13 mars 2009

Leçon d'économie du récit pour une touchante rédemption

Gran Torino 
by & with Cleant Eastwood (2009)

Walt survit misanthrope dans cette banlieue délabrée du Michigan ; vétéran de la Corée et retraité des lignes de montage Ford, il tond sa pelouse et boit des bières sans vraiment déserrer les mâchoires depuis la mort de sa femme. Le voisinage est tombé aux mains de famille vietnamiennes Hmong, les gangs de petite envergure patrouille, et Walt astique sa superbe Ford Gran Torino en parlant à son chien.

La situation est clairement posée dès l'entame du film, les différents fils d'opposition, les schémas narratifs évidents ; l'Amérique disparue et ses immigrés, la paternité et la transmission, la mort. Le début du film déroule les scènes d'expositions et les intermèdes comiques, le vieil homme raciste noyé dans la communauté étrangère. Premier tiers distrayant sans totalement convaincre en lui-même ; une version longue de la bande-annonce, d'une certaine manière, prévisible, aux traits un peu épais, presque agaçante quand pour certaines scènes à l'écriture presque bâclée ; sans véritable grâce, sans encore de force.
Constat peut-être un peu sévère car la salle rit et passe un bon moment. Finalement, en y réfléchissant, ces quelques clichés s'avéreraient assurément amusants dans un film de genre, une toile millésimée ou un film hystérique second degré à la Tarantino.

Mais malgré les minces risques de décrochages, l'attention reste en éveil puisque Walt, c'est Clint Eastwood, et parce que la réalisation est de Clint Eastwood. Même si les dialogues initiaux semblent parfois écrits avec une mine mal taillée, la longue silhouette aux mâchoires serrées rappelle quel grand acteur Mr Eastwood a toujours été, dégageant une présence impressionnante. Et la qualité des images pour ces scènes un peu triviales attrape l'attention elle aussi ; comme toujours, chez Eastwood, la caméra flotte en travelling, mais proche des visages et des petites maisons, sans risquer le tragique parfois surjoué de Mystic River. Les sens cinéphiles se maintiennent actifs face à cette maîtrise discrète.

Et peu à peu le savoir-faire se fait plus évident et l'histoire se fait plus profonde, l'image plus belle et le regard paresseux du début se découvre fasciné. Les personnages caricaturaux prennent doucement corps et révèlent leur humanité, leurs facettes, leurs interrogations ; et ce même jusqu'au pasteur pâle et roux dont on ne donnait pas cher après quelques minutes : le jeune prêtre sans expérience, un peu ridicule, se révèle capable d'écoute, patient soutien, source de colère et d'abnégation. Ce personnage de pasteur ne constitue pas le coeur du récit, mais il illustre l'envolée limpide et complexe du film, ne dévoilant ses ressorts et ses figures qu'avec patience.

A travers la belle rédemption du vieillard misanthrope, Clint Eastwood livre une leçon d'économie du récit, la justesse de son classicisme. Au début du film, il a posé doucement les jalons de son histoire, esquisse peu à peu ses personnages et encre les traits sans se presser, sans avoir peur de livrer longuement l'exposition durant le premier acte. La trajectoire du film s'affiche plus puissante alors, à l'aide de contrastes saisissants, à la manière des magnifiques plans silencieux, Walt méditant dans l'ombre, vieil homme finalement muet au combiné avec son fils, ou longue silhouette aux poings ensanglantés par sa colère sourde. Trajectoire déchirante qui dégage une profonde émotion que le jazz rocailleux du générique ne dissipe pas, imprégnant profondément la mémoire.

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