24 mai 2009

Partir des films des années 80 pour rendre hommage à la force du divertissement

Be kind rewind 
by Michel Gondry, with Jack Black, Moss Def, Mia Farrow & Danny Glover (2008) 

Un petit magasin louant des VHS dans le New Jersey, survivant mollement au temps du DVD et du téléchargement de DivX ; et voici que toutes les bandes se trouvent effacées suite à un léger accident magnétique. Seule solution pour répondre aux attentes des clients : leur fournir de versions faites à la main, tournées avec les moyens du bord camescope à l'épaule. Rien de plus facile, finalement, pour des films comme Robocop ou Ghostbuster, dont on connaît si bien les scènes clés ?

L'argument du film semble mince mais qu'importe, voilà un véhicule idéal pour les différentes forces en présence : Jack Black cabotinant sans retenu, Mos Def à l'humour cool et fluide, Danny Glover en patriarche du coin de la rue, et surtout Michel Gondry et ses bricolages poétiques. Le plaisir est profond de découvrir la troupe de pieds nickelés bidouillant leur Ghostbuster du dimanche à coup de sacs plastiques verts, papier aluminium ou guirlandes suspendues à des cannes à pêche. Michel Gondry n'est jamais aussi l'aise que manipulant les matières de l'école maternelle, et l'on est assiste fasciné au défilement de trouvailles magnifiques, tenues de camouflages, station spatiale, voiture roulant sur le toit ou notes de musiques surgissant d'un piano de ces films en version suédée.

Le bricolage et la vidéo individuelle, voilà bien un thème dans l'ère du temps, à l'époque des sites de partage vidéo sur Internet. Le film semble tracer une fable associé à ce thème, où chacun devient capable de diffuser ses propres images sans aucun vrai contrôle. Le petit groupe du coin de la rue peut se voir l'objet d'un culte imprévisible, à l'ampleur étrange et passionnelle, le goût soudain d'une foule pour un bricolage et quelques idées balancées sur des images à la qualité incertaine. C'est ce qui arrive dans le film : le commerce moribond retrouve une nouvelle jeunesse grâce aux vidéos suédées, et un peu d'organisation suffit pour en faire une affaire florissante dans le quartier. Voici le loueur de vidéo touché par un succès surprenant rappelant les élans presque incompréhensibles de la net-économie des années 2000. Succès bien vite contre-balancé par le contrôle des grands studio, venant remettre de l'ordre dans ce business bafouant les droits d'auteurs ; la société de youtube autorise chacun à s'exprimer, mais donne aussi libre cours aux instincts des pirates.

Ce passage anti-pirate n'est pas extrêmement intéressant, comme introduit un peu maladroitement, comme si Michel Gondry n'était pas trop à l'aise pour nouer un milieu intéressant : louer la création libre sans trop prendre partie contre les majors du cinéma, finançant le film. Ces quelques scènes mettant en jeu les brigades anti-piratage sont de loin les moins inventives, rien qu'un rouleau compresseur passant sur quelques vieilles VHS plastifiées, images étranges à l'air de la dématérialisation des supports musicaux et vidéos.

Mais ce dépouillement laisse entrevoir la subtilité du film, que l'on perçoit peu à peu dans sa seconde moitié. Des majors du divertissement écrasant des VHS aidées par un cordon policier, voilà un immense symbole du retard pris ces compagnies, se retrouvant avec un train de retard par rapport avec véritables fauteurs de troubles, aux pirates d'envergure, aux créateurs de sites peer-to-peer ; la main de la justice ne peut rattraper le retard sur les voyous du net ou les réseaux pirates chinois, elle frappe seulement les petites gens tout près d'elle, le dernier maillon du piratage généralisé, presque innocent. De simples amateurs de divertissement, sans véritable envie de suivre les dernières tendances technologiques et incapables d'immenses dépenses pour acheter les derniers appareils.

Les grandes compagnies sont dépassées par le changement des habitudes de consommation culturelle, et surtout, elles n'arrivent plus à capter les attentes des gens au niveau du contenu même des films. Les films suédés dans Be kind rewind sont tous de grosses franchises des années 80, époque dorée pour le marché des cassettes vidéos ; pas de surprise donc de retrouver ces grosses affiches, et la sélection correspond certainement en partie au petit panthéon personnel du jeune Gondry dans les années 80... Mais par delà ces contraintes de scénario, c'est regret du public qui pointe, public comme insatisfait des productions récentes : des blockbusters énormes, aux effets spéciaux numériques coûteux et campagnes de pub bulldozer, aux revenus immenses, mais incapables de vraiment marquer le public. Dans vingt ans, qui sera capable de retrouver une scène clé des Pirates de Caraïbes ou de Transformer, alors que les souvenirs restent frais pour Ghostbuster ou Back to the Future ? Les blockbusters des années 2000 jouent la carte du toujours plus, toujours plus vite & impressionnant, en 3D ou en Imax, mais sont-ils encore vraiment innovants, sont-ils marquants ?

Cette impression frappe le spectateur lors d'une scène très simple, quelques échanges de paroles dans un café après le tournage suédé du Roi Lion ; chacun, dans l'établissement, a un mot ou une phrase pour évoquer sa relation au film de Disney, un souvenir fort, un écho. Certaines des ces évocations du film sont remplies d'erreurs, de scènes mal imprimées dans la mémoire, mais elles révèlent la force du film dans les imaginaires. Il n'est pas aisé de trouver des films aussi fédérateurs dans un passé récent, de grands films populaires... 

Le constat semble juste mais le spectateur peut craindre la logique du "c'était mieux avant", une nostalgie stérile et peu productive. Michel Gondry évite le piège tout en jouant de cette attention portée à un passé apparemment plus rose : le quartier s'unit pour tourner un film suédé inédit, un documentaire imaginaire sur une gloire jazz du quartier. Les énergies sont maintenant fédérées vers un but positif et une création originale, neuve, et les dernières minutes du film s'écoulent magnifiques. Le cinéma des années 80 est mort, les grosses compagnies actuelles sont moribondes, and so what ? Il reste toujours un peu de carton et beaucoup d'idées pour raconter de jolies histoires. 

La parfaite maîtrise de Michel Gondry devient évidente dans ces derniers instants, son impressionnante capacité à jouer avec les registres et les tonalités. Pour distrayant qu'il soit, le début du film pouvait sembler maladroit, éparpillant des personnages caricaturaux pour le plaisir de mignons tours de force dans le bricolage ; la fin s'écoule fluide et rythmée, en mêlant des émotions fortes et subtiles, nostalgie contenue, joie du travail partagé, utopie urbaine, émotions tournant autour de l'amour du cinéma et de la fascination pour les images mobiles. A cette lumière, le début du film apparaît comme un hommage ouvert aux comédies fédératrices des années 80, aux trames convenues et personnages archétypaux, mais riches en petites trouvailles, terriblement efficaces ; et n'hésitant pas à traiter des sujets les plus loufoques et originaux, juste pour le plaisir faire s'asseoir les foules dans une même salle, pour partager un film et un divertissement en commun. Qu'elle en soit le médium futur, Gondry affirme sa foi dans la spectacle partagé, et lors du superbe travelling final, une envie terrible saisit de se lever avec la foule du film pour applaudir une belle histoire et un joli moment, juste applaudir.  


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