1 septembre 2012

The National, la passion sous couverture

Je ne suis pas un passionné.

Pas un grand passionné.
Quelques goûts clairs. Quelques préférences. Des préférences douces, sans envies de bondir, pleurer pour toute raison.

Des affinités.    Petites boussoles.
Je ne suis pas un passionné   -  pas un passionné visible.

Passionné touché, les yeux qui brillent au plus.
Le coeur battant ne se touche pas à distance. Bouillir à feux doux d'un frémissement en dedans.

Un murmure, murmure, un murmure.
Mais un murmure sans fin.
Le grommellement qui ne peut se contenir ni s'arrêter; le murmure rauque de la petite vapeur plus que tiède.

Le tremblement, le vacillement   -  surprise, la déstabilisation face à quelque beau, à certaine force d'émotion.

Le vrombissement en sourdine face aux chansons de The National, à leur prestations de concert.

Leur instabilité.
Recherche d'une note, au sens de ton, au sens de tonalité, tout cela sans sens musical. Laisser vibrer mélodies, accords, voix et quelques mots, pour toucher une humeur.
Faire surgir une humeur.

Et donc la traquer.
L'attendre, imprévisible.

Des concerts fragiles, donc, j'en ai déjà parlé ici. L'esprit ne se proclame pas toujours quand il est esprit instable. 
Souvent leurs paroles voient se répéter deux phrases à la suite, presque sans variation, incantation, faisons venir, répéter pour une insistance sans excès, une idée fixe juste là, avouée et non proclamée.

La répétition. La formule. La petite phrase.

Peu de mots me frappent autant que la phrase
"I'm sorry I missed you
I had a secret in the basement of my brain"

Le ton nonchalant, juste laisser paraître le trouble derrière le rideau.
L'instabilité. Le regard qui saute ailleurs parfois, pour une petite ombre d'idée. Une question.
Un quoi, un quoi secret.

Un fil fin et fluctuant pour guider l'oreille vers cette incertitude, le quoi secret discuté en réunion privée avec soi. Juste un brin tiré, une enveloppe autour du brin et la voix déroule, laisse approcher l'oreille près du chanteur aux yeux presque fermés.

La silhouette blonde aux gestes contenus guidant la peur dans la voix.

Je peux regarder le coeur battant cette voix et son quoi et la silhouette qui la soutient agrippée au micro.
Je l'écoute sur le disque. J'aime la revoir sur la scène, traquer la vidéo.

La première offre le son de la couverture vocale, une belle qualité. 
    Mais les silhouettes sautent, l'oeil enregistrer passant trop vite d'un morceau de corps à un autre.
La deuxième vidéo n'offre pas bon son, grande qualité. Mais les images regardent plus, laissent monter la tension du groupe.


Et en dessert, une autre comptine incertaine, dans un cadre plus puissant, la grande foule de Glastonburry. Les violons et les milliers de yeux entourant la voix, la grande scène. 
Mais toujours une comptine fragile au dedans,
    et ma petite passion contenue, vibrante, invisible.




11 août 2012

Ecrire sur l'écriture (et commenter l'écriture malgré soi)



Ruby Sparks (2012)
   by Jonathan Dayton & Valerie Faris
   with Zoe Kazan, Paul Dano, Annette Bening, Antonio Banderas, Steve Coogan


Un auteur écrit le portrait d'une femme dont il a rêvé et celle apparaît réellement dans sa vie.
Contrainte : traitez le thème dans une esthétique de cinéma indépendant US.

Difficile de ne pas caricaturer ainsi la trajectoire du film Ruby Sparks. Car difficile de ne pas s'amuser à étiqueter les petits clichés qui parsèment son histoire, comme des petits résidus de pitch parsemés en passages obligés. L'auteur bloqué, un roman génial publié à 19 ans, l'angoisse de la page blanche à 29 ans ; il tape ses textes sur une machine à écrire ; il voit un psy ; il n'a qu'un chien, sa seule relation de 5 ans a été un échec. Ceci n'est que la situation initiale.

Au moins les choses sont claires, et disposer d'un imaginaire clair n'est pas forcément mauvais pour un film. D'autant que les choses se bouscule assez rapidement : l'auteur écrit donc le portrait d'une femme rêvé, dont il tombe peu à peu amoureux, et celle-ci apparaît finalement chez lui. Telle qu'il l'a créée. Pour de vrai. Oui, pour de vrai !   
Le film peut donc décoller.

Mais le film décolle peu, en partie qu'il décide de ne pas décoller. A savoir, présenter cette situation fantastique d'une manière pragmatique, voire naïve. Bon sang, en effet, que se passerait-il vraiment si un personnage de roman apparaissait vraiment chez son auteur tel qu'il l'a imaginé ? Sursaut, peur de folie, envie de vérifier, gardons les pieds sur terre ; puis profitons au mieux des choses telles qu'elles sont arrivées. Le postulat fantastique traité en conte réaliste au mode mineur, un parti pris que ne quittera presque pas le film.

Et le parti pris ne pénalise pas le film a priori, la situation reste belle à explorer.

Alors visualisons l'apparition du personnage sur ce mode. Imaginez un auteur un peu perdu dans son écriture, écrivant pages et pages sur une femme aimée et imaginée - et qui la découvre chez lui au réveil. Alors quoi ? Surprise et folie et course et extase ?
Oui, l'auteur est surpris, et court, mais pour se cacher. Pour vérifier doucement qu'il n'est pas fou. Rentrer de sa chambre, sortir de sa chambre. Téléphoner caché sous son bureau. Sortir à nouveau. Faire une expérience, chercher un témoin, un regard objectif pour nier sa folie. La réaction prévisible du voisin d'à côté ; une réaction que nous aurions vous ou moi. C'est le parti pris, et la réalisation simple, neutre, sans pic de folie, ne dérape pas de ses rails ; on comprend vite l'idée. Hormis le surgissement magique et quelques blagounettes, le film poursuivra sur son programme de comédie romantique modeste, les pieds sur terre.

Mais continuons à suivre le film.
Continuons à suivre.

Mais peu à peu, certaines idées passent et semblent comme laissées de côté pour ne pas déroger au programme et au ton établi. La femme-de-ses-rêves change de comportement si l'auteur retouche son manuscrit après l'apparition ? L'auteur-créateur fait quelques expériences amusantes - "Ruby se sent si mal quand elle est loin de moi" et aussitôt celle-ci reste collée à lui, fondant en larmes dès qu'il lâche sa main pour répondre au téléphone - mais il n'en abuse pas, et le film non plus, n'exploitant jamais une telle expérience plus d'une scène ou deux. Ruby veut vivre sa vie de son côté ? Elle passe une nuit seule, et aussitôt l'auteur craque, la fait revenir. Chaque embranchement potentiel, déviation du fil narratif, est balayée rapidement, pour revenir coller au noya dur. Au rêve impossible de l'auteur pas assez mûr pour une relation.

Un programme basique de comédie indépendante US, façon Juno, sans trop exploiter le potentiel du pitch. Sans improviser et développer sur le pouvoir du créateur et sa responsabilité, sur le potentiel de contrôle, sur tous les déclenchements et conséquences et cascades qui pourraient en débouler. Jamais on n'emprunte le chemin de la folie vertigineuse comme avait pu le faire le mystérieux "Being John Malkovich", plus biscornu, plus malade, plus inventif, plus sur le fil du suivons-ce-chemin-fou-et-voir-ce-qu'on-trouve.

Vous l'avez compris, cela m'a un peu déçu. Le film ne semble pas laisser beaucoup de prises à l'imagination, et court le risque d'être vite oublié, il me semble. Il suit son parti-pris, attitude respectable, mais laissant des regrets par rapport à son potentiel.

Pourquoi alors écrire autant sur un film qui ne remplit pas totalement son potentiel ?
Car malgré ses limites, et de par ses limites, le film offre un jolie source d'idées sur l'écriture.

Une idée assez jolie du film est le commentaire fait sur la manière de bien écrire un personnage. On l'a vu, quand l'auteur tente de contrôler sa création, les réactions créées sont caricaturales et invivables. Qu'elle se sente mal loin de lui et qu'elle soit sans arrêt ravie, la caricature mono-dimensionnelle ne fonctionne pas. On peut supposer que le film veut montrer ainsi la naïveté du garçon immature, confronté à l'absurdité de vivre avec une fille tout le temps contente. On peut aussi y lire en creux ce qui fait la qualité d'une bonne écriture, la mise en place d'un personnage complexe : la nuance, l'absence d'uni-dimensionnel, l'histoire du personnage. Quand l'auteur décrit cette femme, avant son apparition, son portrait s'étire sur pages et pages de détails, et c'est ce qui la rend si réelle et juste quand elle apparaît. Quelles que soient les limites du scénario par la suite, cela reste une joli commentaire.

Mais là où ce commentaire devient un peu plus frappant pour le spectateur, c'est quand il prend le film à son propre jeu. En effet, les scènes les plus décevantes, les plus vite oubliées, sont justement celles mettant en jeu des personnages trop taillés à la serpe : beau-père baba,  agent littéraire dragueur drogué,  ou même les petits clichés de l'auteur ancien surdoué, quand la caractérisation se fait paresseuse, le film ne trouve pas grand chose sur quoi s'appuyer. Le commentaire créatif offert par le film offre sa propre critique, pas vraiment favorable. Le méta-texte pris à son propre jeu. Le film offrant un miroir pour se regarder lui-même et oubliant de se découvrir un peu moins beau qu'il ne croit.

Et le jeu de miroir à double sens prend même une troisième voie quand on regarde les noms du générique avec plus d'attention. Les réalisateurs sont Jonathan Dayton & Valerie Faris, sans film depuis l'immense succès indé de Little Miss Sunshine. On peut comprendre que l'histoire de l'auteur vaguement écrasé par son succès les ait séduit ; on peut comprendre qu'ils aient souhaité traiter la chose sur leur mode réaliste avec un peu de fantaisie ; on peut comprendre aussi qu'ils aient manqué de recul dans le dosage.
Mais la plus grande surprise provient de l'auteur du scénario. Zoe Kazan, 30 ans (soit l'âge de l'auteur bloqué), elle-même actrice de Ruby dans le film. Elle est l'auteur de tous les personnages du film, dont celui qu'elle joue, une créature issue de l'imagination d'un auteur. J'ai perdu le compte du nombre de miroirs impliqués dans un tel va-et-vient : Jouant le rôle d'une personnage inventé quand elle a elle-même inventé le personnage...  Et je serais curieux de voir comment s'est monté le projet du film...

Voilà en quoi ce film est finalement mémorable. Petite romance pas désagréable au contenu théorique un peu faible, elle devient un beau petit objet d'étude - au final, cela offre un peu de gymnastique d'esprit.


5 février 2012

Mad Kap et quelques plongeons dans l'undergound hip hop

Ces derniers temps, j'ai écouté beaucoup de hip hop.

J'ai l'impression de dire cela régulièrement, tous les deux ou trois mois. Comme si ce n'était pas encore une habitude bien acquise, logique, admise. Une habitude datant disons de début 2008, l'exploration systématique des médiathèque, plonger dans les grands classiques. Une habitude d'au moins 4 ans maintenant - et pourtant, toujours l'impression d'être un débutant, un petit nouveau qui se rend compte, oui, qu'il écoute du hip hop régulièrement ces derniers temps.

Peut-être faudrait-il alors préciser un peu le hip hop que j'ai écouté dernièrement. Afin d'expliquer plus clairement cette perception d'un changement d'habitude.

Oui, il y a 4 ans, j'avais plongé dans les classiques du rap, les gros albums des années 90, les grands canons. Le Wu Tang, Nas, A Tribe Called Quest, Eminem, De La Soul, NTM, les pilliers, les bases. J'avais ensuite saupoudré des noms un peu moins connus, du rap plus indépendant, Mos Def, quelques compil Rawkus, Gangstar, Mobb Deep, Lords of the Underground, au gré des noms piochés ici ou là. Un goût un peu plus large, un peu plus d'exploration, ouvrir les portes aux sons variés du hip hop.

Ces derniers temps, oui, j'ai écouté pas mal de hip hop. Mais dans des chapelles différentes.

J'ai posé doucement les pieds dans le foisonnement récent, ce tumblr hip hop où les mixtape gratuites jaillissent mois après mois, les flows jeunes offrent leurs états d'âme, leur folie dans l'instant. Une jungle, une abondance assez folle où les sons et voix changent, où les réputations se construisent sans qu'aucun disque soit encore vendu. C'est fou. C'est dépaysant. Des hip hop différents de ceux entendus par moi jusqu'à présent, parfois plus électronique. Une nouvelle fraîcheur. J'en parlerai plus, des belles chansons de Frank Ocean, d'A$AP Rocky, de Schoolboy Q, les français de 1995, de ces jeunes, le hip hop de maintenant.

Mais j'ai aussi dégustés avec plaisir le classement des meilleurs producteurs hip hop, publié sur Passion of the Weiss à l'hiver dernier. Délicieusement agrémentés de mp3, des noms inconnus, des sonorités en tout sens, toutes les époques - et toujours les jolis textes du sites. Une variété hip hop comme j'en avais rarement explorée, un tel éventail... 

Le site Passion of the Weiss est une superbe porte d'entrée sur la culture hip hop, l'histoire des sons et des hommes. Un assemblage de passionnés pointus, prêt à partager : j'ai écouté récemment avec surprise et plaisir un de leur podcast, ciblant l'underground hip hop de Los Angeles entre 1990 et 94. Oui, c'est pointu, deux heures et de commentaires érudits, pleins d'humour, une émission magnifique, offrant de belles pistes à suivre.

Beaucoup, beaucoup de pistes à déguster, avec toutes ces sources variées.
J'ai posté certains titres sur mon tumblr, certaines vidéos. Mais il serait dommage de ne pas en faire profiter ce blog, tirer profit de l'espace offert, plus vaste que ceux des habituels posts tumblr...

Alors je recommence aujourd'hui avec ce Mad Kap de 1993, entendu après le mix de l'underground de LA. Le beat est simple, la petite mélodie efficace, le flow digne et fluide entre les différentes voix : "Dopest Verse", difficile de trouver un titre plus symbolique de ce hip hop que j'ai écouté dernièrement...