19 mars 2009

Les idées jaillissent au coeur des feuilles et des boucles rousses, et l'on comprend peut-être mieux la fille du RER

La fille du RER 
par André Téchiné, avec Catherine Deneuve et Michel Blanc (2009)

Flotter en roller sur le bitume, zigzags dans la lumière d'août, vive clarté dans les ondulations rousses, et les rayures de la jupe de couleurs vives roulent pleinement libres. L'adolescente glisse magnifique et fluide entre le pont du RER et les pavillons de banlieue, les touches vertes, jaunes et tendres des feuilles et des arbres.

Elle glisse, cherchant toujours un emploi de secrétaire, plongée dans la musique de ses écouteurs jaunes, elle glisse jusqu'à la maisonnette familiale, sa mère gardant les enfants, leur racontant des histoires et traçant des vagues dans le sable. Elle roule et file le long des voies sur berges, file et sentant un regard séduisant masculin, sentant un bras longuement tatoué passer ses doigts entre les siens. Elle n'est pas du genre à se laisser draguer, mais elle roule encore avec lui, plus souvent, et bavarde par clavier interposé, les paroles sans bruit de deux chambres qui se répondent à distance, de regards qui plongent l'un dans l'autre grâce aux images instables des webcam.

Une fille de 17 ans dans une lointaine banlieue tranquille des années 2000, fille des images, du ballet des trains et aussi fille des sentiments de ses presque 18 ans, la douce inquiétude, le spleen et le rêve, l'absence de vrai boulot et l'absence d'une véritable envie d'en charger ; l'absence du père, les aléas d'une première expérience de couple. 
Et les échos de la télévision et du journal de 20h.

Un matin, la jeune fille trace trois croix gammées au marqueur sur son ventre, s'érafle le visage au couteau, coupe quelques mèches rousses ; elle se rend au commissariat et porte plainte pour agression, agression à caractère antisémite ayant eu lieu dans le métro. Elle n'est pas juive, les croix gammées sont à l'envers et les témoins inexistants, mais l'affaire embrase les journaux télévisés et les unes de quotidiens, et deux plus tard, l'Elysée lui fait part de son soutien dans cette épreuve difficile.

Cette partie de l'histoire, la plus romanesque, la plus incroyable, tout le monde la connaît, puisqu'elle a eu lieu en août 2004, même pas cinq ans. André Téchiné s'empare du fait divers inimaginable, et invente tout le reste, tisse une histoire autour de l'invraisemblable. Des personnages et des figures et un contexte et un cheminement possible, sans surligner, juste un réseau de proposition, une suggestion cohérente. On lui reprochera certainement de ne pas creuser plus et de ne pas mener vraiment plus l'enquête, mais le film n'a pas l'ambition de la vérité, il creuse simplement un filon plausible et crédible pour en extraire du sens ; pas nécessairement le sens profond de l'affaire ni sa vérité, plus capter un air du temps et la brise de notre époque.

Capter une brise, ce n'est pas empiler les preuves d'un dossier judiciaire, coller les témoignages et les images d'archives ; le documentaire focalise sur son sujet et l'air du temps ne se piège pas en focalisant, la mélodie en sourdine d'un bref instant s'évapore et s'infiltre dans les recoins, dans la coupe d'une robe et le ton d'un présentateur télé, dans la demeure moderne d'un avocat et un mari divorcé ravi de loger dans un hôtel de luxe, dans la rêverie d'une adolescente en barque sous l'averse. La caméra flotte pour entraîner derrière elle les images superbes, les plans silencieux et rêveurs, jouant sur les impressions et laissant du temps aux personnages, et soudain jaillit, discret et intense, un dialogue profond et argumenté, quelques phrases pour critiquer le jeu médiatique, démonter la stratégie de communication du gouvernement et ajuster les contre-déclarations. La réflexion politique concentrée en saillies précises et subtiles au milieu des plans de nuage, d'orage et de l'or clair des feuilles dans les cheveux roux ; quel bel et puissant équilibre. 

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