12 mars 2009

Derrière le miroir SF, la déchirante vie des drogués californiens

A scanner darkly 
by Philip K. Dick (1977)

Une nouvelle drogue en Californie, terriblement efficace, affreusement prenante. Capable d'entraîner les pires lésions cérébrales ; des cafards partout sur le corps, sur les bras, à rester sous la douche des heures durant pour effacer la sensation, même si elle revient aussitôt une fois le robinet éteint. Ou pire, les deux hémisphères du cerveau cessent de communiquer, et deux personnalités prennent possessions du corps du camé ayant abusé de cette Substance D. And D is for Death.

Alors la brigade des stupéfiants infiltrent ses agents pour filer les agents, pour démasquer la puissance à l'origine de cette terrible substance ; mais d'où vient-elle, qui peut donc inonder le marché avec cette efficacité macabre ? Il s'agit de cibler les gros dealers, ceux qui permettront de démêler les ficelles et remonter la filière, et Fred reçoit ainsi la mission de suivre les faits et gestes de Bob Arctor, au comportement louche. Batterie de caméras et de micro vont permettre d'enregistrer toutes ses activités, les moindres phrases de ses discussions hallucinées avec ses camarades drogués. Éternellement rivés au canapé, brassant les sujets de discussions les plus improbables et les plus ressassés.

Seul petit détail, Fred et Bob Arctor sont une seule et même personne ; Bob Arctor, la fausse identité de l'agent Fred. Chargé par ses services aveugles d'étudier ses propres agissements...
 
Les caméras captent les actions en trois dimensions, les agents portent des costumes aux visages changeant sans cesse et les drogues se consomment terribles et futuristes ; pourtant, le côté science-fiction n'est qu'un artifice en carton pâte, deux ou trois accessoires placés dans le décors pour l'ambiance et offrir un sourire de connivence au lecteur. K. Dick tisse ici une fresque intimiste sur le monde de quelques amis drogués, leurs habitudes, leurs discussions, leur humour improbable, délicieux d'absurdité et d'incohérence, et leur paranoïa toujours sur le point de les engloutir. Un regard juste et remplie d'empathie sur le rythme désinvolte et tragique de ces êtres isolés dans leur logique : quelques instants d'absolu, et de longues heures d'attente et d'inquiétude, ne pas retrouver cette douceur pour manque d'argent ou de fournisseur ou que sais-je ?

L'un d'eux a aperçu Dieu un jour ; une porte conduisant vers le jugement dernier. Vision sublime, vision passive, il n'a pas osé pousser la porte durant les premiers jours. Mais celle-ci a disparu à jamais, et n'est jamais réapparue.

Philippe K. Dick observe et écoute ses personnages avec une tendresse infinie, et ses mots finaux résonnent déchirants. Un livre écrit en souvenir à tous ses camarades drogués, cherchant juste à passer un peu de bon temps ; des enfants jouant la rue, et continuant à jouer encore et encore malgré les signes désastreux les entourant.  Un livre en souvenir d'une quinzaine de ses camarades, la moitié décédée, l'autre moitié atteint de lésions permanentes. Une telle punition pour avoir voulu jouer dans la rue comme des enfants ?

Philippe K. Dick n'est pas un personnage du livre, dit-il, il est le roman. Par delà l'humour des dialogues entre camés ou la paranoïa schizophrène des personnages, c'est cette humanité qui reste à l'esprit une fois les dernières pages dégustées. 

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