3 octobre 2010

The Social Network, magnifique film sur Facebook et la nouvelle économie

The Social Network
by David Fincher, with Jesse Eissenberg, Andrew Garfield and Justin Timberlake (2010)
sortie française le 13 octobre

Aujourd'hui, je comptais écrire quelques paragraphes au sujet du dernier livre que j'ai lu - un très intéressant livre de Salam Rushdie. Joli ouvrage, et alternance des sujets traités ; ne pas trop me focaliser sur le cinéma ou la musique, je souhaite un blog varié. Mais cette après-midi, je suis allé voir "The Social Nerwork" et je me dois d'en parler.

The Social Network, c'est le dernier film de David Fincher, réalisateur de Fight Club, The Game ou Benjamin Button - un film sur Facebook. Sur Facebook ? Les premiers échos à ce sujet date d'il y a un peu plus d'un an, je ne sais plus trop, et le buzz a commencé à monter avant l'été : The Social Network serait un des films à suivre à la rentrée, peut-être un candidat pour les Oscars. Pour un film sur Facebook ? Les échos se sont fait plus pressants depuis une dizaine de jours, avec la parution des premières critiques américaines. Toutes dithyrambiques. Le comparateur de critique Metacritic annonce ainsi un score moyen de 97%, score que je n'avais jamais vu : des pointures comme le New York Times ou Variety offrent des scores parfaits de 100%. Je me devais d'aller vérifier par moi-même au plus tôt.

The Social Network est un délice, un pure plaisir. Un objet assez fascinant.

Le film est construit autour des procès intentés à Mark Zuckerberg, président, fondateur et programmeur originel de Facebook ; procès de vol d'idée par d'anciens étudiants ou d'extorsion de parts par son ancien associé. Le film alterne scènes de discussions légales avec avocats et scènes de reconstitutions, présentant les différentes étapes de la création de Facebook. Depuis le campus de Harvard en 2003 jusqu'au franchissement du millionième inscrit, dans les locaux californiens du nouveau géant Internet. Le site commence comme The Facebook, assemblage de photos pour les seuls élèves de Harvard, et grossit peu à peu, trouvant de nouveaux investisseurs, déchaînant doucement de petites luttes de pouvoir interne, de petites jolies qui grossissent avec la réussite associée.

Programme austère s'il en est, proche d'un reportage économique façon Capital. C'est là l'une des réussites impressionnantes du film : rendre cette success story de Business School passionnante, rythmée, terriblement divertissante.

Tous les ingrédients du grand cinéma sont mis en jeu dans cette réussite. L'alternance des scènes contemporaines et des scènes d'époques permet de varier les angles, d'éviter le ronronnement, l'effet tableau noir et le récit poussiéreux de business magazine. Les dialogues claquent riches en formules, en remarques acides et hilarantes, aussi bien entre étudiants du campus qu'entre prévenus des procès. Le personnage de Mark Zukerberg est magnifique, très intelligent, toujours à la limite de la misanthropie, terriblement hautain, souvent cassant - un nerd brillant, monstrueux, génial, parfaitement incarné par Jesse Eisenberg tout droit sorti de Zombieland. Tous les comédiens s'en donnent à coeur joie, jeunes, dynamiques, sûrs d'eux et de leurs choix, une classe dominante moderne grimpant les échelons sans complexes, n'hésitant pas devant les mauvais coups. Un délicieux parfum de grande comédie, dans le rythme des répliques et la folie de certaines situations : bon sang, un étudiant de mauvais traitement envers les animaux pour avoir nourri son poulet à l'aide de morceaux de poulets, quelle histoire !

David Fincher s'empare du matériau d'origine à la richesse impressionnante, et parvient à doser avec soin son savoir-faire de réalisateur pour fournir ce résultat varié et si rythmé. J'ai toujours gardé une tendresse particulière pour Fincher, dont les films des années 90 m'ont marqué au plus au point - Fight Club a servi de détonateur dans ma vision de plusieurs aspects, folie de la réalisation, intérêt pour la musique électronique ou le rock indépendant. Ainsi, je n'avais pas hésité à braver la torpeur due à 9h de décalage horaire pour aller voir Benjamin Button lors d'un voyage à San Francisco. Et j'avais été assez décu : riche, varié, léché, inventif esthétiquement - et passablement superficiel, se prenant trop au sérieux.  Mais Fincher joue ici de toutes ses cartes, les scènes fonctionnent bien, même dans un banal bureau, l'introduction des personnages est souvent maligne, les teintes sombres ne jouent pas trop l'esbroufe. Il y a bien quelques scènes purement esthétiques, mais elles ne semblent pas gratuites, juste très belles, jamais trop longues ; les scènes de fêtes étudiantes sont parmi les plus intelligentes vues récemment, et la course d'aviron est une magnifique réussite de présentation du sport sur grand écran - plus forte peut-être que les meilleures scènes d'Invictus de Clint Eastwood...

Magnifique divertissement, belle réussite cinématographique, mais surtout fascinant témoignage sur l'économie contemporaine, sur les développements les plus récents de l'économie numérique. Bon sang, le film débute en flashback, mais un flashback vers fin 2003, il y a 7 ans à peine !

De nombreux aspects sautent au visage dans cette peinture d'une e-réussite, et il me faudra certainement y repenser plusieurs fois avant d'en épuiser la richesse, ce que le film suggère ou ce à quoi il me fait penser (je compte bien aller le revoir...) Mais deux idées m'ont déjà frappé aujourd'hui, au fur et à mesure de la vision ou lors de mes premières réflexions en sortant de la salle, durant les deux dernières heures. Tout d'abord, l'évanescence de la création, de l'activité créatrice. Mark Zuckerberg est l'inventeur de Facebook, il en programme le code initial, en façonne les premiers concepts ; des anciens collaborateurs l'accusent d'avoir voler l'idée : ils avaient engager Mark pour monter un réseau social spécifique à Havard ; qui est l'inventeur ? Y a-t-il un unique inventeur d'ailleurs ? Les rameurs blonds et fils à papa ont bien eu une idée innovante, mais Mark Zukerberg l'a poussé plus loin, lui a donné beaucoup plus d'élan. Et différents concepts de Facebook se sont agrégés peu à peu, idées captées lors d'une discussion anodine, souvent d'un délire ou d'un bavardage sur les filles. Le mythe du grand inventeur, du génie isolé vole en éclat, on voit parfaitement un processus créatif délocalisé, diffus, permanent, par discussion, par saisie dans l'instant de la moindre suggestion, peu à peu mise en forme - même par le vol d'idées : comme le dit Mark Zukerberg, d'autres ont peut-être eu l'idée, mais s'ils voulaient être inventeur de Facebook, ils n'avaient qu'à l'inventer. 
Le film est terriblement moderne dans sa représentation de la création, où tout moment peut fournir matière à réflexion ou étincelle.

Mais surtout, le film offre un superbe exemple des motivations de la création moderne, des forces à l'oeuvre dans les technologies de communication. Mark Zukerberg se lance dans l'aventure à partir d'un méchante blague suivant une rupture amoureuse : il pirate les trombinoscopes des différentes bâtiments de Harvard, et crée un site où l'on peut désigner la plus grosse chaudasse entre deux filles tirées u sort aléatoirement. Blague potache et bête s'il en est... mais qui fascine les étudiants au point de faire sauter les capacités du serveur d'Harvard ! La grosse blague lui fait prendre conscience de l'intérêt des gens pour le contenu concernant leurs proches. Le plus jeune milliardaire américain a bâti son empire sur un stupide site façon commentaires de vestiaires entre mecs... Le point de départ est marquant mais un état d'esprit similaire gouverne à nombres de fonctionnalités ajoutées peu à peu à Facebook, comme la phrase de statut ou la précision de la situation amoureuse. Car Mark et ses collaborateurs l'ont bien compris : ce qui intéresse les étudiants d'Harvard, cible initiale du site, c'est les petits bavardages d'après-cours, et de savoir avec qui ils vont pouvoir coucher. La vie privée la plus banale comme moteur des intérêts des utilisateurs, et donc comme source de valeur : le modèle s'est élargi sans problème au plus grand nombre. Voilà bien un des grands changements de focalisation dans les télécoms sur les dix dernières années, voilà une jolie justesse du film.

Mais il y aurait certainement beaucoup plus à dire sur le film, et j'en dirai assurément plus dans les prochaines semaines sur ce blog. Je vais déjà me régaler à la lecture des critiques américaines : les 5 pages du New Yorker sur le film s'annoncent des plus intéressantes... 




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