepter une telle galipette, un tel "je glisse doucement les enjeux narratifs sous le tapis et on n'y voit que du feu".

Film désespérant, qui perd ses quelques pistes narratives, glisse des chansons au classicisme banal dont aucun refrain n'est vraiment marquant ; et offre un idéal de vie assez saumâtre : épouser la fille d'à côté connue depuis l'âge de 2 ans... Bonjour la révolution.

En creux, sans le vouloir, Score offre un portrait du hockey dans ses côtés les plus tristement conservateurs : glorification de l'amitié virile, victoire du joueur doué d'un talent naturel, histoire d'amour locale. Toute une hiérarchie stable & figée, société de valeurs - les vraies bonnes valeurs. D'une certaine manière, cet aspect est présent dans le hockey canadien : il n'y a qu'à entendre le bon vieux Don Cherry, vieux consultant vedette, glorifiant sans fin le hockey viril, les joueurs bagarreurs, les vrais hommes - "le VRAI hockey comme on l'aime". 

Dans ses limitations, Score présente les travers du hockey et ses mythes limités, et ce avec un naïveté presque confondante ; mais il n'y a pas vraiment de quoi être fier.






Deux vidéos de commentaires de Don Cherry... 
Le hockey dans sa subtilité et sa finesse théorique...





12 décembre 2010

Nas & Damian Marley, alliance diluée sur album, mais avec punch sur single

As We Enter 
by NaS & Damian Marley (2010)

Petits cuivres initiaux, un début de vieux vinyle. Un orgue envoûtant, petites percussions. Une voix vaguement reggae, vaguement dance hall balance deux ou trois lignes de texte. Puis passe la balle à une autre voix, flow hip-hop plus classique, en contre-point. Petite décharge électrique, belle énergie.

Les échanges continuent à la même vitesse pendant moins de 3 minutes, petite perle d'intensité sobre & entraînante.

Voici le premier single de collaboration entre NaS, le rapper de New York, et Damian Marley, le musicien jamaïcain et fils-de. Un joli moment, un bon petit précipité, qui a surgi en février dernier. Bon, j'écoute l'album complet sorti par la suite, et rien n'atteint vraiment la même densité, la même force qui agrippe. "Distant Relative" est bien dilué, surtout après ce "As We Enter" placé tout au début de l'album, en piste n°1. Mais ce single reste un joli moment, un bon petit souvenir pour l'année 2010.



11 décembre 2010

Lester Bangs, mythic critic of punk, gonzo writer (and so much more)





Psychotic Reactions and Carburator Dung 
The Work of a Legendary Critic: Rock'n'Roll as Literature and Literature as Rock'n'Roll 
by Lester Bangs (edited in 1986, articles from 1971 to 1981)


J'ai déjà parlé de Lester Bangs, le légendaire critique rock, après avoir lu le recueil Mainlines, Blood feasts and Bad Taste il y a quelques mois. Ce recueil était le deuxième rassemblant articles et textes de Lester Bangs, mort en 1982 à l'age de 34 ans. Psychotic Reactions and Carburator Dung est le premier recueil. Textes plus riches, moins dispersées peut-être que dans "Mainlines...".

Quoique. Lester Bangs était un écrivain à l'énergie folle, capable de se lancer dans des textes souvent improbables. On a ainsi droit ici au récit systématique de ses soirées de Nouvel An de 1971 à 1978, la dernière année donnant lieu à une déambulation étrange chez une fille bizarre, vaguement stone, peu motivée par le sexe ou par un quelconque échange... Le rock dans son sens le plus large, le rock, comme un style de vie : par ses textes, Lester Bangs a participé à la définition d'un esprit rock, dépassant les frontières de la musique. Le long compte-rendu sur le film de série Z The Incredible Strange Creatures Who Stopped Living and Became Mixed-Up Zombies laisse ainsi rêveur : comment Creem a-t-il publier un texte aussi long sur un tel film ? Un texte mêlant descriptions du film, réflexion sur les programmes présentés à la télé, une fantaisie sur une grève nationale pour la diffusion de films sur les grands réseaux : "Un groupe propose de passer tous les films de l'histoire par ordre chronologique, certains ne quittent plus leur écran télé, fascinés par le projet"...

Le rock au sens large, le rock comme moteur, comme état d'esprit, comme nourriture vitale et comme source d'écriture, générateur de textes, de nouvelles approches écrites.

Car nombreux sont les textes fascinants dans ce recueil, pièce continuant sans fin, dissertant, et innovant dans leur forme même. La fascination de Lester Bangs pour le personnage de Lou Reed est connue, mais elle apparaît évidente dans le texte Let Us Praise Famous Death Dwarves, or, How I Slugged It Out With Lou Reed and Stayed Awake, publié dans Creem en 1975. Lester Bangs y raconte son interview avec son héros, anxieux, tendu, à cause de la réputation de Lou en interview, mais aussi à cause de la vénération de Bangs pour son héros. Tension telle que Lester Bangs s'est présenté à l'interview passablement drogué, un face-à-face surréaliste entre deux monstres du verbe dans des états seconds. Joute verbale, dialogue décousu, entouré d'une faune étrange suivant Lou Reed, entre un repas à table ou des herbes de dissertations nocturnes dans la chambre de Lou Reed. Une drôle de créature sur le lit ne cesse de rappeler l'heure dans la dernière partie de l'interview... L'article est devenu un classique, et a même droit à sa propre page Wikipedia...

Comme avec Lou Reed, Lester Bangs affiche ses préférences, ses goûts esthétiques, ses attirances en matière de rock, les explore ; et s'en sert pour créer à son tour ses textes, élargir le champ des seules chansons rock. L'article d'ouverture du recueil s'intitule ainsi "Psychotic Reactions and Carburator Dung - A tale of These Times", publié en 1970, une longue évocation du groupe garage Count Five. Le groupe n'a sorti qu'un seul album, brut, rugueux, tout à fait le genre de rock cher à Lester Bangs, loin des canons rock progressif de l'époque. Bangs fait de son texte une sorte de manifeste pour ce type de musique, pour cette recherche d'énergie brute et un peu bête, et tisse alors au groupe toute une légende, une trajectoire d'albums réussis ou progressivement décevants... Albums tous imaginés par ses soins, hormis le premier, bien réel... Un moyen pour Lester Bangs de présenter son idéal rock, l'énergie, la bêtise un peu bizarre, qu'il désigne par le terme punk.

L'article est souvent présenté comme la première utilisation du terme punk dans un cadre rock... Dès 1970, 5-6 ans avant les Ramones ou les Sex Pistols...

Bien entendu, quand la vague punk explose en Angleterre en 1976, Lester Bangs ne peut que se réjouir. Il a déjà loué le premier album de Patti Smith, mais le phénomène a plus d'ampleur, balayant tout le Royaume Uni. Dans un joli coup de génie journalistique, le NME propose à Bangs de suivre The Clash en tournée. Cela donne lieu à un article d'anthologie, étendu sur 3 numéros du journal anglais, et plus de 36 pages dans le présent livre. On y redécouvre le punk tel qu'il a explosé alors, dans ses premières tentatives Do-It-Yourself, les looks libérés à base d'épingles à nourrice ; vague esthétique et thématique classiquement associée au mouvement punk, de manière presque clichée de nos jours. 

Mais la fraîcheur de "l'histoire en train de s'écrire" est également approfondie par le regard de Lester Bangs, observateur séduit, mais gardant un certain esprit critique, un regard américain, témoin extérieur. Bien entendu, son séjour s'éternise, il est fasciné par l'éthique des Clash, insistant pour toujours discuter avec leurs fans, pour leur offrir de dormir dans leur chambre d'hôtel. Une parfaite cohérence entre le discours égalitaire des Clash et leur pratique, et Bangs s'en émerveille longuement, de leur goût pour la déconne, de leur intensité. Mais il ne cache pas non plus son malaise quand la déconne dégénère un soir, tournant à l'humiliation d'un fan par un roadie, sans qu'aucun membre du groupe ne s'interpose. Ecart qui marque fortement le journaliste et l'idéaliste rock, et il conte sans détours ses interrogations.

Ce long texte sur The Clash n'est pas le seul morceau fascinant sur le punk, vécu de l'intérieur et en direct comme supporter critique. Dans Death Means Never Having to Say You're Incomplete, Lester Bangs s'interroge longuement sur le fond du discours de Richard Hell, séduit par sa musique et son approche, mais sceptique quant au nihilisme ou à la fascination pour la mort du personnage . Il s'interroge également sur le racisme latent de la scène punk dans The White Noise Supremacists ; regard bien pertinent si l'on se rappelle des groupes punk fascites qui apparaissent dans un film comme An Amercian History X.

Mais le texte le plus déchirant sur le punk, ou le rock en général, surgit finalement, publié en 1977. Récit méditatif sur la mort de Peter Laughner, tout simplement intitulé Peter Laughner is Dead. Laughner était fan transi de Lou Reed, malade du rock, passionné fou ; il écrivit des critiques, joua dans quelques groupes punk naissant, posa sa voix sur les premiers 45 tours de Pere Ubu. Laughner est mort à 24 ans, détruit par l'excès d'alcool et boisson. Dans ses propres excès et passions, Lester Bangs semble saisi, exprime sa peine, son sentiment désabusé, "un gamin qui s'est tué pour quelque chose que les T-shirts déchirés représentaient dans le combat de ses émotions déchirées." Une peine et un embarras qu'il tente de transmettre sans jugement, sans chercher de grand coupable, sans proposer de vraie moral. Texte glaçant, lucide, un immense moment de rock, d'émotion, d'écriture tout simplement.

Car Psychotic Reactions and Carburator Dung n'est pas qu'un recueil sur le punk ou sur des passions de sous-culture comme Lou Reed ou les séries Z d'horreur. C'est un assemblage d'écriture magnifique, d'une quête de sens ou de vie ou d'élan, je ne sais comment dire, une énergie du texte catalysée par la musique, riche en invention, en recherche, en folie douce. Une lecture fascinante...  



Liens vers des articles de Lester Bangs



Quelques citations... (jolie liste visible ici)

I volunteer not to feel anything about him from this day out, but I will not forget that this kid killed himself for something torn T-shirts represented in the battle fires of his ripped emotions, and that does not make your T-shirts profound, on the contrary, it makes you a bunch of assholes if you espouse what he latched onto in support of his long death agony, and if I have run out of feeling for the dead I can also truly say that from here on out I am only interested in true feeling, and the pursuit of some ultimate escape from that was what killed Peter, which is all I truly know of his life, except that the hardest thing in this living world is to confront your own pain and go through it, but somehow life is not a paltry thing after all next to this child's inheritance of eternal black.
          -  Peter Laughner is Dead (1977)


As I left the building I passed some Latin guys hanging out by the front door. "Heard the news? Elvis is dead!" I told them. They looked at me with conteptuous indifference. So what. Maybe if I had told them Donna Summer was dead I might have gotten a reaction; I do recall walking in this neighborhood wearing a T-shirt that said "Disco Sucks" with a vast unamused muttering in my wake, which only goes to show that not for everyone was Elvis still the King of Rock'n'Roll, in fact not for everyone is rock'n'roll the still-reigning music.
          -   Where were you when Elvis died? (Village Voice, 1977)


Punk had repeated the very attitudes it copped (BOREDOM and INDIFFERENCE), and we were all waiting for a group to come along who at least went throught the motion of GIVING A DAMN about SOMETHING.
Ergo, the Clash.

What I am saying is that contrary to almost all reports published everywhere, I found British punks everywhere I went to be basically if not manifestly gentle people. They are a bunch of nice boys and girls and don't let anybody (them included) tell you different.
          -   The Clash (NME, 1977)


So now how do you see yourself, the adult Dick Clark? As a moral leader for youth?
"I'm just the storekeeper. The shelves are emptu, I put the stock on. Make no comment pro or con. Ivring Berlin said, 'Popular music is popular because a lot of people like it.' That does not mean it's good or it's bad - that's the equivalent of arguing the merits of hot dogs versus hamburgers. What the hell difference does it make?"
          -   Screwing the System with Dick Clark (Creem, 1973)


A good old answer by Lou Reed already published previously here...

Marie Brassard joue au CNA d'Ottawa avec une vague poésie souvent obscure et plate

Moi qui me parle à moi-même dans le futur 
par Marie Brassard 
spectacle au CNA d'Ottawa du 8 au 11 décembre 2010 

Scène blanche, écran plan dans le fond, de toute la largeur du plateau. Des câbles blancs sur le sols, apparents, des fibres optiques. Une voix sort doucement de haut parleur, un film noir et blanc défile envoûtant sur l'écran, neigeux, pixelisé s'il avait été numérique, ombre chinois montrant une silhouette qui bouge doucement. "La vie, le futur, la mort" - des mots doucement énumérés.

Et bien vite, les silhouettes visibles sur scènes, et les paroles commencent, offertes.

"Plus jeune, avec mes amis, nous jouions à mettre en scène des comédies d'horreur. Dans des maisons. Des squelettes sortant d'un placard, des ossements, toutes une iconographie de la mort. Et nous  guidions nos victimes les yeux bandés, qui ne savaient pas ce qui pouvaient arriver. Ils étaient terrifiés, pour la plupart. Mais nous les guidions. 'N'aie pas peur, suis moi, suis moi. Je serai tes yeux. Je serai tes yeux'." La dernière phrase prononcée d'une voie enfantine...

Marie Brassard présente ainsi un nouveau spectacle solo, composition poétique et puisant dans ses souvenirs, avec ambitieux assemblage technique. Deux musiciens l'accompagne sur scènes, un clavier chacun, un laptop chacun aussi, une guitare pour l'un : des bourdons sonores, constructions de bruits envoûtantes. Au fond, l'immense écran diffuse des images souvent tremblantes, souvent toujours noir & blanc, souvent instables, rêveuses. Et toute la voix de la comédienne passe par un micro, offrant plusieurs variantes d'effets, voix soudainement grave et masculine, voix d'enfant, voix âgée.

Mais pour quoi raconter ? Marie Brassard s'élance dans des paroles poétiques, des scènes d'enfances, assemblages de souvenirs distordus, toute une suite de pièces vaguement surréalistes, obscures, imaginée, symboliques. "Si je l'imagine, cela existe-t-il ?" Et la voix grave répond : "Oui, si tu l'imagines, cela existe."

Le spectateur a donc droit  à un long passage initial sur les récits d'horreurs, la fascinations des enfants de Trois-Rivière pour les faits divers des journaux, les meurtres les plus sanglants dont ils s'inspirent pour leurs jeux. Le sang, le sang, le sang qui réapparaît dès le passage suivant, surgissant dans un rêve d'enfant, formant une flaque aux pieds de la comédienne ; flaque qui dessine son visage de femme âgée. Prétexte à un dialogue de la jeune fille avec l'aînée du future, ou c'est ce que semble évoquer le titre.

Hélas, les symboles semblent souvent pesants, tellement vus et revus, le sang, la mort, sans véritable renouvellement du texte. Les paroles et scènes semblent vaguement surréalistes, sans véritables élan, presque un résidu sorti d'un poète parisien un peu mou des années 20. Parfois, Marie Brassard s'échappe dans des symboliques apparemment plus obscures, plus abstraites, comme ce long pour enfant décrivant l'origine du monde à travers les étapes de têtards : créant des ondes sous l'eau, formant donc une oreille pour entendre la musique, puis des jambes pour danser, puis des mains pour avoir du contact, puis un cerveau pour penser pendant que certains dansent... Passage passablement poussif, dont l'intérêt n'est pas facile à saisir. "Me voici racontant une histoire qui n'a pas grand sens. Mais ce mythe d'origine du monde, je peux le garder, c'est le mien celui que j'ai inventé". Hélas, seule la première partie de la réplique frappe : tout ceci n'a pas grand sens et ne semble pas offrir grand chose.

Et principalement à cause des limitations du texte, car l'assemblage musical et visuel n'est pas désagréable, joliment envoûtant, avec des musiciens irréprochables. Ils tissent des nappes denses, bruyantes, épaisses, bourdonnantes, et les images tremblent doucement, grains de photos argentiques vibrant en gros plans, plan de bungalow frissonnant, bien de face, sans profondeur. Joli, captant, et pourtant sans m'avoir jamais vraiment emporter, trop agacé par la minceur du texte et son côté décousu.

Mais surtout par les limites de la voix, la restriction de son utilisation, trop filtré par le micro, l'amplification, les effets. Bien entendu, l'amplification était certainement rendue nécessaire par le bourdon des claviers et de la guitare, afin de permettre la compréhension du public ; et, quitte à amplifier, autant profiter des possibilités des effets. Pourquoi pas ? Mais ces effets sont introduits dans l'opacité la plus complète, changement de voix survenant sans prévenir, assurément actionnée depuis la régie (je n'ai pas aperçu de système sur scène, ou alors cachée par la comédienne quand elle s'en servait). A mon avis, la mise en scène s'est ainsi privé d'un jeu sur le contrôle de la voix, préférant privilégier la surprise et les variations imprévisibles, le rêve, la continuité. Sans jamais assumer les possibilités de connivence avec le public, d'honnêteté du comédien sur scène : oui, c'est moi, Marie Brassard, regardez comme maintenant je vais changer ma voix, comme je vous présente les différents personnages qui sortent de mon imagination !

Cette remarque est assurément liée à mes expériences théâtrales, le goût que j'y ai découvert pour un théâtre qui ose présenter ses petits bricolages en public, et qui en joue. Vision personnelle de petit spectateur contre vision personnelle de l'artiste : pas grand chose à dire, finalement, respectons son choix, et regrettons juste de ne pas avoir été touché...

Mais d'une manière plus générale, il m'a semblé que quelques petites approximations auraient pu être plus exploitées dans le spectacle lui-même. 70 minutes de spectacle, de monologue, de phrases parfois obscures, imprévisibles : sans surprise, il y a eu quelques hésitations de la part de Marie Brassard, et cela ne remet pas en cause sa belle technique, son talent. Mais ces petites hésitations ont souvent été rattrapées très discrètement, très professionnellement, et je me suis fait la remarque que ces hésitations auraient pu nourrir un peu plus l'ensemble de la pièce. Texte parfois au goût d'écriture automatique, dont le tremblement hésitant ou hypnotique auraient pu être mieux transcrit par la voix de la comédienne ; là encore, un petit regret lié à l'utilisation vaguement filtrante d'un micro.

Le spectacle m'a donc semblé assez frustrant, glissant entre mes mains, offrant même un moment terriblement agaçant. Comédienne à genoux, voix totalement modifié pour se faire apparemment hypnotiques, des cercles concentriques en mouvements perpétuelles sur l'écran du fond, "je vais pénétrer votre esprit". Désagréable sensation de revoir une vague installation dada ou une étude artistico-scientifique sur la lumière, le mouvement, la persistance rétinienne : déjà vu, rien de nouveau, et rien ne fonctionnant bien !

Et pourtant, après ce passage terriblement agaçant surgit un joli moment. Le récit se fait plus simple, évoquant la ville natale de la comédienne, ses sorties du samedi soir, les nuits à perdre l'esprit auprès des rockers ou de la drogue, des deux. La lumière se fait plus simple sur scène, trois cercles lumineux pour les trois personnes sur scène, la musique se détend un peu, la guitare offre deux ou trois accords, alternance d'aigus et de basses, Marie Brassard module sa litanie platement surréaliste vers une sorte de chant, un souvenir plus simple, plus parlant. Le spectacle fonctionne enfin, transmet plus que des symboles aléatoires. Dommage que cela arrive si tard.