by Lester Bangs (2003 - articles published from 1968 to 1982)
The Rolling Stones lasting twenty, thirty years - what a stupid idea that would be. Nobody lasts that long - very few novelists; the greatest dictators don't turn out classic movies over forty-five years. (...)
In other words, why don't you guys go fertilize a forest?
published in Creem in December 1973
Ah, oui, quelle idée stupide, des Rolling Stones accroché à la scène pour 20 ans ; qu'aurait pu écrire Lester Bangs sur la chute de cocotier de Keith Richards en 2006 ? Après 44 ans de carrière pour les Stones..
Hélas, Lester Bangs est mort en 1982 d'une overdose, après un peu moins de 15 ans d'une carrière de critique rock. Une mort cohérente avec son personnage, car Bangs fut un des pionniers de l'écriture rock, adepte d'un mode de vie rock et excessif, usant des drogues, se lançant dans de longs textes plus ou moins improvisés, totalement débridés. Un personnage clé de la culture rock et des années 70, déposant ses textes dans Rolling Stone Magazine ou Creem et dans toute une pallanquée d'autres publications. Deux anthologies ont rassemblé ces écrits, et ce Mainlines, Blood Feasts, and Bad Taste est le deuxième service après l'initial Psychotic Reactions and Carburetor Dung: The Work of a Legendary Critic.
Il y a donc à boire et à manger dans ce fatras, un petit côté fond de tiroire qui laisse parfois perplexe ; certains articles jamais publiés auraient peut-être dû le rester, longs délires avec vague idée directrice, pas désagréables, mais dilués et dispersés, donnant juste le plaisir d'entendre une voix unique (même si parfois on s'en lasse avant la fin).
Ces articles d'ambiance servent surtout à renforcer la légende gonzo de Lester Bangs mais d'autres textes sont beaucoup, beaucoup plus intéressants. Les courtes critiques de deux pages offrent de superbes moments de critique rock : il y a bien ce style Bangs, cette quasi-absence de vraie plan structuré, vague fil suivi de manière souple, mais portant un véritable regard sur la musique, un oeil de passionné analysant les sons et réfléchissant à ces impressions. Mais l'équilibre est souvent instable entre analyse et passion, et les jugements sont parfois péremptoires, rarement tièdes, souvent tranchés avec un goût de la formule choc ; les bases de la critique rock des 30 dernières années, mais avec une démesure ravissante.
Mais ces critiques de quelques pages ne sont que des minces parties du travail de Lester Bangs, et son goût de l'analyse prend toute son ampleur dans des articles aux longs cours, où il reprend longuement ses interrogations, sa recherche de compréhension. Aimer le rock, c'est parler de rock. L'appétit rabelaisien pour les bons mots persiste, mais l'investissement de la réflection passionne, des papiers magnifiques, extrêmement intéressants sur l'évolution du rock dans les années 70.
Bangs mène un long travail d'investigation pour démonter la source d'inspiration d'un Protest Song de Bob Dylan. Il analyse la vision du monde des Talking Heads et de David Byrne, et l'on se surprend à redécouvrir les liens de Radiohead avec le groupe newyorkais. Il s'entretient avec Emerson, Lake and Palmer, laissant transparaître son scepticisme sur ce rock travaillé et trop technologique, terriblement technique, sans vraie passion ni émotion ; hésitations sur le prog rock similaires à celles de Nick Cohn dans Awopbopaloobop Alopbamboom. Il recadre le personnage de Jim Morrison comme fou capables de quelques fulgurances poétiques mais menant une vie démente et ingérable. Il cherche à comprendre les nouvelles orientations de Miles Davis à la fin des années 70, y voyant des échos de la déshumanisation de la société urbaine.
Ces textes présentent une véritable analyse, loin de l'image superficielle du journaliste décadent. Laissant parler sa subjectivité ou son style si personnel, mais rarement gratuitement, nourrissant même son envie d'analyse de ses goûts et son panthéon personnel. Les textes les plus impressionnants sont ceux où ils scrutent ces héros rock, Miles Davis, Jim Morrison, une critique de Patti Smith, un entretien avec Lou Reed, une série d'article sur la chute des Stones plongeant toujours plus vers le marketing dans des tournées sous contrôle, des disques plats.
De superbes pièces d'époques, donnant souvent l'impression de capturer l'air de leur temps, tout du moins sous un certain point de vue. Le long compte-rendu de visite en Jamaïque s'écoule fascinant, laissant sentir la découverte du reggae à une époque où Bob Marley répondait évasif entre deux pétards, sans avoir encore peuplé les T-shirts de tous les marchés de la planète. De jolies pièces précieuses d'une sous-culture en voie de conquête mondiale.
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