25 novembre 2011

Jackie - tant de choses à proposer, et rien à en retirer. Jackie.

Jackie. Jackie sur scène à Ottawa.
Oui, Jackie.

Jackie, bien sûr. Jackie Kennedy.
Quelle autre Jackie ?

L'assemblage joue sur les stars. Jackie Kennedy l'icône. Dans un texte d'Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature. Mis en scène par Denis Marleau, ancien directeur du Theâtre frnçais au CNA, habitué d'Avignon, récemment passé par la Comédie Française. Avec Sylvie Léonard, actruce multiprimée.

Mais l'important, oui, c'est Jackie. Jackie, la Jackie, son long monologue.
Sa présence.
Sa silhouette, son image. Une telle figure, une image médiatique, dont tout le monde a capté l'image, la photo, ici, ailleurs, depuis des années. Une femme d'image, et la mise en scène embrasse l'aspect médiatique frontalement : un caméraman la suit sur scène, pour maintenir en permanence un gros plan sur grand écran Noir et Blanc en fond de scène ; la femme en interview, en représentation, et son image transmise, ses lèvres mobiles immenses, ses sourires, ses regards contrôlés à la caméra - en contrepoint de ses paroles - l'image et le verbe.

Oui, un flot du verbe, comme d'infinies tirades cousues les unes aux autres par coutures imperceptibles ; comme un seul immense monologue d'une heure cinq, presque sans reprendre son souffle au coeur des mouvements. Un ton presque doux, posé, comme plat, à la limite du neutre ; une presque voix blanche. Pourquoi pas ? 
C'est un spectre qui s'adresse à nous, une figure du passée, un personnage qui ne cache son statut de morte. Seule survivante - selon la légende du clan Kennedy décimé et riche en tragédies ; survivante même morte, la dernière, seule qui à continuer tout droit.

Et peut enfin s'exprimer. Sortir du cadre de l'image et des couvertures de magazine, et parler, parler, partager enfin sa condition de première dame ; première dame, l'expression consacrée, si creuse, et si vraie : celle vue en premier, en permanence.

Voilà tout un beau programme. Tout est bien assemblé, les symboles bien amenés : le côté médiatique, renforcé par des photos jaillissant sans fin des magazines qu'elle feuillète, et le flot de parole, le jaillissement, la profondeur caché qui parle toute seule, comme inarrêtable. Et pas n'importe quelles paroles, les paroles de Jelineck, la poète des femmes tiraillées, écrasées par la société et les désirs conventionnels dont elles ne peuvent se détacher.

Et tout cela n'a aucunement capté mon attention.
Jackie, lançant sa glossolalie de manière étouffée, puis prenant pied tout doucement par les répétitions, comme une parole tournant en boucle là-bas, on ne sait où, pour faire continuer son show, même si c'est enfin un show intime.

Jackie évoquant ses robes, son obsession du vêtement, sa seule marque. Glissant des paroles sur les autres Kennedys, sur la cervelle de Jack s'échappant après le coup de feu ; glissant une obsession sur Maryline - bien sûr, comment ne pas en parler, Maryline ?

Enfin, il y avait certainement bien plus que tout cela, mais je n'ai pas écouté plus d'un tiers de la pièce. Une pièce dont le rythme m'a semblé bien monocorde ; choix conscient, je n'en doute pas, figure sous contrôle toute sa vie, et revenant des morts : pas étonnant que la parole soit offerte égale, souvent égale. Une mise en scène dont les jeux de regard entre public et caméra ne m'ont pas intéressé ; encore un choix de mise en scène maîtrisé, pour offrir un peu de variation, et souligner le côté médiatique et la connaissance de Jackie de ce jeu. Une mise en scène dont le soin des costumes et des accessoires m'a paru fort superficiel, flattant le petit public, proche des obsessions bêtes des biopics de cinéma ; force est de constaté, avouns-le, que retrouver autant de numéros du magazine Life, autant de robes parfaites, est un jolie travail d'accessoiriste et de costumière.
Un spectacle dont le texte lui-même ne m'a jamais donné envie d'être suivi, d'en suivre les variations et les méandres ; oui, Jack, oui, les Kennedy, oui, la première dame et ses toilettes, oui, les fausses-couches, oui, Maryline - and so what ?

Non, Jackie Kennedy ne m'intéressait pas vraiment auparavant, et le spectacle ne m'a pas offert d'angle d'accroche pour m'y intéresser. Ne m'a pas proposé d'ouverture à approfondir sur le statut de la femme bourgeoise des années 50-60, sur le jeu médiatique, sur la politique américaine, sur le goût du paraître.

Beaucoup d'éléments assemblés, et si peu au final.
Jackie, voyons.



23 novembre 2011

Kim Kilpatrick conte sa vie de femme aveugle : toutes ces choses supers, et ces choses sombres aussi

La lumière s'éteint à son entrée en scène.
La voix s'élève, conteuse.

La lumière ne se rallume pas pendant les 5, 10 premières minutes. Histoire contée dans la pénombre.

Ainsi début le spectacle de Kim Kilpatrick, "Voler dans l'ombre : Histoire d'une Femme aveugle" (Flying in the Dark: A Blind Woman's Story). Premier spectacle complet de la conteuse d'Ottawa, membre bien connue de la scène de la ville et des amateurs d'Ottawa Storyteller. On peut entendre souvent ses histoires, leur ton léger, l'humour, le pouvoir de l'expérience vécue, souvent surprenante. Kim raconte des histoires autobiographiques avec un parfait sens du conte, et une belle capacité à mettre en valeur son sujet : ses expériences de femme aveugle. Toutes les choses super liées au fait d'être aveugle, comme le dit le titre de son blog, Great Things About Being Blind ; et aussi, bien sûr, les réactions surprises, la tendance de certains à sous-estimer les capacités des aveugles, surjouant l'empathie naïve jusqu'à la condescendance.

La première partie du spectacle offre ainsi un parfait exemple du style de Kim, l'univers poétiques et drôle de ces histoires. Un spectacle sur sa vie de femme aveugle - alors tout commence donc par les expériences de jeunesse, sa puissante imagination, ses premières petites luttes avec la stupidité des autres, que ce soit une voisine la traitant de bébé ou une institutrice lui interdisant toute activité dangereuse - à savoir, toute activité. Le flot du récit est fluide, porté par les images, petite fille rêvant de dragons sortant d'oeufs en chocolat, choisissant les couleurs des feutres à leur parfum. Et bien sûr, les grandes premières, première journée dans sa nouvelle école à la maîtresse compréhensive, la lecture en braille sous les couverture, le premier trajet seule dans la rue avec sa canne blanche - pour aller acheter des chewing-gums.

Les récits volent, les sourires flottent dans le public. L'imagination, la technique du récit, l'humanisme.

Mais le spectacle me surprend fortement dans sa deuxième partie. Pour réussie qu'ait été la première partie, elle ne m'avait pas vraiment surprise ; correspondant au style de Kim tel que j'avais pu y goûter une demi-douzaine de fois, drôle, moquant la bêtise avec douceur, presque optimiste - toutes ces choses super, super ; 30 minutes étirant et enrichissant en petits détails les tranches de 5 minutes que j'avais entendues.

Ou placer pourtant le début du deuxième acte par rapport à ces schémas et idées ?
Portraits esquissés de plusieurs héros ayant dépassé le handicap, Terry Fox courant à travers le Canada avec une prothèse à une jambe, Bethoven composant des musiques somptueuse comme si la surdité ne pouvait rien y changer ; portraits de grands modèles qui, tous, offrent des mots désabusés dès leur deuxième phrase. 
Kim ne sait plus faire entendre l'assurance de ses modèles.

La tonalité a basculé par ce système joliment trouvé, et la deuxième partie sera celle du doute, des moments d'angoisse, petits ou grands, des interrogations sur l'écriture, sur le message à véhiculer, sur la capacité à gérer le stress. Quelques minutes plus tôt, la maladresse bête ou méprisante se voyait ridiculisée par les compétences de Kim, son sens de la vie, son habilité à faire les choses par elle-même ; maintenant, le ridicule des stupides persistent, mais pousse la tête de Kim un peu plus sous l'eau dans ces moments d'inquiétudes...

Comment écrire ce spectacle ? Comment monter tout cela ? Comment assembler toutes ces choses super liées au fait d'être aveugle ? N'y a-t-il pas aussi des moments moins agréables ?

La première partie donnait du volume à l'image basique de la petite fille aveugle, donner vie et couleurs au schéma en deux dimensions. La seconde partie offre une troisième dimension d'un autre type, la profondeur souterraine, l'interrogation, les incertitudes et angoisses, le lot de tous, la condition humaine,  ses doutes.

Le récit se fait lui-même plus déstructuré, sautant d'anecdotes, de portraits rapides vers des séances d'écritures de groupe pour débloquer la création du spectacle ; surgissent des instants de la vie de tous les jours où l'angoisse de la création empiète sur les activités habituelles. Par touches, les mêmes commentaires bêtes réapparaissent, comme dans l'enfance, comme toujours ; "de quelle couleur sont vos boutons ?" demande une infirmière par téléphone, "médicaments anti-stress ? ma pauvre, tout doit être tellement stressant dans votre état" s'exclame la pharmacienne. Bêtise à faire peur plutôt qu'à faire pitié. Bêtise qui donne envie d'un câlin bien au chaud dans sa chambre, incapable du rire haut de l'enfance criant "mais si, je peux". Les choses liées au fait d'être aveugle sont aussi les interrogations du sujet moderne, comment aurait-on pu en douter ?

Cette profondeur sombre m'a fasciné - pourtant, dieu sait si j'avais aimé les histoires de Kim entendues auparavant, leur humour parfaitement temporisé. Son "style". Cela m'apprendra aussi, bien sûr, à proclamer "je connais son style" sur la foi d'une demi-douzaine de textes courts...
Qu'importe les limites de mon sens critique. Cette épaisseur, et cette bien jolie composition souple, donne une réalité moins idéalisée, plus nuancée, à son humanisme dynamique. Elles demanderaient à être écoutées de nouveau.


"Flying in the dark: A Blind Woman's Story"
Created and Told by Kim Kilpatrick (2 women productions)
November, 19th, 2011 - Café Molo,  Wakefield, Québec