31 janvier 2010

Mon premier disque électronique

Autobahn 66
by Primal Scream (2002)

Primal Scream, un groupe un peu mystérieux pour les personnes comme moi, qui ne l'ont pas connu dans sa gloire innovante, dans les années 90. Bousculant le rock anglais en y introduisant de la house ou des sonorités industrielles. Reste uniquement la grande gueule de Bobby Gillespie qui surgit régulièrement dans les magazines rock anglais, dans les gros festivals, dans les faits divers ; sans qu'un jeune auditeur des années 2000 comprenne toujours bien pourquoi.

Pourtant, même avec mon expérience réduite concernant la gloire de Primal Scream, le groupe occupe une petite place dans mon évolution personnelle. L'anecdote m'est revenue à la fin de l'année, quand ont fleuri des listes concernant la musique de la décennie 2000. Apparaissait souvent le nom de XTRMNTR, album de Primal Scream datant de l'année 2000 ; que je ne connais pas... Mais j'avais acheté le suivant, Evil Heat, datant de 2002.

Une sorte d'épiphanie étrange, une écoute par hasard à la Fnac, et une fascination étrange pour cette musique surprenante. Surgissement de guitares, rythmiques électroniques, flots planants de synthétiseur : tout un territoire inconnu pour quelqu'un branché sur le rock classique de U2 ou d'AC/DC. Je ne l'ai pas acheté le jour même, même si je l'ai pas mal écouté dans le magasin. Mais le souvenir m'a travaillé, et je suis retourné à la Fnac une quinzaine de jours plus tard : j'avais acheté mon premier disque électronique.

Depuis, mes oreilles électroniques ont mûri, explorant la French Touch, osant un pied dans l'Electro minimal allemande, ressortant quelques tubes Big Beat, levant récemment le voile sur le dubstep anglais. Mais quelques morceaux d'Evil Heat me touchent toujours, sans lassitude, même 8 ans après ; cette musique a beaucoup moins vieilli que la vidéo qui l'illustre.

30 janvier 2010

Vaste croquis d'époque(s), entraînant et prometteur

La meilleure part des hommes
par Tristan Garcia (2008)

"Oh, c'est un roman français, un bouquin récent, qui parle des années 80-90. Ca commence à la fin des années 70, dans les petits parties d'extrême gauche, trotskistes, communistes. Et puis ça évolue vers le milieu associatif des années 80, autour de figures homosexuelles, à l'origine des premières associations de lutte contre le SIDA. Les deux personnages principaux sont homosexuels, un très cultivé, l'autre petite frappe débarquant de province. En parallèle, le livre s'intéresse à un personnage d'intellectuel ; un philosophe communiste, comme il y en avait en France dans les années 70, qui évolue doucement, glisse peu à peu vers le partie conservateur, la défense dure des droits d'Israël ; car il est juif. C'est plaisant à lire, rythmé : des courtes scènes, beaucoup de dialogues, de témoignages. Fun, en particulier pour tous les clins d'oeil et les références au milieu intellectuel parisien de ces années-là."

Oui, c'est livre est riche, on ne peut pas dire. Quand j'ai livré ce commentaire, je n'en avais même pas lu les deux tiers, j'étais autour de la page 200. Il m'a fallu en dire un peu plus que le personnage résumé ci-dessus, et je me suis parfois perdu dans quelques digressions, pour planter le contexte, donner quelques références. Tu sais, cela tourne un peu aussi autour de Libération, le grand journal français de gauche ; il a été créé par Sartre dans les années 60-70, tu dois connaître Sartre. Mais je ne suis pas certain qu'il connaissait plus que le nom, qu'il savait que Jean-Paul était communiste.

Voilà l'une des forces et des ambitions du livre : capter quelques trajectoires politiques typiques, partant des militants des années 70 jusqu'à une sorte de centriste bien installé dans les 2000, en passant par les manifs des années 80, les assoc' gays, les intellos pour la télévision, le Téléthon, un peu de Baladur ; l'autofiction aussi. Pas de doute, le livre regorge de clins d'oeil, et cette appétit à présenter une évolution sur le long terme est louable, agréable, donne envie de poursuivre la lecture encore et encore.

Le désir de lire se nourrit également du rythme général, ces courts chapitres d'une demi-douzaine de pages, majoritairement des témoignages, des courtes scènes comme des précipités. Les petites trouvailles ne manquent pas, l'humour, la satire, et l'on galope sur cette courbe temporelle, porté par le plaisir évident de l'auteur à jouer avec tous ces détails d'époque.

Tout cela n'est pas totalement équilibré, l'envie prend souvent de voir quelques périodes plus développées, d'avoir plus de personnages à se mettre sous la dent que les trois figures pivots et la narratrice. Tristan Garcia maîtrise brillamment son rythme et le montage d'ensemble, mais peu à peu, le lecteur se fait presque exigeant : l'impression prend souvent que l'auteur aurait pu pousser plus encore son talent, ne se contente pas de son humour, de sa culture de l'époque, qu'il montre un peu plus que le petit périmètre des trois silhouettes, qu'il brise un peu son système "plongée en microcosme(s)".

Tristan Garcia n'est pas stupide. Il ouvre parfois la fenêtre, laisse entrer l'air frais en tissant quelques scènes plus posées ; installations où les paragraphes s'allongent un, les descriptions surgissent, les personnages laissent entendre leur élan plus calmement. Jolis effets de contre-points, bien entendu ; mais ces scènes douces ou mélancoliques marquent profondément, jolis moments de littérature : quelques pages pouvant se suffire presque à elles seules, comme de petites nouvelles, révélatrices d'une belle maîtrise.

Il sera intéressant de suivre l'auteur, le laisser mûrir son élan et ses appétits. Le très bon livre devrait alors laisser place à la grande oeuvre. Mine de rien, "La meilleure part des hommes" est le premier livre publié par Tristan Garcia à 27 ans.

23 janvier 2010

Une jolie miniature touchante

VCR
by The XX (2009)

Vêtus de noir. La voix distante, des voix entremêlées ; timbre éraillé féminin, susurrement pâle, mâle sensible. Les dialogues se nouent doucement, intimes, simples ; touchants. Ne pas dire minimaliste, la facilité du terme, ses sous-entendus de miniatures donc de dérisoire ; mais choisir plutôt infinitésimal, comme dit Jean-Philippe Toussaint, l'infini comme infiniment petit & infiniment grand, entremêlés.

The XX, scénettes sensibles de quatre à peine adultes, quelques accords & quelques beats en petites fables. Fables murmurées entre amis les soirs de moral trébuchant, car les peines se partagent, dans des chambres éclairées d'une veilleuse ou sur un banc un peu sale. De petits griffonnages éparpillés autour du monde, grimpant, grimpant, et touchant tant de jeunes, les miniatures intimes chantées par toute une salle conquise, à Montréal ou ailleurs, assurément.

Les miniatures sont bizarrement devenues maîtresses du monde et hymne des joues blêmes, des cours de récré, des iPod. Parcours étrange, des notes sur l'agenda de sa meilleure amie sont devenues les slogans murmurés sans fin par les affiches et les couvertures mondialisées. Mais filmée en caméra tremblante, N&B ou couleur coulante, la miniature à mi-voix reste magnifiquement mignonne.


22 janvier 2010

La douce profondeur d'une belle adaptation de roman

A single man
by Tom Ford, with Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult (2009)

George ne parvient pas à effacer Jim de sa mémoire, sa mort tragique sur une route verglacée, et sa vie de professeur de littérature ne parvient pas à lui offrir aucun espoir. Une magnifique maison, une vieille copine-maîtresse et quelques mignons étudiants, mais que faire ?

Mais arrêtons vite le pitch qui risque de faire fuir les spectateurs allergiques aux films pour Oscars. Professeur homosexuel déprimé offrant une performance d'acteur magnifique, banlieue américaine des années 60 et l'esthétisme au diapason, une adaptation sérieuse de roman, tellement de cases cochées, un élève sérieux pour la saison des prix. N'avons-nous pas déjà eu droit à Revolutionnary Road l'an passé ? Et le réalisateur est un ancien designer de Gucci en plus ? Quelle histoire.

Et pourtant il arrive parfois qu'Hollywood sache tirer partie au mieux d'un joli texte littéraire. "A single man", roman de Christopher Isherwood publié en 1964, offre ainsi une jolie structure, des personnages incarnés, le rythme et la cohérence de ses 186 pages, la profondeur fait plaisir à voir. C'est un certain classicisme narratif qui défile à l'écran, l'unité de temps d'une journée émaillée de flash-back, et l'on retrouve le plaisir des adaptations classiques des années 50 comme "The long week-end". Un sens de la scène et des caractères familier mais plutôt profond.

Ce joli goût de littérature est parfaitement incarnés par les acteurs, et bien entendu Colin Firth, présent sur presque chaque scène. Il est l'homme célibataire et joue parfaitement des oscillations d'humeurs du personnage, troublé, aimant, fragile, souriant, un peu perdu, charismatique aussi. Les critiques parlent certainement du rôle de sa carrière, il a reçu le premier prix du festival de Venise et devrait être nommé aux Oscars, aucun doute ; par delà la liste de superlatifs, la performance est délicieusement offerte, souvent exquise.

Mais le film serait certainement convenu sans la réalisation léchée de Tom Ford, à l'esthétisme très travaillé, très régulièrement fascinant. Le designer joue avec les cadres, les ralentis, les moments silencieux, les filtres de caméra - gris dans la déprime du présent et tremblants comme au Kodacrhome dans les flashbacks ; et il peut être taxé à raison d'un certain maniérisme, d'une obsession du paraître qui peut en agacer. Pourtant, l'originalité des trouvailles visuelles se fait rapidement plus séduisante qu'agaçante, le film happe et plonge dans les états d'âme de George. La profondeur du personnage et son flot de conscience, son monde, et le réalisateur parvient à mon avis à éviter à garder le décorum des années 60 au rang de décor, sans en faire le sujet premier du film : oui, on aperçoit l'affiche de Psycho ou la coupe James Dean d'un jeune, mais simplement comme accessoires associés aux déambulations de Georges, sans sulignage.

Le plus impressionnant peut-être est la capacité de Tom Ford a doubler ses exigences esthétiques d'un humour doux et subtil. Avec en point d'orgue un modèle de mise en scène, une séquence de suicide absurde et amusante : où vous tireriez-vous une balle dans la tête, hein, dans la baignoire glissante, sur le lit, plongé dans un sac de couchage ? Les hésitations désabusées de Georges, pistolet en main, sont drôles, touchantes, pleines de fragilité et de va-et-vient, follement humaines, comme le portrait d'ensemble de ce célibataire.


20 janvier 2010

Comme l'indie superficiel peut être cul-cul et agaçant

Mary and Max
by Adiam Elliot, with Toni Colette and Philip Seymour Hoffman (2009)

Que de désordre sur les pelouses oranges et brûlées des banlieues australiennes. Les petits bungalow n'apparaissent qu'entre de désolants nains de jardin, tuyaux d'arrosage secs ou fil à linge où sèche un unique slip kangourou. Banlieue morne et désolante pour une fillette de 8 ans, 3 mois et 9 jours ; mais qu'attendre d'un monde où New York n'est qu'une ville brinquebalante en noir et blanc, aussi grise que les cernes profondes sous tous les regards ?

Le décor n'est pas rose dans cette bipolarité américano-australienne, aucun rêve possible : fini l'aventure glamour new-yorkaise, pas de porte de sortie dans les grands espaces de l'île continent, rien qu'une petite urbanité étriquée. Et quelle prison quand les proches ne tissent qu'un décor désolant, d'une mère alcoolique à un père collant les étiquettes des paquets de thé, ou pire, quand ce décor hurle sous les coups de la maladie mentale et des crises d'angoisses. Misère, misère, comment faire pour le solitaire rejeté de tous, ne souriant que devant un dessin animé, une barre de chocolat à la bouche ?

Mais oui, la réponse est dans la question : cesser d'être solitaire et trouver un ami ! Les petits timides et complexés ne peuvent traverser la rue, donner une claque dans le dos d'un pote dans la cour de récré, puisqu'ils sont timides et complexés ; mais ils peuvent se trouver un correspondant avec qui partager leur petit monde par courrier. Le correspondant du bout du monde, quoi de plus mignon, de plus sûr et de plus précieux, le dialogue de deux solitudes biscornues séparés par les milliers de kilomètres. Mary, la fillette australienne, écrit donc à Max, l'idiot obèse newyorkais, et leur échange les aide, les nourrit, les construit, les trouble ; leur donne un peu de substance.

Mais hélas, cette sucrerie d'humour noire manque cruellement de substance. Une joli cadeau, une bouffée d'animation déviante, voilà ce qu'on tente de nous vendre, des personnages biscornues, cernés et grisâtre, des gags tellement non-PC, tout un décor contemporain et désabusant, et au milieu, une belle histoire, mignonne, avec ses petits chaos et ses surprises. Oui, les bonnes idées ne manquent pas, les petites trouvailles, on sourit aux blagounettes, le plus souvent.

Cependant, je n'ai même pas souri à toutes ses potacheries, rapidement désolé par leur gratuité superficielle. Tout ce goût du détail et d'une mélancolie soit disant cynique flotte en effet par dessus une histoire désespérément vide et cul-cul : la petite fille tombe par hasard sur l'attardé mental et ils deviennent une raison de vivre l'un pour l'autre, à l'ancienne, par courrier, mais encore ? Le postulat initial avance-t-il ?

J'en doute sérieusement.

Ce Mary et Max n'est qu'une assiette supplémentaire de soupe tiède, cachée derrière ses décors de comics indés, ses quelques prouts, et son petit attirail de réparties pseudo-acides. L'ensemble du film est à peu près aussi sentimental et inconséquent que les premières minutes d'Amélie Poulain, vous vous souvenez, l'énumération du j'aime - j'aime pas aux couleurs sépia ; mais le lourd Mary and Max n'en a même pas le rythme, et n'assume qu'à moitié sa tonalité de conte pour adulte, même avec son agaçante voix off et la distance qu'elle crée. Un conte de quelques pages, pas plus, sans contenu ni vraie sous-texte, la version longue d'un projet de fin d'étude dans une petite école de cinéma.

La patine grisâtre et indie n'est qu'un enrobage, et certains spectateurs apprécient ; les deux plus gros rieurs de ma séance étaient assis dans ma rangée. Mais point d'indépendance ici, rien qu'un formatage dans la case indie. Pitchfork annonçait la victoire du rock indie, omniprésent, inondant les films, les radios et même les salles de basket ; d'ailleurs, en Angleterre, on ne parle plus de rock, mais d'indie music, tout simplement. Juste un attribut, aucunement un gage de qualité ni d'authenticité, de sensibilité.

Pitchfork terminait sa tribune, excité, impatient les nouvelles voies qu'allaient pouvoir prendre l'indépendance, ses nouvelles définitions, les nouvelles tribus qui sauraient proposer une nouvelle. Mary and Max n'est certainement pas de ces nouveaux pionniers et ses mines sourire en coin m'ont profondément agacé.


16 janvier 2010

Une nouvelle fois agacé par Jason Reitman

Up in the air
by Jason Reitman, with Georges Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick (2009)

Sauter d'avion en avion constitue le quotidien de l'homme d'affaire moderne, l'employé modèle do monde global, et Ryan Bingham se veut un exemple parfait. 300.000 miles en avion l'an passé, plus que la distance Terre - Lune, et 320 nuits passées dans des hôtels loin de chez lui. Mode de vie idéal pour ce prosélyte d'une vie sans attache, une vie de voyageur léger sans vraie possession ni relations véritables pour surcharger son sac à dos. Les tempes grisonnantes de Ryan ne ternissent pas son sourire et sa gouaille, voilà exactement comment il souhaite vivre, là haut, tout là haut, redescendant juste au sol pour manier l'une de ses innombrables cartes de grand voyageur.

Ryan, c'est Georges Clooney, et qui d'autre aurait pu aussi bien se glisser dans la peau de ce personnage ? Georges déroule parfaitement son rôle de séducteur, cool, doucement cynique, parfois un peu maussade aussi, et devrait logiquement se voir nommer aux Oscars ; parfait professionnel s'amusant sans retenue dans ce rôle fait pour lui.

"Up in the air" nous offre un Clooney réjouissant mais surtout une fable à la thématique bien moderne. Ryan vole ainsi aux quatre coins des Etats-Unis pour aller annoncer leur licenciement à des employés, agent chargé de sous-traiter la mauvaise nouvelle en échange de mots bien choisis et d'une brochure de réinsertion. Jolie idée fort contemporaine, prometteuse, et qui semble riche de possibilités quand le bel équilibre de Ryan se voit bousculer par plus contemporain que lui : une jeune cadre aux dents longues suggèrent d'annoncer les licenciements par webcam pour économiser les coûts. La sous-traitance des ressources humaines déshumanisée se voit rattrapée par la nouvelle économie numérique, le face-à-face semble prometteur, d'autant que les comédiennes offrent un joli répondant à Clooney.

Mais hélas, si Jason Reitman sait parfaitement choisir ses sujets, fortement dans l'air du temps, il ne me semble pas vraiment à la hauteur pour les exploiter à fond."Thank you for smoking" m'avait laissé un goût de cynisme soft sentant bon la pause superficielle, "Juno" m'avait paru bien surcoté une fois assimilées les quelques ficelles de son scénario, et ce "Up in the air" ne m'a pas semblé beaucoup décoller non plus. Le film débute sur un bon rythme, scènes un peu faciles dans les aérogares et images de nuages, plans aériens des villes visitées, mais le film se fait peu à peu plus frustrant au fil des minutes. Tant d'idées qu'il aurait été bon d'insérer, tant de scènes peut-être pas tellement bien filmées, tant de superficiel !

Les visages licenciés défilent en vitesse, lâchant à peine une phrase ou deux, et l'effet fait sourire au début, mais n'évolue pas : un autre cadrage, un peu plus de temps pour laisser l'humanité s'installer ? Non. La répétition pour surligner la déshumanisation, j'imagine, mais elle confine surtout au monodimensionnel ici, rien que l'envie d'exploiter une idée pas trop mal.

Même répétition creuse dans les vues aériennes des villes visitées : pourquoi aucune vue sur le terrain, aucune prise des quartiers en restructuration dans l'Amérique profonde ? Envie d'insister sur les voyages sans prise sur le réel du Clooney voyageur, peut-être. Mais question de budget, I presume, pour pouvoir filmer presque tout en studio, mais quelques vues en voitures, sur le terrain, auraient-elles coûté beaucoup plus ? Elles auraient pu ouvrir un contre-champ pas inintéressant.

Je pourrais également m'attarder sur la sous-exploitation de l'outil Internet dans un film cherchant à évoquer l'économie moderne. Mais le plus déplorable est certainement ailleurs, plus que dans les détails qu'il aurait été possible d'inclure pour donner du corps au film, le plonger au plus près du réel. Ce n'est somme toute qu'une comédie hollywoodienne, que diable, alors n'insistons pas plus la sous-exploitation du réel et du social. Mais hélas, la comédie se met elle-même à frustrer le spectateur par son absence de folie et son dérapage vers une morale conventionnelle et conservatrice.

A mi-film, Ryan accepte finalement de se rendre au mariage de sa soeur, dans le fin fond des Etats-Unis. Respiration salvatrice pour le récit, quittant enfin les décors répétitifs d'aéroports, changement de rythme agréable pour quelques passages tendres en couples ; ouf. Mais la respiration se fait peu à peu coeur du film, son idéal de moins en moins secret, la voie à choisir, la morale : oui, Ryan a tout faux en refusant les attaches et les liens sociaux, la voilà la vie véritable, la vie de couple, la construction d'une famille sans laquelle on n'évolue qu'en vase creux. Peut-on faire plus binaire et aussi peu subtile ? Le film ne joue plus alors d'aucune ambiguïté, laissant plonger Clooney dans ses regrets, vainqueur désabusé de ses rêves de voyageurs à 10 millions de miles, solitaires sans espoir dans son monde d'aéroport.

Jason Reitman ne ménage aucune troisième voie et il n'y a là rien de trop surprenant dans ce joli faiseur sans vraie profondeur. Il tisse des comédie agréables, faussement subversives mais très, très gentillettes, constituant une sorte de cinéma du milieu à l'américaine. Un peu moins formatées que les grosses comédies romantiques superficielles d'Hollywood ; quoique, le succès aidant, quelques gros noms devraient s'ajouter à ses prochains casting... Mais définitivement trop conventionnelles, superficielles et sans aspérités pour rejoindre le plus intéressant cinéma indé US. Verre à moitié plein ou moitié vide, tout dépend des points de vue pour ce film plutôt sympathique au final, pas trop stupide, aux comédiens agréables. Mais le fort soutien critique finit toujours par perturber mes séances de Reitman, générant chez moi un profond agacement en songeant à toutes les portes stylistiques, scénaristiques ou idéologiques que Jason ne sait pas ouvrir.


15 janvier 2010

La Superbe, toujours magnifique, même dans un hangar

La Superbe
par Benjamin Biolay (2009)

La patine des vieilles industries résonne sombre dans mes oreilles, architecture toujours capable de m'hypnotiser. La friche industrielle, l'écho des vieilles révolutions et d'efforts anciens, un passé s'efface et laisse encore une trace dans quelques rues lointaines, anciens faubourgs souvent accolés aux centres villes par l'extension urbaine. Une sorte de grandeur & démesure résonne, oui, résonne, attirait mes photos lors de mes promenades de la Ruhr et capte encore mon attention, une poésie désuète et encore forte.

Tuyaux et immenses hangars et échafaudages immenses des industries sidérurgiques, fumant et brillant encore dans la nuit, dans le creux de Duisburg, du port de Dunkerque ou dans l'Est de Montréal. Les mêmes images sur le papier contant les enquêtes de William T. Vollmann au Kazakhstant : gigantisme démodée, inévitable, toujours vivant même démodé, oeuvrant toujours derrière l'économie numérique ou les finances.

La rouille zèbre les poutres d'une usine et voici un décor poétique où me perdre, un amas de teintes mortes, sales et surprenantes, loin de toute nature, source de rapprochements. Quel joli collage que de découvrir des prises d'escalade dans les anciennes réserves à charbon : la réhabilitation industrielle en immense mise en scène surréaliste portée sur un ton désinvolte, l'air de rien, un vieil ouvrier blasé.

Un tel décor doit même pouvoir accueillir d'autres oeuvres et d'autres émotions, carrière de métal se faisant scène, comme une carrière de pierre accueille le théâtre et les jolis textes en Avignon. La poésie, la danse et la musique dans les anciennes usines Clacquesin, dans une ancienne factory pour y étendre son pouvoir de fascination, une fois mêlée à une autre source de fascination.

Et voici donc un superbe Benjamin Biolay introduisant sa magnifique chanson dans les murs d'un long hangar. Une vidéo en un unique plan séquence, caméra flottant selon les pas de Biolay et les pas de danse, les étreintes et les boucles visuelles, un fil qui ne se relâche jamais, qui reprend toujours son souffle chaque fois qu'on le croit suspendu et s'arrêtant. A la manière des strophes de "La Superbe", surgissant sans fin et renouvelant les images sur un ton délavé, les jolies surprises, des éclaboussures, des raies de lumières éblouissantes passant par une verrière déglinguée qui a beaucoup vécu.


7 janvier 2010

Precious, potentiellement riche mais bien frustrant

Precious
by Lee Daniels, with Gabourey Sidibe, Mariah Carey, Paula Patton (2009)

Precious campe en fond de classe, volumineuse, affalée, mais il ne faut pas croire, elle est plutôt bonne en maths ; ce serait plutôt la lecture, son problème. Ou un de ses problèmes, la voici déjà convoquée chez le proviseur, renvoyée chez elle : comment, une deuxième grossesse à 16 ans, cela ne peut plus continuer ainsi !

Alors Precious enfile son petit sac à dos et enroule sa démarche lourde sur les trottoirs de Harlem, sans se presser. Sa masse n'est pas seule cause de ses pas mesurés, car la vie n'est pas rose chez elle, avec une telle mère tyrannique. Alors Precious marche doucement, monologuant, rêvant un peu : pourquoi pas diva, les chanteuses d'opéra ne sont pas jugées sur leur physique, et de jolis jeunes hommes à caniche sont souvent tentés de les séduire. Le poids n'est pas toujours un défaut rédhibitoire.

Même si l'on peut sincèrement se poser la question en voyant la quantité de problèmes accumulés par la pauvre Precious. Un livre entier d'étude de cas pour assistante sociale : songez un instant à un problème que puisse rencontrer une adolescente noire, et, n'ayez crainte, Precious l'aura. Deux grossesses donc, causés par des viols incestueux ; son aînée vit chez sa grand-mère et elle ne la voit jamais ; sa mère la bat, comme si les viols paternels n'étaient pas suffisants, et elle la force à manger sans arrêt pour l'humilier ; Precious a été renvoyée de son école ; et me croirez-vous quand je vous dirai que le père violeur était séropositif ?

Une liste de misères à la terrible surcharge pondérale ; surtout en 1h30 de films : Les Misérables font 1000 pages, eux, au moins !

Bon, bien entendu, de tels destins brisés existent, alors acceptons, et retenons les soupirs quand tous les dix minutes un nouveau détail sordide vient faire ployer les épaules de Precious. Gardons un oeil attentif sur l'histoire édifiante, sur la rédemption, le petit peu de nouvelle chance offerte par une professeur patiente. Soyons patients, dégustons l'histoire émouvante et régalons-nous de cette belle humanité.

Hélas, l'actrice soutient joliment ce rôle complexe, fragile et complexé, mais la réalisation semble désagréablement dispersée et peu de scènes semblent vraiment prendre. Peut-être ai-je été un peu perdu par ces accents de Harlem, mais chaque petit effet m'a paru un peu raté. Les musiques sont agréables, mais pas toujours bien placées, ou surgissent un peu tôt, tuant quelques échos d'émotions, étouffant la traîne d'une scène plutôt réussi. Quelques soupçons de scènes oniriques, mais au final plus répétitives qu'autres choses ; quelques scènes de rues, mais sans la verve du Spike Lee des années ; pas mal de caméra tremblant, mais les zooms semblent maladroits, n'offrent pas d'espace aux comédiens, ne laissent pas se diffuser la vie et les sentiments. Quelques scènes violentes, un peu gênantes par leur gratuité plus que par leur contenu.

Bon sang, un film duquel je n'ai su tirer aucun fil directeur, aucun élan, pas de vraie tension !
Un film au personnage potentiellement intéressant, mais au final bien superficiel. A nouveau, un film qui ne parvient pas vraiment à apporte pas grand chose de plus que les quelques lignes de son pitch, un film bien frustrant du point de vue cinématographique.