9 août 2010

Leçon d'indie décontractée par Pavement à Osheaga

Pavement concert at Osheaga Festival, July 31st 2010

It's Labatt. No problem.

Stephen Malkmus s'essuie encore avec une deuxième serviette éponge, mais il continue de faire des blagues. Il vient de recevoir une bière sur la tête en plein milieu d'un morceau, comme en atteste le précieux document Youtube ci-dessous. Il a sursauté, grimacé sur le moment, mais continué à jouer. A la fin du morceau, un des musiciens a regretté que de la bière ait atterri sur autant de pédales d'effets ; puis après un temps, a ajouté : "et aussi sur le chanteur".

Voici Pavement en tournée de reformation après 10 ans d'arrêt, cool et tranquille, de bonne humeur. "We're Pavement again", répèteront-ils à plusieurs occasion durant le concert ; pour meubler, certainement, mais aussi parce qu'ils sont contents d'être là, et qu'ils aiment partager leur joie. Impression bien différente de celle laissée par les Pixies reformés au festival Rock en Seine en 2005 : enchaînant les tubes pieds au plancher, sans un mot, car sans aucune ambiance de groupe. "Alors, c'est ça, les Pixies ?" nous étions-nous dit avec un ami...

Mais Pavement est tellement plus décontracté & fun. L'épisode du jet de Labatt est vite oublié ("qui a fait cela ?" et une soixantaine de doigts se sont pointés vers le coupable à 5 m de la scène, sur la droite), et le bonheur Pavement s'est déversé ravi sur le peuple d'Osheaga. Les blagues n'ont pas manqué, bien sûr, comme ces allusions de Stephen Malkmus à la saison de football canadien et aux Alouettes de Montréal. Mais c'est surtout l'enchaînement de tubes qui saute aussitôt aux oreilles : quel répertoire ! Rien que de jolies chansons !

De jolies chansons livrées avec une décontraction impressionnante et communicative, tous contents d'être là et de partager ce joli moment de musique. Les titres pourraient certainement être plus enchaînés pour plus d'efficacité, ou quelques faux départs évités, comme lorsque Bob Nostanovich demande l'arrêt d'une intro parce qu'il trifouille encore sa batterie. Mais c'est là l'essence de Pavement, comme l'explique parfaitement une récente colonne de Pitchfork : des titres accrocheurs, mais surtout une magnifique attitude de désinvolture, d'humour, de légèreté, de déconnade. Des compositions magnifiques comme offerte par un vieux pote de lycée, comme ça, un peu dingue, qui peut enchaîner de jolies accords de guitare puis crier comme un punk de 1976.

Et l'héritage laissé par Pavement est impressionnant. Ils n'ont pas vendu beaucoup de disques pendant les années 90, mais tout autour de moi, la moitié du public reprend les paroles en coeur. Pas besoin de grands effets pour être une sorte d'icône, voilà la leçon de rock indie présentée par ces vétérans modestes et fun.

Jet de bière visible autour de la 15ème seconde...















8 août 2010

La finesse charmante d'une vie de famille lesbienne

The kids are all right 
by Lisa Cholodenko, with Julianne Moore, Annette Bening, Mark Ruffalo, Mia Wasikowska (2010)

L'été passait doucement et j'étais un peu surpris de ne pas avoir mon petit délice ciné issu de Sundance. Une de ces douces pépites américaines indépendantes, budgets pas très gros, au scénario charmant, laissant la place aux acteurs et à la société d'aujourd'hui. Une comédie intelligente, agréablement réalisé, un peu formaté dans son côté fauché, mais toujours frais. Où étaient les Squid and the Whale, Little Miss Sunshine, Me and you and everyone we know, (500) days of Summers, Brick de 2010, ces jolis chouchous qui ont égayé mon imaginaire ces dernières année ? Voire même un petit Juno ? Le festival ayant lieu en janvier, les films sortent souvent durant l'été, mais rien pour l'instant. Greenberg avait bien rempli son rôle de rappel indie plus tôt dans l'année, peut-être allait-il falloir attendre quelques lancements en septembre après le festival de Toronto ?

Mais voici donc "The kids are alright", qui affole le box office des sorties limitées depuis quelques semaines. Une histoire de famille, bien sûr, comme le titre l'indique, dans l'esprit Sundance des années passées, avec un casting prometteur. Et dès la scène d'ouverture, l'intérêt se trouve agrippé, une délicate finesse s'affiche à l'écran. Grande maison de banlieue américaine, deux adolescents chahutent, deux adolescentes discutent sentiments dans une chambre, deux femmes au salon discutent, complices, font une remarque au frère et à la soeur, attention éducatives. Ce sont les deux mères. Un couple avec deux enfants, comme partout aux Etats-Unis, mais un couple lesbien.

La simplicité et l'évidence de cette entrée en matière nous plonge aussitôt dans un quotidien rôdé par presque vingt ans de vie commune, où les jeunes rouspètent parce qu'ils ont des problèmes d'ados et trouvent leurs mères un peu oppressantes. Pas d'effets, aucune situation surlignée, et cette simplicité affiche la plus grande audace d'un film sortant sur les cendres encore chaudes de Bush et du néo-conservatisme : un film de famille, d'ado et de crise de la quarantaine, classique, mais lesbien.

L'effet est d'autant plus frappant à travers le choix des deux actrices principales, ayant déjà embrassé le rôle d'housewife dans certains films marquants. Julianne Moore, magnifique dans Far from Heaven ou Shortcuts, et plus encore Annette Bening, au rôle presque icônique dans American Beauty il y a plus de 10 ans. Les voici maintenant en couple, plus âgées, tellement complices & tendres, s'aimant, menant leur foyer, discutant des problèmes ou sortant un DVD X pour pimenter le lit conjugal. La vie de couple n'est pas simple, qu'on soit homo ou hétéro, et il y aura toujours un membre soudain surmené qui boira un peu trop de vin à un dîner et dira quelques bêtises.

Le film affiche donc une tendresse banal & normalisé, pour un couple apparemment hors de la norme, et la douceur de cette peinture s'écoule magnifique et réjouissante.

Bien sûr, il serait intéressant de positionner plus clairement l'idéologie central du film. Film très libéral par sa normalisation du couple lesbien, de l'insémination artificiel hors de la famille traditionnelle ? Film vaguement conservateur par sa présentation d'une famille fort classique, aux valeurs finalement peu révolutionnaires : un toit et une famille heureuse, heureuse ? La frontière est mince, l'éclairage grisé et les nuances variées, la réponse peu évidente ; peut-être, tout simplement, parce que tout le monde ne peut pas être un militant aux aspirations d'absolu, mais cherche aussi une vie agréable sans remettre en cause toute la société, mais en ayant aussi une jolie carrière hospitalière ; il faut des avants-gardes et des révolutionnaires, il faut aussi une masse intégrant doucement de nouveaux principes et les adaptant à sa sauce. On peut d'ailleurs imaginer que les luttes n'ont pas dû manquer pour ces deux femmes en vingt ans de vie commune, mais on ne les voit qu'après la guerre, dans une escarmouche du quotidien, dans leur vie normale.

C'est un peu le commentaire que m'avait fait une amie à la sortie de Brokeback Mountain : "bah, c'est nul : en fait, c'est juste une histoire d'amour ultra-classique, un gros mélo". Ce commentaire m'avait finalement semblé une belle victoire pour Ang Lee, finalement : rendre une histoire de cowboys homo aussi légère et touchante qu'une histoire d'amour hollywoodienne, un joli symbole de normalisation. Ici, la situation est encore plus banale, pas d'homosexualité rentrée dans un milieu caricaturalement macho comme celui des cowboys, juste deux femmes cherchant à vivre leur amour et leur vie de famille. Un degré supplémentaire dans une normalisation du couple homosexuel.

Mais si le film présente une ravissante normalisation, il ne fait pas totalement l'impasse sur la singularité de la situation. Qui dit enfant dit père biologique, ici par la voie d'un donneur de sperme. Donneur dont l'existence ne manque pas de titiller les deux adolescents, qui en retrouve la trace : que peut-il advenir quand le donneur est mis en contact avec la famille avec laquelle il est biologiquement lié ?

Voilà le moteur du film, moteur léger et progressif grâce à la finesse du scénario et de la conduite d'acteur. Mark Ruffalo offre un ancien donneur joyeusement immature, mais sans excès, en contre-point parfait du couple féminin mûr et doucement tourmenté par la vie de famille. Le film varie parfaitement les registres, les petits tubes indie rock, les jolies répliques, les beaux plans et les ado mignons et sensibles, comme Mia Wasikowska, si prometteuse quand on lui offre plus d'espace que les fonds verts 3D d'Alice. Toute une galerie de portraits magnifique ; mais une séquence hantera longuement la mémoire, le silence douloureux d'Annette Bening au cours d'un dîner, prise soudain de doutes, d'une terrible peine amoureuse. Ce silence progressif et intense résonne longtemps, longtemps, longtemps.

7 août 2010

L'énergie folle de Japandroids à Osheaga

Japandroids at Osheaga Festival

I don't wanna worry about dying
I just wanna worry about the sunshine girls

Japandroids ne se soucie pas de grand chose, juste de jouer fort et vite, une énorme décharge de rock rugueux et frais pour hurler le trop-plein de vie. Rien qu'en duo, une grosse batterie, une demi-douzaine d'amplis superposés, les chansons ne retiennent rien, précipités pop cachés sous les couches de saturation et les roulements rapides des percussions. Rien de fantastiquement original, de la pop noisy presque classique, mais courant, courant, courant !

Sans retenu ! Allons-y ! Enfilons les boules quiès et sautons, sautons !

Le duo de Vancouver ne retient rien, semble à peine respirer entre deux morceaux pour régler les pédales d'effet ; intense générosité, rock tout à fait immédiat. Tout jeune groupe bidouillant près de chez eux, qui s'était retrouvé catapulté dans les gros festivals l'été dernier, suite à quelques jolies articles sur des sites comme Pitchfork. Effectivement, leur concert affiche un impressionant esprit indie, jour à son rythme et selon ses goûts, une liberté, une fraîcheur.

A 20 mètre de là, une petite scène accueille des DJs, dont les beats perturbent parfois les concerts de le Scène Verte. Cette fois, les beats se sont volatilisé sous l'énergie des Japandroids.











July, 31st, 2010 - Osheaga Festival - Parc Jean Drapeau - Montréal, Québec




L'intermède si professionnel de Keane à Osheaga

Keane at Osheaga Festival

Keane, grand nom du rock commercial des années 2000, un goût pour les tubes, les grands hymnes romantiques repris par les stades. Pas étonnant de les retrouver dans un grand festival comme Osheaga, même leur côté britannique les met un peu à l'écart des autres groupes nord américains des grandes scènes. Mais n'y avait-il pas Jimmy Cliff un peu avant également ?

Je ne suis pas très loin de la scène, mais celle de gauche où jouera Pavement une fois les mélodies anglaises passées ; je ne veux pas raté les vieux héros slackers, je me suis approché en avance et j'aperçois un peu de Keane du coin de l'oeil, sur la droite. Trop loin pour prendre des photos, hormis sur les écrans, pour rire.

Et pour immortaliser un peu de ce chanteur, un leader portant haut le professionnalisme rock britannique. Polo aux manches bien remplies par les bras potelés, joues rondes, il marche et bouge sur scène, s'accroupit, tend le micro vers la foule sur certains refrains, sourit, semble ravi d'être là, chante à tue-tête ces paroles qui résonnent si souvent sur les radios ; un vrai professionnel du show, il sait offrir ce pour quoi les fans sont venus, ne compte pas son énergie ni son enthousiasme. Les chansons sont souvent un peu bêbêtes, mais les gros tubes restent impressionnants, le métier est là, même si une partie du public ne s'y intéresse qu'en intermède.




July, 31st, 2010 - Osheaga Festival - Parc Jean Drapeau, Montréal, Québec

La musique sans fin d'Osheaga dans le Parc Jean Drapeau

Osheaga Festival, l'immense festival rock qui se tient à Montréal le dernier week-end de juillet, une fois les francofolies, le festival de jazz ou Juste pour Rire arrivés à leur terme. Gros, gros rassemblement de noms ronflants du rock contemporain, assemblés dans le parc Jean Drapeau, sur une des îles du St Laurent. 5 scènes, concerts de 12h30 à 23h sans temps morts, une foule mobile et passionnée : encore un superbe événement musical sur Montréal !

D'autant plus que le beau temps était au rendez-vous. L'an passé, les orages avaient noyés certains enthousiasmes, mais le grand ciel bleu a attiré les foules, les jeunes déambulent entre les stands, les familles se rassemblent sur les pentes de la colline, loin des deux scènes principales, mais à portée de son. On grignote les tortillas distribuées gratuitement, on hèle une serveuses de shooters qui traverse le public, la chaleur pèse et le micro-nuage qui passe est salué d'un sourire temporairement rafraîchi ; un petit groupe s'est assemblé en rectangle sur le gravier, dans l'ombre portée d'un panneau : il fait chaud, chaud, même la Budweiser fraîche devient agréable à boire en quelques gorgées.

Alors l'après-midi festivalière se gère avec l'expérience de l'habitué du festival, la pause pour souffler un peu quand le concert s'annonce légèrement moins intéressant, on l'écoute vaguement en reposant les jambes étendues sur la pente. Une heure de repos, pas beaucoup plus, il ne faut pas tarder pour se rapprocher de la scène : bientôt le concert sur la scène de gauche s'arrêtera et la poussière du parterre s'élèvera sèche et diffusante sous les pas des festivaliers pendulaires, ondulant latéralement de vingt mètre toutes les heures, pour sauter d'un concert principal à un autre concert jumeau. Joie de la musique sans fin !









July, 31st, 2010 - Osheaga Festival - Parc Jean Drapeau, Montréal, Québec

24 juillet 2010

Javier Marias à la limite de la roue libre, mais à la richesse de témoignage d'époque

Un coeur si blanc
by Javier Marias (1992)

Juan revient tout juste de voyage de noce à Cuba, avec sa femme. Un certain malaise depuis quelques temps, depuis le jour de son mariage : "et maintenant ?". Quel avenir quand on est marié ? Et maintenant ?

Javier Marias tisse son histoire autour de cette recherche de sens, d'interrogations autour de la parole donnée, de l'existence de la réalité, des secrets qu'on dit ou ne dit pas. Comme à son habitude, il tisse un dense réseau d'échos, longues scènes riches en sensations qui reviennent et résonnent encore dans le récit ; dialogue adultère entendu dans un hôtel cubain, discussion entre chefs d'états piratée par les traducteurs, coup de folie d'un gardien de musée... L'originalité ne manque pas pour soutenir le rythme et l'intérêt du lecteur, même si le goût de Marias pour les répétitions et les variations semble parfois tourner un peu à vide. Brillant à la limite de la roue libre...

Le passage le plus fascinant n'a finalement pas directement de rapport avec le coeur du livre lui-même. Au milieu du livre s'ouvre une longue parenthèse centrée sur une amie newyorkaise du narrateur. Boîtant légèrement à la suite d'un accident, elle n'a pas eu de chance sentimentalement et cherche toujours l'âme soeur à près de 40 ans, quête s'effectuant par échange de VHS grâce à des agence de rencontre. VHS ! Le livre n'a même pas vingt ans et ce cadre semble vaguement préhistorique vu depuis l'ère du chat, de meetic, de la drague par Facebook. Javier Marias décrit avec détails la dynamique de cet échange, maintenant tellement désuet, et l'aspect document historique rend la mécanique du récit doucement fascinante...

Jolie valeur ajoutée involontaire dans ce livre divertissant et sans vraie faiblesse, mais qui doit s'oublier assez vite...

Knight & Day, un assez mauvais film, mais un vrai bon moment de fun

Knight and Day
by James Mangold, with Cameron Diaz & Tom Cruise (2010)

Une certaine forme de mystère. Un blockbuster aussi bancale, aussi peu suivi par le public ; à la couverture marketing aussi peu réussie, tellement mal placé dans l'année ; descendu par la totalité des critiques. Et pourtant fortement fun à voir.

Tout un mystère donc, mais autour de la conception de ce film, casse-tête pour les studios qui ont apparemment eu besoin de 9 scénaristes pour faire tenir debout cette histoire sans grande surprise. Une belle petite catastrophe industrielle étant donné le budget mis en jeu ou les cachets supposés des deux têtes d'affiches, voire même la renommée du réalisateur ayant créé Walk the Line. Un documentaire sur la genèse de ce film pourrait révéler bien plus de surprise que le film lui-même.

Car il faut bien l'avouer, l'intrigue de ce film est proche de zéro. Tom Cruise, agent secret en caval, implique par hasard Cameron Diaz dans son affaire, et les voici en cavale. Il y a bien une histoire de batterie ultra-puissante à garder à distance des méchants, mais qu'importe ? Le film est un long enchaînement de courses-poursuites, fusillades et tour du monde, aux effets spéciaux suspects et aux transitions scénaristiques brutales voire ratées. Ils courent, ils sautent de continent, ils tuent et tout explose, et voilà.

Mais le fun du film tient à cette forme d'honnêteté vis-à-vis du public. Je vais vous offrir du divertissement stupide. Honnêteté allant de paire avec une certaine forme d'humour, proche de celle d'un nanard conscient, qui ferait presque un clin d'oeil au public : hé, regardez comme c'est ridicule. Et qui intègre même ce gloubiboulga à son scénario, avec une petite trouvaille sympathique. Pour atténuer la peur de Diaz, Cruise la drogue régulièrement, pouvant se battre pendant qu'elle dort d'un sommeil profond. Le film assume alors totalement son côté collage, plongeant dans le noir quand les paupières de Diaz tombe au milieu d'une île tropical, tentant quelques coups d'oeils pendant une explosion en hélicoptère, puis rouvrant finalement les yeux dans un train en Autriche. Le globe-trotting à la James Bond est tourné en dérision, pour ne laisser qu'un fun pur nourri au zapping.

Plutôt malin, pas totalement inélégant. Qui choisit de présenter l'espion comme invincible, surhomme incontrôlable mais aux ressources dantesques, sources des scènes d'action les plus improbables et les moins crédibles. Tuant par là tout suspens véritable : Tom Cruise gagnera toujours, on le sait, il doit recevoir une égratignure syndicale, mais rien de plus. Eliminer la tension dramatique pour offrir les scènes les plus folles possibles : part-pris de surenchère un peu étrange et allant contre toute école de scénario, mais vaguement cohérent avec un appétit de fun des amateurs de pop corn movie.

Il s'agit en fait d'une tentative étrange de mélange filmique : offrir beaucoup de fun spectaculaire et à peu de frais, tout en décentrant l'enjeu de l'histoire sur l'échange amoureux. Car bien sûr, on le sait, Cruise et Diaz joue aussi un jeu de séduction, dans la grande tradition du McGuffin d'Hitchcock, lancer un couple de personnage à la poursuite d'un objectif arbitraire, pour présenter leurs échanges de séduction.

Knight & Day est donc un McGuffin ultime et asséché jusqu'à l'os, où l'enjeu narratif est nul, mais assumé comme tel, afin de laisser tout l'espace au couple vedette. Bien sûr, l'histoire d'amour ne vaut pas grand chose elle-même non plus, le moindre début de profondeur sentimental ne pointe jamais le bout de son nez. Non, il s'agit de laisser l'espace aux acteurs eux-mêmes, les acteurs comme personnages à part entière, dans une longue succession de cabotinage, de sourire, de petites phrases plus ou moins bien trouvées, toujours dans le sens du fun. Force est de constater que le charisme de Diaz et Cruise fait plaisir à voir, particulièrement celui de Tom Cruise, magnifiquement fun et en roue-libre, piochant dans une fantaisie débridée pour livrer une prestation assez réjouissante. Il serait intéressant de le voir dans un rôle comique mieux écrit, où son talent d'acteur toujours réel pourrait s'exprimer à fond.

Au final, donc, il ne semble pas y avoir grand chose à sauver de ce Knight & Day, même pas le titre en mauvais jeu de mot. Mais ces faiblesses sont tellement évidentes qu'on peut les mettre de côté dès les 5 premières minutes du film, pour voir le déroulement d'ensemble avec un petit regard complice, vaguement coupable. On rit ou s'amuse, soit parce que la réplique n'est pas si mal trouvé, soit parce que tout cela est bien ridicule, soit qu'on prenne plaisir à démonter tous les défauts du film ; mais on finit par pouvoir passer un moment sympathique...

21 juillet 2010

L'euphorie communicative de Caravan Palace

Caravan Palace
2 Juillet 2010 - festival de Jazz de Montréal

Festival de Jazz de Montréal, un des plus grands festivals du monde, où les somptueuses têtes d'affiche en salle voisinent avec les concerts populaires gratuits et en plein air, en plein centre ville. La Place des Arts offre ainsi chaque soir un gros show sur sa plus grande scène, pas toujours très jazz pour ceux auxquels j'ai pu assister, mais toujours terriblement festifs. Un parti pris de fête populaire, de communion avec la foule, et l'ambiance a souvent été magnifique.

En particulier pour Caravan Palace, grosse claque pour moi qui n'ait pas mis les pieds dans les festivals français depuis deux ans environ : ils semblent une valeur sûre des scènes d'été en France depuis quelques temps, ont même squatté le top des ventes pendant presque un an. Mais je n'en avais jamais entendu parlé, malgré mes passages fréquents sur les sites & blogs musicaux français. Ou comment le snob-toujours-au-courant prend un peu conscience de son expatriation...

Caravan Palace, c'est un sextet de swing - jazz, mais où la batterie est remplacée par la boîte à rythme des Daft Punks, ou presque. Instruments live sur lourde rythmique électronique, laissant parfois la place à un peu de vocoder ou quelques scratchs de vinyle. Un déchaînement euphorique saisissant, follement dansant, dont on sort radieux, souriant, étincelant, volant sur l'énergie communicative du groupe et de la chanteuse charismatique.

Montréal a chaviré, les fans de musique & de jazz se déhanche devant ces français fous. La musique électronique manifeste sa puissance communicative, irrépressible, un peu à la manière des Chemical Brothers à Rock en Seine 2004, secouant une foule rock & tatoué aux sons de leurs beats fous.

Pas de vidéo de Montréal avec la somptueuse présence scénique chantant, mais ce numéro original avec danseurs de Montréal. Pas forcément le plus représentatif de la personnalité du groupe, mais tout de même fort fun...


20 juillet 2010

Fantastique film d'action, mais à la profondeur imparfaite

Inception
by Christopher Nolan, with Leonardo Di Caprio, Marion Cotillard, Ellen Page, Joseph Gordon-Levitt (2010)

Plongeons dans trois couches de rêves, un rêve se déroulant dans le rêve, lui même enraciné dans un rêve initial. Rêves à tiroirs, d'autant plus amusants que les notions du temps se dilatent à chaque couche. Poupées russes où les lois physiques se distendent, où les pulsions cachées peuvent soudain vous attaquer ou vous pousser dans des limbes dangereuses ; imaginez que ce cadre souple serve à un vaste complot d'espionnage d'envergure, risqué : hé oui, voilà qui promet des surprises et de l'action haletante !

Inception s'avance donc comme le nouveau bébé de Christopher Nolan, champion du box office printemps - été 2008, et toute l'industrie US retient son souffle. L'été a été plutôt faible en succès d'envergure, les grosses franchises n'ont pas établi de nouveaux records, le public se lasse des suites de suites de suites. Proposez lui un peu de fraîcheur, pas mal d'intelligence de scénario, des grands acteurs, pourquoi ne suivrait-il pas ?

Et le public devrait suivre car le cocktail se révèle diablement efficace. Leonardo Di Caprio joue les espions d'un futur proche, champion du vol d'info dans les rêves, tourmenté comme il faut pour donner un peu de tension au film, un peu d'épaisseur. La première heure s'écoule vive et pleine d'agrément, exposition de conventions, de personnages, de vieux souvenirs douloureux, et les éléments s'affichent avec une fluidité impressionnante, une photo clair, un rythme tendu et intense. Brillant, envoûtant.

D'autant que dès le début de la grande opération, Nolan bouscule et secoue son système, un imprévu instantané, un sursaut, et le rythme grimpe d'un ou deux tons sans qu'on s'y attende, sans qu'on y croit vraiment. Encore plus vite, encore plus compliqué, est-ce possible ? Sans problème, tout défile, les indications se font minimales, une phrase à peine, les sauts d'un rêve à l'autre, et l'on tente ivre de suivre le fil, tous les fils et ces pelotes. Comme le Dark Knight ou la série Bourne, voici un nouvel exemple de film d'action contemporain, ultra-saturé de récit, à la vitesse d'un accroc au Red Bull, seul moyen pour rester un peu dans le coup face aux séries télés denses et saisies de rebondissements.

Quel spectacle !

Le tout est de ne pas se crisper, laisser couler les petites incompréhensions pour ne pas perdre pieds, continuer à s'enivrer encore et encore. Expérience totale. Nervosité, euphorie, avalanche, orgie d'effets ; on sort souriant, haletant, nerveux pour tout le reste de la soirée.

Une fameuse réussite, donc, un beau succès d'efficacité.

Mais je doute que les discussions autour du film se contentent de souligner sa fantastique efficacité. Toute une réussite visuelle bien sûr. Ces trouvailles de scénario, ces trouvailles visuelles, comme plier Paris en deux couches parallèles. Mais il y a surtout la complexité du scénario, son jeu avec l'inconscient, les rêves, la perception de la réalité, l'apparition des idées, la culpabilité : tout un réseau de concepts, peu communs dans un blockbuster estival, et qui vont nourrir les discussions Internet pendant de longs mois, faire rêver les geeks pendant des années. Virtuosité d'écriture, pour sûr, mais là, mes premières réserves apparaissent.

Il y a 5 ou 6 ans sortait le deuxième film de la série Matrix, le gros mix post-moderne en cuir & big beat. Ce deuxième volet offrait à nouveaux claques visuelles et pistes narrativo-philosophiques, jamais vraiment abouties, prometteuses, pleines de potentielles : le troisième volet allait tout révéler, montrait toute la richesse sous-jacente ! A en écrire des thèses pendant une quinzaine d'années ! Las, le troisième Matrix n'était qu'une bauderuche creuse en terme de contenu, un gros truc bruyant et plus trop fun, perdant en route le spectateur, déçu de découvrir tant de superficialité.

Depuis, je me méfie des grosses analyses super-complexes et profondes, et les discussions de passionnés d'Inception m'agacent déjà... Certainement aussi peu intéressantes que les analyses à l'emporte-pièce bricolées pour nourrir le succès d'Avatar il y 6 mois...

Beaucoup disent : "Inception est un film à voir plusieurs fois pour en démêler les éléments". Certes, voir et revoir le film permettra certainement d'en saisir les rouages d'horloger, les brillants ajustements au millimètre des péripéties, ou à mieux percevoir la cohérence de ce monde où le rêve permet le vol et le contrôle élégant des idées. Mais je ne suis pas certain que cette analyse micrométrique permettra vraiment au film d'atteindre une véritable profondeur, à savoir plus qu'une profondeur de grand film d'action, une oeuvre fascinante sur laquelle se plonger encore et encore.

Car malgré la richesse et la densité du film, deux aspects me semblent assez peu exploités, pas fantastiquement réalisés. Premièrement, les rêves eux-mêmes, ce qui est tout de même assez gênant pour un film présentant le rêve comme l'originalité du projet. Il m'a paru assez surprenant de voir ces rêves aussi cohérents, aussi peu oniriques, finalement. Certes, le scénario justifie cette approche par le but recherché par les espions des rêves : maintenir un monde le plus réaliste possible, afin de duper la personne visée, qu'elle croit à un monde réelle et reste endormie, soit plus facile à manoeuvrer. Il doit bien y avoir plus d'explications dans le film, à capter lors d'une troisième ou quatrième vision... Mais l'essentiel n'est pas là : le film se déroule à 75% dans des rêves, et n'est jamais, ou presque, surréaliste !

Nolan est bien trop cartésien au fond de lui-même pour laisser une certaine poésie s'installer. Un décalage exquis comme peut le trousser l'ami Gondry, comme les distillaient certains des premiers Tim Burton, des Cocteau ou Bunuel, un vieux Polanski. Comme si Breton ou Dali n'avaient jamais rien écrit, rien peint. Quelle occasion ratée ! Choisir de filmer le rêve pour plier Paris en 4 dans une scène ou reproduire des immeubles vides façon Planète des Singes, pour jouer uniquement sur la question "suis-je bien conscient du réel ?" option Bac de Philo : je considère cela comme rater un peu son coup, d'un point de vue purement artistique.

Mais l'autre limite du film est sa gestion des comédiens et des personnages. Le casting est joli, on prend un joyeux plaisir à retrouver Di Caprio, Cotillard en fantôme sombre, Ellen Page en espionne étudiante plutôt qu'en Juno, Gordon-Levitt en manieur de flingue après avoir séduit en jeune amoureux de (500) Days of Summer. Rien à dire, les stars font le boulot, prennent du plaisir. Mais quel dommage que les personnages manquent finalement d'un peu d'humanité, d'épaisseur. Bien sûr, Di Caprio est tourmenté, bien sûr, Page cherche à démêler les trauma avec malice et tact, mais si peu d'humanité finalement, si peu de vraie émotion, de vrai corps. Nolan ne sert pas de la caricature brute et bête, mais pas vraiment de complexité, une conduite d'acteurs pas très riche ni fine : héritier d'un empire financier cherchant à plaire à Papa, la belle affaire !

D'autant plus dérangeant que le coeur du film tient à un fantôme amoureux, une femme impossible à oublier, la femme que Di Caprio retrouve encore et encore dans ses rêves. L'amour ineffaçable. L'amour impossible. L'Amour, l'Amour, l'Amour fou, la plaie béante. Que cet amour fou semble plat et descriptif, distant, peu émouvant pour le spectateur (cherchant déjà à reprendre son souffle de l'avalanche d'action et de récits).

Un film d'amour fou aussi sec, particulièrement visible dans une autre idée terriblement sous-exploitée. Profitant des dilatations temporelles du rêves, Di Caprio et Cotillard se sont plongées dans un monde rien qu'à eux pendant 10, 20, 30 ans, le construisant à leur souhait, autarcie parfaite, l'idéal auquel peut aspirer tout couple, l'amour rien qu'à deux, personne d'autre. Et que présente le film : une architecture vaguement newyorkaise et vide, quelques plans visant à suggérer cette vie autarcique, et incapables de susciter beaucoup de piste à peupler par le spectateur, de le faire rêver.

Je veux bien croire qu'il n'ait pas été possible de donner plus d'espace à ces passages, dans un film commercial devant garder une durée décente (2h30 déjà ainsi). Mais il y avait tellement de choses à présenter ici, tant de questions auxquelles répondre. Laisser voyager un peu les amants. Les montrer plus intimes. Et les confronter à leurs pulsions, leur monde était-il vraiment solitaire ? Toute une matière pour un film entier, j'imagine, mais donner plus d'ampleur à ce passage aurait offert plus de richesse, capable enfin de toucher plus que simplement impressionner, incapacité bien mieux décrite par Todd McCarthy, ancien rédacteur en chef de Variety...

Pas un total chef d'oeuvre donc, pour ces réserves pas anodines. Mais un immense plaisir tout de même, un grand bonheur de cinéphile amateur de spectacles : qui bourrait résister à des combats à mains nus où des hommes en costume cravates s'affrontent en apesanteur ?


17 juillet 2010

La jolie noisy-pop de Blonde Redhead au Bluesfest

Blonde Redhead
Ottawa Bluesfest - 16 juillet 2010

Vendredi soir, fin de journée sous le soleil descendant, les couleurs réchauffent et glissent lentement ; doux début de week-end à paresser sur une pelouse près de la rivière Outaouais. Un peu d'ombre, roman espagnol, à vingt mètres de là, l'herbe s'estompe, zone terreuse recouverte de copeaux d'écorce, et un peu plus loin, une scène de festival. Le groupe Chicha Libre offre un pastiche de musique sud-américaine, pastiche sérieux, ils ne jouent pas la blague - ils jouent simplement de manière limitée. Leur reprise de "L'été indien" passe mieux que l'affreuse destruction d'"Alone Againe Or" de Love, si plate, si triste, si molle.

Mais qu'importe, rien qu'un apéritif.

Le concert s'arrête, je m'approche de la scène. Il faudra voir Blonde Redhead de près. Zigzag entre les chaises pliantes, accessoire omniprésent dans ce festival mollasson au public gouvernemental, si peu rock ; mais c'est un festival de Blues, officiellement, alors qu'y aurait-il à redire ?

Trente minutes encore avant le début du concert et le trio de Blonde Redhead est déjà sur scène, réglant, ajustant, testant chaque instrument avec minutie. Pas de rigolade avec le son, des passionnés, des maniaques, prêts à tripoter les boutons encore et encore pour que tout sonne bien, sonne comme ils l'entendent, leurs mélodies millimétrées.

20h00, le concert doit commencer, les guitares sont encore testées.
20h04, le présentateur monte sur scène pour lancer la musique, et ne pas prendre de retard. D'un signe de la tête, le guitariste le renvoie backstage ; ils vont commencer. Même pas besoin d'introduction, même pas besoin d'entrée formelle sur scène. "We are starting".

La guitare gronde, la batterie s'élance, les têtes des deux frères ondulent, cheveux gris bouclés agités et concentrés. Le batteur frappe souvent les yeux fermés, visage levé vers le ciel. La chanteuse pose sa voix discrètement, cachée sous son chapeau vaguement mou, sa poésie doucement romantique - hélas à peine audible, il aurait fallu plus de temps pour ajuster le volume des voix...

Le show roule plein d'investissement timide, la plongée des musiciens passionnés mais peu intéressés par la communication verbale ou la pose. Ils jouent, ils ondulent parfois, ils agitent leurs instruments ou s'approchent l'un de l'autre, penche la tête, mais suivant toujours le son et les nappes cotonneuses et rageuses. Les chansons d'abord, l'environnement sonore, et les gestes s'invitent naturellement, rien qu'un ajustement du corps et du rythme à l'ambiance générale. Timides de communication classique, fous d'ambiance sonore.

A côté de moi, une fille en débardeur rose ondule, laisse ses bras osciller en danse hindou, fléchit les jambes ; youyouyou lancés de la langue après chaque morceau. Une demi-douzaine d'anneaux pendent à ses lèvres et ses narines : agressive et rugueuse certainement, légèrement rebelle, affichant sa sensualité.

Symbole des chansons de Blonde Redhead ? Sensuelles mais bâties sur l'énergie brute ?

Les danses de cette fille rose semble pourtant à contre-temps, trop souples, trop molles, sans vraie énergie contenue et suggérée, rien que vaguement enfumée. Aucune profondeur chez cette danseuse de festival, rien des rugosités et de l'épaisseur de Blonde Redhead. Le groupe n'a pas été découvert par Sonic Youth pour rien, le rock gronde, particulièrement sur un morceau ancien très saturé & noise, et tant de bruit et d'émotion générée en trio seulement ! Mais là où Sonic Youth construit plutôt des chansons revendicatives, incantatoires, au chant en poésie folle et scandée, Blonde Redhead lance une pop cotonneuse, taquine des timbres colorées et presque pastels dans son chant. Un alliage noisy pop, et rien ne m'enchante plus que ces collisions, bruit intense et rugueux sur lequel pianote un chant doux, sur la pointe des pieds ; rencontre symbolique d'un besoin de hurler et d'une envie de serrer fort dans ses bras, tout un résumé parfait.

Les 55 minutes de concert paraissent presque courtes après cette jolie démonstration. La pop hurlée monotonement par Stars semblera bien terne 30 minutes plus tard...