31 mai 2009

Fusions musicales au Black Sheep Inn de Wakefield

Eric Vieweg suivi de Peter Voith Trio
Concerts au Black Sheep Inn, pub de Wakefield (Québec)
Samedi 30 mai 2009

- C'est une fusion country - reggae ?

Clin d'oeil de mon camarade allemand, taquin, mais pas trop éloigné de la vérité ; fusion country - funk, plutôt, basse ronde et forte tourbillonnant autour du chant nasal et nonchalant, nostaligique. Ce premier passage au Black Sheep Inn de Wakefield a répondu à nos attentes en matière de dépaysement musical, en particulier avec les Peter Voith Music.

Le Black Sheep Inn est un pub de Wakefield, posé face à la rivière Gatineau dans la rue principale du village, en plein coeur du Parc naturel. Le site Internet annonce qu'il suffit de 25 minutes pour rejoindre Ottawa, mais il s'agit majoritairement d'autoroute, la distance est conséquente ; une promenade sur la voie ferrée le long du lac distille doucement l'atmosphère paisible de l'endroit, végétation omniprésente et à la verdure printanière, vaste étendue d'eau à peine perturbée par un canot de trois personnes ou un chien allant chercher un ballon vert fluo, s'ébrouant sur un petit ponton. Une sortie du samedi soir en pleine nature, sans détail urbain, et pourtant le Black Ship Inn jouit d'une réputation musicale conséquente d'importance. Dénicheur de talents, programmation réputée, la radio nationale CBC vient régulièrement y enregistrer des lives, et une scène entière du festival de Blues de juillet est même offerte aux programmateurs du pub. Paisible, forestier, et branché : plongeons-y vite.

Concert débutant vers 21h, et à 19h50 toutes les tables de la salle sont déjà occupée, nous nous glissons vers l'espace snack avec mes camarades. Un dîner simple, quesadillas de poulet, and the best veggie-burger you'll ever have ; notre camarade italienne a évité les macaroni, dont la cuisson nord-américaine ne lui inspire pas confiance. Quatre ou cinq petites tables tout au plus dans ce petit espace, des menus peints sur les murs, tout en haut, en couleurs, et une immense baie vitrée pour admirer l'eau et la forêt, juste séparée par la route ; nous n'y verrons passer aucune voiture, il me semble. Nous pouvons rejoindre la salle principale, le bar, la large scène, recouverte d'instruments. Toute lumière éteinte, juste des bougies éparpillées dans l'ombre, un écran télé au fond diffusant mollement la finale de la Coupe Stanley de Hockey sur glace, l'ambiance séduit.

Eric Vieweg monte alors sur scène, jean sous T-shirt orange à numéro 13, juste un batteur derrière lui pour soutenir sa guitare. Accords limpides sur la guitare arrondie, très légèrement électrifiée, juste assez pour permettre quelques distorsions douces, la batteries gambade doucement, écrin pour le chant aux accents légèrement lyriques. Accents de U2 dans ses balades les plus douces, de Jeff Buckley avec une orchestration minimale, des vignettes rêveuses coulant sur du velours ; douce entrée en matière, presque endormie parfois, car sans vrais sursauts, mais agréable.

La bière n'est pas donnée et l'ATM noyé dans l'ombre, les touches à éclairer à la lueur du téléphone portable, et le trio suivant s'affiche plus énergique dès les réglages sons. Multiples pédales d'effets à ajuster, le batteur règle encore et encore tous ses éléments, il va aligner des combinaisons rapides ; le bassiste vérifie encore et encore la lourdeur profonde de son son, très concentré sur son instrument ; des réglages de basses bien arrogant, aux yeux du camarade allemand, bassiste régulier lui aussi. L'ambiance s'annonce plus tonique et plus jeune, cheveux ras et T-shirts rocks, voici un groupe plus adolescent & plus rock.

Et brassant plus large, ce Peter Voigt Trio manie la fusion avec une boulimie manifeste : le bassiste manie le funk et les rythmes groove, le batteur frappe en tout sens, rappelant parfois ce sketch classique du Muppet Show, Peter Voigt lance des solos électriques aux accents de Guns'n'Roses, tout en délivrant un chant discret, aux accents parfois country, le groupe tire en tous sens avec énergie. Les musiciens sont brillants, manifestant une technique souvent virtuoses, entraînant même parfois une poignée de danseuses bondissant devant la scène. Et pourtant, un parfum étrange émane de cette performance, faite de morceaux aux étages multiples, surgissant sans parfois sans fin pour un même titre : impression presque surréaliste de découvrir deux minutes de solos de guitare "classic metal FM" à la suite d'un chant placide, et juste avant quelques instants de groove ; moments de patchwork, comme si les musiciens ne parvenaient pas bien à se décider et faire le tri dans leurs idées, en plaçant un maximum dans leur performance. Un brillant trio manquant d'un metteur en scène, regard extérieur pour tracer une vraie ligne directrice dans leurs chansons ; car que pourrait-on dire qu'ils racontent, au coeur de leurs explosions musicales brillantes ?

Voilà ce que nous nous demandions en rejoignant la voiture. Quarante-cinq bonnes minutes devant nous dans l'ombre des routes du parc, le temps de déposer chacun chez soi ; une belle exploration, nous goûterons à nouveau au Black Ship Inn, c'est certain.

30 mai 2009

Small World, les universitaires des années 1980 découvrent la mondialisation

Small World: an academic romance 
by David Lodge (1984) 

Le monde académique s'écoule comme un séjour sans fin à l'école ; alternance de cours magistraux et de conférences, correction de copies, bavardage et rivalités. Les mêmes murs que durant les années d'étudiants, le positionnement juste légèrement décalé, juge un peu moins noté qu'auparavant. Et par conséquent, le regard plongeant dans l'espace universitaire découvre l'étendu d'un microcosme, similaire à tout domaine d'activité créateur de société miniature, les luttes de pouvoir et le déroulement de codes propres, mélange de jargon et d'événements répétés. Le monde universitaire, une source idéale pour tisser des histoires, intrigues et scènes pittoresques ; le genre existe, bien peuplé dans la littérature anglo-saxone : on parle de Campus Novel.

David Lodge maîtrise son sujet quand il met en scène le monde de la théorie littéraire, tissée d'incessantes conférences sur le structuralisme, quelque poète précis ou plus simplement la littérature & l'histoire & la société & la morale. Il pioche dans une grande boîte d'archétypes académiques et prend un plaisir manifeste à manipuler ces petites poupées caricaturales, le professeur anglais traditionnel, l'américain proclamant la fin de la critique, le poète provincial naïf, la jeune fille arriviste & affamée de théorie, la professeur à la retraite traquant les symboles phalliques, le jeune théoricien homosexuel ; un joli sens du personnage et de la situation amusante, du rebondissement, assumant souvent ses ficelles de scénario, en hommage clair et réjoui à la grande tradition des épopées du Moyen-Age ; la lecture s'écoule en une magnifique fluidité distrayante, éclairée de gags et traits d'esprit propres aux meilleurs romans humoristiques britanniques.

Mais le charme de ce Small World tient aussi à ses ambitions de Campus Novel monde, aux belles capacités de vieillissement. David Lodge lance son histoire à l'aide d'une longue séquence dans une conférence, tissant intrigues et introduisant personnages, puis disperse sa troupe académique aux quatre coins du monde, au grès des conférences estivales. Ce monde académique ne semble ainsi pas bien grand, chaque conférence donnant lieu à des retrouvailles de deux ou trois personnages car, mine de rien, les professeurs de théorie critique ne se comptent pas par milliers ; caractéristique propre à tout domaine de recherche ou tout secteur spécialisé. Mais c'est la planète elle-même qui semble condensée, sorte de grand campus que l'on parcourt à coup de 747 comme on passerait d'un amphithéâtre à un autre.  Oui, vers 1980, l'élément de base du monde universitaire n'est plus le campus classique et son unité de lieu accordée au savoir, mais la grande caravane moderne des conférences et symposium. 

Ce rétrécissement du monde au début des années 1980 possède un charme profond pour le lecteur du monde globalisé de la fin des années 2000 : voilà une globalisation où la réservation d'un billet d'avion reste aléatoire, où les professeurs s'échangent politesses par courrier papier, où les publications se transmettent sous forme de copies xerox. Vingt-cinq ans seulement se sont écoulés mais l'on redécouvre les petits sursauts de la globalisation, loin de l'Internet omniprésent et des flux continus d'information ; ces professeurs naviguent bien comme des chevaliers parcourant le monde dans leur quête de savoir, ils ont été les pionniers du village global. 

26 mai 2009

Garage sales, perfect places to discover hidden treasures

Christian Girl 
by Hefner (2000)

Hefner, "Britain's largest small band"; could I discover anyther but in a garage sale? Around 1 canadian dollar for a dense best-of album, this is even better than merely discovering such an hidden treasure.

Hefner published 4 albums in 4 years, from 1998 to 2001. A pure indie band, with raw guitares & wonderful lyrics, full of British irony & small lovely sketches; songs like cheap poems from a lonely dreamy boy, a boy too old to suffer like a teenager but still connected to some kind of everyday mythology: disappearing girls, drinking your head out, singing just for the sake of gaining a couple of fags thrown from the crowd. Small sketches, exactly, drawn without any ink, just a fast pencil, power of the instant, teenage flashes, similar to some Irish punks who used to celebrate suburb love & teenage kicks; no doubt that John Peel enjoyed Hefner, no doubt that the American from Pitchfork remained moderately enthousiastic: so fresh & so British.

And the video for their single Christian Girl flows so freshly & British too: four lads hanging around in a basic brick-built English suburb, four lads trying to catch the eye of the pretty girl next door. The blond girls always keeps walking dressed in red, and the four youngsters in their late twenties keep playing tricks like high-school students. They even dare to sing romantic, cute & stupid sentences:  But the idea of sex seems so bleeding stale when her heart is as big as a house.


24 mai 2009

Partir des films des années 80 pour rendre hommage à la force du divertissement

Be kind rewind 
by Michel Gondry, with Jack Black, Moss Def, Mia Farrow & Danny Glover (2008) 

Un petit magasin louant des VHS dans le New Jersey, survivant mollement au temps du DVD et du téléchargement de DivX ; et voici que toutes les bandes se trouvent effacées suite à un léger accident magnétique. Seule solution pour répondre aux attentes des clients : leur fournir de versions faites à la main, tournées avec les moyens du bord camescope à l'épaule. Rien de plus facile, finalement, pour des films comme Robocop ou Ghostbuster, dont on connaît si bien les scènes clés ?

L'argument du film semble mince mais qu'importe, voilà un véhicule idéal pour les différentes forces en présence : Jack Black cabotinant sans retenu, Mos Def à l'humour cool et fluide, Danny Glover en patriarche du coin de la rue, et surtout Michel Gondry et ses bricolages poétiques. Le plaisir est profond de découvrir la troupe de pieds nickelés bidouillant leur Ghostbuster du dimanche à coup de sacs plastiques verts, papier aluminium ou guirlandes suspendues à des cannes à pêche. Michel Gondry n'est jamais aussi l'aise que manipulant les matières de l'école maternelle, et l'on est assiste fasciné au défilement de trouvailles magnifiques, tenues de camouflages, station spatiale, voiture roulant sur le toit ou notes de musiques surgissant d'un piano de ces films en version suédée.

Le bricolage et la vidéo individuelle, voilà bien un thème dans l'ère du temps, à l'époque des sites de partage vidéo sur Internet. Le film semble tracer une fable associé à ce thème, où chacun devient capable de diffuser ses propres images sans aucun vrai contrôle. Le petit groupe du coin de la rue peut se voir l'objet d'un culte imprévisible, à l'ampleur étrange et passionnelle, le goût soudain d'une foule pour un bricolage et quelques idées balancées sur des images à la qualité incertaine. C'est ce qui arrive dans le film : le commerce moribond retrouve une nouvelle jeunesse grâce aux vidéos suédées, et un peu d'organisation suffit pour en faire une affaire florissante dans le quartier. Voici le loueur de vidéo touché par un succès surprenant rappelant les élans presque incompréhensibles de la net-économie des années 2000. Succès bien vite contre-balancé par le contrôle des grands studio, venant remettre de l'ordre dans ce business bafouant les droits d'auteurs ; la société de youtube autorise chacun à s'exprimer, mais donne aussi libre cours aux instincts des pirates.

Ce passage anti-pirate n'est pas extrêmement intéressant, comme introduit un peu maladroitement, comme si Michel Gondry n'était pas trop à l'aise pour nouer un milieu intéressant : louer la création libre sans trop prendre partie contre les majors du cinéma, finançant le film. Ces quelques scènes mettant en jeu les brigades anti-piratage sont de loin les moins inventives, rien qu'un rouleau compresseur passant sur quelques vieilles VHS plastifiées, images étranges à l'air de la dématérialisation des supports musicaux et vidéos.

Mais ce dépouillement laisse entrevoir la subtilité du film, que l'on perçoit peu à peu dans sa seconde moitié. Des majors du divertissement écrasant des VHS aidées par un cordon policier, voilà un immense symbole du retard pris ces compagnies, se retrouvant avec un train de retard par rapport avec véritables fauteurs de troubles, aux pirates d'envergure, aux créateurs de sites peer-to-peer ; la main de la justice ne peut rattraper le retard sur les voyous du net ou les réseaux pirates chinois, elle frappe seulement les petites gens tout près d'elle, le dernier maillon du piratage généralisé, presque innocent. De simples amateurs de divertissement, sans véritable envie de suivre les dernières tendances technologiques et incapables d'immenses dépenses pour acheter les derniers appareils.

Les grandes compagnies sont dépassées par le changement des habitudes de consommation culturelle, et surtout, elles n'arrivent plus à capter les attentes des gens au niveau du contenu même des films. Les films suédés dans Be kind rewind sont tous de grosses franchises des années 80, époque dorée pour le marché des cassettes vidéos ; pas de surprise donc de retrouver ces grosses affiches, et la sélection correspond certainement en partie au petit panthéon personnel du jeune Gondry dans les années 80... Mais par delà ces contraintes de scénario, c'est regret du public qui pointe, public comme insatisfait des productions récentes : des blockbusters énormes, aux effets spéciaux numériques coûteux et campagnes de pub bulldozer, aux revenus immenses, mais incapables de vraiment marquer le public. Dans vingt ans, qui sera capable de retrouver une scène clé des Pirates de Caraïbes ou de Transformer, alors que les souvenirs restent frais pour Ghostbuster ou Back to the Future ? Les blockbusters des années 2000 jouent la carte du toujours plus, toujours plus vite & impressionnant, en 3D ou en Imax, mais sont-ils encore vraiment innovants, sont-ils marquants ?

Cette impression frappe le spectateur lors d'une scène très simple, quelques échanges de paroles dans un café après le tournage suédé du Roi Lion ; chacun, dans l'établissement, a un mot ou une phrase pour évoquer sa relation au film de Disney, un souvenir fort, un écho. Certaines des ces évocations du film sont remplies d'erreurs, de scènes mal imprimées dans la mémoire, mais elles révèlent la force du film dans les imaginaires. Il n'est pas aisé de trouver des films aussi fédérateurs dans un passé récent, de grands films populaires... 

Le constat semble juste mais le spectateur peut craindre la logique du "c'était mieux avant", une nostalgie stérile et peu productive. Michel Gondry évite le piège tout en jouant de cette attention portée à un passé apparemment plus rose : le quartier s'unit pour tourner un film suédé inédit, un documentaire imaginaire sur une gloire jazz du quartier. Les énergies sont maintenant fédérées vers un but positif et une création originale, neuve, et les dernières minutes du film s'écoulent magnifiques. Le cinéma des années 80 est mort, les grosses compagnies actuelles sont moribondes, and so what ? Il reste toujours un peu de carton et beaucoup d'idées pour raconter de jolies histoires. 

La parfaite maîtrise de Michel Gondry devient évidente dans ces derniers instants, son impressionnante capacité à jouer avec les registres et les tonalités. Pour distrayant qu'il soit, le début du film pouvait sembler maladroit, éparpillant des personnages caricaturaux pour le plaisir de mignons tours de force dans le bricolage ; la fin s'écoule fluide et rythmée, en mêlant des émotions fortes et subtiles, nostalgie contenue, joie du travail partagé, utopie urbaine, émotions tournant autour de l'amour du cinéma et de la fascination pour les images mobiles. A cette lumière, le début du film apparaît comme un hommage ouvert aux comédies fédératrices des années 80, aux trames convenues et personnages archétypaux, mais riches en petites trouvailles, terriblement efficaces ; et n'hésitant pas à traiter des sujets les plus loufoques et originaux, juste pour le plaisir faire s'asseoir les foules dans une même salle, pour partager un film et un divertissement en commun. Qu'elle en soit le médium futur, Gondry affirme sa foi dans la spectacle partagé, et lors du superbe travelling final, une envie terrible saisit de se lever avec la foule du film pour applaudir une belle histoire et un joli moment, juste applaudir.  


22 mai 2009

Appelez-le Al, cela lui réussit plutôt bien musicalement

You can call me Al 
by Paul Simon (1986) 

Années 80, années de folies commerciales pour la musique, années aux genres dévoyées, où les bonnes idées se voient peu à peu essorées sous le formatage et la saturation de vidéos clips. La pop à synthétiseur comme une formule bête, le rock de stade enflant peu à peu comme grenouille près du boeuf, le hard rock pour radio FM virant au concours de cheveux longs.
Mais, quand on y songe, voilà plutôt un problème d'interprétation d'idées pas trop mauvaises en elles-mêmes.

Ainsi, la vague des musiques du monde, peu à peu vampirisées par quelques gros professionnels de la pop : l'équilibre entre pop occidentales et sonorités originales a pu produire quelques trésors, en particulier le classique album Graceland de Paul Simon. Album enregistré en large majorité en Afrique du Sud, mêlant basse ronde et choeurs africains, tam-tam et textes finement écrits, un mélange encore frais et fascinant plus de vingt ans après. De grands musiciens associés à une plume de qualité, il suffit de bien les laisser travailler pour parvenir à un joli résultat.

Comment résister alors au superbe titre "You can call me Al", et en particulier sa vidéo simple et drôle ? Caméra fixe, une salle au fond rose, deux silhouettes à l'écran : Paul Simon et son petit mètre soixante-cinq, le comédien-humoriste Clive Chase et son grand mètre quatre-vint dix. Pas d'histoire, pas de gros effets, juste ces deux silhouettes, Paul Simon muet transportant parfois des instruments, et Clive Chase mimant les paroles, à la limite du surjeu. Juste un système et deux charismes discrets et parfaitement contenus ; Michel Gondry ne s'y est pas trompé, citant le clip dans une liste de ces 10 vidéos musicales préférées...


20 mai 2009

Do you still remember that old band, Clap Your Hands Say Yeah?

Over & over again (lost & found)
by Clap Your Hands Say Yeah (2006) 

Clap Your Hand Say Yeah, what a name for a rock band. A name to draw attention upon you, a name that could make you look different during a lazy MySpace scan. A name to show that you laugh at yourself, because rock is just a matter of having fun & play your own music in your own small world & for a couple of friends. An ideal name for collector T-shirts or the book of forgotten bands & hidden treasure. A name like a whiplash from a drunk high-school student who has just stopped repeated Waaazzzaaa over the phone. Clap Your Hand Say Yeah, the worst name for a rock band & the best name for an indie rock band in the XXIst century; a name of love & hate, a name of hype, for sure.

But the over swollen hype could not survive long to the band's attitude. 2006, Clap Your Hands Say Yeah is the next big thing, the new saviour of indie good taste over all the music-blogs; but no, the hype could not survive to such striking gigs: a pale-faced tiny guy in the dark singing with the nose wide open, or no, not even wide open, a nose laughing with strange echoes exiting a cave full of moist & cats & mice & beer. The drums are vaguely shivering and a couple of ghosts keep dancing all over the stage, agitating a guitar or a strange & cheap keyboard ; intense sound, an old folk song oscillating along lights patterns of disco beats, a cloud dancing with strange colours. How long could FM radios buy such a sound before realizing their mistake?

2009, Clap Your Hands Say Yeah flies at his own speed, far away from all indie radars. Their second album was deep, complex & fragile, clearly imperfect, with a couple of wonderful gems; as predicted, radios have forgotten them. The name sounds almost has-been, in a world full of indie-MySpace-Facebook bands in search of the craziest brand-label, with capital letters, erased vowels and weird namedropping: who found We Still Love You Boris Eltsine?
And it is even tastier to listen to Clap Your Hands Say Yeah again, when finding back their first album in a pile of CD. The sound is fresh, the mixed influenced still amazing, and the tunes flows fantastically, rolling over and over again your mind and the walls of your room.



17 mai 2009

Film bancal mais tellement bête et drôle

Nacho libre 
by Jared Hess, with Jack Black (2006) 

Un orphelinat au Mexique, sous la garde de moines ; peu d'argent pour offrir des repas décents aux enfants, hélas, peu d'argent pour assurer la simple survie de la petite communauté. Mais le cuisinier cache une singulière passion sous sa robe de bure : la lucha libre, le catch mexicain, véritable religion aux idoles masquées. Le soir, Ignacio devient donc Nacho, luchador masqué cherchant à se créer une place dans le circuit de la lucha libre...

Qu'il est impressionnant de découvrir de telles comédies à la finition improbables : clichés basiques mélangeant monastère & lucha libre, dialogues souvent décousues, sautes de scénario donnant parfois une impression de montage étrange. Mais le film assume son objectif premier, comédie loufoque et sans prétention centrée sur le charisme et la puissance comique de Jack Black ; qu'importent les costumes kitsch, la moustache ou les situations étrangement ficelées, Jack Black glisse toujours un regard ou une posture pour dérider le spectateur. Une longue succession de scénettes et de sketchs naviguant autour du postulat de départ, simple véhicule pour le comédien, assumant totalement son jeu outré ; irritant pour les amateurs de subtilité, assurément, mais réjouissant pour ceux acceptant de mettre de côté toutes les faiblesses du film.

Et peu à peu, le rythme saccadé du film génère une étrange impression d'absurde ; le côté décousu du récit devient un écrin idéal pour les scènes plus stupides les unes que les autres, comme une série de performances volontairement bêtes et bancales. Une fois mis de côté toute aspiration à la profondeur, c'est avec un grand sourire aux lèvres que l'on déguste les matchs de catchs burlesques et ridicules.


16 mai 2009

Aerosmith, pilier des radios Classic Rock

Same old son and dance 
by Aerosmith (1974) 

Aerosmith, petit mystère pour l'auditeur européen. En France, Aerosmith me semble surtout connu pour ces albums de la période 1987-1994, pic de sa popularité commerciale en Europe. Le groupe tourne alors sur les radios FM grâce à des titres écrits en collaboration avec Desmond Child. Desmond Child, homme de l'ombre à l'origine de certains gros succès mainstream, en particulier KISS, Bon Jovi, Alice Cooper, Shakira ou même Ricky Martin ; efficacité donc, mais peut-on vraiment parler d'une grande subtilité musicale ? 

Pourtant, avant de devenir un dinosaure commercial du rock, Aerosmith a livré dans les années 70 de jolis albums de rock basique. Un son lourd mais léché, des riffs acérés et bluesy, une voix énergétique, et voilà une belle poignée de classiques du rock ; le tout est fortement inspiré par le blues rock électrique des Rolling Stones, mais la cohérence fait surnager l'ensemeble, un très joli sens de la formule rock.

Ce sens du classic rock font d'Aerosmith un groupe incontournable en Amérique du Nord ; la sortie récente d'un jeu vidéo à leur seul nom n'en est pas le moindre symbole : Aerosmith est synonyme de rock à guitare et de tous les clichés sex'n'drug'n'rock'n'roll. Ce sont les clients idéaux pour ces fameuses radio classic rock, source d'une petite théorie personnelle : j'avance qu'il est presque certain d'entendre un titre d'Aerosmith en se branchant quelques heures sur ce type de radio américaine.

Après quatre ou cinq jour de trajets en voiture à Ottawa, à raison d'une petite heure par jour, les faits ne m'ont pas encore fait mentir : j'ai pu entendre 6 titres différents d'Aerosmith sur la même radio FM. En particulier la version originale du très efficace Same Old Song & Dance, que je ne connaissais qu'en version live. C'est brut, rigoureux, intense, et surprise, voici même surgir un saxophone aux deux tiers du morceau...


15 mai 2009

Dommage que le livre lui-même ressemble si peu à une oeuvre d'art

Lorsque j'étais une oeuvre d'art 
par Eric-Emmanuel Schmitt (2002) 

Quitte à mourir, pourquoi ne pas en faire profiter l'art ? Léguer son corps à un artiste pour le laisser expérimenter ; et, finalement, qu'y a-t-il à perdre à se léguer tout entier, encore vivant, puisque de toute façon, on souhaitait mourir. Voici le postulat lançant le roman d'Eric-Emmanuel Schmitt, sort de pari de Pascal pour dépressifs séduits par les paillettes de l'art contemporain. Tazio ne saute donc pas du haut de la falaise et laisse Zeus-Peter Lama faire de lui une sculpture vivante, surchargée de prothèses et de cicatrices ; il devient Adam Bis, oeuvre d'art, perdant par conséquent son humanité.

Voici donc une fable sur les rapports entre l'art contemporain, l'apparence et l'humanité, la superficialité d'un art clinquant et la profondeur des artistes aspirant à capter l'invisible. Le récit s'écoule le long d'idées plutôt distrayantes,  vol de la sculpture vivante ou achat pour les collections d'état, procès pour proclamer son humanité ; petit conte laissant place à quelques pensées sur l'art ou les valeurs humaines.

Hélas, le roman glisse en laissant un long sillage désagréable, impression permanente d'explorer un récit plutôt superficiel et peu approfondi. Les personnages surgissent sans véritables surprises, figures convenues des parents éplorées, de la jeune fille séduite, du peintre aveugle seul à même d'offrir un regard artistique authentique. Le conte n'arrive pas à offrir une personnalité qui lui soit propre, entre personnages désincarnés et rythme fade du style banal. Les phrases s'enchaînent vaguement ennuyeuses, ne prenant que quelques couleurs lors de certains dialogues, où la fluidité du verbe se fait plus agréable.

Il se dégage en fait une pénible impression de retenue difficilement explicable, comme si l'auteur ne savait trop quoi faire de son sujet. On pense par moment à Boris Vian pour quelques fantaisies associées à cette île imaginaire ; on songe à l'Ile du Dr. Moreau pour les manipulations & opérations sur le corps ; on sourit en saluant Oscar Wilde quand survient un tableau représentant la beauté intérieure du héros. Mais le texte ne parvient jamais à élargir ces références, elles surgissent en flash et disparaissent aussitôt, jamais vraiment approfondies, les paragraphes reprenant leur ronronnement modeste. Forme étrangement plate entre deux formules plutôt bien ciselées, hélas espacées de plusieurs pages : pourquoi retenir une véritable déchaînement de folie et nager en rond dans une critique routinière et facile de l'art contemporain ?

Car la véritable déception provient certainement du propos, de l'impression de facilité qu'il dégage. Une fable, certes, tissée d'archétypes et petites caricatures, mais dont l'assemblage ne parvient pas à transcender la banalité : l'artiste hype s'excite superficiel et avide d'argent, l'impresario recherche les scandales et la presse à sensation, l'administrateur d'état ne vit que pour les procédures, le vrai artiste construit son art dans la pauvreté mais se trouve reconnu à sa mort. Mais encore ? La figure de l'homme-oeuvre navigue dans ses eaux grises sans que rien de neuf ne se voit proposé au fil des pages ; il devient même difficile de ne pas s'avouer perplexe : le livre fait-il autre chose que labourer les idées reçues paresseuses sur l'art contemporain ? L'art contemporain loué par les médias n'est qu'un cirque manipulant le corps pour le plaisir de choquer, rien de plus qu'une foire des curiosités sans fil directeur, sans pensée ni message. Constat juste dans une certaine mesure, mais assurément réducteur et peu respectueux des artistes, rappelant les ricanements potaches de visiteurs jetant un vague regard dédaigneux sur des installations bizarres : non mais, c'est invraisemblable, comment une merde pareille peut-elle coûter autant de millions, ma fille dessine mieux !

Revient à l'esprit une phrase de Spinoza, citée dans le journal : "je m'efforce de ne jamais juger et tente toujours de comprendre". Désagréable impression de voir Eric-Emmanuel Schmitt juger sans offrir beaucoup de clés pour comprendre... Pourquoi pas ? Mais il est dommage de critiquer la superficialité artistique sans proposer soi-même de parti pris original, ni offrir une forme séduisante et riche. La satire est un art respectable ; mais elle ne devient véritablement percutante que soutenue par un travail approfondi sur le fond et la forme.

14 mai 2009

Une chaussure sur le toit, et tellement d'explications possibles

La chaussure sur le toit 
par Vincent Delecroix (2007) 

Un immeuble tout près de la Gare du Nord et voici une chaussure sur son toit, du côté de la cour intérieure. Une chaussure sur le toit ? Comment a-t-elle pu arriver là ?

Vincent Delecroix entreprend d'épuiser le sujet à l'aide de dix courts récits, proposant chacun un scénario explicatif. On peut penser qu'une chaussure sur un toit, cela ne signifie rien et que l'image se suffit à elle-même : montrer cette chaussure sur ce toit, et tout est dit, démarche artistique à elle seule, comme le proclame un plasticien contemporain dans l'un des récits. Ou au contraire ne pas fuir l'explication et fournir une large gamme de descriptions, imaginer tous les récits possibles ; saturer cette explication, voilà le parti de l'auteur, lancer des pistes dans toutes les directions pour en extraire du sens.

Vincent Delecroix convoque donc toutes une galerie de personnages, habitants de l'immeuble, profitant de la mixité sociale de ce quartier parisien pour varier les voix, les points de vues et les situations. Saturer l'explication, mais le menu littéraire n'entraîne aucune satiété du fait du plaisir pris par l'auteur à jouer des tons, des voix, des pastiches et des clins d'oeil. Surgissent ainsi un adolescent sans papier à la suite de hors-la-loi aux mines homériques, un chien bavardant avec les chats, un amputé de la jambe droite à 3h du matin ou une soirée branchée à la campagne rappelant le château intensément lumineux du Grand Meaulnes. Variété et intelligence, car les différents récits permettent d'introduire notions philosophiques ou pensées artistiques & esthétiques, tout en faisant sentir l'humanité des personnages décrits sur quelques pages à peine. Un livre en équilibre, fragile et doux, osant les rebondissements, les parallèles, mais aussi les contre-pieds et les silences. Un détail banalement incongru, une chaussure sur un toit, et voici toute un mécanique mise en marche.

13 mai 2009

Classic Rock Radio : la course en avant de Deep Purple

Highway star 
by Deep Purple (1972)

En Amérique du Nord, impossible de s'ennuyer en voiture en jouant avec les différentes stations radio ; quelle que soit la région, ou presque, on finit toujours par dénicher une radio "Classic rock". Les programmateurs semblent focalisés sur les années 70 et une certaine idée du rock : cheveux longs, rythmiques lourdes, une bonne dose de solos de guitares ou d'orgues, chants épiques. Des classiques de classiques sortis directement d'un dictionnaire du rock, dont tous les chapitres après 1976 auraient été arrachés : même le punk semble trop moderne sur de telles stations, David Bowie trop fantaisiste, Nirvana trop jeune. Ici, on retrouve une certaine idée du rock, très masculine & très photo de concert noir et blanc, très traditionnelle & conservatrice, un bon rock américain qui cogne.

Sur des telles fréquences, la surprise ne vient pas des mélodies ou des sons, les programmations offrant une cohérence sonore impressionnante. Le plaisir surgit à la redécouverte de morceaux plus écoutés depuis des années, des noms de groupes que l'on ne rencontre pas facilement sur une radio FM européenne. L'écoute flotte alors entre routine sonore et fascination pour ces virtuosités rock un peu dérisoires, guitare toute puissante en soliste.

Mais quel bonheur soudain d'entendre en entier Highway Star de Deep Purple. Un de ces groupes anglais fondateurs du hard rock, au tout début des années 70, et qui ainsi ont défini tout un son cher à l'Amérique. Il est tentant de partager de telles madeleines rock imprévues, et je les égrainerai peu à peu au rythme de mes écoutes automobiles nord-américaines.


12 mai 2009

Une bien jolie comédie au pays du froid

Romaine par moins 30 
par Agnès Obadia, avec Sandrine Kiberlain et Pascal Elbé (2009) 

Pour Noël, Justin a fait une surprise à Romaine, un voyage à Montréal, vaste dépaysement nimbé de neige et d'accent québécois. Mais celle-vi n'aime pas le froid, et aime-t-elle encore Justin, finalement ? Le couple explose durant le vol, et voici Romaine dans la ville canadienne inconnue, sans argent, sans passeport, sans même le billet de retour.

Voici un schéma classique de comédie, mêlant les problèmes de couple à la confrontation à un univers inconnu et une nouvelle culture. Situation riche en quiproquos et incompréhensions, le terreau habituel pour aligner les gags et glisser quelques sentiments, n'en jetez plus, voici une comédie française ! Il suffit d'une minute de réflexion pour retrouver les ficelles de nos chers Ch'tis, champions de France 2008 : un couple bringuebalant, une plongée dans une région inconnue, avec basse température et accent prononcé, mais aux habitants tellement humains, finalement. 
Quand le logo provincial du Québec s'affiche en début de film, on craint fortement le long clip bon enfant subventionné à la gloire de la Belle Province...

Mais "Romaine par moins 30" s'ouvre aussitôt sur la musique "Ring of Fire", et un film préférant Johnny Cash à la guimauve convenue "I just come to say I love you" ne peut être foncièrement mauvais. Le tube chrétien du grand Johnny est serti de trompettes vaguement mariachi et de choeurs féminins, sur lesquels plane l'ombre profonde de la voix grave, un équilibre étrange entre kitsch et émotion. Message d'amour, donc, mais doublé de décalage léger et souriant, pas de côté qui se fait exquis une fois superposé au mètre de neige recouvrant la ville de Montréal. Le ton est donné, le film naviguera entre clins d'oeils, trouvailles fines et second degré à peine esquissé, caché dans les détails.

Certains personnages impriment ainsi un grand sourire dans la mémoire, comme l'acupuncteur chinois aux prises avec le fisc, l'hôtesse de l'air ayant la phobie des atterrissages ou le chauffeur de taxi cherchant un mariage express. Les scénaristes n'hésitent pas à en faire un tout petit trop, pousser un trait de caractère ou une bizarrerie un peu loin, pour libérer la folie dans les situations. Une grande comédie, c'est une folie sans retenue, sans jamais craindre d'en faire un peu trop, car le rire ne prend pas en présence de trop de retenue ; la retenue, défaut majeur du dernier tiers des Ch'tis, lui donnant des airs de soufflets se dégonflant mollement à vouloir rester inoffensif. Mais cette Romaine au Canada ne bride pas ses instincts hystériques, les scénaristes n'hésitant pas à vêtir Sandrine Kiberlain d'une robe de mariée et d'une doudoune rouge durant la moitié du film.

Ce film laisse rouler les billes de sa folie dans la neige canadienne, comme un sale gosse ne reculant pas devant les blagues potaches. Un sale gosse sans gentillesse, car la gentillesse et les bonnes intentions affadissent toute comédie, les bons sentiments ne rendent jamais grandioses le rire. Ici, on rit des personnages surprenants et improbables, mais l'on rit surtout autour d'une histoire de désir éteint, d'une lutte contre la frigidité au pays du froid. Les silhouettes ressemblent parfois à de petits clowns ou des caricatures, mais des caricatures en quête de baiser fous et de sexe intense, des clowns désirants à la chaire en éveil. Par cet aspect également, on se trouve loin du Ch'ti adolescent à l'amour chaste, où le baiser dans le cou devient une marche immense & le romantisme vibre tiède comme un regard de soap cheap. A Montréal, il fait vraiment -30°C l'hiver mais les corps se frottent et savent prendre leur plaisir, que ce soit en pétrissant la pâte à pain ou en rentrant à la maison pour satisfaire ses envies de baiser. Enfin, ses envies de dormir, bien sûr.

Ainsi, l'ampleur du film s'étend entre ses deux points, folie caricaturale des personnages hauts en couleur, profondeur de leur désir. Ce désir s'affiche souvent outré, mais il ancre les personnages dans la réalité physique, leur apportant existence et épaisseur. Voilà la force du film, proposer de véritables personnages avec un peu de personnalité, et non de simples figures de papier ; caractéristique appréciable face aux comédies à thèmes, où les personnages ne servent qu'à dire quelques blagues et véhiculer leur stéréotype. Ici, l'hôtesse de l'air phobique fait d'autant plus sourire qu'on perçoit son trouble amoureux maladroit.

Mais sur ce plan-là, le personnage de Romaine écrase la concurrence. Personnage central du film, bien entendu, moteur de l'action, mais surtout figure forte par la grâce de Sandrine Kiberlain. Romaine se cherche durant le film, initialement passive et sans désir, déboussolée, et explorant peu à peu sa remise sur pieds. Un parcours initiatique riche en situations improbables, maladroites scénaristiquement à une ou deux occasions, mais que la comédienne parvient toujours à faire tenir debout. Ses moues et ses bafouillements sonnent justes, pour improbables et décalées que soient les répliques prononcées. Superbe performance, d'autant que cette subtilité comique ne se fait pas au détriment de l'épaisseur du caractère de Romaine. La jeune fille gagne peu à peu son indépendance, et la scène finale s'étale grandiose. Dans l'immensité blanche, les traits du visage tremblent longuement, résonant d'hésitation, mais Romaine a su atteindre son libre-arbitre.



11 mai 2009

Les guitares des Beastie Boys dans Star Trek, tant de perles millisémées

Star Trek 
by JJ Abrams (2009)

Sabotage 
by the Beastie Boys (1994) 

Le nouveau film Star Trek début par une séquence spatiale un peu étrange, introduction très classiques : le méchant détruit le père, voici quelques grammes de psychanalyse pour introduire le héros et donner de l'épaisseur à l'histoire. La séquence possède un faux rythme étrange, immense destruction space opéra dont l'intensité ne prend jamais, comme observée à distance ; une étrange sensation de vieux film de Science-Fiction, tournée en studio avec des effets spéciaux visibles comme les coutures d'un patchwork, plutôt kitsch. On craint de se voir confronté à une horde de lieutenants bavards en pyjama, dirigeant les attaques entre vaisseaux depuis une salle de commande ; on craint d'avoir du mal à entrer dans l'univers de Star Trek, pas forcément très connu en France.

Mais le générique laisse aussitôt la place à subite montée d'adrénaline : le jeune Kirk, orphelin, traverse les champs de l'Ohio à bord d'une voiture volée, sur fond de musique surexcitée. Comme un vidéoclip musical riche en travellings et en effets de vitesse, et quel plaisir d'entendre hurler les guitares du Sabotage des Beastie Boys ! Bande son idéal, cri de révolte des trois branleurs du rap des années 80-90, écho parfait au jeune blondinet rebelle au volant de sa voiture volée.

Et l'écho ne tient pas seulement à cette tonalité de révolte si l'on jette à nouveau un oeil à l'amusant clip vidéo de Sabotage, dépeignant des flics de série poursuivant des bandits. Un clip au style ostensiblement "télé des années 70s", qui rajoute une couche de clin d'oeil : le Star Trek d'origine est une série millésimée de la fin des années 60, non ? Une fois ce jeu de clin d'oeil lancé, difficile de ne pas songer aux années 50 en voyant le jeune Kirk foncer dans sa décapotable au milieu des champs vierges, sorte de James Dean dans les étendues lisses de "La mort aux trousses" ; effet d'autant plus fort que le film ne convoque alors aucune architecture futuriste, rien que des champs et une voitures aux lignes très fifties. Les guitares grondent sans fin et les Beastie Boyes hurlent, mélange toujours aussi surprenant quinze ans après sa sortie, mais à la fraîcheur paradoxale ; difficile en effet de ne pas songer à tous les groupes de rap-métal de la fin des années 90, façon Rage against the Machine ou Likin Park, qui ont tenté de donner vie à une telle énergie brute guitare / rap...

En trois minutes, le film convoque donc des échos pop de plusieurs décennies, un joli salad bowl de sous-culture, un iPod en mode mix aléatoire. Quand le jeune Kirk est rattrapé par la police, il se retourne pour faire face à l'officier à moto, et celui-ci est un sévère robot comme sorti de Terminator ; le rêve de cuisine pop prend de nouvelles teintes et s'efface doucement, nous revoici face au futur & à une nouvelle mythologie de science-fiction. Le film peut vraiment commencer, adoptant enfin le rythme trépidant qui en fait une jolie sucrerie divertissante.

6 mai 2009

La famille marche toujours en petite cruauté intime, même au Japon

Still walking 
by Hirokazu Koreeda, with Hiroshi Abe (2009) 

Voici la réunion de famille annuelle dans la maison de Mamie, le frère et la soeur revenant avec leurs enfants pour goûter à l'exquise cuisine maternelle. Une journée en famille, avec repas, discussion, promenade, discussion et cuisine, et bavardages : pourquoi un tel métier, et pourquoi ne pas acheter très bientôt un monospace pour cette famille naissance ?

Réunion de famille, et donc brassage de vieux souvenirs, de vieilles rancoeurs et d'incompréhension avec la belle famille, bruit des enfants et alignement de fantômes, bien sûr, la journée chez Mamie comme vecteur idéal pour les différents degrés de fantôme de la famille. Les regrets du père pour la carrière du fils. Le mépris pour la nouvelle bru, toute jeune veuve. Le souvenir effacé et lointain d'un adultère paternel, dans l'ombre d'un disque de Yokohama. Et surtout, immense, le fantôme du fils aîné décédé, noyé en sauvant un nageur imprudent : voilà pourquoi la famille se réunit chaque année, pour honorer le souvenir du défunt, le fils adoré, le préféré, l'aîné ; pourquoi a-t-il dû mourir ainsi, surtout pour sauver un tel bon à rien ?

Still Walking, le portrait d'une journée en famille et donc le portrait d'une famille, distillé par des infimes détails, galettes de maïs frites et pyjama acheté par la mère, dépaysant pour le spectateur européen pour sa plongée dans un milieu japonais ; la cruauté des parents ou les rivalités familiales n'en jaillissent que plus contrastées, surprenantes, comme murmuré en montrant les dents dans un sourire aimant.


5 mai 2009

La perte de repère de Véro et du spectateur avec elle

La femme sans tête 
par Lucrecia Martel, avec Maria Onetto (2009)

Des enfants courent le long d'un canal vide. "Descends de ton vélo". Ils sont tous à pieds, un chien courent auprès d'eux. Le poursuivi fait la roue pour descendre dans le canal à sec, pour remonter sans effort ; les autres le suivent avec peine. Ils grimpent à l'échelle d'un panneau publicitaire.

Vero suit cette route vide, le long du canal, en rentrant de la piscine. Lunettes noires, cheveux platine & décolorés, elle avale le ruban de terre et de poussière, vitesse conséquente. Sonnerie de téléphone portable, ses lunettes glissent, elle se penche pour les ramasser entre ses jambes , la voiture sursaute brutalement. Elle s'arrête ; roulé sur quelque chose, sur quoi, sur quelqu'un.
Longue respiration, regard au loin. Que faire.
Elle continue doucement, un chien est étendu dans la courbe, on le voit dans le rétroviseur.
Vero s'arrête enfin, plus loin. Tourne autour de la voiture, sa tête invisible à travers la glace latérale, elle marche un peu, quelques boucles. Il commence à pleuvoir.

A l'hôpital, un pansement sur le front. Vero ne parvient pas à remplir le formulaire. Elle va aux toilettes sans rien dire, regarde son reflet dans le miroir ; à côté d'elles, un policier récupère un détenu qui se cachait dans les toilettes, porte verrouillée, Vero ne quitte pas du regard ses cheveux, blonds mais gras & sales à l'instant.

Un taxi. Une maison. Elle embrasse un homme brun, silhouette fine, l'étreint.
Vero chez elle maintenant. Sa fille a la jaunisse, sa fille qui embrasse tendrement des filles à moto. Vero à nouveau dans son cabinet dentaire, s'assoit dans la salle d'attente et les patients sourient ; Vero écourte ses consultation, elle est un peu fatiguée, un peu barbouillée, rien de grave elle rentre chez elle.

Elle se cache dans la chambre. Un homme est entré, à la porte, pose du gibier dans la cuisine. Vero s'enferme dans la salle de bain, la douche coule et elle ne se déshabille pas ; elle écoute ; elle se place sous l'eau coulante sans se déshabiller.
Serviette pour essuyer ses cheveux. Un homme brun, glabre, massif, elle l'embrasse ; ils s'étreignent. Elle dit à son mari : "aujourd'hui, j'ai heurté quelque chose sur la route, je crois que j'ai tué quelqu'un".

La jeune réalisatrice argentine tisse subtilement la perte de repère de Veronica, déboussolée par l'incident routier. Une blessure superficielle à la tête, rien de plus qu'un cadavre de chien sur la route, mais Vero flotte maintenant sans reprendre pieds. Ne reconnaît plus vraiment les choses & les gens, son monde, sa grand tante alitée, son maris, son métier. Les choses s'avancent, les êtres se penchent, silhouettes inconnues dont les traits restent hors cadre, invisibles, indiscernables, une joue et une bouche se devinent à peine quand ils se penchent pour faire la bise à Vero et à son regard vague.

Des gens, des choses, des actions vaguement absurdes. Acheter d'immenses pots de fleurs. Contrôler l'adolescente au visage hépatique. Capter des expressions, des points de repères flous, le week-end des inondations, le corps retrouvé dans le canal, noyé bien sûr. Ou le petit employé du fleuriste qui manque depuis une semaine.
Se recoiffer.

Lucrecia Martel emploie un immense brio formel pour retranscrire cette perte de repères, jeu sur le premier et l'arrière-plan, sur le flou des visages, un flou instable, sur les cadres fixes et décentrés, regardant en coin ou droit devant eux indépendamment des silhouettes qui s'y meuvent. Brillante approche extrêmement déboussolante, sans trop de fil auquel le spectateur peut vraiment se raccrocher, sans aucun repère à l'écran pour lui non plus ; un nécessaire courage du spectateur, souvent à la limite de lâcher prise lui aussi : film brillant et exigeant certes, riche de détails infimes et ajustés, une expérience singulière assurément, mais est-il au point ? Un film à apprécier même s'il est parfois difficile de juger du dosage du système, trop snob ? trop opaque ? ou demandant un spectateur parfaitement concentré ?

Un film à effeuiller et scruter & écouter patiemment, retirer ce qui peut l'être, en un déchiffrage maladroit entre deux assoupissements lors des séances trop tardives ; loin des fils narratifs pré-mâchés, voilà le seul point de repère. 

3 mai 2009

Petit conte gothique pour quand je serai grande

When I grow up 
by Fever Ray (2009)

Jeune fille debout sur un plongeoir, les cheveux longs tombant dans les yeux.  C'est une piscine de jardin, une maison sans étage certainement mais une grande piscine creusée dans le sol ; un peu sale, des feuilles éparpillées sur l'eau, et le ciel flotte gris, une lumière sombre tout autour. La jeune fille recule sur la plate-forme,  Converse blanches usées, tachées de bruns, lacets gris, elle recule vers l'eau en lui tournant le dos. Un défi enfantin, un jeu de peur, un t'es pas cap silencieux.

D'ailleurs, l'instant n'est pas anodin. Elle songe, tête rentrée dans les épaules et cheveux balayant le visage, elle songe à son avenir : quand je serai grande. Peut-on mieux lancer une chanson ? Une chanson de rêves enfantins, d'imagerie gothique pré-adolescente : quand je serai grande, je vais être garde forestier, courir dans la mousse sur des talons hauts, jeter le boomerang et attendre qu'il revienne.

Karin Dreijer Anderson de Fever Ray tisse un nouveau petit conte, les paroles d'une jeune adolescente songeant à l'avenir, mélange de naïveté et cruauté ; atmosphère renforcée par les vagues synthétiques de la musique, lente et longues mais presque ridicules par certaines sonorités électroniques basiques. On retrouve l'alliance du duo The Knife dont Karin Anderson est la chanteuse, les ambiances étranges et inquiétantes, l'écriture limpide et remplies d'images inquiétantes : ici, de simples strophes de 4 ou 5 vers, comme une comptine, à peine en décalage, grimaçant tout légèrement.

La vidéo transpose cet approche simple à la bizarrerie esquissée. Jeune fille simple, à peine pâle, sur une simple piscine d'une banlieue quelconque. Juste quelques rubans et fourrures surprenantes, des mouvements de danse un peu imprévu, et voici une scène dont l'atmosphère grandit, une diablerie, un appel innocent au sabbat, comme une adolescente au regard entouré d'un noir gothique au lycée du quartier. Que peut-elle vraiment se raconter, debout sur son plongeoir ?

1 mai 2009

Tissage de miniatures exquises, tant d'humanité et de fantaisie en pâte à modeler

Le sens de la vie pour $9.99
par Tatia Rosenthal, nouvelles écrites par Etgar Keret (2009)

- Auriez-vous du feu ?
Merci.
Et au fait, auriez-vous une cigarette ?
Merci, vraiment merci.
C'est délicieux, un café et une cigarette, le matin. J'aimais beaucoup cela, avec ma femme. Vous n'auriez pas un dollar pour un café, justement ?
- Euh, je dois avoir ça. Je regarde. Mais vous portez un pistolet, c'est bien cela que vous avez à la main ?
- Oh, oui, mais il n'est pas à moi, je l'ai trouvé dans un carton.
- C'est tout de même très menaçant. Je vous donne tout mon argent. Mais épargnez-moi, je suis père de deux enfants.
- Non, non, ne vous inquiétez pas, je veux juste un dollar pour un café. Le pistolet, je l'ai pris comme ça, et ça m'a donné l'idée d'une expérience. Demander une cigarette et un café à la première personne dans la rue, et puis, si cette personne refuse, à quoi bon continuer ? (il place le pistolet sur sa tempe)
- Ne faites pas ça, je vais vous donner un dollar !
Mais d'un autre côté, c'est du chantage, cela me met mal à l'aise. Vous n'allez pas vous suicidez pour un dollar, vous tirez parti de ma crédulité. Je vous l'aurais bien donné, le dollar, mais là, je me sens vraiment manipulé, non, je ne vous donnerai rien. J'espère que vous comprenez ?
- Bien sûr, je comprends. Merci beaucoup.
L'homme se retourne, rassuré. Le clochard au pistolet appuie sur la détente.

Scène d'ouverture fascinante pour ce magnifique "Sens de la vie pour $9.99", qui donne le ton du film : situations quotidiennes toutes simples, sens du détails, humanité des personnages mais aussi leur bizarrerie douce, et humour noir mordant. Toute une batterie de personnages exquis se partagent une demi douzaine d'appartements dans un immeuble banal, père bedonnant, retraité solitaire, top-modèle sexy, adolescent attardé fumant de l'herbe, gamin de dix ans au père sévère. Les petites histoires s'entremêlent avec légèreté, sans laisser apparaître d'immenses coïncidences ou des recoupements artificiels, risque que court les films chorals aux multiples personnages. On sourit et on est dérouté par les chutes et les trouvailles, l'épilation de l'amant jusqu'aux cils ou la nage du dauphin, que d'idées.

Et la grande force du film tient à son utilisation de l'animation, présenter tout ce monde adorable et sombre à l'aide de personnages en pâte à modeler, silhouettes tremblantes, terriblement fragiles et humaines. Une prouesse impressionnante que cette collision, une technique d'animation plutôt réservée aux univers enfantins & films inoffensifs, appliquée à un univers étrange et bancal, à la fois quotidien et fantaisiste. Le film n'est absolument pas un film pour enfant, n'en déplaise au jeune père assis devant moi, accompagné de son fils de 9 ans ; mais je pense qu'il a rapidement compris la situation de lui-même : il cachait les yeux de son fils pour les quelques scènes dénudées du dernier tiers de film. Une pâte à modeler alors rose, sucrée comme un sucre d'orge, organique et vibrante, frémissante, sensuelle et moite, haletante, maladroite et souriant ravie comme après une jolie nuit d'amour et de jeu.

Il en devient presque difficile d'imaginer ces entrecroisements d'histoires présentés autrement, à l'aide d'acteurs en décors réels ; cette animation aux finitions pas totalement léchées, comme des coutures apparentes dans les petits copeaux apparents sur les visages des personnages : le vecteur idéal pour ce mélange des genres. Voici donc le "Short Cut" modeste et fantaisiste, le film choral qui tricote doucement les destins dérisoires avec les dérèglements amusants et fous. Etgar Keret est auteur de nouvelles, cela se sent, et l'envie monte de parcourir plus avant ses écrits et son univers, déjà entrevu avec le joli film "Les méduses" ; certains citent Buzzati, j'ai songé à un Raymond Carver fantaisiste, un Philip K. Dick moins paranoïaque, un Murakami occidental. Toute une ribambelle de champions de la nouvelle et de la miniature, en somme un délice.