29 décembre 2009

Films pour enfants et plus certainement pour adultes

Where the wild things are
by Spike Jonze, with the voices of Forest Whitaker, James Gandolfini...(2009)

by Wes Anderson, with the voices of Georges Clooney, Merryl Streep, Jason Schwartzman, Bill Murray, Owen Wilson... (2009)


Je sors tout guilleret du film "Fantastic Mr. Fox" et il me semble bon de partager quelques petites pensées avec vous. D'autant que cette semaine correspond à la sortie française de "Where the wild things are" ("Max et les maximonstres") et qu'il n'est pas inintéressant de comparer les deux films.

Deux adaptations de livres pour enfants, des classiques de bibliothèques d'écoles. Deux jeunes réalisateurs américains aux univers riches, l'ami Spike Jonze de "Being John Malkovitch", l'ami Wes Anderson de "The Life Aquatic with Steve Zissou". Et deux résultats singuliers et fascinants.

"Where the wild things are" offre une plongée quasi brute dans un univers enfantin inquiet et sauvage. Max se dispute avec sa mère, saute en bateau pour rejoindre l'île des Maximonstre, grosses peluches dangereuses de 3 mètres de hauts. Les voici courant, dormant empilés les uns sur les autres, marchant dans le désert ou construisant des cabanes. Voici 40 pages d'album illustré changées en 1h30 d'images sensuelles et intenses, en scènes traduisant l'incertitudes, en pures plaisirs musicaux et esthétiques.

Wes Anderson, quant à lui, plonge dans l'enfance comme on déballe un immense coffre de Playmobile ; et d'ailleurs, on y mélange aussi les Legos, les musiques de ses vieilles cassettes à bande, et les blagues du grand frère que l'on ne comprend pas trop. Voici donc Mr Fox, le voleur de poule, déclencheur d'une guerre totale avec les 3 fermiers du coin. Les détails défilent réjouissants et innombrables, les images flottent sépia entre les traits d'esprits, et l'énormité du combat fermier / animaux s'écoule réjouissante dans sa folie démesurée.

Deux approches assez différentes donc, l'état de nature ici, la finesse d'esprit du newyorkais francophile là, mais certaines intentions restent étonnamment proches. Il s'agit ainsi de films ayant le plus profond respect pour l'enfance et les enfants.

L'innocence enfantine est assurément réelle puisque la sagesse vient avec l'age et les expériences, mais ce cliché d'innocence m'agace un peu. Je ne peux m'empêcher d'y voir une excuse pour servir des histoires cul-culs, plates, niaises, du prémaché et du gag facile. Ce n'est pas le cas ici, et cela fait un peu penser aux aspirations de Christophe Honoré quand il écrit ses livres pour enfants ; il souhaitait ainsi écrire un livre pour enfant sur la mort de son père, il aspire à des livres pour enfants offrant de vrais sujets.

Et c'est bien le cas ici où s'affichent la cruauté, la ruse, les conflits de groupe, les angoisses. Les grosses peluches géantes ou les poupées renard présentent une étonnante profondeur de sentiments, une belle épaisseur aux douces fragilités, jamais unidimensionnelles. L'un des aspects les plus fascinants de ces deux films est certainement la direction d'acteurs ; pour une fois, il semble possible d'utiliser ce terme pour le doublage d'un film d'animation. Clooney, Merryl Streep, Forrest Whitaker ne sont pas ici comme arguments marketing pour l'affiche, ils sont gages de la profondeur des personnages, la clé qui permet de suivre le réalisateur et d'entrer dans son univers. Grosse bête toute poilue au ventre rond capable d'émouvoir le spectateur, simplement car c'est un vrai personnage, un être ; les acteurs de doublage ne surjouent pas, il est d'ailleurs assez saisissant d'entendre ces poupées parler comme des adultes. Après quelques minutes d'adaptation, il ne persiste qu'une envoûtante justesse.

Alors bien sûr, ces films ne sont pas des objets communs et leur succès au box office américain a été plutôt limité. Comment aurait-il pu en être autrement ? Lors des premières projections tests de "Where the wild things are", la moitié des enfants s'est enfui terrifiés par les images. Et d'ailleurs, dans la salle où j'étais, une mère et ses deux gosses est partie au bout de 10 minutes. Films sur l'enfance peut-être pas totalement destinés aux enfants, pas à tous les enfants, rien qu'à ceux aimant bidouiller des histoires un peu bizarres.

Et d'ailleurs, ce positionnement bâtard laisse sceptique certains adultes également. Certains critiques de Télérama s'étonnent qu'on puisse s'amuser durant 90 minutes avec de grosses peluches sur un écran, chose qu'on ne fera jamais avec son fils. Et mon collègue considère "Mr Fox" comme l'un des plus mauvais films qu'il ait vu ces dernières années, il m'a vivement déconseillé d'aller le voir...

Mais la plongée dans ces univers uniques vaut assurément de prendre le risque d'être décontenancé.




Une invention du mensonge bien sage

The invention of lying
by & with Ricky Gervais, with Jennifer Gardner (2009)

Et si le mensonge n'existait pas et n'avait jamais existé ?
Nul ne peut dire ce qui n'est pas et voici le serveur présentant un vin qui n'a pas l'air terrible ce soir ou une secrétaire annonçant à son patron qu'elle le déteste. Point de départ simple et efficace pour une comédie, et les situations singulières ne manquent pas dans les premières minutes : comment travailler pour la publicité sans mentir ? comment donner espoir à un malade quand on sait qu'il va mourir ce soir et ne peut s'empêcher de lui dire ? comment tourner un film quand les concepts de fictions et d'acteurs sont inimaginable ?

Bien entendu, un homme va un jour dire un mensonge et se libérer de l'emprise du réel. Un petit homme ventripotent, récemment viré, rembarré par une jolie fille dès le premier rendez-vous : un petit loser, mais un loser malin, c'est plus drôle ainsi. Il peut donc améliorer son ordinaire, et redonner un peu de bonheur aux gens, car bon, il veut leur bien.

Le parti pris du film est assez original finalement car cette invention du mensonge n'est pas contagieuse. Seul le petit homme rond ment et invente des histoires, et personnes ne s'interroge. Voilà un système poussé à son extrême, qui génère quelques scènes magnifiques et grandioses : voici notre petit homme rond apportant les tables de la loi dictées par l'homme qui réside dans le ciel, deux feuilles de papier collées sur des boîtes de pizza... Epiphanie à la pizza bientôt reproduite sur des vitraux d'Eglise...

Mais cette absence de contagion du mensonge n'est pas le seul parti pris extrême du film. Voici une population qui ne sait mentir, mais semble surtout incapable de raisonner irrationnellement. Ainsi, avant d'envisager un mariage, il faut songer aux potentiels des deux parents, afin de ne pas pénaliser les enfants. Satire simple de la société américaine, assurément, mais dont le lien avec le mensonge ne semble pas évident, et peine à vraiment se renouveler dans la seconde moitié du film.

Car le parti pris le plus extrême du film est assurément son faux rythme. L'absence de mensonge semble rapidement générer une absence de spontanéité chez les protagonistes, tournant leurs idées 7 fois dans leur tête avant d'oser prononcer une parole. La folie à froid du début, parfois vertigineuse, se change bien vite en absence de folie, un humour distant, pas désagréable, mais peu stimulant. Il y a bien quelques saillies, quelques sursauts, mais les idées ne semblent utilisées que mollement, les situations pas poussées à leur extrême, les possibilités du scénario pas explorées totalement. Quel monolithisme des personnages ! Quel patience dans les situations : où sont les comédies de l'Age d'Or et leur rythme haletant, leurs dialogues mitraillettes ?

Un film singulier donc, un peu frustrant par sa sagesse et son manque d'exploration...



28 décembre 2009

Clint ne sait pas trop quoi faire de Mandela

Invictus
by Clint Eastwood, with Morgan Freeman & Matt Damon (2009)

Afrique du Sud, début des années 90, fin de l'apartheid, voici Nelson Mandela libéré après 27 ans d'emprisonnement, le voici bientôt élu président de la République. Le plus dure est-il fait ? Ce sont 43 millions de personnes qu'il faut réconcilier et guider vers de nouveaux idéaux, en plus de résoudre les graves problèmes économiques et réinsérer le pays dans la communauté internationale. Forger une identité, tout un défi.

Une partie de cette construction identitaire s'est lancée grâce à la Coupe du Monde de rugby de 1995, remportée par les Springpbocks sur leur sol. Le rugby, cet emblème blanc, détesté par les noirs ; mais lors de la finale, Nelson Mandela descendra sur le terrain en maillot Springbock devant une foule enfin arc-en-ciel. En fin politique, le prix Nobel de la paix a tiré profit de l'événement pour créer un peu de vivre ensemble, en particulier en demandant l'aide de François Pienaar, capitaine de l'équipe.

L'histoire est belle et naturellement, voici un film pour la conter. Affiche ambitieuse avec l'ami Clint Eastwood à la réalisation et deux grosses têtes d'affiche pour le casting. Les deux comédiens se glissent parfaitement dans les costumes requis : le vieux sages noirs et le sportifs blonds et attentifs. Comme Clint sait toujours construire des plans magnifiques, c'est un spectacle haut de gamme qui s'écoule à l'écran, mêlant paysages, population, sport mondial et réunions politiques soft.

Difficile de ne pas comparer cette leçon politique avec le "Milk" de Gus Van Sant, les hésitations et ruses tactiques du député gay de San Francisco. Entre autres choses, Harvey Milk s'investissait dans le nettoyage des crottes de chien pour recevoir les grâces des électeurs et faire accepter sa réforme des droits homosexuels ; il tâtonnait dans son militantisme de proximité, échangeaient des paroles dures avec ses opposants au conseil municipal. Rien de tout cela ici : la gestion de l'Afrique du Sud post-apartheid semble bien plus simple que celle du conseil municipal de San Francisco dans les années 70 ! Le film d'Eastwood manque terriblement de tension, jouant uniquement le sous-entendu pour évoquer les enjeux politiques et les obstacles. Voici Nelson Mandela fronçant soudain les sourcils et maugréant : "mais bon sang, comment allons-nous faire pour stopper Jonah Lomu ?"

Le contenu historique et politique laisse donc un peu le spectateur sur sa faim, celui qui aurait aimé voir un peu plus loin que la belle histoire sportive et sociétale. Doucement superficiel dans son élan général, le film flotte cependant magnifique durant ses quelques passages dans les townships, dans les superbes plans de rugby, des images sportives d'une qualité rarement vue sur grand écran.

Mais la meilleure idée du film n'a rien à voir avec le casting de stars, les travellings d'Eastwood ou la qualité du chef op'. A son arrivée au pouvoir, Nelson Mandela est entouré de gardes du corps noirs, bien peu nombreux ; le président réembauche donc les anciens agents de sécurité afrikaner, générant une forte tension raciale, pleine d'anciennes rancoeurs. Voilà un exemple simple d'une collaboration nécessaire entre noirs et blancs, un exemple terriblement frappant. La progressive collaboration de ce petit groupe se goûte comme une miniature métaphorique et simple, une jolie perle dans ce film pas totalement convaincant.


11 octobre 2009

Hypnose du sample vocal

A milli
by Lil Wayne (2008)

La fin de l'année approche et voici donc la saison des listes de meilleurs titres. Et les listes ne vont pas manquer car nous sommes même en bout de décennie cette fois, les top des années 2000 vont pleuvoir.

Occasion idéale pour rattraper mon retard en matière de rap récent, dont je connais à peine les nombreuses pépites. Comment ai-je pu passer à côté de ce morceau hypnotique, un sample constitué de trois syllabes et un flot presque improvisé ? Lil Wayne avait fini 2008 en champion du rap et je le savais à peine...

4 octobre 2009

Musique française pour meurtres italiens

Toop toop
by Cassius (2006)
in Il Divo, fim by Paolo Sorrentino (2008)

"Bien entendu qu'ils sont français, ça sonne tellement français".

En 2008, j'avais assisté à un concert de Justice dans la ville de Cologne. Mes amis allemands savaient parfaitement que le duo electro venait de France. Ils associaient notre pays à la musique house, à un son de guitare introduit dans les clubs, comme Daft Punk. Ils écoutaient beaucoup le dernier album de Cassius. Le groupe était donc un bien un représentant du Gross National Cool français, les exportations culturelles cool.

Et bien plus encore que je ne pensais, puisque cette percée de Cassius ne se restreint aux seuls adolescents fan de musique indépendante : revoici la pop répétitive de Toop Toop dès les premières minutes du film italien Il Divo. Les meurtres politiques s'enchaînent comme dans un clip au son des toop toop bébêtes mais rigolos. De la pop française jusque dans une biopic politique engagée et parfois fun ; on oublierait presque que le début du film est un peu superficiel...


24 septembre 2009

La politique moderne effroyable drôle

In the loop
by Armando Iannucci, with Peter Capaldi (2009)

"Je ne voudrais pas me perdre dans le micro-management. Mais tout de même, inclure 'I HEART Huckabees' dans les DVD distribués aux troupes... Ce film est d'un cul-cul"
Le secrétaire d'état américain vient de discuter de guerre pendant tout le film et le générique de fin n'hésite pas à persister dans ses les blagues stupides et hilarantes.

C'est le mélange réjouissant offert par "In the loop", une plongée dans la politique internationale contemporaine saupoudrée de vannes acides et percutantes.

Les Etats-Unis et le Royaume-Uni négocient la possible tenue d'une guerre au Moyen-Orient, les discussions naviguent entre les ministères des affaires étrangères, les diplomaties, les Nations Unies, à coup de réunions, rapports, communiqués de presse. Londres, Washington, New York, les lieux du pouvoir international où gravitent les hommes politiques, leurs conseillers et les petits jeunes. Se nouent ainsi des jeux complexes de réunions et de fuites dans les médias, pratiques par lesquelles les petits débutants se brûlent les ailes égarés dans leur maladresse, leur mauvaise maîtrise de la séduction et des discussions off record.

Tout cela pourrait résonner de manière austère pour tous ceux que l'affaire Clearstream ou les sommets internationaux ne passionnent pas. D'autant que l'image tremble souvent pour suggérer le documentaire, donnant juste un cachet télé un peu pauvre pour un grand écran.

Mais le film pousse l'hystérie du monde politique à un degré rarement vu, mêlant une sarabande de gags irrespectueux à des dialogues survitaminés et incisif. Voici l'ambassadeur anglais à l'ONU rentrant sur la pointe des pieds dans le Conseil de Sécurité, pour demander un avancement du vote sur les ordres du chef de la communication ; report qu'il obtient après de longues minutes ; mais les directives ont changé, il vaut maintenant reporter la réunion : revoici l'ambassadeur pénétrant tout aussi penaud dans le Conseil de Sécurité. Et cet enchaînement n'est rien comparé à cette réunion informelle improvisée à la Maison Blanche, dans la chambre d'un gamine : le général s'empare d'une calculatrice rose et musicale pour recompter les 12.000 troupes supplémentaires requises.

Les acteurs sont impressionnants dans leur capacité à garder leur sérieux dans ses situations absurdes, et en même temps effrayantes par les sous-entendus politiques. Le spin doctor en chef du premier ministre anglais promène sa silhouette surexcitée tout au long du film ; élancé, les tempes grisonnantes, la mâchoire agressive et le regard cocaïné, il éructe sans fin ses remontrances et ses directives. Voici un personnage qui prononce plus de fuck à lui tout seul qu'un film entier de Tarantino. Peter Capaldi excelle dans monologues grossiers et hauts en couleur, son allure mêlant le voyou chic et le caporal autoritaire. Les spin doctors, ce sont bien eux les hommes clés du pouvoir moderne, l'Angleterre l'a bien compris et le montre dans des films comme The Queen. La logique est poussée ici à son maximum : le premier ministre n'apparaît jamais à l'écran.



23 septembre 2009

Margaret Atwood devra proposer un peu plus pour me convaincre

Surfacing
by Margaret Atwood (1972)

"Un des meilleurs romans du XXème siècle", proclame le New York Time en quatrième de couverture. Force est de constater que mon premier contact avec Margaret Atwood est loin d'être aussi enthousiaste.

Deux couples partent pour quelques jours dans une cabane isolée sur une île, perdue dans la nature canadienne. La narratrice y a passé son enfance, maison construite par ses parents, et la voici de retour suite à la disparition de son père. Les habitants du village ne retrouvent plus trace du vieil homme, et elle vient donc savoir ce qu'il en est, accompagnée de son compagnon et d'un couple d'amis, groupe de citadins.

Le court roman s'écoule à travers les monologues de la jeune femme, à l'esprit plutôt déboussolée, vaguement naïve, sans prise dans la société ou dans sa vie. Illustratrice peu convaincue. Revenue d'un mariage peu convaincant. Vivant depuis quelques temps avec Joe, sans conviction. Elle remet les pieds dans le monde de son enfance, retrouves les gestes de la nature, du jardinage et des excursions en canoë, pour le plaisir un peu bête de ses camarades sans expérience de la nature. Les demi-hippies découvrent la vie naturelle.

Rapidement, le schéma du livre se dessine assez clairement, les vagues flashbacks de la voix centrale, les jeunes gens plutôt superficiels, et ce jusque dans leur anti-américanisme mécanique.

Mais le livre ne semble pas transcender les thèmes rapidement posés, le roman des angoisses de la narratrice, les romans médiocres des jeunes stupides, l'accumulation des détails acides. L'élan manque, d'autant plus que le style est volontairement dépouillé et simple, à travers la voix de la narratrice au regard vaguement perdu. Oh, tout cela est joliment agencé, belle construction de chapitres et phrases réglées avec justesse, intrigue déroulée avec douceur et sens de la nouveauté. Un artisanat fin et assez ennuyeux, finalement.

Car cette presque virtuosité plate m'a semblé manquer totalement de poids pour un lecteur des années 2000. L'ennui vient certainement de l'aspect très convenu de la situation et des thèmes, qui semblent bien vieillots et dépassés, très datés "début des années 70". Retourner à la nature, les hippies perdus dans la vraie nature, les citadins envahissant la campagne comme des conquérants ; mais encore ? Le constat était assurément plus percutant à la sortie du livre, mais le roman ne parvient pas vraiment à sublimer le regard sur la société de l'époque, à en tirer vraiment plus ; vers la fin, la jeune fille voit sa raison fluctuer, pencher vers la folie, et ces visions sont juste ridicules. Il ne reste donc plus grand chose à se mettre sous la dent.

Bon, je l'avoue, le regard sur la nature m'a parfois fait soner à "Vendredi ou les limbes du Pacifique", et la comparaison n'était pas flatteuse pour ce "Surfacing" assez moyen.

13 septembre 2009

Coppola en joyeux artisan de cinéma

Tetro
by Francis Ford Coppola, with Vincent Gallo (2009)

Bennie retrouve son frère Angelo dans un port d'Amérique du Sud. Angie lui avait promis qu'il reviendrait le chercher, qu'il ne l'abandonnerait pas, et puis, bien sûr. Mais peut-on parler de retrouvailles ? Angelo s'appelle maintenant Tetro.

Coppola présentant une histoire de famille et de rivalité, le voici retrouvant un thème cher, pourrait-on dire. Presque autobiographique, peut-être, même : le père proclame qu'il ne peut y avoir qu'un seul génie dans la famille et le spectateur sourit ; dans un film réalisé par le père de Sofia et Roman... Une histoire de clan et de patriarche, donc, une histoire un peu biscornue, tissés de falshbacks oniriques présentés dans une couleur de Super 8. Le père et les fils, les secrets, rien de bien nouveau, et le scénario ne fait pas grand chose pour se rendre aimable, par quelques rebondissements épais, quelques idées surlignées, une perte de rythme sur la fin.

Coppola semble prendre plaisir à bidouiller sa petite histoire et à manipuler les personnages, ainsi qu'à glisser des marottes personnelles, scènes de théâtre et de danse symbolique, extraits de films expressionnistes. Parfois, tout ce bricolage cela n'est pas très clair, ou au contraire, semble offrir un symbolisme trop évident et superficiel.

Mais qu'importe ce mélange étrange car des plans magnifiques s'affichent à l'écran, jolis cadres au noir et blanc fin, jeu de miroirs, d'ombres et de lumières au milieu desquels flotte la présence sourde et forte de Vincent Gallo. Un superbe artisanat de l'image où le sens devient presque accessoire, en fait : on pourrait certainement analyser les tourments d'un écrivain qui écrit ses manuscrits à l'envers, ou se plaindre d'une telle idée d'adolescent ; l'idée génère un plaisir esthétique simple sur l'écran, le jeu d'un miroir par dessus des lettres maladroites à l'encre noir.


7 septembre 2009

Plants and Animal, impressionnant (mais peut-être à régler)

Plants and Animals
Concert au Blacksheep Inn, Wakefield, QU - 06/09/2009

Grosse affluence au Blacksheep, malgré le long week-end de Labor Day, les Plants and Animals de Montreal ont rempli la salle et l'enthousiasme est sensible. Les chansons du trio bondissent, le batteur ondule tentaculaire et les guitaristes manient les effets, quelques échos shoegaze, cristal de cordes, forte électricité. L'énergie se répand entre les tables et rapidement, le premier range n'y tient ; il ne peut rester sagement assis par terre, le voici debout et dansant.

Performance électrisante au goût toutefois un peu étrange. Le groupe s'amuse beaucoup, assurément, et sa technique lui permet quelques folies, mais le concert semble parfois glisser vers une jam, certes plutôt maîtrisée, mais bruyante et presque décousue. Comme s'ils oubliaient de tenir le fil des chansons, par quelques coquetteries de pauses ou de solos.

Mais il s'agit plus d'une question de réglage et d'équilibre, les bonnes chansons ne manquent pas. Il ne faut ainsi pas rater le superbe "Concert à Emporter" de la Blogothèque sur Plants and Animals : jolie scène que celle du trio acoustique assis sur l'évier de la cuisine.


Un petit mot également sur le trio jouant en première partie : les frères Barr (guitare et batterie) accompagnée d'une harpiste. Le trio n'a pas de nom, vaguement issu du projet Super Little (Montréal encore une fois). De très jolies moments de guitares soutenus par une batterie délicieusement souple ; un blues acoustique saturé restera longtemps dans ma mémoire, décharge rurale et hurlante.

6 septembre 2009

Des gags et quelques beaux morceaux de cinéma, redécouvrons John Hugues

Sixteen candles
by John Hugues (1984)

John Hugues est mort il y a quelques semaines et la critique cinéphile internationale a chanté ses louanges. Le prince de la comédie adolescente des années 80, a-t-on pu lire. Surgissement étrange et saisissant pour un nom dont je n'avais pas entendu parler une seule auparavant ; trop proche assurément pour avoir eu droit à une réhabilitation critique.

En effet, le plus gros fait de gloire de John Hugues est d'avoir été l'auteur du scénario de "Maman j'ai raté l'avion". Succès immense au début des années 90, mais pas tellement attirante pour sa profonde cinématographique ; un gosse, des gags, des millions au box office et beaucoup de suites...

Mais voilà, John Hugues n'a plus réalisé un seul film après ses succès monstre. Il est juste crédité pour le scénario de quelques grosses comédies familiales. Fortune faite, il s'est retiré, tranquillement, une sorte de Salinger du ciné commercial. Il a juste publié quelques romans sous le pseudonyme d'Edmond Dantès ; indice d'une profondeur voilée par un gamin qui a raté l'avion.

Et en effet, son premier film, Sixteen Candles, est un objet assez surprenant. Effet immédiat d'un voyage temporel : couleurs étranges, musique synthétique, brushing Gabriella Sabatini romance adolescente épaisse, nous voici bien dans les années 80. Samantha fête ses 16 ans et sa famille oublie l'événement ; grosse déprime dans le regard fraîchement maquillé, d'autant que son amour pour le beau Jake semble totalement impossible.

Mais les scènes séduisent peu à peu par leur puissance comique, un sens du rythme et du gag, une outrance, une absence de retenue. Voici une ado dont la liberté de mouvements est restreinte par une minerve et on la voit peiner pour boire à une fontaine. Voici un chinois hystérique sortant avec une athlête d'une tête de plus que lui, maniant haltères et vélo d'appartement. Voici une brochette de geeks avec gadgets électroniques désuets, matant les filles aux lunettes infra-rouges. Voici une hallucinante scène de fête dans une maison détruite. Voici un jeune sans permis mis au volant d'une Rolls décapotable. Voici une mariée dérivant ivre dans l'église pour un excès de cachets. Une folie profonde et un sens du détails à l'efficacité indéniable.

Le rire rend ainsi la sucrerie adolescente plus digeste et quelques scènes libèrent une jolie puissance cinéphile, de beaux cadres, des travelling justes. Et le dosage du gag et du sens parvient parfois à un équilibre superbe, telle une longue discussion en tête à tête dans une voiture en réparation : de l'humour bête, des dialogues subtilement au service du récit, de jolis regards d'acteurs, et un subtil clin d'oeil théorique. En effet, belle vision déconstruite de la drague en voiture, dans ce garage où la voiture n'a plus que deux sièges, deux portes et un volant, pas beaucoup plus.

Pas mal pour un produit que l'on aurait cru terriblement formaté.


5 septembre 2009

Du disco abstrait par dessus l'Atlantique

Business acumen
by In Flagranti (2009)

Un duo à distance, un DJ à Brooklyn, son compère en Suisse, ils s'échangent des morceaux de son par Internet, ils constituent le duo In Flagranti. Tissage de longues plages disco instrumentales, quasiment instrumentales, un ou deux riffs sur des coups de cowbell.
Du disco abstrait des années 2000.


6 juillet 2009

Un blockbuster élégant mais étonnamment creux

Public Enemies
by Michael Mann, with Johnny Depp, Christian Bale & Marion Cotillard (2009)

Une histoire de gangster célèbre, quelques courses-poursuites, fusillades, un peu d'amour, de grosses têtes d'affiches ; pas de robots ni de vaisseaux spatiaux, pas de 3D : voici le blockbuster d'auteur pour l'été, grand film à l'ancienne à grand sujet et sans tics pop pour teenagers. Public Enemies de Michael Mann, le plus auteur des réalisateurs à gros budgets.
Quel dommage qu'il n'y ait pas vraiment d'histoire ni de contenu pour autant.

John Dillinger a été le dernier grand gangster éliminé par la police à Chicago, dans les années 30 ; trahi par sa compagne d'alors, abattu froidement à la sortie d'un cinéma, en pleine rue, par un bataillon de policiers. Histoire complexe idéale pour le grand écran, avec héros romantique, histoires d'amours, grands personnages historiques et tout le côté spectaculaire des gangsters de la prohibition. Pouvait-on rêver mieux pour un scénario de film, c'est à se demander pourquoi aucun film n'a été réalisé plus tôt.

Hélas, une grande trame historique ne suffit pas pour un film, même avec une abondance de personnages, de scènes spectaculaires et de plans léchés à la caméra numérique haute définition. Le film s'écoule fluide avec des acteurs justes mais une question s'infiltre peu à peu, insidieuse mais rapidement obsédante : que raconte vraiment ce film ? Quel est son sujet, de quoi parle-t-il, que veut-il nous apporter ? D'un braquage de banque à un dîner en tête à tête avec Marion Cotillard, d'une réunion du FBI naissant à une traque nocturne en forêt, le spectateur s'étonne de ne pas trouver vraiment prise. Des plans plutôt bien filmés, parfois surprenants, mais dont on est incapables de dire ce qu'ils véhiculent vraiment, quels sentiments ou symbolismes ils peuvent suggérer. De même pour les acteurs, dont la justesse se déroule étonnamment monocorde et plate, sans vie, sans épaisseur. Bon sang, mais quid ?

L'interrogation est renforcée par le thème du film, les gangsters de la prohibition, sujet largement traité à l'écran. Pourquoi donc vouloir filmer à nouveau une telle histoire, vouloir la présenter à notre époque ? Pourquoi Dillinger après les Incorruptibles, Scarface, voire même Amrican Gangster et son deal de drogue 70s, après les costumes du Parrain et sa trame narrative haut de gamme ?

Quelques éclats thématiques surgissent pourtant autour des méthodes du FBI. Une guerre déclarée au banditisme. La torture des témoins et des suspects. Les fusillades sans presque aucune sommation, tirant pour tuer. Parce qu'il faut faire respecter la loi et la justice à tout prix. Voilà le léger message livré avec une balourdise parfois impressionnante : peut-on tout se permettre dans la lutte contre le crime (entendre : contre le terrorisme) ? Les premières scènes de tortures ont déjà suscité quelques soupirs, peut-on faire plus convenu dans un film américain post-Irak qu'une scène de torture, même James Bond en a subi récemment ; quand le tortionnaire s'attaque finalement à une femme, la scène devient juste désagréable, pas plus signifiante, juste moche ; quand la scène est interrompu par "il est indéfendable de faire cela à une femme", on ne sait plus trop qui blâmer, du réalisateur paresseux, du scénariste, ou de l'actrice qui a accepté ce passage tellement mécanique dans son jeu d'acteur. Heureusement, les 2h30 du film arrivent bientôt à leur terme à cet instant...

Public Enemies navigue donc dans des mers assez surprenantes. Plutôt joli et bien cadré, mais à l'image trop souvent lisse, sans personnalité. Aux comédiens sobres et plutôt justes, mais dont la sobriété confine rapidement à une distance et une opacité sur laquelle on ne trouve aucune prise. Films aux scènes souvent descriptives, brutes, sans commentaires, mais dont les passages sensés livrés un message sont bien maladroits. Pas vraiment désagréable, mais un peu agaçant si l'on y réfléchit trop ; peut-être suffit-il de laisser s'écouler les images mystérieuses sans chercher à les capter.

Comme ces scènes où Dillinger va au cinéma, admirant longuement les acteurs en noir & blanc sur l'écran, où défilent des comédiens aux mêmes fines moustaches.

Ou ces instants de violence pure, déchaînements de coups de feu sans fin dans les rues de Chicago, filmés sans musique aux plus près des personnages. Voici "Le Soldat Ryan" à Chicago, la guerre urbaine, la guérilla la plus brute comme dans les rues du Proche Orient. L'homme est une bête sauvage en tout point du globe : y a-t-il grand chose d'autre à en dire ? Qu'importe, les panaches de flammes sortant des mitraillettes s'affichent magnifiques et fascinantes dans les ténèbres chères à Michael Mann.


4 juillet 2009

Le jeune Trombone Shorty étouffe le révérend

Concert de Trombone Shorty
27/06/2009 - Ottawa Jazz Fest
La foule debout tape du pied, bras en l'air et battant des mains, hurlant de joie : samedi 26 juin, plus grosse affiche du festival de jazz d'Ottawa, le public est nombreux et enthousiaste devant la performance ; cependant, il ne s'agit pas encore du concert d'Al Green, la tête d'affiche, mais d'un groupe de la Nouvelle Orléans, mené par l'impressionnant Trombone Shorty.

Cette équipe de 7 musiciens libère une énergie impressionnante à la suite du leader, le grand Trombone Shorty. Le jazz funk bondit sans fin entre les mains de ces jeunes gens aux looks parfois surprenant, tel cet immense et massif Big D derrière ces tam-tams, aux airs de rapper échappé d'un clip Gangsta Rap. Tous excellents techniciens, de la guitare à la basse, de l'impressionnant batteur au saxophone sauvage ; et pourtant, le patriarche du groupe ne dépasse pas les 26 ans. Mais Trombone Shorty s'affiche en leader incontestable, bête de scène sautant du trombone à la trompette, maniant parfois toute sa troupe du bras pour accompagner au mieux un long solo de saxophone.

Le public amateur de jazz se retrouve face à une vivacité magnifique, libération d'énergie brute et polie, la puissance d'un grand concert en plein air ; voici donc les paisibles quinquagénaire d'Ottawa qui s'essaient à quelques pas de danse hip-hop sous les conseils du bavard Trombone Shorty. Un bavardage plein de tchatche, sorti tout droit de la grande ville de la Nouvelle Orléans, à l'accent nébuleux, à la fois nonchalant et tendu : "N'hésitez pas à aller boire des bières. Plus vous boirez, et plus vous aurez l'impression que notre musique est bonne !"

L'euphorie musicale aboutit même à une réussite insoupçonnée : un medley décent et efficace de musique de Michael Jackson. Trois ou quatre morceaux enchaînés en version funk instrumentale, avec riff de saxophone pour Bad ; la foule réagit ravie, danse, chante, devient folle, et voici peut-être le meilleur moyen de rendre hommage au King of Pop. Loin de l'overdose médiatique et des articles similaires, voici cette pop efficace vivante, partagée par ce public immense, par tous ces amateurs de musique.

Après cette performance surprenante et explosive, le révérend Al Green fait presque pâle figure. Groupe professionnel, certes, mais dont le son est réglé sans finesse, dont la personnalité des musiciens est effacée derrière l'égo immense du performer soul. Peut-être la foule aurait-elle été moins tentée de s'agacer si le révérend a pris la peine de chanter un peu plus, de lancer moins de roses dans la foule ou de passer moins de temps à se rouler par terre.

Certains errent déjà nostalgiques du génial Trombone Shorty et de son gilet de corps sans manche, cherchent à en piéger encore un peu de magie du côté de la boutique de CD. Las, le kid de la Nouvelle Orléans est arrivée sans disque, tous les exemplaires ayant été vendus lors des concerts précédents ; ce qui est peu surprenant. Attitude un peu jeune, se dit-on, tellement moins professionnelle que le vétéran révérend, et tellement plus fraîche et musicale.




2 juillet 2009

La guerre comme un grand ballet burlesque

Catgut Strung Violin
by Tricklock Company, directed by Elsa Menéndez

28/06/2009 - Ottawa Fringe Festival

De magnifiques moustaches se recourbent loin sur les joues, courbes parfaitement circulaires au-dessus des uniformes, des galons et des médailles. Les impressionnantes postiches oscillent au grès des lèvres mobiles et de leurs mous pincées, des haussements d'épaules, des pas décidés et des froncements de sourcils, la situation n'est pas facile ; le recrutement de nouveaux soldats demande un peu d'imagination et de ruse. En particulier pour rallier des jeunes innocents comme ce jeune joueur de violon au teint roses et aux yeux immenses. Il faut de l'obstination, de l'à-propos, du rythme, et les accords de piano entêtant martèlent les péripéties de la scène muette et incongrue. Moustache, piano et humour visuel, le Fringe Festival nous présente à nouveau un bel hommage au cinéma muet, fin et drôle dans son jeu subtilement outré, et collant parfaitement au propos de la pièce ; la guerre est une farce, une immense arnaque ridicule aux gestes et déguisements amusants.

Catgut Strung Violin parvient à maintenir ce rythme tout au long des soixante minutes de spectacles, les aventures d'un garçon trop jeune et naïf envoyé à la guerre, assurément au Vietnam. Les trois comédiens rivalisent de trouvailles de mouvements, la guerre est définitivement absurde quand des soldats sur le point d'être fusillés se mettent à danser les yeux bandés, en entonnant un chant folk traditionnel. Soldats un peu enfantins et clowns, multipliant les acrobaties, poiriers et roues, pour enfiler leurs chaussures, ou sautant en sous-vêtement au milieu d'un champs de mines, large marelle boueuse et morbide. Presque aucune parole dans ce balai burlesque, si ce n'est le contenu des lettres envoyées par le candide violoniste à sa très chère maman. Le spectacle parvient à ne pas trop se perdre dans ses réjouissants numéros burlesque, maintenant tant bien que mal son équilibre entre rire et gravité sous-jacente ; parfois, rarement, toute musique cesse, et le silence se fait dense sur scène, le poids terrible de la peur et de la mort après une immense explosion : les éclats de rire ravi se taisent aussitôt, le public observe fasciné et touché, le spectacle touche à son but.

Oui, malgré quelques excès d'enthousiasme comique parfois, le spectacle s'affiche comme une très belle réussite, correspondant à la mission artistique de la Tricklock Company, du Nouveau Mexique :

"Tricklock Company is an international theatre organization founded in 1993 whose mission is to create, tour and produce theatrical productions and is a permanent resident company committed to artistic risk, physicality, absurdism, and poetic work."

"We, TRICKLOCK COMPANY, assert that theatre is a provocative and vital tool for examining the human experience and we present our findings through our work. We assert that theatrical performance is a movement intrinsic to the evolution of our culture".

23 juin 2009

Un joli goût de Charlie Chaplin dans un sous-sol du Fringe Festival

Inclement Weather
by Nicolas di Gaetano

21/06/2009 - Ottawa Fringe Festival

Pantalon large, petite moustache, cheveux courts mais bouclés, poivre et sel, il vient de surgir d'une longue caisse en bois bleue ; regarde sur sa gauche, une lueur commence à clignoter. Une cloche, quelques coups répétés, un souffle de vent, bruits de roues sur des rails métalliques, le train passe ; regards affolées, les yeux zigzaguent de droite et de gauche, la lèvre tremble, le regard reste suspendu hébété une fois le convoi passé. Le train ne s'est pas arrêté.

Le tonnerre résonne sans se faire attendre, la pluie, le vent, la silhouette se met à grelotter devant les quatre rangées de dix spectateur, souriant au sous-sol du Café Alternatif de l'Université d'Ottawa. Aucune parole n'a encore été prononcée mais le public est quasiment conquis par ces quelques minutes, plaisir simple de retrouver un système familier et des repères comiques, cette silhouette rappelant Charlie Chaplin aux mimiques justes et drôles. Le voyageur, ou le vagabond, ou l'étranger, on ne sait pas trop, va peu à peu jouer tout seul pour tuer le temps. Prendre un bain dans sa malle. Imaginer un vélo avec son parapluie. Pagayer jusqu'à une chute d'eau : c'est fou ce qu'on peut faire avec une malle et un parapluie, avec un bon talent de comédien.

Nicolas di Gaetano délivre ses numéros avec douceur, sans trop en rajouter, jouant du regard et interagissant avec le public. Le sel du spectacle tient ainsi aux petits dialogues qui se nouent avec le public, transmission d'un cornichon au premier rang, et surtout collection de mots proposés par le public. Notre vagabond parle très mal l'anglais, en effet, migrant perdu dans un pays froid, voulant aller là-bas, dans cette direction, sur la droite de la scène, côté cour. Il parle à peine l'anglais, mais veut s'exprimer, alors, quand il grelotte, il jette un regard vers le public, et récolte le mot "cold", joue avec content de posséder dorénavant cette nouvelle pièce dans son vocabulaire. Jeu naïf avec les mots, les objets et les mimiques : cinquante jolies minutes de théâtre dégustées avec joie un dimanche après-midi.

21 juin 2009

Découvrir MacIvor au Fringe Festival d'Ottawa

Wild Abandon 
by Daniel MacIvor - directed by Dave Dawson, with Zach Counsil 


Une vingtaine de personnes dans la salle, dispersées sur la douzaine de rangées de chaises installées au sous-sol. Quatre tentures noires pendent sous quelques projecteurs colorés, trois paires de photos grand format, un oeuf en plâtre d'un volume généreux ; un longue chaîne glisse du plafond au plancher en milieu de scène. Un seul comédien au physique massif, aux joues rouges & lisses, au corps étonnamment jeune : Steve nous parle de sa solitude.

Le Fringe Festival débute ce week-end à Ottawa et voilà que reviennent d'agréables souvenirs de festivals de théâtre. Les barrières entourant l'Université d'Ottawa se sont recouvertes d'affiches de spectacles fixées sans discontinuer sur du carton, les abords des salles permettent d'élargir sans effort sa collection de flyer colorés : vous cherchez un spectacle pour ce soir ? Vous aimez rire, vous aimez l'humour noire ? Vous devriez venir découvrir notre spectacle dans le marché, nous jouons dans moins de trente minutes, vous pourrez voir deux des comédiennes les plus intéressantes d'Ottawa ; et nous avons reçu aujourd'hui même de très bonnes critiques dans l'Ottawa Citizen. Nous comptons sur vous !

Réminiscence du festival d'Avignon, ses rues en immense continuum d'affiches et de défilés de troupe, l'incessant ballet des flyers reçus et des petites scènes improvisées pour attirer le spectateur ; les us des comédiens ne varient pas tellement d'un continent à l'autre. Ottawa n'offre pas 800 spectacles comme le festival off d'Avignon, mais le programme propose presque 200 références sur une trentaine de pages, une douzaine de salles à explorer pendant la semaine de réjouissances.

Nous n'avons pas lancé notre exploration du théâtre canadien par l'ostensible Pornstar, son affiche mariant fesses nues et tour de Toronto ; nous sommes allés goûter à Wild Abandon du dramaturge Daniel MacIvor, présenté en sous-sol de l'Université d'Ottawa. Monologue d'une petite heure nous présentant le solitaire Steve, angoissé, doucement paranoïaque, troublé par les interrogations parentales, par l'amour comme preuve de haine, par les différents rôles sociaux de la danse. Spectacle nimbé d'humour sombre, d'excitation désabusée, et le comédien jongle joliment avec les différentes voix présentées, enchaînant avec fluidité les différents états d'âme de Steve. Défi assurément peu évident : MacIvor a créé cette pièce pour sa propre interprétation, et l'on devine les tiens forts entre l'écriture du texte et son jeu de comédien. Mais les circonvolutions absurdes et angoissées sont suffisamment plaisantes pour survivre à une deuxième création : comment résister à la scène d'ouverture, dépeignant un Steve adolescent dans un restaurant, agressé à la fourchette par la femme qu'il imaginait être sa vraie mère ?

Le théâtre de MacIvor méritera certainement une plus ample exploration, vue sa place dans la dramaturgie canadienne des 20 dernières années. Et le Fringe Festival devrait également réserver d'autres jolies découvertes, suggérées par la fin de soirée passée dans un petit parc près de l'Université. Croisement de comédiens et de musiciens échangeant flyers et impressions sur le public de leur spectacle. Un joueur de cornemuse explique que le Canada est certainement le deuxième pays de la cornemuse après l'Ecosse ; il multiplie lui-même les collaborations, il a même repris les Clash avec le groupe ska Rudeboy aperçu le week-end dernier au Westfest. Sur scène, les Snakecharmers laisse couler leur fascinant flot musical : la basse virevolte doucement autour des riffs lancinants de cithares, les mots africains résonnent au dessus des secs bondissements de tam-tam. Un danseur enthousiaste laisse onduler ses membres devenus caoutchouc sous les teintes de l'expérience sonore, et même immobile, on l'accompagne doucement les yeux mi-clos.

20 juin 2009

Une histoire classique, où les indécisions et les mystères racontent plus que le récit

Two Lovers 
by James Gray, with Joaquin Phoenix & Gwyneth Paltrow (2008) 

Travailler dans la boutique familiale, vivre à nouveau dans sa chambre chez ses parents, le même petit quartier et sa communauté étriquée ; flotter les épaules rondes dans une lumière terne ; Leonard ne parvient pas vraiment à sortir de sa dépression, la séparation d'avec sa fiancée ne se dissipe pas. Il ne lève plus vraiment les yeux en marchant et trébuche tout de même, maladroit, il ne voit plus trop où aller ; ne rencontre pas grand monde hors sa famille. Mais deux jeunes filles se matérialisent peu à peu dans son entourage, blonde voisine pétillante, brune relation de ses parents. Les épaules de Leonard se redressent doucement et son teint reprend quelques couleurs.

Two Lovers. Un titre comme un étiquette posée sur un cahier en début d'écriture, un terme général, un label extrêmement simple : tiens, je vais tenter d'écrire un film sur un homme perdu entre deux maîtresses. Un titre mince comme un pitch ou comme la phrase d'accroche d'une bande annonce, un titre comme un programme pour le projet dans son ensemble : Leonard est attiré par la blonde sensuelle, garde un oeil sur la brune timide et sûre, il n'y aura pas de grand rebondissement à attendre. Le titre s'affiche honnête, le fil du récit n'est qu'une banale ficelle placée entre deux punaises sur un panneau de liège, sans twist inouï, sans large ramification, sans l'idée géniale d'un scénariste petit malin. Pas fantôme revenant consoler sa fiancée ni d'amants vieillissants avec des flèches du temps inversées, rien qu'un homme tournant la tête d'une fille à l'autre en un classicisme assumé ; récit compact comme un tragédie, à la fin prévisible qui aura lieu sans surprise en temps voulu.

L'absence de surprise et d'originalité narrative n'a jamais empêché la profondeur d'une récit et la densité de ses thèmes, véhiculée dans sa grandeur formelle. La puissance d'une versification géniale se trouve ici remplacée par le soin apporté aux images, lumière au gris terne, passé, immobile, urbain et terriblement engoncé, à la minutie des cadres tendus par le peintre James Gray. Les plans s'écoulent au plus proche des êtres et des murs, silhouettes au glissement piétinant entre une porte et une fenêtre, entre deux cheminées de briques, une portion de Brooklyn réduite à ses intérieurs et petites cours et rues aperçues au plus bas du sol ; un Brooklyn d'où l'horizon semble avoir disparue, où le plan large se voit quasiment interdit, tout bonnement inconcevable. James Gray tisse minutieusement l'étouffement de Leonard, son monde étriqué, l'enfermement familiale dans des pièces aux vieux bibelots de Juifs de Russie. Thème classique des films de James Gray, la vision du microcosme russe du Brooklyn est poussé aux limites de sa logique d'enfermement communautaire ; évoluer dans une telle Little Odessa distille une douce impression de claustrophobie. A la sortie de ce film, le spectateur se découvre souvent pris d'une envie de marcher longuement dans de larges avenues joliment éclairées.

Cette puissance formelle souligne l'épaisseur psychologique du drame présentée. Le récit ne parcourra qu'une mince distance entre les punaises de début et de fin, mais ce fil apparemment étriqué, sans vraie bifurcation, vibre sans cesse comme les regards fous de Leonard d'une fille à l'autre. La blonde, sensuelle, séduisante, sensuelle, instable, déjà engagée dans une relation complexe avec un riche rival inatteignable ? La brune, douce, plaisant à ses parents, timide, toujours à l'écoute, attentive, aimante ? Leonard saute de l'une à l'autre, terriblement passionné par la vigueur blonde, pas totalement insensible à la douceur brune, et le voici jonglant avec téléphone portable et sorties ici ou là, dîner sur Manhattan ou fête de famille dans une salle des fêtes de Brooklyn ; souvent, sa mère le réveille en fin de matinée.

Oui, Leonard offre une figure de grand adolescent, par son contexte familiale et par ses réactions instantanées, ses réactions immédiates aux propositions qui se présentent : allons en boîte ce soir, allons dîner avec mon amant, allons déjeuner tranquillement au bord de la plage, partons pour San Francisco demain matin, allons-y ! Indécision puérile, jugerons la plupart, instabilité chronique ; n'oubliez pas qu'il prend des pilules pour atténuer ses envies suicidaires, il n'est pas très bien dans sa tête, ce garçon ! Mais n'oublions pas non plus qu'une pilule n'est pas synonyme d'un diagnostique chronique : Leonard a été rompu d'avec sa fiancée par pression familiale il y a quatre mois à peine, après de longues années de vie commune, de nombreux projets de mariage. Quatre mois seulement ; peut-on imaginer retrouver une vraie sérénité en une poignée de mois après s'être trouvé aussi déboussolé ?

En offrant peu à peu des détails supplémentaires, des bribes de l'arrière-plan, le film dessine délicatement un espace de liberté pour le spectateur, un jeu de pistes et d'hypothèses potentielles ; une zone d'indécision et d'interprétation, plutôt agréable pour ceux appréciant de pouvoir construire leur propre histoire à partir du récit qui se déroule à l'écran, loin des cheminements corsetés et unidimensionnels des scénarios. Quatre tentatives de suicide préalables ? Avant cette rupture, juste avant, juste après, étalée sur plusieurs mois ? Signes d'une instabilité profonde ou simplement d'une sensibilité débordante ? Difficile de cerner totalement les personnages, de les résumer en quelques phrases : ils naviguent de quelques pas à peine sur les courts centimètres du fil narratif, mais ils naviguent chargés de toutes leurs dimensions affectives et de toute leur histoire personnelle, que l'on ne devine pas toujours, de même que les personnages peinent à lever toute incertitude concernant leurs relations.

Two Lovers, un film à l'histoire classique et prévisible, mais où, finalement, la présence de mystère s'affiche évidente, le mystère comme caractéristique intrinsèque du sentiment amoureux : que pense l'autre, bien sûr, interrogation classique, mais surtout, le film met en scène un mystère plus profond ; pourquoi une telle attirance ? Leonard ne peut se détacher de la blonde magnifique ; fidèle assurément au sursaut de vitalité qu'elle a généré, attiré irrépressiblement par la sensualité, certes, par la folie douce, l'insouciance, le besoin d'amitié de cette femme ; mais bon sang, pourquoi accepte-t-il docilement sa passion en dépit de tous les signaux contraires offerts par cette femme, son amour profond pour son amant, la manière dont elle se sert de Leonard sans rien lui offrir en échange, rien qu'un peu de tendresse amicale ? Pourquoi continuer à aimer ainsi ? Et cette question se transpose aux autres personnages, en particulier celui de la brune douce et sérieuse : mais pourquoi continue-t-elle à aimer ainsi ce Leonard, aussi instable, tellement indécit ?

En laissant ce mystère ouvert, tout du moins en y maintenant une part d'incertitude, Two Lovers met en scène une caractéristique que les comédies romantiques classiques approchent à peine, ou très schématiquement. Pourquoi se découvre-t-on amoureux et pourquoi reste-t-on parfois fidèle à l'étincelle originale en dépit des vents contraires ? Le film n'hésite pas à s'afficher faible, indécis, et même sans solution, juste ouvert sur l'avenir : comme dans toute tragédie, seul le compromis permet de survivre et continuer, seule la concession aux idéaux permet de respirer encore un peu après l'amour fou.


18 juin 2009

Quelques gouttes de ska canadien pour faire danser la foule

Concert de Rudeboy 
14/06/2009 - Westfest, Westboro, Ottawa 

Le dimanche, au Westfest, n'a décidément rien de country, par rapport au samedi dédié au folklore nord-américain. Fin d'après-midi et voici les Rudeboy, leur trombone et leurs musiciens en short, dansants et blagueurs.

Pas besoin de beaucoup d'indices, il s'agit bien de ska. Un gros clin d'oeil aux Rude Boys anglais du début des années 80, un peu voyous, écoutant des groupes comme The Specials ou Madness ; on se souvient ainsi du titre A message to you Rudy des Specials appelant les Rude Boys à la modération, joli titre relancé en France par une pub de téléphonie mobile avec Marcel Dessailly...

Les Rudeboys connaissent parfaitement les canons du ska depuis leur début en 1997 dans la ville québécoise de Val-des-Monts, à une cinquantaine de kilomètres au Nord d'Ottawa. Ils lancent le trombone et font rouler la basse et laissent rire l'orgue de leurs musiciens hilares aux chapeaux décontractés. Une énorme énergie capable d'enflammer les clubs de la capitale, d'après l'introduction donnée par un présentateur de la radio CBC, et la démonstration donnée au Westfest ne vient pas lui donner tort : au bout d'un petit quart d'heure, c'est une bonne grosse trentaine de personnes qui dansent en tout sens devant la scène, jeunes filles à la robe mauve levant les pieds ou petits garçon mimant les différents instruments dans son T-shirt bleu clair.

On sourit et bouge et danse sans réfléchir en s'agitant un peu dans tous les sens, rien de très original là-dedans, mais c'est cela, généralement le ska : des chansons sans grande surprise mais capables de faire danser une foule entière sur tout son spectre générationnel. Le guitariste en short navigue de droite à gauche sur la scène, finit par sauter dans la foule ; l'homme au trombone lance une reprise ska du thème du Parrain, il porte d'étranges lunettes rondes et blanches pour ce dernier morceau ; la pluie annoncée n'arrive toujours pas dans le ciel bleu un peu nuageux, l'air flotte léger et radieux.




16 juin 2009

Le garage fou de Boom Creek pour un dimanche en famille

Concert de Boom Creek 
14/06/2009 - Westfest, Westboro, Ottawa 

Le parc est encore clairsemé, quelques familles éparpillées sur la pelouse ; sur scène, un quatuor brut déverse son rock bruyant dans la lumière de juin.

Après un samedi country, le Westfest d'Ottawa offre sa scène aux groupes de la ville, et le milieu de l'après-midi voit l'arrivée d'un rock garage à l'impressionnante rugosité. Pour Boom Creek, le concert représente tout, disent-ils sur leur site, la Première Vérité Ultime de leur Philosophie, et cette vérité s'affiche évident sur la scène du quartier de Westboro. Le bassiste dodeline de la tête dans sa veste beige, le batteur assassine sans fin ses fûts, le guitariste et sa barbe font hurler les cordes encore et encore en un blues fort saturé ; le chanteur en marcel blanc vocifère et glapit sans retenue, saturant le micro et les enceintes de paroles incompréhensibles mais à l'énergie incontestable. Entre deux morceaux, il peine à aligner deux mots, ses phrases hachées sans fin par les halètements de sa respiration à bout de souffle ; son visage tremble d'un rouge asphyxié, pense-t-il à respirer de temps en temps entre deux strophes ?

Voici donc les petits Stooges d'Ottawa, une démo de cinq titres à peine enregistrée et diffusée sur CDR dans le festival. Un son fort et énorme, pavé de blues basique, des Rolling Stones primitifs ou des Whites Stripes jouant plus rapidement ; quand le chanteur annonce un morceau sur un chien, on regarde un peu mieux le fil du micro qui s'enroule autour de son cou ou de son bras, on repense à Iggy, vont-ils se lancer dans I wanna be your dog ? Certes non, mais l'air de famille sonore reste marqué : voilà du garage débordant d'énergie, avec pour seul prétention d'être un bon moment de rock, un très gros moment de rock.

Les vagues surchargées de décibels déferlent sur la pelouse éparses, les parents restent sur leur nappe de goûter et les enfants courent tout près de la scène. Peut-être auront-ils gagnés quelques acouphènes durant l'expérience, mais ils auront goûtés à la puissance d'amateurs convaincus ; et les têtes blondes ne semblent pas s'en plaindre : fillette en robe bleue tout au bord de la scène, gamin de trois ans tournant sans arrêt autour de ses parents, les bras écartés, le jeune jet du rock. Juste devant lui, une grande blonde tatouées sur les membres et le dos ondule dans son short en jean.



14 juin 2009

Des légendes de la country canadienne dans un festival de quartier

Prairie Oyster at West Fest
13/06/2009 - Westboro, Ottawa

Richmond Street est coupée à la circulation et les barbecues grésillent sur les trottoirs entre quelques musiciens éparpillés ou des séances de cinéma gratuites du "Best date movie". Le Westboro organise son festival pendant trop jour, Richmond la commerçante s'offre aux piétons et aux activités sous le ciel bleu tout juste arrivé à Ottawa. L'été semble maintenant un peu plus proche, les shorts & T-shirts sourient dans les rues.

Plaisir de déambuler un samedi soir au coeur de cette communauté, s'amuser à écouter deux adolescents jouant des percussions sur toute une batterie de casseroles et bidons, le soir approche mais les lunettes de soleil n'ont aucune envie de retourner dans leur étui durant cette promenade de blocs en blocs ; au bout de la section fermée à la circulation, un petit parc occupé par la scène principale, entourée de stands de ravitaillement. Cuisine jamaïquaine au curry, brownies & cookies, et les habituelles stands de hamburgers américains ; mais du fast-food politiquement correct : les doubles hamburgers en version "organic food" font face à d'étranges veggie dogs, saucisses végétariennes. Munis du carton contenant le steak de soja, on s'installe sur une petite bute, à l'écart de la pelouse centrale, surpeuplée de canadiens à chaises pliantes. Une rangée d'arbres masquent la vue mais la musique s'écoule en arrière-plan, bande son pour cette soirée propice au bavardage.

Ce samedi soir, au West Fest, c'est soirée country, et les guitares acoustiques nonchalantes se faufilent entre les branches, maniées par des groupes aux visages invisibles & anonymes, inconnus magnifiques. Entre deux groupes, les enceintes diffusent d'improbables meddleys, majoritairement électroniques, c'est samedi soir, tout de même. Comme c'est amusant de retrouver Rufus Wainwright bidouillé en version électro minimale par Supermayer, en plein coeur d'une soirée dédiée à la country.

Mais résonne finalement Ring of Fire de Johnny Cash : fini de rigoler, voici en effet les Prairie Oyster, têtes d'affiche de la soirée. Une immense institution de la country canadienne, plus de 30 ans de carrière au compteur et une ribambelle de singles classés à la première place des tops country. La troupe remplit la scène de ses 7 membres aux instruments variés, slide guitare, piano, trombone, violon, et une joli collection de guitares, bien sûr. Les vétérans offrent ici leur premier concert de l'année, et même si leur pic de gloire semble plutôt dater des années 80, leur musique est joliment interprétée et déchaîne un mignon enthousiasme du public. Les familles dansent et s'agitent sur les roulements de basse généreux, les morceaux s'étirent sur cinq, six minutes, réservant de plaisants solos de piano ou de guitare. Toute la communauté est aux anges ; seule cette paire de blondes cinquantenaires gardera peut-être une légère amertume à l'issue du concert : malgré d'incessantes tentatives et l'aide d'une ligne blanche tracée sur le bitume, elles ne sont jamais parvenues à retrouver les pas de danse de leur numéro favori.

12 juin 2009

Up, quel savoir-faire de Pixar

Up 
by Pete Docter & Bob Peterson (2009) 

Une princesse vêtue d'une immense robe longue, drapés bleu blanc, diadème, et la voici face à un crapaud. Un baiser ? Devinez dans quel sens a lieu la transformation ? Deux grenouilles courant dans la Nouvelle-Orléans, zigzagant entre les musiciens de jazz, recherchant les sorciers vaudou aux pouvoirs spectaculairement colorés.  Chanson, romantisme, humour avec animaux parlants, quelques indices encore : "La princesse et la grenouille", futur dessin animé de Disney pour les fêtes de fin d'année 2009. Le vieux studio cherche à ressortir son savoir-faire et remettre en marche sa machine à classiques, et la bande annonce délivre une étrange surprise, goût sympathique et terriblement daté.

Une poignée de minutes plus tard, le court-métrage de Pixar prend fin, et la jeune firme numérique a enterré son aîné à l'imagination moribonde.

Un délice de cartoon simple, impeccablement réalisé, original, frais, à l'idée magnifique : un groupe de cigogne livre les bébés de toutes espèces dans le monde, magnifiques peluches façonnées par des nuages à l'air bonhomme. Idée simple et sans grand développement, sans aucun dialogue, à la poésie un peu simple mais adorable. Le constat est sans appel, les sourires s'étirent sur tous les visages de la salle, un immense plaisir ; tout le monde a déjà oublié le futur grand classique en carton du vieux Disney.

Et le long métrage Up vient difficilement estomper cette envie de comparer les deux alliés rivaux, cette impression de voir Pixar manier avec génie les recettes du vieux magicien pour enfant. Difficile en effet de ne pas songer à un vieux cartoon de Disney quand on résume l'argument d'Up : un vieux monsieur suspend des ballons et il s'échappe par l'air, quittant les gratte-ciel polluant peu à peu son espace ; n'y avait-il pas un mignon cartoon de Disney où une petite maison de campagne se voyait peu à peu entourée d'immenses immeubles au regard sombre ?

Pixar fait preuve d'une impressionnante capacité à convoquer plus ou moins implicitement des références, sans jamais donner dans la bête citation surlignée et ultra-référencée. Ici, un bricolage à la Wallace & Gromit, là des chiens parlant rappelant le succès récents des comédies canines aux Etats-Unis, un vieux monsieur grincheux à forte lunette à la M. Magoo, un explorateur en zeppelin des années 40. Il n'est pas rare que les images évoquent d'autres souvenirs cinéphiles, des images pop presque convenues, mais le cocktail coule avec une fluidité délicieuse, sans agacement aucun, d'autant que le mélange se voit relever par des choix courageux pour un dessin animé à vocation très grand public. Lancer le film par cinq minutes sépia singeant les actualités cinématographiques d'avant guerre ; puis enchaîner par dix minutes de romance muette... Se focaliser sur un vieux monsieur au caractère détestable. S'autoriser des sautes de récit osées et démodées, faisant passer un ballon d'une ville nord-américaine au Vénézuela sans transition. Donner au garçonnet une silhouette obèse et asiatique. Tant de détails pas si consensuels, dont s'est fait l'écho la critique américaine ; les agents marketing s'en sont arrachés les cheveux : comment vendre des T-shirt représentant un vieux monsieur à la vue courte et à la mâchoire carrée ?

Par dessus tout, cette audace et ce sens du mélange servent un récit distrayant et un joli tissage d'atmosphère. Tout un goût pour le suivi du personnage, le temps et le soin accordés aux détails, un exquis sens de l'absurde, rappelant les rythmes doux du cinéma muet et burlesque : y a-t-il image plus décalée que celle d'un septuagénaire tirant sa maison volante à l'aide d'un tuyau d'arrosage ? Dix minutes plus tôt, la maison de bois s'envolait dans un glissement superbe de ballons colorés et les larmes montaient aux yeux devant cette fluide poésie numérique ; tout cela tient dans le même film, et l'on pardonne sans efforts les quelques moins bien d'une course-poursuite devant ce savoir-faire.

8 juin 2009

une sombre densité psychédélique pour les Horrors

Sea within the sea 
by The Horrors (2009) 

The Horrors, groupe NME s'il en est. Couverture en août 2006 soit 6 mois avant la sortie de l'album, articles péremptoires, description des fan et de leurs costumes gothiques, sauveurs du rock cela va sans dire, et pendant ce temps-là, en France ou aux Etats-Unis, les Horrors restent plutôt méconnus. Parfois évoqué pour ce fait de gloire, une vidéo réalisée par le célèbre Chris Cunningham, là aussi avant la sortie du moindre album. Difficile de les imaginer sortant vraiment des îles britanniques malgré leur 1er album apparemment honnête ; ils font la première partie des Artic Monkeys ou des Black Rebel Motorcycle Club, mais que pourront-ils créer à partir de leur mélange punk-gothique frustre ?

D'autant que l'on n'entend plus vraiment parler d'eux après mi-2007 : perdus dans de longues sessions d'enregistrement, le spectre du deuxième album prétentieux et toute la mythologie...

Mais la maturation semble avoir été bénéfique pour leur nouveau Primary Colours. Bien entendu, ils restent un phénomène terriblement anglais : le NME crie au génie, la liste de leurs concerts de l'été ressemble à un long tour de l'Angleterre dans tous ses recoins rocks. Mais les critiques étrangères sont bienveillantes, des toujours anglophiles Inrocks jusqu'aux très américains Pitchfork, et mêmes le fanzine canadien Exclaim!. Les Horrors ont lâché la bride à leurs pulsions psychédiliques sombres, les guitares hurlent toute leur réverb' et crie soudain leur sursaut punk, des claviers étranges papillonnent, et le chant navigue loin, loin, tout au fond de l'écho : noisy, goth, au synthétisme minimale, de jolis morceaux de cold wave encore dynamique. Leur Sea within the sea est ainsi un agréable morceau de bravoure de plus de 7 minutes, rugueux et rigide, droit, cotonneux et nébuleux, souriant bizarrement sur sa tout fin.


5 juin 2009

Une magnifique demi-video dont la fin oublie la tonalité du morceau

Two weeks 
by Grizzly Bear (2009) 

Quatre silhouettes dans une petite église de bois. Quatre garçons bien peignés dans leurs amis du dimanche dérisoires, mèche instable, légèrement grasse sur leurs joues rondes. Une mince mélodie de piano, des choeurs entre en jeu, doux, ce doit être la chorale. Une voix placide se pose lentement et marche à son rythme entre les élans chantant.

La nouvelle vidéo de Grizzly se lance minimale, troublante, une atmosphère provinciale et mince, désuète dans son pull gris et ses pantalons de velours côtelés ; quatre figures étrangement souriante, rayonnante sans que l'on se devine pourquoi si ce n'est le goût du chant, singulièrement lumineuse ; une affiche peinte pour un savon des années où le bébé s'affiche potelé et aux rondeurs trop rouges. Des visages pleins l'écran et un jeu de regard très simple, sourire détendus et radieux mais insidieusement crispants, de doux bonds d'images suivant la tonalité légère du morceau, cristallin et fragile, nuancé, subtile.

Les images défilent en une mince scène déshumanisée, une installation chaleureuse mais distantes, à l'éclat insaisissable, pas vraiment partagé par le spectateur en quête de repère. Un jeu mécanique boisé, ballet d'automates du XVIIème siècle, robots organiques car faits de bois, de cuivre et de cuir ; voilà en quelques secondes une vidéo rappelant le décalage absurde et humaniste des films de Roy Anderson.

Mais la vidéo monte soudain trop vite une marche, convoque lumière intense et auto-inflammation dans une envie de progression mal maîtrisée. Les images veulent évoluer, trop raconter, changer trop vite ; le morceau évolue légèrement sur la fin, peut-être un peu plus mécanique, mais de manière infime, indécelable, deviné après plusieurs écoutes. La vidéo se fait trop démonstrative et perd la musique en route, tente de vivre sa vie et devient creuse : la fin ne fonctionne pas, il me semble, mais les deux premières minutes restent douces et délectables.


4 juin 2009

Le déferlement d'une Screwball Comedy des années 30

Twentieth century 
by Howard Hawks, with Carol Lombard & John Barrmore (1934) 

Broadway, les années 30, un metteur en scène lance une jeune polonaise inconnue, contre les avis de ses associés : bon sang, cette jeune fille est incapable de jouer, une vraie catastrophe ! Mais le diamant est bien, il suffit de le polir, et bien vite, l'étoile s'installe sur la porte ; et la comédienne dans les bras de son mentor. Mais, avec un homme si possessif, le couple peut-il durer, malgré les succès ?

Encore une comédie sur Broadway et son microcosme du show business, comédie auto-référante produite si souvent par les studios américains : bien entendu, la recette fonctionne dans les premières séquences, dialogues au rythme de mitraillette, humour cinglant, gags distrayants, mais comment tout cela va-t-il évoluer, lancé sur cet élan efficace mais prévisible ? Et là, au tiers du film, tout le petit se trouve rassembler dans un train, unité de lieu qui donne véritablement le coup d'envoi à une folie débridée : une immense farce sans contrôle, et il y a même un nom précis pour ce déchaînement, la Screwball Comedy.

Le train s'enfonce dans la nuit et surgissent les figures les plus improbables. Voici un fou échappé de l'asile couvrant les murs de stickers religieux. Voilà un duo de juifs allemands, chanteurs à la barbe immense et à l'accent à couper à couteau. Les assistants du metteur en scène rejoue le duo de Laurel & Hardy, boule massive déboussolée & mince échalas ouvertement ivre. Vous ai-je parlé d'un pistolet ou d'un projet de péplum scénique mettant en scène Marie Madeleine au milieux de chameaux ? Le metteur en scène et son ancienne protégée atteigne des sommets d'hystérie insoupçonnés, rebondissant sur chaque idée et la première lubie venue, hurlant, riant, s'arrachant les cheveux, et les comédiens sont bluffants dans leur amplitude folle.

Et comptez sur Howard Hawks pour ajouter une tonalité elle-même un peu démente, un peu sombre, un peu ambiguë. Ce qu'il faut de cynisme discret, le discret arrière-plan sensuel, aux sous-entendus forts ; affichant un fétichisme ostensible pour une longue épingle, initialement planté dans le gras de la fesse. Les cadres et les images semblaient vaguement statiques dans les premières minutes, mais un coup d'oeil à la date de sortie permet de prendre conscience de l'originalité du film et de son réalisateur : voilà un déferlement débridée qui a 75 ans.

31 mai 2009

Fusions musicales au Black Sheep Inn de Wakefield

Eric Vieweg suivi de Peter Voith Trio
Concerts au Black Sheep Inn, pub de Wakefield (Québec)
Samedi 30 mai 2009

- C'est une fusion country - reggae ?

Clin d'oeil de mon camarade allemand, taquin, mais pas trop éloigné de la vérité ; fusion country - funk, plutôt, basse ronde et forte tourbillonnant autour du chant nasal et nonchalant, nostaligique. Ce premier passage au Black Sheep Inn de Wakefield a répondu à nos attentes en matière de dépaysement musical, en particulier avec les Peter Voith Music.

Le Black Sheep Inn est un pub de Wakefield, posé face à la rivière Gatineau dans la rue principale du village, en plein coeur du Parc naturel. Le site Internet annonce qu'il suffit de 25 minutes pour rejoindre Ottawa, mais il s'agit majoritairement d'autoroute, la distance est conséquente ; une promenade sur la voie ferrée le long du lac distille doucement l'atmosphère paisible de l'endroit, végétation omniprésente et à la verdure printanière, vaste étendue d'eau à peine perturbée par un canot de trois personnes ou un chien allant chercher un ballon vert fluo, s'ébrouant sur un petit ponton. Une sortie du samedi soir en pleine nature, sans détail urbain, et pourtant le Black Ship Inn jouit d'une réputation musicale conséquente d'importance. Dénicheur de talents, programmation réputée, la radio nationale CBC vient régulièrement y enregistrer des lives, et une scène entière du festival de Blues de juillet est même offerte aux programmateurs du pub. Paisible, forestier, et branché : plongeons-y vite.

Concert débutant vers 21h, et à 19h50 toutes les tables de la salle sont déjà occupée, nous nous glissons vers l'espace snack avec mes camarades. Un dîner simple, quesadillas de poulet, and the best veggie-burger you'll ever have ; notre camarade italienne a évité les macaroni, dont la cuisson nord-américaine ne lui inspire pas confiance. Quatre ou cinq petites tables tout au plus dans ce petit espace, des menus peints sur les murs, tout en haut, en couleurs, et une immense baie vitrée pour admirer l'eau et la forêt, juste séparée par la route ; nous n'y verrons passer aucune voiture, il me semble. Nous pouvons rejoindre la salle principale, le bar, la large scène, recouverte d'instruments. Toute lumière éteinte, juste des bougies éparpillées dans l'ombre, un écran télé au fond diffusant mollement la finale de la Coupe Stanley de Hockey sur glace, l'ambiance séduit.

Eric Vieweg monte alors sur scène, jean sous T-shirt orange à numéro 13, juste un batteur derrière lui pour soutenir sa guitare. Accords limpides sur la guitare arrondie, très légèrement électrifiée, juste assez pour permettre quelques distorsions douces, la batteries gambade doucement, écrin pour le chant aux accents légèrement lyriques. Accents de U2 dans ses balades les plus douces, de Jeff Buckley avec une orchestration minimale, des vignettes rêveuses coulant sur du velours ; douce entrée en matière, presque endormie parfois, car sans vrais sursauts, mais agréable.

La bière n'est pas donnée et l'ATM noyé dans l'ombre, les touches à éclairer à la lueur du téléphone portable, et le trio suivant s'affiche plus énergique dès les réglages sons. Multiples pédales d'effets à ajuster, le batteur règle encore et encore tous ses éléments, il va aligner des combinaisons rapides ; le bassiste vérifie encore et encore la lourdeur profonde de son son, très concentré sur son instrument ; des réglages de basses bien arrogant, aux yeux du camarade allemand, bassiste régulier lui aussi. L'ambiance s'annonce plus tonique et plus jeune, cheveux ras et T-shirts rocks, voici un groupe plus adolescent & plus rock.

Et brassant plus large, ce Peter Voigt Trio manie la fusion avec une boulimie manifeste : le bassiste manie le funk et les rythmes groove, le batteur frappe en tout sens, rappelant parfois ce sketch classique du Muppet Show, Peter Voigt lance des solos électriques aux accents de Guns'n'Roses, tout en délivrant un chant discret, aux accents parfois country, le groupe tire en tous sens avec énergie. Les musiciens sont brillants, manifestant une technique souvent virtuoses, entraînant même parfois une poignée de danseuses bondissant devant la scène. Et pourtant, un parfum étrange émane de cette performance, faite de morceaux aux étages multiples, surgissant sans parfois sans fin pour un même titre : impression presque surréaliste de découvrir deux minutes de solos de guitare "classic metal FM" à la suite d'un chant placide, et juste avant quelques instants de groove ; moments de patchwork, comme si les musiciens ne parvenaient pas bien à se décider et faire le tri dans leurs idées, en plaçant un maximum dans leur performance. Un brillant trio manquant d'un metteur en scène, regard extérieur pour tracer une vraie ligne directrice dans leurs chansons ; car que pourrait-on dire qu'ils racontent, au coeur de leurs explosions musicales brillantes ?

Voilà ce que nous nous demandions en rejoignant la voiture. Quarante-cinq bonnes minutes devant nous dans l'ombre des routes du parc, le temps de déposer chacun chez soi ; une belle exploration, nous goûterons à nouveau au Black Ship Inn, c'est certain.