30 octobre 2010

Lester Bangs interviewing Lou Reed: Rock history

"Speaking of fucking - do you ever fuck to Metal Machine Music?"
"I never fuck. I haven't had it up in so long I can' remember when the last time was.
"But listen, I was cruising in my car with Metal Machine Music blaring the othr day, when this beautiful girl crossing at a light smiled and winked at me!" (A true story)
He cackled. "Are you sure it was a girl?"

Lou Reed interviewed by Lester Bangs in Creem - February 1976.
From the book "Psychotic reactions and carburator dung" - By Lester Bangs (1986)

28 octobre 2010

Easy A, not as clever as it pretends to be, but with some funny bits

Easy A 
by Will Gluck, with Emma Stone, Thomas Haden Church, Patricia Clarkson, Lisa Kudrow (2010)
sortie francaise prevue pour le 5 janvier 2011

Olive est une fille normale du lycee, ni populaire, ni nerd, juste middle of the road ; celle que l'on oublie, le gros du peloton. Mais un petit mensonge la propulseau coeur de toutes les conversations, et quel autre sujet pourrait exciter les hordes ado americaines que le sexe : oui, ca y est, Olive a couche avec un garcon. ; ri en qu'une excuse pour eviter un eviter un week-end rasoir avec une copine. Pourtant, voici maintenant que les regards se retournent sur elle, une vraie fille, une vraie. Mais les choses prennent une tournure plus profonde quand une pousse l'aventure un peu plus loin pour aider la reputation d'un ami gay : oui, elle a couche avec lui aussi. Puis avec lui,, puis avec lui, et avec lui pour de l'argent... Les rumeurs ne vont donc pas s'arreter.

Easy A, nouvelle comédie américaine de lycée, tente de jouer avec le nœud de toutes les comédies US adolescentes, la perte de virginité. De John Hughes a Judd Appatow en passant par American Pie, c'est le noeud principal des intrigues, le moteur de l'action : le moment ou le heros va l'avoir fait ; un des grands mythes de la societe americaine, tiraille entre son hedonisme sensuel de facade et son puritanisme, le bimbos en bikini de la tele et la bible belt qui a elu deux fois Georges Bush. Le programme semble prometteur ici, plus malin, puisque la fameuse perte est posee comme point de depart, montee en rumeur, et regardons ce qui va advenir. Autre gros morceau de la culture US, le mensonge (n'est-ce pas Bill Clinton ?), et toutes les tribus du campus sont la, les nerds, la meilleure copine, le prof de lettres, et surtout, les gamines ultra religieuses, une bonne idee du film. Et pas de mystere : tout le monde est choque...

Le programme s'annonce donc malin, les dialogues souvent spirituel, et le tout saupoudre d'un peu de distance intelligente. John Hughes est ouvertement cite sous forme d'extraits en plein film, et l'intrigue inspiree de "The Scarlett Letter", classique US de 1850 contant la disgrace d'une femme adultere, onligee de porter un large A rouge sur ses habits. Ce que s'empresse de faire Olive, par defi, puisque c'est justement le livre etudie en cours de lettres.

Helas, tout cet assemblage malin laisse un peu sur sa faim. La montee du film est assez distrayante, et edifiante, sentir le dechainement de la desapprobation, gonflant instantannement a coups de SMS pianoter sans attendre. L'escalade est belle, le gout du defi d'Olive, son sens de la repartie - en bon personnage principal adolescent toujours si spirituel. Mais le desarroi qu'elle decouvre quand les choses evhappent a son controle ne mene pas a grand chose. Le denouement du film se veut doucement multiple, entre revelation (puissance de la verite), coincidences, et le grand amour qui-arrive-finalement-en-faisant-semblant-de-ne-pas-être-dupe-des-happy-ends-mais-qui-arrive-tout-de-même. Le film souffre en fait du manque d'epaisseur de ses personnages, hors Olive ; dispersion facon campus, bien sur, facon microcosme, mais aucun, aucun n'offre de vrai contre-point, de vrai assise pour aider l'histoire a sortir du cadre "aventure solitaire de la fille". Le prof de lettres ou les confessions de la mere ne pesent pas vraiment lourd...

Le film n'est donc pas aussi malin qu'il veut s'en convaincre, et le projet ne prend donc pas complètement, malgré les bonnes idées. La stylisation du microcosme lycéen n'est pas aussi poussée que dans les superbes Brick ou Virgin Suicide ; tentative inachevée, surtout quand on voit le joli casting pour les "adultes". Mais il offre tout de même de très jolis moments, de grands éclats de rire, avec un couple de parents terriblement déluré, des phrases parfois cassantes, et quelques jolis moments dans le gymnase du lycée. Voir les groupes de pressions chrétiens changer la mascotte du lycée reste un immense éclat de rire : le Blue Devil bondissant et lo-fi devient un Woodchopper en peluche façon Disney, bouffi et mou, et c'est hilarant, un modeste résumé de certaines tensions dans la societe US.


26 octobre 2010

Catfish, l'amitie 2.0 par Facebook et ses developpements insoupconnes

Catfish
by Henri Joost & Ariel Schulman, with Yaniv Schulman (2010)
pas de sortie francaise prevue pour l'instant

Yaniv a 24 ans, photographe a New York, travaillant dans le monde du ballet ; ces photos sont publiées dans des journaux comme le New York Times. Un de ces cliches attire l’œil d'une petite fille du Michigan, Abby, petite peintre précoce : elle lui envoie la copie peinte qu'elle a faite de la photo. Une correspondance prend forme entre le photographe newyorkais et la fillette, sa famille, sa mère, sa sœur, mettant en jeu envois de colis, conversations téléphoniques, longs échanges par Facebook. En bon réalisateur de films, le frère de Nev sent la un sujet prometteur et commence a filmer cette correspondance de l’ère 2.0...

Catfish est un documentaire étrange, captation progressive et improvisée d'une relation électronique aux proportions impressionnantes. Les colis reçus par Nev contiennent rapidement plusieurs toiles, T-shirt offerts par le frère d'Abby, et surtout des dialogues de plus en plus nourris avec la sœur ainée, Megan, 19 ans. Dialogues intimes, approfondis, échanges de chansons, mots tendres, presque coquins, Nev s'attache peu a peu, sent une étrange forme de relation prendre forme. Mais les choses deviennent vraiment étranges quand Nev découvre qu'une chanson soit disant enregistrée par Megan n'est qu'une copie d'une vidéo Youtube.
Catfish se veut une enquête au cœur d'une amitiés electronique et des réseaux sociaux, et l'histoire est en effet assez fascinante. La réalisation tente de s’adapter aux échanges électroniques, captant un chat électronique au plus des lignes de l’écran, intercalant des écrans de googlemap, des captures de photos Facebook ou de textes publies sur le mur. Un joli gout de bricolage, rien de bien révolutionnaire, des gimmicks pas très éloignés d'un reportage de Capital, mais plus léchés, plus organises : il y a la une envie d'ajuster le langage cinématographique aux réalités des échanges électroniques. En ce sens, Catfish s'offre comme un témoignage de la réalité de Facebook et des amitiés a l'aveugle, par écrans interposes ; il s'agit de la face immerge du réseau sociale, par opposition au film The Social Network qui n'en offrait que les coulisses. Certains critiques ont ainsi reproche au film de Fincher de ne pas affronter le defi esthétique de Facebook, de son impact sur les échanges humains du XXIeme siècle. Critiques un peu déplacées par rapport au projet du film The Social Network ; mais vraie interrogation de cinéma, car jusqu’à présent, les échanges électroniques de monsieur tout le monde ont surtout été présentées a l’écran sous la simple forme de chat MSN en split screen, ados devant l’écran.

Ce documentaire étrange tente donc une approche dans la durée, et l’expérience est plutôt jolie & originale. Suivre les états d’âme de Nev, passant du trouble séduit aux interrogations inquiètes sur le mode "ai-je a faire a des psychopathes pervers ?", est plutôt réjouissant, sa lecture d'un dialogue cochon sur iPhone une belle rigolade. La longue confrontation avec la réalité d'Abby & Megan relance bien le film, tout en offrant un joli moment d’États-Unis ruraux, de bled paume, de famille sans trop de rêves. On peut toutefois regretter un traitement un peu superficielle de l'aventure, restreinte a une enquête du trio cinéaste, sans trop approfondir les motifs associes, le jeu des masques multiples offerts par des réseaux comme Facebook. Les petites limites du projet apparaissent ainsi dans la famille d'Abby, quand un plan sur un frère semble handicape semble un peu long et tire-larme, quand un témoignage maternel se fait un poil trop ému en gros-plan. Petit manque de distance dans la présentation de l'histoire réelle d'Abby, petit manque d’élargissement du sujet, gardant la tête dans le guidon de l’enquête.

Mais l'affaire reste assez fascinante en elle-même, et l’intégration d'images Internet pas inintéressante. Un petit documentaire agréable et gentiment édifiant.


24 octobre 2010

Machete, Rodriguez' love for cheap action movie

Machete 
de Robert Rodriguez, avec Danny Trejo, Robert De Niro, Jessica Alba, Steven Seagal, Michelle Rodriguez, Jeff Fahey (2010)



'If you hire Machete to kill the bad guys, you'd better be sure the bad guys is not you"

Ce genre de phrases chocs parsemaient la fausse bande annonce de Machete en 2007, incluse dans le programme Grindhouse bidouille par Robert Rodriguez et Quentin Tarantino. Le programme Grindhouse se présentait comment un double bill façon cinéma de série Z, avec le fascinant Deathproof de Tarantino, le délirant Planet Terror de Rodriguez, et une ribambelle de fausses bandes annonces. Machete en faisait partie, film de vengeance conduit par un mexicain maniant l'arme blanche, promettant embrouille politique, grosse baston, filles nues, explosions. Le tout avec un profond humour parodique.
Les fans d'action vintage se sont rejouis d'une telle folie, le buzz a pris, et voici finalement une vraie version de Machete dans nos salles de cinéma, les vraies, pas celles de serie Z ou B.

Machete-le-film reprend le programme promis par Machete-la-bande-annonce. Machete, policier mexicain, se voit forcé de quitter le Mexique apres une machination d'un baron de la drogue, et sa femme & fille sont tuées dans la manoeuvre. L'épais mais invicible Machete doit survivre comme travailleur illégal au Texas. C'est là qu'il est contacte par un politicien, afin d'éliminer le senateur du Texas, ardent partisan d'une ligne ultra-ferme contre les immigres. Mais il s'agit en fait d'une manipulation afin de rendre le senateur plus populaire...

La scène d'ouverture du film répond parfaitement au cahier des charges promis par la bande annonce, machination illisible et grossière, noyée dans un scénario peu clair, action sanglante aux effet speciaux artisanaux, filles nus. En route ! On se demande juste si le film va tenir la route...

Et pas totalement, en fait. Le petit buzz autour de Machete a permis d’épaissir le casting, en plus de la magnifique gueule cassée de Danny Trejo, on a droit a Steven Seagal mais aussi Robert De Niro en politicien xénophobe. Voilà qui rend les choses plus sérieuses, et le film tente de placer la vengeance sanglante dans un contexte de peur de l'immigration, de lutte entre extrême droite texane et réseaux de résistance mexicaine. Le tout est assez brouillon, comme on pouvait s'y attendre, mais presque un peu trop premier degrés : c'est stupide, c'est gros, mais on ne sent par forcement l'outrance folle, bête et méchante de la bande annonce. Ca tue, ça combine, ça mélange les personnages en tout sens, mais ce n'est pas aussi fascinant que les deux longs métrages Grindhouse.
Peut-être cela tient-il a la modeste stylisation du film. On sent bien l'empreinte des films d'action fauchés des années 70-80, mais presque comme refait à l'identique, sans les trucs idiots de Grindhouse, fausses poussières sur la pellicule, musique au lourd synthétiseur, mauvais montages, incohérence. Machete est finalement presque sobre dans sa bêtise, pour deux raisons peut-être. Il ne faut pas oublier que Grindhouse a été un bide au box office américain, sachant qu'il n'est pas facile de drainer un très large public pour aller voir des faux films pourris dans des salles modernes. Mais on peut aussi penser que l'effet de surprise est passé. Les hommages / parodies de films fauches n'ont pas manqués ces dernières années, dans la foulée de Grindhouse, que ce la blackspoitation de Black Dynamite ou même le petit budget vengeur de Kick-Ass, à l'esprit proche d'un film d'action a deux balles. Machete est distrayant, stupide et fou, mais sans vraiment offrir d'immense surprise, sans vraiment mener le genre "brodons sur les B-movie des 70" plus loin : pas de dialogues fous a la Deathproof, pas de raccords avec le monde des super-héros modernes façon Kick-Ass.

On en vient même a regretter les ellipses de la bande annonce, sachant que les scènes les plus marquantes du long métrage sont des gimmicks issues de la bande annonce. On peut bien retenir quelques jolis délires ajoutés, comme le discours du sénateur De Niro ou la crucifixion du prêtre vengeur. Mais rien d’immensément surprenant. Le film est fun, distrayant, mais correspond bien a ces modeles finalement : un divertissement honnête pour une soirée video.



"Machete" - Bande annonce issue du film de "Grindouse"

22 octobre 2010

Shelia, Atlas Sound sweet obsession for love & death - a fall & winter dark hit

Shelia  (Live at the Natural History Museum in Los Angeles, 01/08/2010)
by Atlas Sound (2010)
preview for the Deerhunter concert - October, 28th, 2010 - Wonder Ballroom in Portland, Oregon

J'ai déjà un peu parlé de Deerhunter, de mon impatience à les voir en concert fin octobre, à Portland. Délicatement shoegaze d'après leurs anciens albums, et un dernier album apparemment complexe, riche, dense, fascinant : de belles promesses pour un joli concert, à n'en pas douter.

Mais persistent également de profonds souvenirs des quelques titres d'Atlas Sound, projet solo du chanteur Bradford Cox, entendus l'hiver dernier. Deux, trois titres, pas plus, mais réécoutés, répétés, murmurés encore et encore assis sur un canapé, enveloppé d'un pull, deux paires de chaussettes aux pieds, morceaux chantonnés en marchant doucement vers la cuisine, puis en retournant m'asseoir une assiette à la main. Certainement les deux ou trois morceaux que j'ai le plus écouté vers décembre 2009, par leur profondeur simple et enveloppante, cocon mélancolique et rebondissant, des couvertures dans lesquelles j'aimais à traîner quand le ciel s'éloignait gris et la neige tombait, faisant frissonner mon regard peu habitué au Canada, à l'asphyxie blanche de la nature hivernale.

Deux ou trois chansons très écoutées, dont une plus écoutée encore, fascinante. "Shelia". Une berceuse au lever du lit, un bâillement en sortant les jambes de la couette, trébuchant doucement, hésitation ensommeillée du matin ; hésitation macabre, essoufflée, où va-t-on ? Mais hésitation juste pour prendre son élan, peut-on croire, une petite chanson pop s'élance, déclaration d'amour simple, guillerette ; trois quatre phrases, un prénom féminin, rien de plus, mais il n'y a rien à ajouter en général pour tisser une simple tapisserie pop, surtout quand on peut jouer avec les sonorités du prénom.

Un prénom et des petites déclarations que l'on peut chantonner à mi-voix, souffler sans presque les dire, juste en les pensant, quelques notes parsemées dans le silence de la pièce & de la moquette : les boucles  de musique envoûtantes ne se sont pas éteintes dans l'esprit, pourquoi faudrait-il les chanter également ? Les paroles suffisent, des mots à câlins, pour bercer un bébé délicatement nerveux, pour calmer sa copine au détour d'un petit cauchemar nocturne ; douces mélodies vocales en complément de câlins, serrer fort & tendre. Nous partagerons nos vies ensemble, nous n'aurons pas froid.

Même pas froid dans la mort, car nous mourrons ensemble, bien ensemble.

Voilà la bifurcation terrible de Shelia, berceuse à chantonner encore et encore, chanson douce pour câlin, morceau pop pour s'assurer d'amour éternel ; car rien ne rassure vraiment autant quand il s'agit de penser à la mort. Bradford Cox ne modifie en rien son élan, ses déclarations fidèles, ses boucles de guitare cotonneuses et réconfortantes, et glisse la mort dans la partie, presque sans en avoir l'air, progressivement. Une mort associée à l'amour & au couple, le soutien ultime, le soutien face à la détresse, à la disparition solitaire, le besoin d'une présence forte quand le gouffre approche, un besoin qu'il faut chanter sans fin, de plus en plus vite, laissant paraître plus fort l'obsession. Je ne m'arrêtais jamais pour chanter, berçant toujours, n'interrompant pas le câlin, comptant sur le ton des paroles malgré le désespoir des mots. 
Shelia, berceuse d'espoir malade et désespéré, d'amour fidèle projeté vers la mort, morceau qu'il faut chanter jusqu'au bout aux êtres chers, pour se réchauffer l'un l'autre sur les canapés hivernaux.

Bradford Cox est plutôt familier de la mort, étant atteint d'un syndrome génétique, touché par une certain faiblesse, un doux désespoir. Mais laissant les paroles venir sur ses chansons, ne les sentant vraiment qu'après coup. Ses réflexions sur Shelia sont ainsi passionnantes à lire dans cette interview de Pitchfork (en dessous de la dernière photo...) Chanson d'amour tournée seulement vers le soutien, le besoin d'un autre pour accompagner vers la mort ; une tendresse presque non-amoureuse, détachée, pure affection, sans question de désir, de sexe ; un morceau d'amour parfaitement et purement asexuel. Et dont il a pris conscience de la portée une fois touché par la pneumonie, paniquant durant les moments d'étouffements, l'alitement désagréable et à l'issue lointaine.

Toute cette densité d'émotions apparaît dans cette version live de Shelia, dénichée sur Youtube. Le morceau s'étire plus encore que dans la version studio (7 minutes ici, 3:30 sur le disque), boucles reprises sans fin, voix modulée en écho sur les syllabes du prénom. Quelques éléments posés côte à côte, guitare, deux-trois phrases et un prénom ; obsession épaisse et cotonneuse pour les mélancolies humides & grises.


15 octobre 2010

Avec Grimus, Rushdie offrait un faux-départ fantaisiste et fou à sa carrière

Grimus 
by Salman Rushdie (1975)

Tant d'auteurs à lire, tant de nouveaux, mais aussi tant de retard dans les grands noms. Sans même parler des classiques, tout cette culture littéraire qu'il me faut combler peu a peu, il est dommage de mal maitriser les valeurs sures contemporaines. Ainsi, Salman Rushdie : voila bien un nom à la qualité reconnue, et dont je n'avais pourtant pas lu une ligne jusque récemment. Profitant de la vaste bibliothèque bilingue d'Ottawa, je me suis donc plonge dans les rayons en R-U, sans trop savoir quel volume choisir dans ceux portant le nom de Rushdie. Alors autant commencer par le commencement, avec son premier roman...
Un choix à l'aveugle finalement malin, et chanceux. Le livre est un objet fort singulier, et a été plutôt méprisé par la critique. Je n'aurais certainement pas fait sa découverte si j'avais effectue quelques recherches préalables. Piocher dans les rayons permet parfois d’être chanceux !

Flapping Eagle est un indien mis a l’écart de la tribu, un donneur de mort, puisqu'il est né malgré la mort de sa mere en couche. Il ne peut vivre qu'avec sa soeur, mais celle-ci disparait un jour avec un mysterieux inconnu qui lui a offert l'immortalite. Bouteille jaune pour l'immortalite, bouteille bleue pour pouvoir se donner la mort une fois la lassitude venue apres les siecles des siecles... Flapping Eagle ne traine pas longtemps dans la tribu, boit la bouteille bleue, se fait gigolo pour une riche femme fortunee, parcourt le monde pendant 777 ans et 7 jours. C'est alors qu'il rejoint l'ile de Calf, qui accueille les immortels, ile perdue dans une autre dimension...

Quelle claque que ce livre, les premières pages lancent les surprises les plus fantaisistes sans préavis, immortalité, autres dimensions, personnages surprenants et hauts et couleurs, humour, érudition. Le tout superbement ecrit, avec un joli rythme, un réalisme magique plus fantaisiste et moins réaliste que "Cents Ans de Solutide" de Garcia-Marquez. Une voix unique, une voix folle, à l'imagination fascinante.

Au coeur de ce melange bizarre et hétérogène surgissent des descriptions d'intelligences supérieures incapables de mouvements mais aussi des références a la culture d'Inde. Cocktail surprenant, et la page Wikipedia permet de se rendre compte que je n'ai pas saisi toutes les références mises en jeu, le complexe symbolisme. Toute une richesse cachée, qui n'alourdit pourtant pas la lecture, grâce au talent de conteur de Rushdie. L'histoire d’immortalité n'est peut être pas tellement passionnante en soi, au final, mais il est impossible de s'ennuyer a la lecture de Grimus, renouvelant les situations de sa petite comédie humaine en microcosme. Certes, certains lecteurs décrocheront rapidement devant l'accumulation de folie théoriques et fantaisistes bourgeonnant des les premiers chapitres. Mais ils passeront à cote des magnifiques passages dans le village de K, microsociété aux personnages caricaturaux, dont l'humour fait parfois penser a la folie absurde, parodique mais cohérente de Terry Pratchett.


13 octobre 2010

The Social Network, un Facebook pour les critiques de film et les interprétations

by David Fincher, with Jesse Eissenberg, Andrew Garfield and Justin Timberlake (2010)
sortie française le 13 octobre


"The Social Network" sort en France cette semaine. Je l'ai vu il y a dix jours, le week-end de sa sortie nord américaine ; j'en ai déjà parlé longuement et avec enthousiasme. Mais j'avais aussi évoqué la richesse du film, et mon impatience à l'idée de parcourir les nombreuses critiques disponibles. Je profite de la sortie française du film pour faire un petit tour d'horizon d'idées lues ici ou là.

En commençant par cette jolie interview de David Fincher et Trent Reznor sur Pitchfork. La musique composée par le leader de Nine Inch Nail est en effet un très joli détail du film, et j'avais oublié d'en parler dans mes longues élucubrations. Des nappes électroniques flottent entre les bâtiments d'Harvard ou dans un bureau légal anonyme, nimbant les images et les tonalités d'une lourdeur étrange, une sorte de grandeur profonde mais minimale : profondeur des échos, mais simplicité des quelques notes électroniques. Un peu comme le film, une entreprise d'envergure, une sorte de tragédie contemporaine, mais où les Geeks sont les héros grecs.

Mais la musique n'est pas le seul angle d'approche dont je n'avais pas parlé. Je ne peux pas penser à tout, je ne suis pas journaliste et ma culture est limitée ; et j'avais pris le parti de capter mes impressions et idées sans recherche préalable. Mon sentiment reste que ce film est extrêmement riche, offre de multiples approches, et les critiques ou articles lus confirme cette variété de lectures : que d'idées différentes !

Le papier le plus impressionnant est peut-être un superbe portrait de Sean Parker dans Vanity Fair. L'homme est bien sûr plus complexe que le personnage sur grand écran, comme toujours, mais le vrai Sean Parker est un être bigger than life, qui mériterait certainement un film à lui tout seul, voire plusieurs. Co-créateur de Napster à 19 ans, génie de l'informatique dans son plus jeune âge, doué d'un flair impressionnant pour sentir les projets à fort potentiel, génie multiple, fêtard : le film suggérait le charisme et l'intelligence, mais la réalité est bien plus grande. Le Sean Parker du film est-il pour autant une caricature ? Non, comme le dit Le Monde, les personnages mêle pure antipathie et absence de caricature dans un équilibre fascinant. Le Sean Parker joué par Justin Timberlake est peut-être éloigné du génie réel, mais il présente une cohérence pleine de justesse, et offre un élan supplémentaire au film par son charisme et son enthousiasme comme le note le New Yorker - élan dont ne manque pourtant pas la première partie. Le Sean Parker cinématographique ? Respect de l'apport de l'homme dans l'histoire de Facebook, fascinant hédoniste 2.0, parfait apport à la mécanique narrative du film : un rêve de scénariste.

Mais le papier du New Yorker est un véritable délice long de 5 pages, superbement écrit, multipliant les approches, les remarques - le tout écrit avec un style souvent magnifique (mais non disponible on-line gratuitement).  Et débute par un aspect pas forcément facile à percevoir pour un spectateur français, même le plus au fait de la société américaine : la peinture d'Harvard, sa caste d'étudiants issus d'une bourgeoisie américaine quasi-aristocratique. Harvard et Boston ne font pas parti de l'Ivy League pour rien. Bien sûr, le regard français est sensible au sous-texte, au contexte social, et j'ai souvent pensé à mes souvenirs de prépas et de grandes écoles d'ingénieur parisiennes, aux castes françaises venant des lycées versaillais. Mais il faut lire des articles américains pour sentir la justesse du portrait offert par Fincher dans le film : minutieux dans les détails, mais sans satyre excessive, dit le New Yorker.

De tels films et articles donnent envie de voir une telle approche respectueuses mais juste transposée en France, des élèves d'HEC sans trop de clichés, des Polytechniciens. Et ce dans toute la variété des profils présents dans les écoles, car "The Social Network" présente en effet une opposition nuancée entre membres des clubs huppés et geeks. Facebook, c'est une success story de capitalisme, mais une success story lancé par des geeks, pour des raisons pas forcément reluisantes, tournant autour des filles. Les Inrocks soulignent d'ailleurs le côté très masculin du film, où les filles servent uniquement comme objectif lointain ou figure dont il faut se moquer ou se venger ; sans véritable personnage féminin actif. Un aspect qui m'avait frappé après coup, sans savoir trop quoi en penser, mais les Inrocks savent pointer une certaine cohérence de cet univers mâle avec d'autres films de Fincher comme Se7en ou Fight Club.

Voilà bien une constante dans les critiques du film, les longs commentaires sur le parcours de David Fincher, comparaison avec ces différents films. Le New Yorker bat à nouveau tout le monde en longueur, mais la digression d'une page semble un peu déplacée par rapport au reste des commentaires, même si souvent très intéressante. Fincher, une des dernières signatures en terme de réalisation à Hollywood ? GQ n'oublie pas de rappeler le côté superficiel des films de Fincher, en particulier du bizarre et assez raté Benjamin Button. Le besoin d'écrire à ce sujet vient peut-être de là, de la justesse sobre de Fincher, une maturité en douce rupture avec ces films passés.

Une réalisation qui fascine le critique, rivalisant de formules ou d'idées d'analyse. Superbement composé par le duo Fincher et Aaron Sorkin, scénariste, selon les Inrocks, mais le New Yorker insiste plutôt sur la tension entre les deux créateurs, le goût de Fincher pour les outsiders et le dégoût de Sorkin pour les amitiés électroniques créées par les réseaux sociaux.

Mystère créatif qui s'ajoute aux analyses variées du sujet du film : une richesse supplémentaire pour un film qualifié de film américain le plus intelligent depuis Preminger dans GQ. Rien que ça ; les Inrocks citent Howard Hawks en l'imaginant sous coke, le New Yorker ou Todd McCarthy parlent Citizen Kane, tout en soulignant les différences de contexte : différence mais pas de fausses notes, surtout une mise à jour. Une belle épaisseur donc, dont on devrait parler au moins jusqu'aux Oscars. Le New Yorker évoque le personnage de Zukerberg  en disant que "jamais deux spectateurs différents ne le verront tout à fait de la même manière", illustrant les nuances du personnage. Et cela vaut bien sûr pour le film dans son ensemble.





12 octobre 2010

Love Burns, Mazya présente l'adultère meurtrier et drôle en Israël

Love burns 
by Edna Mazya (1997)
sorti en France sous le titre Radioscopie d'un adultère en 2008


Ilan a 49 ans, professeur d'astrophysique à l'université d'Haïfa ; légèrement angoissé, consommateur régulier de Valium ou de somnifère. Mais heureusement marié depuis deux ans à une magnifique femme de 25 ans, séduisante, intelligente, amoureuse - un bel horizon pour cette existence autrefois étriquée, concentrée sur un ami d'enfance et une mère possessive et acariâtre.

Mais qui imaginerait qu'une si jolie femme passe vraiment ses journées à la maison, à dessiner ? Même les couples les plus proches & complices connaissent leurs bouffées d'adultère, leurs tentations ; l'ennui, la différence d'âge.

Edna Mazya construit une agréable histoire à partir de cette trame fort classique. Les péripéties surgissent  avec un joli sens de l'humour, distant, presque sans avoir l'air de rien, mais terriblement absurde, presque acide. Comment peut-on qualifier autrement une scène de meurtre par étouffement à la pipe en terre ? La description abrupte d'un tel méfait le rend totalement improbable, et l'art d'Edna Mazya est d'amener progressivement la scène à ce dénouement meurtrier, tisser une discussion, un geste imprévu, une envie passagère, une réaction qui construisent doucement un drame, qui changent monsieur tout le monde en un meurtrier.

Edna Mazya est apparemment un auteur dramatique, et n'a écrit que deux romans. Mais on devine un joli sens théâtral derrière la conduite de ce roman. Pas particulièrement dans la construction de dialogues, comme on pourrait le penser, car le livre fonctionne pas particulièrement sur de longs dialogues - pourquoi un auteur de théâtre chercherait-il à écrire un roman en se focalisant surtout sur les dialogues, pourquoi une nouvelle forme d'écriture alors ? Le sens théâtral de Mazya se sentirait plutôt dans la construction des scènes, petites situations initiales, rencontres de personnages ou déambulation, dénouement, et ce en usant de chapitre parfois très courts ou très longs - belle maîtrise du rythme narratif, aussi bien à l'intérieur d'une scène que sur l'ensemble du livre. 

Mais surtout, l'écriture de Mazya est magnifique dans sa capacité à rendre la voix d'Ilan, narrateur du roman, longues phrases faites de courtes propositions, rapides, presque haché, les petites enchaînements imprévus d'un esprit vaguement paranoïaque - pas un psychopathe chronique, juste un inquiet maladroit. De superbes monologues que l'on prendrait plaisir à dire à haute voix, que l'on apprécierait d'entendre dit sur une scène par une voix d'acteur. De telles envies ne peuvent mauvais signe pour un roman.

6 octobre 2010

Tout va bien, film juste sur la famille homosexuelle, mais un peu conformiste



Tout va bien    (The Kids are all right) 
by Lisa Cholodenko, with Julianne Moore, Annette Bening, Mark Ruffalo, Mia Wasikowska (2010)
sortie française le 6 octobre 2010

Voici venue la sortie française du joli film indépendant "The kids are all right". Le titre français est affreusement lisse : "Tout va bien", peut-on faire plus neutre ? Et où est passée la référence à la chanson des Who ? Pourquoi certains titres restent-ils en anglais et d'autres se voient aussi neutralisés ? Peut-être le distributeur français n'a-t-il pas beaucoup d'espoir pour cette histoire de famille lesbienne... Les doublages niais de la bande annonce française ne laissent pas espérer grand chose pour le film en France... Mais l'un dans l'autre, "Tout va bien" n'est pas pire que le titre francophone utilisé au Québec cet été : "Une famille unique"...

Que reste-t-il de ce film deux mois après avoir vu le film cet été ? Toujours une même impression de justesse, de jolie peinture de vie de famille, des acteurs agréables et s'amusant (Mia Wasikowska bien plus intéressante que dans Alice...) - un ensemble frais, plaisant, presque réjouissant. Un faisceau assez vague finalement, pas forcément de grosses scènes marquantes qui titillent ma mémoire de cinéphile, mais le souvenir d'un agréable moment plutôt rythmé, avec quelques maladresses et scènes anecdotiques ; quelques coucheries détaillées et sans grand apport. Une très bonne tranche de cinéma adulte, plutôt bien pensé.

Un enthousiasme simple comme un sourire honnête, plutôt joyeux, sans euphorie extrême. Sans l'hyperbole de certaines critiques nord américaine, comme le montre l'assemblage du site Metacritic et son 86% de moyenne. Avec deux mois de recul, certains jugements semblent un peu surjoués, comme le premier paragraphe du New York Times : "Le film est la meilleure comédie présentant une famille américaine depuis... Depuis quoi ? Les précédents et sources de comparaison semble manquer" ; l'intégralité de l'article du New York Times était d'ailleurs reproduit sur une affiche publicitaire du film, installée à l'entrée de la salle... Je me sens plus proche des critiques comme le New Yorker, saluant la jolie troupe d'acteurs, mais soulignant le côté classique de l'histoire de famille.

Voilà certainement la vraie question entourant ce film : le conservatisme caché de l'histoire, une famille lesbienne certes mais aux valeurs terriblement classiques. On peut s'attendre, sans trop de surprise, à ce que la presse française mette l'accent sur les côtés les plus conservateurs de l'histoire, la peinture assez peu acide de cette famille originale. Le regard critique français est acéré contre le petit conservatisme américain. La critique du Monde donne déjà le ton en la matière avec le simple titre "Lesbiennes conservatrices" ; et les Inrocks ne semblent pas avoir accordé de place au film, absent pour l'instant de leur site Internet... Voilà qui explique peut-être le choix peu enthousiasmant du titre français, le distributeur sentant la menace flotter...

Dans l'élan de la séance, j'avais osé un certain paradoxe : le courage des valeurs familiales conservatrices dans le contexte homosexuel. Peindre une famille lesbienne de manière si banale, si sitcom, c'est une certaine prise de position, appel au droit à la normalité - une petite pierre vers la normalisation des couples homosexuels. L'argument est à la limite du paradoxe sophique, presque de la mauvaise foi, je veux bien l'avouer ; mais il ne semble pas totalement maladroit, et un peu moins proche d'un réflexe conditionné : "famille américaine = conservateurs !". Toutefois, plus de folie aurait pu porter le film un peu plus haut, le rendre plus mémorable qu'un joli jeu d'acteurs juste et frais ; peut-être par l'introduction d'un contre-point, des amis homosexuels à la trajectoire moins conformistes.

Le film est très agréable, fraîs, plaisant, mais peut-être un peu plus banal qu'il n'y paraît. Faire un bon film un peu banal est-il vraiment une belle étape vers la complète reconnaissance homosexuelle ?


bande annonce en VO et commentaires des comédiens



bande annonce française...



5 octobre 2010

Deerhunter et des échos de shoegaze prometteurs



Strange Lights 
by Deerhunter (2007)

La vie de chercheur offre parfois des heureux à-côté, en particulier à l'occasion de conférences et des voyages internationaux associés. Voyager pour présenter son travail, c'est un bon moyen pour rencontrer de nouvelles personnes, découvrir de nouvelles villes & cultures - mais aussi pour profiter de concerts ou pièces de théâtre ayant peu de chances d'atteindre la France. Ainsi, j'avais eu la joie de découvrir "Romeo & Juliette" en anglais sur la pelouse d'un college d'Oxford, ou d'assister à un concert des Notwist à Lubjana ; le groupe allemand n'était pas venu en France depuis 4-5 ans à ce moment-là...

Mon prochain passage à Portland fin octobre s'annonce déjà riche en terme de culture rock. J'ai déjà réservé des places pour deux concerts prometteurs. Sufjan Steven pour la sortie de la première véritable suite au magnifique album "Come on! Feel the Illinoise". Et Deerhunter, dont le tout récent Halcyon Digest vient de recevoir un magnifique accueil critique.

Je l'avoue, je ne connais presque pas Deerhunter, je n'ai pas écouté plus d'un ou deux titres de leur part. Je me fie aux échos critiques, au joli album d'Atlas Sound par le chanteur de Deerhunter, et au plaisir de découvrir live un groupe reconnu, comme je l'ai déjà fait avec The National, Animal Collective ou The Decemberists - de grands souvenirs à chaque fois. Et ce joli titre de 2007 laisse présager d'un très joli moment : guitare noisy noyant une mélodie pop, voix fluctuante, une jolie tranche de shoegaze à l'ancienne. 

Le clip souligne le bon goût du groupe. C'est l'une des premières fois que je trouve réponse à une de mes interrogations esthétiques : comment représenter les sensations de la noisy pop en dehors de la musique ? Le visage du chanteur est cadré très serré, baloté, noyé dans des flashs lumineux des couleurs mouvantes, à la manière des bribes de voix portées/agressées par le bruit des guitares...




4 octobre 2010

The Little Nothings, Lewis Trondheim's blog is still charming in English


Little Nothings - The Curse of the Umbrella 
by Lewis Trondheim (2007)

Lewis Trondheim is one of the biggest comics artist in France over the last 20 years. He created the series Lapinot, wrote the script for the various series of Dungeon, drew a couple of autobiographical books, and much, much more... And he started blogging in 2006, a series of one page anecdotes gathered under the title "Little Nothings" : everyday events, small reflections, travel or festival anecdotes...

The style is based on a couple of simple ingredients. The characters are animal-headed, in the traditions of Disney comics like the Scrooge adventures drawn by Carl Barks - a common approach for many Trondheim comics, especially his autobiographical work. The drawing are colored with watercolor, without any delimited frame, giving a light touch to the page. The whole anecdotes are set in a realistic contexts, with some large detailed drawing for travel aspects. And the tone is the characteristic Trondheim tone, blend of paranoiac & hypochondriac reflections, dry & absurd humour, focus on details.

The whole blend is charming and fascinating to read, especially on a regular on-line basis.

But this US printed version is also fascinating for the French reader I am. I started reading the Little Nothings on-line, around the half of the first year, e.g. the half of this first volume. I can clearly remember reading some of the pages on the website - and obviously in French... This is quite surprising to see these anecdotes & comments translated, available to the English reader on the other side of the ocean; and have the confirmation that the material is still fresh and entertaining even translated despite a couple of purely French details. The good French cartoon writers can definitely compete with the most fascinating indie comics from the US, no doubt about this. Sure, countries do not mean so much any more in the globalized world, especially on an art level, but it is good to have such confirmations, that cultural globalization does not only mean "export from the US" ...

And reading the 3-year old blog pages also showed me that such a good everyday blog can age well. And even reveal surprising echoes with the most recent news: Trondheim had to face the new Chikungunya virus in the Reunion Island. A couple of people were suffering from the virus last week during the very last week...


3 octobre 2010

The Social Network, magnifique film sur Facebook et la nouvelle économie

The Social Network
by David Fincher, with Jesse Eissenberg, Andrew Garfield and Justin Timberlake (2010)
sortie française le 13 octobre

Aujourd'hui, je comptais écrire quelques paragraphes au sujet du dernier livre que j'ai lu - un très intéressant livre de Salam Rushdie. Joli ouvrage, et alternance des sujets traités ; ne pas trop me focaliser sur le cinéma ou la musique, je souhaite un blog varié. Mais cette après-midi, je suis allé voir "The Social Nerwork" et je me dois d'en parler.

The Social Network, c'est le dernier film de David Fincher, réalisateur de Fight Club, The Game ou Benjamin Button - un film sur Facebook. Sur Facebook ? Les premiers échos à ce sujet date d'il y a un peu plus d'un an, je ne sais plus trop, et le buzz a commencé à monter avant l'été : The Social Network serait un des films à suivre à la rentrée, peut-être un candidat pour les Oscars. Pour un film sur Facebook ? Les échos se sont fait plus pressants depuis une dizaine de jours, avec la parution des premières critiques américaines. Toutes dithyrambiques. Le comparateur de critique Metacritic annonce ainsi un score moyen de 97%, score que je n'avais jamais vu : des pointures comme le New York Times ou Variety offrent des scores parfaits de 100%. Je me devais d'aller vérifier par moi-même au plus tôt.

The Social Network est un délice, un pure plaisir. Un objet assez fascinant.

Le film est construit autour des procès intentés à Mark Zuckerberg, président, fondateur et programmeur originel de Facebook ; procès de vol d'idée par d'anciens étudiants ou d'extorsion de parts par son ancien associé. Le film alterne scènes de discussions légales avec avocats et scènes de reconstitutions, présentant les différentes étapes de la création de Facebook. Depuis le campus de Harvard en 2003 jusqu'au franchissement du millionième inscrit, dans les locaux californiens du nouveau géant Internet. Le site commence comme The Facebook, assemblage de photos pour les seuls élèves de Harvard, et grossit peu à peu, trouvant de nouveaux investisseurs, déchaînant doucement de petites luttes de pouvoir interne, de petites jolies qui grossissent avec la réussite associée.

Programme austère s'il en est, proche d'un reportage économique façon Capital. C'est là l'une des réussites impressionnantes du film : rendre cette success story de Business School passionnante, rythmée, terriblement divertissante.

Tous les ingrédients du grand cinéma sont mis en jeu dans cette réussite. L'alternance des scènes contemporaines et des scènes d'époques permet de varier les angles, d'éviter le ronronnement, l'effet tableau noir et le récit poussiéreux de business magazine. Les dialogues claquent riches en formules, en remarques acides et hilarantes, aussi bien entre étudiants du campus qu'entre prévenus des procès. Le personnage de Mark Zukerberg est magnifique, très intelligent, toujours à la limite de la misanthropie, terriblement hautain, souvent cassant - un nerd brillant, monstrueux, génial, parfaitement incarné par Jesse Eisenberg tout droit sorti de Zombieland. Tous les comédiens s'en donnent à coeur joie, jeunes, dynamiques, sûrs d'eux et de leurs choix, une classe dominante moderne grimpant les échelons sans complexes, n'hésitant pas devant les mauvais coups. Un délicieux parfum de grande comédie, dans le rythme des répliques et la folie de certaines situations : bon sang, un étudiant de mauvais traitement envers les animaux pour avoir nourri son poulet à l'aide de morceaux de poulets, quelle histoire !

David Fincher s'empare du matériau d'origine à la richesse impressionnante, et parvient à doser avec soin son savoir-faire de réalisateur pour fournir ce résultat varié et si rythmé. J'ai toujours gardé une tendresse particulière pour Fincher, dont les films des années 90 m'ont marqué au plus au point - Fight Club a servi de détonateur dans ma vision de plusieurs aspects, folie de la réalisation, intérêt pour la musique électronique ou le rock indépendant. Ainsi, je n'avais pas hésité à braver la torpeur due à 9h de décalage horaire pour aller voir Benjamin Button lors d'un voyage à San Francisco. Et j'avais été assez décu : riche, varié, léché, inventif esthétiquement - et passablement superficiel, se prenant trop au sérieux.  Mais Fincher joue ici de toutes ses cartes, les scènes fonctionnent bien, même dans un banal bureau, l'introduction des personnages est souvent maligne, les teintes sombres ne jouent pas trop l'esbroufe. Il y a bien quelques scènes purement esthétiques, mais elles ne semblent pas gratuites, juste très belles, jamais trop longues ; les scènes de fêtes étudiantes sont parmi les plus intelligentes vues récemment, et la course d'aviron est une magnifique réussite de présentation du sport sur grand écran - plus forte peut-être que les meilleures scènes d'Invictus de Clint Eastwood...

Magnifique divertissement, belle réussite cinématographique, mais surtout fascinant témoignage sur l'économie contemporaine, sur les développements les plus récents de l'économie numérique. Bon sang, le film débute en flashback, mais un flashback vers fin 2003, il y a 7 ans à peine !

De nombreux aspects sautent au visage dans cette peinture d'une e-réussite, et il me faudra certainement y repenser plusieurs fois avant d'en épuiser la richesse, ce que le film suggère ou ce à quoi il me fait penser (je compte bien aller le revoir...) Mais deux idées m'ont déjà frappé aujourd'hui, au fur et à mesure de la vision ou lors de mes premières réflexions en sortant de la salle, durant les deux dernières heures. Tout d'abord, l'évanescence de la création, de l'activité créatrice. Mark Zuckerberg est l'inventeur de Facebook, il en programme le code initial, en façonne les premiers concepts ; des anciens collaborateurs l'accusent d'avoir voler l'idée : ils avaient engager Mark pour monter un réseau social spécifique à Havard ; qui est l'inventeur ? Y a-t-il un unique inventeur d'ailleurs ? Les rameurs blonds et fils à papa ont bien eu une idée innovante, mais Mark Zukerberg l'a poussé plus loin, lui a donné beaucoup plus d'élan. Et différents concepts de Facebook se sont agrégés peu à peu, idées captées lors d'une discussion anodine, souvent d'un délire ou d'un bavardage sur les filles. Le mythe du grand inventeur, du génie isolé vole en éclat, on voit parfaitement un processus créatif délocalisé, diffus, permanent, par discussion, par saisie dans l'instant de la moindre suggestion, peu à peu mise en forme - même par le vol d'idées : comme le dit Mark Zukerberg, d'autres ont peut-être eu l'idée, mais s'ils voulaient être inventeur de Facebook, ils n'avaient qu'à l'inventer. 
Le film est terriblement moderne dans sa représentation de la création, où tout moment peut fournir matière à réflexion ou étincelle.

Mais surtout, le film offre un superbe exemple des motivations de la création moderne, des forces à l'oeuvre dans les technologies de communication. Mark Zukerberg se lance dans l'aventure à partir d'un méchante blague suivant une rupture amoureuse : il pirate les trombinoscopes des différentes bâtiments de Harvard, et crée un site où l'on peut désigner la plus grosse chaudasse entre deux filles tirées u sort aléatoirement. Blague potache et bête s'il en est... mais qui fascine les étudiants au point de faire sauter les capacités du serveur d'Harvard ! La grosse blague lui fait prendre conscience de l'intérêt des gens pour le contenu concernant leurs proches. Le plus jeune milliardaire américain a bâti son empire sur un stupide site façon commentaires de vestiaires entre mecs... Le point de départ est marquant mais un état d'esprit similaire gouverne à nombres de fonctionnalités ajoutées peu à peu à Facebook, comme la phrase de statut ou la précision de la situation amoureuse. Car Mark et ses collaborateurs l'ont bien compris : ce qui intéresse les étudiants d'Harvard, cible initiale du site, c'est les petits bavardages d'après-cours, et de savoir avec qui ils vont pouvoir coucher. La vie privée la plus banale comme moteur des intérêts des utilisateurs, et donc comme source de valeur : le modèle s'est élargi sans problème au plus grand nombre. Voilà bien un des grands changements de focalisation dans les télécoms sur les dix dernières années, voilà une jolie justesse du film.

Mais il y aurait certainement beaucoup plus à dire sur le film, et j'en dirai assurément plus dans les prochaines semaines sur ce blog. Je vais déjà me régaler à la lecture des critiques américaines : les 5 pages du New Yorker sur le film s'annoncent des plus intéressantes... 




2 octobre 2010

Cyrus, échanges cruels à fleuret moucheté dans une famille en recomposition

Cyrus 
by Jay & Mark Duplass, with John C. Reilly, Jonah Hill, Marisa Tomei and Catherine Keener (2010)

John vit seul depuis sept ans, quitté par sa femme - il est temps de se bouger un peu, à 45 ans. C'est ce que pensent ses amis, en particulier son ex-femme, qui l'emmène dans une soirée ; pour voir du monde, discuter. Rencontrer une femme. John flotte ; parle dans le vide ; boit. Mais miracle, voici Molly, séduisante & compréhensive, enthousiaste. Un nouveau départ !

Mais Molly a un fils de 22 ans, Cyrus, solitaire, musicien, immature ; très proche de sa mère. Très ouvert et positif sur l'arrivée de John, en apparence. Mais le nouvel équilibre familiale va-t-il tenir ?

Cyrus est filme indépendant américain, sélectionné au festival de Sundance, et on en retrouve certaines recettes : sujet familiale contemporain, importance des détails intimes, nombre des personnages limités, filmage simple et dépouillé... La réalisation pousse assez loin la logique d'authenticité en adoptant des pratiques brutes proches du documentaires, caméra instable cherchant à regarder au mieux un personnage, zooms abrupts en cours de plan pour s'approcher au mieux. Cette technique de pseudo-documentaire, très marquée dans la longue scène de la soirée, rappelle un peu les choix esthétiques de séries comme The Office, interviews des personnages en moins. Mais l'effet est réussi,les regards, les murmures sont captés au mieux, et l'on sent en effet proche des personnages.

Cette proximité permet de mettre en scène toutes les petites discussions intimes échangées dans un couple, entre une mère et son fils. Le flux de la parole tâtonne parfaitement, les regards sont instables, cherchant, jolis performances d'acteurs permettant de présenter ces mots échangés sur l'oreiller quand le sommeil ne vient pas.

Ces douce intrusion se trouve contrebalancée par l'atmosphère sous-jacente d'agressivité. Le jeune Cyrus ne voit pas vraiment d'un très bonne oeil l'arrivé de cet amant dans la vie de sa mère, mais ne s'en ouvre presque jamais, restant souriant et préparant ses mauvais coups en douce, ses petites bidouilles. Et malgré sa bonne volonté et son amour pour Molly, John ne peut que reconnaître qu'il déteste ce personnage ingérable - sans pouvoir rien en dire. Théâtre de lutte à fleuret moucheté, mais où les mouches sont amovibles dès que la mère tourne le regard : John C. Reilly et Jonah Hill s'en donne à coeur joie, lisse et amène en façade, toute colère rentrée, mais près à explosé en grossièreté. La performance de Jonah Hill est particulièrement suprenante, lui que l'on a connu hystérique, hyper-actif et bavard à l'extrême dans Superbad ou Get Him to the Greek. Son incarnation de ce vieil ado obèse, bizarre, poli mais secrètement cruel est impressionnante, et certaines scènes sont mémorables, jeu de musique électronique biscornue ou préparation de sandwich de nuit, vêtu d'une simple chemise mais armé d'un immense couteau. Espérons le voir encore élargir sa palette de rôle...

Le film navigue dans cet entre-deux au rythme étrange, intimité familiale et folie agressive rentrée, absurdité pince-sans-rire. La relation mère - fils donne lieu à quelques débordements de tendresses à la folie assez impressionnantes, telle une scène de chahut dans l'herbe ; mince, ce gosse à 22 ans et une physique obèse ! Bien entendu, tout cela se termine en une situation apaisée, promesse d'avenir heureux à trois, et le rythme d'ensemble peut sembler un peu mou. Mais la majeure partie du film offre une jolie satyre retenue des canons modernes du fonctionnement familiale, proximité mère - fils, rapports apaisés entre ex-époux ou discussion libérée dans une famille recomposée. Et l'acidité la plus prononcé tient certainement aux fameux discours matures, l'importance de la discussion honnête et constructive, afin que les choses ne pourrissent pas ; élément majeur pour un couple ou une famille, assurément ! Mais aspect tissé de phrases toujours à la limite du cliché, dont on peut jouer facilement et avec virtuosité pour cacher la cruauté la plus profonde.