7 mars 2009

Le rap et la vie intense de la Nouvelle Orléans avant Katrina

Triksta 
by Nik Cohn (2006)

Un cinquantenaire blanc irlandais se promène et vit fasciné dans la Nouvelle Orléans de la fin des années 90. La ville de ses rêves adolescents vibre de musique et de l'énergie de la rue des quartiers noirs, discussions sur le pas de la porte, deal et les basses lourdes du bounce, cette variante moite du rap. Atmosphère dangereuse et vivante qui sera balayée quelques années plus tard par l'ouragan Katrina.

Quand ce cinquantenaire n'est autre que Nik Cohn, le récit résonne en musique et s'infiltre dans les communautés de rappers. Nik Cohn a écrit la première histoire du rock au tout début des années 70 et reste hypnotisé par les musiques intenses, les témoignages authentiques de jeunesse et d'énergie brute. Amoureux du rap depuis ses débuts, il parvient peu à peu à fréquenter producteurs, propriétaires de maisons de disques, les MCs qui zigzaguent entre les peines de prison et les balles des gangs rivaux. Petit blanc européen au coeur de ce milieu noir du sud des Etats-Unis.

Nik nous offre donc une chronique de ses années passées à naviguer dans ce monde du bounce. Il raconte avec passion les stars locales trop vite assassinées, les jeunes cherchant la fortune dans les rimes, les femmes timides au rap intense, les producteurs passionnés de son et incapables d'arriver à l'heure à une session d'enregistrement. Il chercher à capter ces rencontres et leur richesse, la profondeur de cette culture restant cachée pour les classes moyennes blanches nourries de clichés. Et Nik raconte également sa place durant son exploration, sa position d'intrus, d'extérieur étrange moqué, de possible contact avec les majors de la musique ; n'est-il pas un auteur de New York, aux relations dans les gros labels ?

Triksta navigue donc entre deux richesses. Riches détails des portraits de rappers, de leur vie, de leurs idéaux et des battements du coeur de cette Nouvelle Orléans tellement rythmée. Et les profondes introspections de Nik, interrogeant ses craintes raciales inconscientes, sa place d'intrus, ses rêves plus ou moins irrationnels de participer au grand jeu du rap et ciseler des morceaux forts, Nik lucide sur ses limites, Nik perdu entre ses doutes et sa fascination.

Le rap est un jeu difficile dont les joueurs ne sont pas simples à apprivoiser. Nik n'est pas parvenu à ciseler ses rêves de rap exigeant, mêlant les rythmes de toutes les musiques de la Nouvelle Orléans, livrant les histoires intimes de ces individus aux vies de luttes. Pourquoi chercher si loin si un tube brutal centré sur le sexe permet d'atteindre la richesse, même après trois remix ?

Mais le livre n'est pas le simple constat d'échec du dialogue entre deux mondes, simplement l'impossibilité de concrétiser ce dialogue matériellement au travers d'un disque. Car le dialogue n'est resté pas resté stérile humainement, comme le montre l'amour de Nik pour les figures croisées, sentiments forts évidents dans la tonalité du livre ; la joie simple de voir un jeune inconnu débarquer chez Nik un cassette à la main et se mettre à improviser un rap sur le pas de la porte, soutenu par les énormes enceintes de la voiture, moments précieux et presque insaisissables.

Insaisissables dans leur ampleur, mais la force de ces moments et rencontres transparaît en creux dans le dernier chapitre, écrit juste après le passage de Katrina. Récit du désastre fourni par le témoignage d'un producteur perdu dans la ville inondée pendant six jours. Et terrible sentiment de perte : les quartiers les plus vivants de la Nouvelle Orléans ont été rasés et seront totalement réhabilités, permettant d'éliminer la folie et la violence des noirs pauvres. La Nouvelle Orléans reconstruite en Disneyland jazz pour touriste, craint Nik. La ville qui le fascinait n'existe plus que par quelques disques et par ce livre.

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