29 septembre 2010

La jolie palette des Liars (que je ne verrai pas en concert)



          Liars in concert in Ottawa on October, 1st 

Finalement, je ne vais pas pouvoir aller voir Liars en concert cette semaine. J'ai pourtant pris ma place il y a quelques semaines, excité à l'idée de découvrir l'énergie scénique du groupe. Mais d'autres projets sont venus se greffer à mon agenda, et il est difficile de refuser un joli week-end dans un chalet en ce début d'automne...

Mais si la perspective de bons moments dans la nature est alléchante, il me reste quelques regrets musicaux. Je n'ai vraiment écouté qu'un seul album de Liars, et assez tardivement : leur fourre-tout éponyme sorti en 2007, quatrième album du groupe. J'avais lu quelques critiques prometteuses de leurs albums précédents, quelques compte-rendus inégaux de concerts également ; une littérature suggérant un groupe pas forcément facile d'accès. Ce sont des titres plus calmes comme Houseclouds ou Sailing to Byzantium qui m'ont attiré vers cette album, que j'ai finalement trouvé d'occasion chez un marchand parisien. Joli coup de chance : Liars (l'album) joliment gros dégagement d'énergie rock et petits morceaux plsu doux, sympa, bien ciselés.

L'album débute ainsi par ces deux titres, enchaînés dans cet ordre : hurlement rapide, puis vignette rigolarde. J'espère avoir une autre occasion de les voir jouer live !




28 septembre 2010

Easy intimacy with Jeffrey Brown, love story & everyday relationship in the details


A E I O U  or  Any Easy Intimacy
by Jeffrey Brown (2005)

Any Easy Intimacy, dernier volet de la Girlfriend Trilogy de Jeffrey Brown, après Clumsy et Unlikely. Le cycle a par la suite été bouclé par un petit récit dénommé "Any Girl is the End of the World for Me", dont je reparlerai plus en détail - rien que pour le titre joliment trouvé.

Any Easy Intimacy, un glissement en terrain connu : trait sec, rapide, comme crayonné vite fait ; histoire d'amour, relation simple en petites scènes, et hauts & bas. Le quotidien d'une relation, fait de passages au supermarchés, de DVD regardés à deux sur le canapé, des phrases tendres ou bêtes échangées sur l'oreiller. Mais les planches se font encore plus minimales que dans les ouvrages précédents, scènes captées en quatre ou deux cases, en très petit format, bribes de souvenirs surgissant sans vrai enchaînement, dessinés juste pour se rappeler d'une phrase cocasse ou d'un regard échangé. L'histoire d'amour se voit condensée en son squelette le plus élémentaire, presque sans trame narratrice une fois la rencontre amorcée.

En interviewJeffrey Brown confirme son envie de focaliser sur les détails : laisser beaucoup de détails sans donner vraiment accès au fond de l'histoire. Cette interview de 2006 est passionnante, laissant entrevoir le contrôle de Brown sur ses petites créations, son dessin dans des carnets de petit format, ses hésitation, transparaissant dans ces phrases qu'il reprend sans cesse. Certains traits de caractère que ces carnets autobiographiques laissaient entrevoir, grand sensibilité, humour, goût du mot juste mais modeste. J'espère pouvoir lire bientôt ses travaux les plus récents, aussi bien comiques qu'autobiographiques - où il évoque maintenant sa vie de couple et son file...


27 septembre 2010

Les Amours Imaginaires, et Dolan construit une passion des apparences, peut-être trop focalisée





Les amours imaginaires
de Xavier Dolan, avec Xavier Dolan, Niels Schneider, Monia Chokri (2010)
sortie française le 29 septembre 2010


J'ai déjà vu le film deux fois. Le lendemain de sa sortie québécoise, le 12 juin ; puis une seconde fois, fin juillet, à Montréal même, cadre du film. Deux séances plutôt satisfaisantes, riches en scènes agréables, en moments semblant bien trouver. Pourtant, je n'ai rien écrit sur ce blog au sujet du film jusqu'à présent ; l'arrivée de la sortie française me pousse un, comme un date limite à respecter. 

Un film plaisant, mais aussi vaguement insaisissable, au petit goût d'incomplet que je ne parviens pas discerner, à identifier clairement. Ce texte sera certainement suivi d'autres réflexions...

Grand, blond, bouclé, séducteur, Nicolas entre dans la vie de Francis et Marie, deux amis proches - mignonne brune, homosexuel élégant. Nicolas parle bien, aime la littérature ou le cinéma, adore être entouré d'amis intimes, des relations assez fusionnelles. Sans surprise, Francis et Marie tombent tous deux follement amoureux du séduisant jeune homme, lançant une compétition de charme au milieu des actions dilettantes de Nicolas.

"Les Amours Imaginaires" est un film de passion, d'amour comme idée fixe ; le thème du film est clair, évident, presque surligné. Un film sur les idées fixes, les détails sur-cristallisés, les petits riens alimentant la rêverie amoureuse et douloureuse quand elle n'est pas encore partagée, et les stratégies dérisoires que l'on bidouille pour tenter d'attirer l'objet aimé à soi. Logiquement, le film joue avec les apparences, les vêtements, les coiffures, les regards ou les petites phrases, tout un éventail fétichiste ajusté au millimètre.

Oui, Xavier Dolan prend un plaisir évident et maniaque à tisser le fétichisme de ces échanges à trois, jouant du ralenti, des musiques ou des costumes, le moindre détail plastique ou sonore ayant été sélectionné par ses soins. La caméra est maniée au plus près des corps, toujours filmés en gros plan, près des des visages, et l'on ne doit jamais apercevoir les acteurs principaux des pieds à la tête, jamais plus loin qu'un plan américain. Le choix de proximité est frappant par rapport au précédent "J'ai tué ma mère", où Dolan avait ajusté des plans mi-larges afin de mettre en valeur les échanges violent du fil et de sa mère. Ici, tout n'est que détail, millimètre magnifié sur l'écran, dégageant une impression vaguement claustrophobe - une passion inassouvie comme plongée dans l'abîme d'un horizon fermé, cela fait sens.

Cette claustrophobie du détail roi suit les tentatives maladroites de Marie et Francis. Aveuglés par les apparences, le sourire ou les boucles de Nicolas, ils ne savent que construire leurs tentatives de séduction sur de semblables apparences. Pas de discussion, d'échange profond, d'intimité assemblée peu, juste un soin apporté dans le choix de leur tenu, robe vintage, veste bleu claire, un soin méticuleux dans l'achat de cadeau eux-même vestimentaires et caricaturaux : pull orange, canotier. Ils repoussent le vrai dialogue, ne sachant comment avoir prise sur Nicolas de plus en plus superficiel, cherchant refuge dans ce paraître qui les obsède.

Ils n'ont pas tort. Quand ils oseront enfin des phrases vérités, des questions, l'équilibre précaire de l'échange s'écroulera presque instantanément.

Le fétichisme est peu précieux et excessif, symbolisé par le canotier cadeau d'anniversaire, déteint sur certains choix de mise en scène de Dolan. Certains ralentis s'étirent interminablement, personnage marchant et filmé de dos à la façon d'In the Mood for Love, certaines images surgissent filtrées en vert ou rouge ; beau, léché, plus proche d'un cinéma d'art et d'essai européen ou asiatique que du film réaliste projeté à Sundance. Dolan a un savoir-faire technique indéniable, dont il abuse peut-être un peu, poussant au maximum ses idées et partis pris, cherchant à plonger le spectateur dans une représentation sensuelle maximale de l'amour passionnel de surface. Beau, parfois à la limite du décrochage.

Heureusement, quelques intermèdes superbement trouvés surgissent pour offrir de jolies respirations, souvent très drôles. Seuls face à la caméra, de jeunes adultes racontent une anecdote ou leur expérience d'un amour obsessionnel. Jeune gay s'interrogeant sur les préférences sexuelles, fille à lunette carré obsédée par la réception d'un e-mail sentimental, garçon au prise avec une fille ultra-romantique mais à la lettre ridicule et bourrée de fautes d'orthographe, Dolan offre une petite galerie de portrait où les mots sonnent justes, les expériences contemporaines, distrayantes, pleines d'énergie - entrain renforcé par le langage rapide de ces comédiens-témoins où l'accent québécois claque comme une mitraillette. Ces passages seront certainement sous-titrés en France...

Nous voici donc avec un film légèrement double. Partie extrêmement esthétique, fétichiste, histoire de compétition amoureuse flirtant avec l'échec ; la trame narrative du film. Et sursauts de témoignages, multiplication des angles d'approche, offre d'autres possibilités, d'autres idées fixes ; quelques gouttes de généralisation de l'expérience.

L'équilibre entre les deux fonctionne assez bien, et dessine plus précisément l'une des ambitions de Xavier Dolan, martelée au travers de ses interviews au festival de Cannes. L'aspiration à dessiner une peinture contemporaine, à offrir une (ou plusieurs) études de cas générationnelles. L'amour fou et rêvé des jeunes dans les années 2000. Joli sujet, pas évident, en particulier pour une jeune réalisateur comme Dolan, 21 ans à peine. On peut saluer l'effort, et l'équilibre du film est plutôt réussi, et les scènes souvent très impressionnantes.

Mais peut-être est-ce à ce niveau que se situent mes réserves, mon petit goût d'inachevé que je n'ai pas réussi à formaliser depuis juin. Un film générationnel, une histoire d'amour de son temps - un exemple-type. Je ne suis pas certain que le gros du film puisse atteindre une telle vérité, un tel niveau de généralisation. De par sa focalisation extrême sur le trio amoureux, le film laisse peu de place au monde extérieur. Presque aucune vue d'ensemble, d'ambiance de rue, de personnages extérieurs, même pas métier précis pour Francis ou Marie. Les années 2000 n'apparaissent que dans certains choix vestimentaires ou l'utilisation des téléphones portables (et encore, je ne me souviens pas d'échanges de SMS). Cela donne un côté plus intemporel à l'histoire, c'est certain, mais l'empêche d'atteindre le statut de reflet de son temps. Sans détailler les activités professionnelles de certains personnages, sans laisser un peu d'ouverture sur le Montréal environnant, Dolan a préféré maintenir au maximum son système claustrophobe et rapproché, et n'a pas voulu pousser au maximum son étude du particulier.

Je me rappelle avoir été doucement fasciné par le début de Repulsion, de Polanski, tourné en 1965. Pas par la jeune Catherine Deneuve ou l'histoire de paranoïa extrême qui va se développer, mais simplement par les quelques plans de marche dans le swinging London, entre rue à la circulation modérée et bâtiments propres. Le film prenait place indéniablement dans les années 60, la coiffure de Deneuve le confirmait, et le cadre était clair et précis. 

De tels petits moments ne sont pas présents dans "Les Amours Imaginaires", le film fonctionne en vase clos, aussi bien dans sa séduction en gros plan que dans ses interviews face caméra. Il offre quelques pistes, mais reste peut-être un peu trop mono-dimensionnel dans son obsession du détail ; peut-être y avait-il moyen d'offrir un léger contrepoint, casser un peu plus souvent le rythme du fétichisme, et offrir alors un peu plus d'épaisseur, de sens, de généralité. Et peut-être y avait-il moyen de laisser plus de place aux dialogues des personnages principaux, plutôt superficiels pendant la première partie du film.

Mais Dolan n'en est qu'à son deuxième film, dont il assure scénario, réalisation, choix des costumes et musiques, montage, et même rôle principal. Il n'est pas surprenant de l'imaginer avec une large marge de progression, pas capable encore d'un complet chef d'oeuvre auquel il n'y aurait rien à ajouter. Du dosage ! Il pourrait être intéressant de le voir travailler sur l'adaptation d'un scénario qu'il n'aurait pas écrit, voir comment il s'y prendrait.





26 septembre 2010

Stupid songs you cannot stop - A playlist

   PLAYLIST  -  STUPID REPETITIVE SONGS YOU CANNOT STOP LISTENING TO


Il y a quelques jours, je suis tombé sur ce morceau, l'un des plus stupides qui existe :



Das Racist, trio rap de Brooklyn, y offre un texte minimal terriblement crétin, qui tient en trois phrases :
     "I'm at the Pizza Hut"
     "I'm at the Taco Bell"
     "I'm at the combination of Pizza Hut and Taco Bell"

Les deux enseignes appartiennent au même groupe : aux Etats-Unis, on trouve des établissements groupés, les Combinations. Les deux MCs se sont donnés rendez-vous dans un de ces combinations, mais ne parviennent pas à se retrouver. D'où le dialogue absurde et répétitif par téléphone portable interposé - et le titre du morceau : "Combination Pizza Hut and Taco Bell"...

Critique de la société de consommation et de la malbouffe ou stupidité crasse, difficile de trancher à l'écoute du titre seul. Le titre est sorti en dans la première moitié 2009 et est devenu une sorte de petit tube débile, grâce à son côté inarrêtable : une fois lancé, impossible de ne pas reprendre les échanges bébêtes et d'appuyer sur repeat... Mais les Das Racist ne sont pas les hommes d'un seul tube stupides : leurs récentes mix tape avec les meilleurs producteurs hip hop font doucement monter le buzz et laissent espérer des titres plus travaillés, avec le même type d'ironie.

Mais cet exemple stupide, minimal et entêtant m'a donné envie de trouver quelques exemples équivalents. Des morceaux cons tenant en deux ou trois phrases. Première tentative de playlist en une demi-douzaine de titres...
  • DEVO   -   Praying Hands   -   1978
Devo, groupe post-punk new wave chantre de la dé-évolution : l'humanité devient de plus en plus stupide. Chapeau en plastique, uniformes colorés, morceaux répétitifs, paroles vaguement bêtes : voilà qui correspond bien à nos critère. Comme avec ce morceau tiré de leur premier album : "You've got your left hand, you've got right hand, you've got both hands"...


  • The Fall   -   Industrial Estate   -   1979
The Fall, punk de Manchester (avant de devenir bien d'autres choses en une si longue carrière). Mark E. Smith geule, va vite, balance des commentaires sur la société. Et parfois droit au but : 1:30 de chanson ici, avec pour seul refrain repris encore et encore :"Ya Ya Industrial Estate".


  • Fatboy Slim   -   Slash Dot   -  2004
La bulle avait déjà éclaté depuis quelques années - j'aurais cru le morceau plus proche de l'an 2000... Mais Fatboy Slim lancé les machines à fond, et répéter sans fin "Slash Dot Dash Dot Slah Dot Com". Hymne peut-être un peu paresseux dans son écriture, mais toujours hyperactif, un hymne pour la société Internet, et ce bien avant Twitter ou Facebook.


  • Matthieu Boogaerts   -   Jambe   -   2008
Sur l'album I Love You, Matthieu Boogaerts tisse des petits morceaux de 2 ou 3 minutes, portés par son jeu de batterie impeccable et ses mélodies rigolotes. Et par des textes presque simplets, des sortes de comptines un peu ridicules mais touchantes : "Danse, Danse, Danse avec ta jambe parce que c'est gai". Plus poétique que Das Racist, c'est certain...


  • Riva Starr   - I was Drunk (feat Nôze)   -   2009
Riva Starr, c'est un grand nom de la House que je découvre. Mais Nôze, qui se charge des voix ici, c'est du connu niveau tubes bêtes : sur leur album Songs on the Rocks de 2008, on trouvait de jolies bêtises, comme "L'inconnu du placard" ("Quand je te vois le matin, mon amour, tout les jours, je vois Duvin, qui décampe, qui décampe..."). Ici, on vole à nouveau très haut, avec un superbe accent français débile : "Yesterday / I was drunk / with some chick / in the bar / I don't  remember / Who came back with me".


  • Mr Oizo   -   Sucer Danser   -   2009
Mr Oizo s'y connaît en bêtise et en humour décalé - ses films portent haut l'absurde, tels Steak ou le futur Rubber, histoire d'un pneu serial-killer... Mais en musicien électronique, la plupart de ces morceaux sont instrumentaux, sans paroles. Pourtant, quelques-uns savent repousser les limites de la répétition, comme cet étrange Sucer Danser, inédit non publié...



  • Philippe Katerine   -   Bla Bla Bla   -   2010
Philippe Katerine a toujours été connu pour ses chansons absurdes et vaguement dada. Son dernier album, tout récemment sorti, semble offrir quelques jolis blocs monolithiques et bêtes et joyeux.



   to be continued (hopefuly)...



23 septembre 2010

La Patère Rose rebondit en tout sens (et bientôt en France)

La marelle
par La Patère Rose (2010)

J'ai vu récemment que la Patère Rose allait jouer en France en novembre prochain. Le groupe est un peu connu en France, apparemment, après avoir fait la première partie de Mika. Mais il reste une très jolie explosion pop canadienne, un plaisir un peu coupable en français, qui doit déborder d'énergie sur scène. Un peu de folie de la jeunesse montréalaise.

Bighead, la parodie de Jeffrey Brown aux teintes encore humanistes


Bighead
by Jeffrey Brown (2004)

Je connaissais surtout Jeffrey Brown pour ces petits livres autobiographiques, récits de relations amoureuses bancales au coup de crayon instable, comme dans Unlikely. Un de ses petits maîtres de la bande dessinée indépendante US, bidouillant des histoires touchantes et justes, les pieds sur terre, humanistes. J'ai donc été surpris en découvrant ce livre sur le super héros parodique Bighead. Je me demandais même si un tel livre avait été publié en France (apparemment, oui, d'après le site de la Fnac).

En fait, l'humour et la parodie font partie intégrante de l'oeuvre de Jeffrey Brown, alternant autobiographie et des petits formats avec super héros ou zombie. Sa courte histoire centrée sur Wolverine est un joli hommage, un mélange sympathique : éléments propres à l'univers des super héros X Men, mais où les filles ont le même visage que certaines ex de Jeffrey, s'interrogent sur le devenir d'une relation...

Les aventures de Bighead sont encore plus minimalistes et parodiques que le récit sur Wolverine, présentées sous la forme de courts numéros mensuelles d'une revue dédiée au personnage. Chaque épisode ne fait que quelques pages, mais comprends sa propre couverture, dans le plus pure style des comics des années 70, riches en superlatifs sur les aventures proposées. Chaque histoire oppose Bighead à un nouveau méchant archétypal, homme crabe, sumo géant, Minotaure, et les enjeux narratifs sont réduits au minimum : Bighead rapplique, trouve une solution, tout est bouclé en quelques cases. Un joli enchaînement des clichés propres au genre, allant jusqu'à proposer une petite amie inaccessible à Bighead.

Mais par delà l'assemblage exquis des thèmes liés aux super héros, la touche personnelle de Jeffrey Brown se glisse dans certaines interrogations, certaines situations, certains rapports à la relation amoureuse. Bighead est invisible mais timide, hésitant quant à ces sentiments, en particulier quand une jolie fille est impliquée. On retrouve alors les monologues et interrogations qui parcourent les oeuvres autobiographiques de Jeffrey Brown.

Ce petit mélange propose ainsi plus de profondeur que l'apparente parodie basique. La collision des deux aspects peut ainsi offrir des planches assez surprenantes : le Minotaure détruit la ville par peine d'amour mais Bighead lui explique que la rupture peut être bénéfique, qu'il trouvera une fille plus appropriée. Et la destruction s'arrête. Petit OVNI dessiné que cette discussion sur la rupture...



17 septembre 2010

Caribou revient au Babylone d'Ottawa et danse, danse

Caribou in concert
Babylon, Ottawa - September, 15th, 2010

Même chansons, même lieu, à peine quatre mois d'écart - et pourtant, le concert de Caribou en septembre sonne différemment de celui de mai. Peut-être est-ce aussi dû à ma position au cours de la foule et non à cinquante centimètre du batteur, comme il y a quelques mois, quand le spectacle visuel m'avait fasciné, l'agencement méticuleux des morceaux. Ce point de vue joue certainement. Mais la tournée des festivals européens et le rodage des nouveaux morceaux doit également être à l'origine de cette tonalité plus dansante et débridée.

En mai, David Snaith jouait un rôle mi-chef d'orchestre, mi-homme orchestre : lançant des boucles, passant du clavier à une petite batterie, chantant, contrôlant ses trois partenaires du regard pour synchroniser au mieux les différentes strates des morceaux, les entremêlements de rythmes, les bourdons de guitare. Un set mêlant les différentes époques du projet Caribou, un long tunnel psychédélique envoûtant, les textures doucement disco suivant doucement les chansons plus 60s de l'album Andorra.

Mais cette fois-ci, le quatuor Caribou est accompagné d'un quatuor de cuivre : trombone, deux saxo, une flûte traversière. David Snaith n'a plus besoin de s'occuper des trilles de flûte ou de certains sons, qui surgissent maintenant live, et l'effet est plus débridé. D'autant que le set semble d'avantage mettre en avant les morceaux du dernier album Odessa, ses sonorités plus disco, électroniques, fortement dance floor. Snaith a souligné que cette version élargie de Caribou jouait seulement pour la cinquième fois ensemble cet été ; certainement une occasion qui a permis de lancer cette cavalcade durant laquelle la jeunesse d'Ottawa lève les bras encore et encore. Peu de morceau pops, un seul titre issu d'Andorra d'après moi, deux du plus ancien Up in Flame, dont mon petit préféré "Hendrix with KO" dont je reparlerai une autre fois. Le reste danse, danse et ondule, toujours atmosphérique et rêveur, mais un rêve sur piste de danse après plusieurs heures de transes, comme pour le joli Sun.

15 septembre 2010

La flûte des Beastie Boys pour un rocker écoutant du hip hop

Sure shot
by the Beastie Boys (1994)

Bien entendu, je ne dirais pas que j'écoute beaucoup de rap. J'en écoute très peu.
Love me Less but Love me Longer - 17/12/2007

C'est aussi l'intérêt d'un blog, garder trace des pensées d'il y a quelques années. Rien de surprenant : un blog, c'est un journal intime accessible par Internet, c'est tout, un grand bloc note, une petite capture d'idées en temps réel. Qu'importe les quelques lecteurs qui parcourent ces lignes, perdus à la suite d'une étrange recherche Google, mes blogs laissent surtout transparaître mon état d'esprit, petits archives dérisoires dans leur contenu, mais au volume peu à peu conséquent. Près de 600 messages postés sur mes deux blogs depuis l'été 2007, il doit bien traîner quelques idées amusantes entre les photos ou les commentaires culturels !

Comme cette phrase amusante datant de Noël 2007. Amusante car j'ai justement créé hier une playlist "Hip Hop US des années 1990" pour mon iPod, comprenant une bonne douzaine de groupes. Mes statistiques d'écoute musicale sur la dernière année sont éloquentes : 8 des 18 groupes les plus écoutés sont des rappers américains. On peut sentir un léger tournant dans mes explorations musicales, peut être induite par cette phrase lue il y a quelques années : "au bout de plusieurs années d'écoutes consciencieuse, l'amateur de rock indépendant sent souvent l'envie d'aller un peu voir ailleurs, de goûter à de nouvelles sonorités"...

Prophétie ou suggestion ? Qu'importe, et l'album que j'ai le plus écouté en 2009 est certainement le vieux classique "Ill Communication" des Beastie Boys. Rien de terriblement original, je le reconnais, mais le petit rocker doit commencer par les classiques, et l'ouverture du disque reste terriblement fascinante. Une boucle de flûte par Jeremy Steig, quelques percussions, et les trois flows des Beastie Boys qui s'entrecroisent. Percutant et toujours frais !



14 septembre 2010

Rabbit, Run, et Updike offre une jolie démonstration littéraire

Rabbit, Run
by John Updike (1960)

Rabbit, un surnom reçu durant sa gloire dans l'équipe de basket universitaire.
Rabbit, une gloire sportive.
Et maintenant, Rabbit court, s'enfuit, il prend la route pour échapper à sa vie quotidienne.

C'est ainsi que commence le fameux roman de John Updike, par la fuite de Harry "Rabbit" Angstrom un soir comme un autre, prenant sa voiture et abandonnant sa femme en ceinte et son tout jeune fils. Route de nuit, stations services, dîners dans des petits restau bons marchés, les routes américaines la nuit et la fuite vers le sud. Quelques pages à peine et la description d'une vie de banlieue des années 60 s'est changée en road story, les regards suspicieux vers l'étranger ou le bruit de la radio, les carrefours sombres au niveau desquels on se perd la nuit. Un goût classique de littérature américaine et la plongée sur la route.

Mais Updike ne cherche pas à écrire à nouveau Sur La Route, il s'intéresse aux dilemmes d'un américain moyen, à sa petite vie étriquée, aux frictions avec sa gloire passée de surdoué du sport. Au bout de 50 pages, Rabbit revient dans sa ville d'origine : quittant sa femme, vivant avec une semi-prostituée, mais au sein même de sa communauté. Scandale, joli approche du texte, Rabbit ne se sent pas vivre auprès de sa femme qui était pourtant si mignonne, mais n'est plus qu'ennyeuse et alcoolique - mais il ne sait pas non plus où aller ou vers quoi plonger et prendre un nouveau départ. Abandon et unité de lieu, le bal des personnages peut se lancer, joli fille chez qui on s'installe sur un coup de tête, belle-famille réprobatrice, prêtre aux méthodes peu orthodoxe, les personnages entrent peu à peu en scène et multiplient les approches, offrent épaisseur et variété à cette situation simple : l'abandon et l'à-quoi-bon.

La souplesse du style et la finesse des situations gagne peu à peu le lecteur, maintenant l'intérêt par son approche prisme, sorte d'inclinaison discrète du miroir pour mieux observer ce Rabbit. Et tout près de la fin, Rabbit s'échappe de nouveau, et l'auteur reste avec la femme abandonnée. Sa soirée de plongée dans l'alcool est un sommet d'émotion glauque, d'horreur quotidienne saisissante.

Les critiques françaises de l'époque semblent avoir plutôt surligné le côté conservateur et moraliste du roman ; difficile en effet de ne pas sentir un certain dégoût perplexe pour le comportement immature de Rabbit. Mais la tonalité ne semble pas trop insistante, et la qualité de l'écriture donne surtout l'impression de lire un joli classique. Il sera intéressant d'explorer les 4 tomes suivants de la vie de Rabbit, publiés sur près de 40 ans...

13 septembre 2010

David Heatley has an upside-down brain (but he knows how to draw it and share it)


My brain is hanging upside down (J'ai le cerveau sens dessus dessous)
by David Heatley (2008)

Nouvel exemple d'une oeuvre autobiographique stylisée et passionnante, la bande dessinée continue de creuser les pistes intimes et David Heatley pousse les limites du genre.

Amusant qu'une telle focalisation semble encore originale en bande dessinée, l'approche n'est plus trop neuve de nos jours, les blogs BD ont continué de répandre l'intime dessiné et le rendre familier du public. Mais la saturation semble encore lointaine, la bande dessinée ne paraît pas encore déclencher le même réflexe effrayé que l'auto-fiction en littérature française : "encore des élucubrations dégoulinantes d'un auteur s'épanchant, pouah !". L'originalité apparaît encore possible, voire promise, quand un nouveau projet de roman graphie intime se présente.

Tout du moins dans mon esprit ; peut-être est-ce simplement lié à ma jeunesse dans le domaine. A la réflexion, je lis des romans graphiques autobiographiques depuis 4 ans à peine...

Néanmoins, les sujets d'explorations dessinés restent vastes, peu saturés de précédents en matière de comics, et David Heatley n'a pas choisi les plus simples, les moins ambitieux. Rêves, sexe, rapports raciaux, rapport à la mère ou au père, histoire familiale, paternité. Pourtant nous sommes nombreux à nous interroger sur ces différents sujets, alors n'est-ce pas un peu exagérer d'utiliser l'expression "cerveau sens dessus dessous" ?
Mais le titre ne décrit pas uniquement l'état névrosé du jeune David et sa quête de sens à différents niveaux, elle se rapport aux caractéristiques même du recueil. Heatley choisit une approche systématique assez fascinante, dédiant un chapitre à chacun de ses grands sujets d'hésitations : "sexe", "race", "mère", "famille"... Pourquoi pas, se dit le lecteur innocent, parcourant les premières pages du premier chapitre, le sexe : planches de rêves, petits précipités surréalistes en une page ou deux - distrayantes, légèrement déroutantes, peu originales. Puis surgit une planche peuplée de cases minuscules (6 x 8 par pages), personnages comme griffonnés, certains nus ou cachés d'un trait de surligneur rose, baisant, l'avatar de l'auteur omniprésent. Qu'est-ce ?


David Heatley débute alors un aspect fascinant de son projet : le récit quasi-exhaustif de sa vie sexuelle depuis son plus jeune âge, depuis ses premiers souvenirs de petit garçon jouant à touche pipi, déshabillant la soeur de la voisine ou jouant aux jeux vidéo primitifs avec son zizi pour joystick. Les cases s'enchaînent hypnotisantes, la puberté, les filles, la timidité, les premières mains effleurées, puis très vites les soirées plus coquines, les nuits partagées. Toutes ses petites amies ; toutes - difficile de ne pas croire à l'honnêteté de l'auteur. Surtout quand on saisit les envies curatives recherchées avec ce récit systématique, ce je-me-souviens sentimalo-érotique : cette éducation sentimentale fin XXème doit permettre à Heatley d'apprivoiser ses besoins sexuels. Objectif apparemment atteint d'après les dernières cases, en bonheur conjugal contrôlé, qui peut paraître un peu fade & conservateur par rapport aux expériences multiples présentées ; mais tellement plus serein et sage, mature.

Et surtout, quel geste artistique ! Mise à nue risquée certes, mais authentique & touchante, à la portée générale concernant la recherche de soi. L'auteur explique ainsi son choix de cacher tous les sexes nus par un trait de surligneur : il ne s'agit pas d'une oeuvre pornographique, à but d'excitation du publique, rien qu'une révélation honnête, sans complaisance. Cette idée graphique est une très jolie trouvaille, poussant discrètement les dessins vers une sorte de burlesque, de censure rigolarde : toujours crue, mais avec une distance évidente.

La même approche systématique se répète dans le chapitre "race", traitant de toutes les personnes noires marquantes dans la vie d'Heatley, depuis ses petits camarades de jeu jusqu'à ses voisins croisés dans son appartement de Brooklyn. Le trait est encore une fois minimal, les choix graphiques plus épurés encore : un pur noir et blanc, avec cadre noir épais. On sent le même besoin d'épuiser le sujet, motivé là aussi par quelques expériences difficile qu'il faut exorciser. Mais l'économie du récit pousse encore l'expérience vers des teintes plus générales, l'axiome se vérifie, "plus l'artiste creuse le particulier, plus il touche au général". L'apparition de petites critiques de rap renouvellent également l'approche par rapport aux cases de "sexe", portrait d'une jeune blanc attiré par la culture noire et les difficultés rencontrées dans les années 80 ou 90.

David Heatley sait parfaitement ajuster ces choix esthétiques au contenu de ses projets, les dernières pages familiales confirme sa capacité à trouver une belle justesse. Le fait que ce livre rassemble des travaux réalisés sur 5 ans environ explique peut-être cette justesse et ce recul, le temps pour laisser décanter les idées et les approches : l'auteur a même réalisé une bande son de son livre avec compositions originales... Il sera intéressant de suivre l'évolution de cet auteur et son travail humain, fragile et risqué.


10 septembre 2010

"Shout" with the Isley Brothers, plus intense que le commun du twist

Shout
by the Isley Brothers (1959)

In the more demonstrative black congregations, to "shout" is to be possessed by the spirit, losing control of your mind and body, flailing and jumping so that the people nearby have to protect you from hurting yourself, and the Isleys conveyed all the joy and power of the ecstatic experience.
How the Beatles destroyed rock'n'roll
chapter "Twisting girls changed the world"
written by Elijah Wald (2009)

Au tout début des années, les Etats-Unis sont frappés par une folie pour le twist, nouvelle musique et nouvelle danse. La vague frappe particulièrement en 1962, où 6 albums contenant le mot Twist dans le titre font partie du Top 50 de l'année du Billboard ; en 1961, aucun album de rock n'apparaissait dans le classement, rien que des chansons, ballades, folk. C'est un véritable retour de flamme pour le de la danse, et tout le monde se lance : les artistes aux rythmes les plus dynamiques se voient accolés le label twist pour satisfaire les envies du public. Des compilations de titres rock sont sorties, titres n'ayant pas plus de 4 ou 5 ans, mais permettant de sufer sur la nostalgie des teenagers d'alors devenus adultes. Même Ray Charles a droit à un album renommé Do the Twist with Ray Charles !

La vague twist emporte une grande partie des orchestres de danse classique, et dans son livre Elijah Wald avoue que peu de teenagers connaissaient encore des danses comme le foxtrot à la fin des années 60. Car la grande révolution du twist, c'est la danse seule, sans que les partenaires se tiennent serrés. Facile à assimiler, joyeux, offrant une nouvelle forme liberté - en particulier aux femmes, libérée d'une forme d'astreinte à l'homme dans la conduite de la danse...

Dans l'ensemble, le twist paraît bien sage vu depuis notre époque, surtout associée à de grands titres comme "Let's twist again". Une folie assez superficielle, une sorte de mode : peut-être une nouvelle forme de mode pop liée à la danse, la première, mais qui sera suivie par beaucoup d'autres exemples plus tard. Nick Cohn est d'ailleurs assez sceptique avec la vague twist dans son livre Awopbopaloobop alopbamboom, loin de l'authentique appétit adolescent de certains morceaux de rock'n'roll ou de la pop anglaise des années 60. Folie très temporaire et artificielle.

Mais certains morceaux affichaient une sauvagerie plus marquée, une proximité plus forte avec les rythmes afro-americains les plus bruts. Avant de devenir des champions pop tout terrain (au moins 1 titre classé dans le Top 100 dans toutes les décennies de 1950 à 2000), les Isley Brothers se lancent par une musique de danse très énergiques. Le titre le plus évident est bien entendu "Twist and Shout" qui sera repris par les Beatles. Mais dès 1959, leur "Shout" offre une folie impressionnante et intense.



8 septembre 2010

Day-O, pop classic by Harry Belafonte

Day-O (Banana Boat Song)
by Harry Belafonte (1956)

Je lis actuellement un livre intitulé "How the Beatles destroyed rock'n'roll", écrit par Elijah Wald. Pas d'uchronie ou de science fiction mettant en jeu des idoles des 60s, mais une histoire de la musique populaire américaine - comme l'indique le sous-titre : "An alternative history of American Popular Music". Le livre brasse deux ou trois thèses de bases, comme l'influence des technologies sur les musiques populaires ou l'ouverture du grand public à des nouveaux genres grâce à des passeurs qui en atténuent les côtés les plus risqués : en ce sens, les Beatles ont tué le rock'n'roll sauvage en créant la pop des années 60s...

Le livre est certainement un peu superficiel pour le spécialiste, comment traiter de l'apparition du jazz, du swing, du rock'n'roll, de la pop en seulement 245 pages ? Mais il permet de découvrir ou redécouvrir les pionniers des différentes époques, les personnages clefs, les ruptures technologiques. Les luttes de syndicats de musiciens contre "la musique en conserve" des phonographes fait sourire depuis notre époque. Le lobbying des professionnels de la musique ne date pas de l'apparition du mp3 ou même de la cassette enregistrable !

Je reviendrai plus en détails sur ce livre et les différentes époques qu'il présente. Mais je ne peux m'empêcher de parler d'Harry Belafonte, personnage du chapitre que je viens de terminer.

Première vraie pop star noire, Harry Belafonte offre un mélange accessible de folk, de rythmes exotiques, tous savamment ajustés pour toucher le grand public. L'exemple même de l'ennemi, pour les spécialistes d'un genre, lui reprochant le côté tellement pop et américain lisse de son calypso ; mais une approche assumée par Belafonte, revendiquant son respect pour ces musiques, son goût pour l'étude, son envie d'en faire des tubes pour le plus grand nombre.

Et avec quel succès : en 1956, Belafonte explose et son album Calypso est le premier LP à se vendre à plus d'un million d'exemplaire ! Le format LP vient d'apparaître, les jeunes se portent plus vers les singles, et les parents sur des LP d'ambiance, donnant lieu à des collections de mood music ou à des séries exotiques où quelques rythmes "sauvages" sont saupoudrés sur des pièces de jazz. Les chants d'oiseau sont une des sensations mises en avant pour le tout nouveau système stéréo, si fidèle... Belafonte emporte donc le morceau en s'emparant d'une mélodie classique jamaïcaine, lui offrant un traitement pop élégant avec une voix magnifique. Calypso restera 33 semaines en tête des charts, et seuls 3 albums feront mieux par la suite...

Toute une vague calypso est lancée et en 1957 certains critiques parlent du calypso comme le nouveau rythme sauvage, celui qui a enterré la petite mode du rock'n'roll, déjà dépassé. Amusante prédiction vue depuis le XXIème siècle, mais illustrant bien la thèse du livre, l'histoire de la pop comme non linéaire, sans idée de progrès définie en constante.

Mais qu'importe, le calypso n'a peut-être pas enterré le rock, mais Day-O, premier titre de l'album Calypso reste un immense classique, parodié et utilisé en tous aspects de la pop culture américaine, chants de supporters ou séries télés. Le passage d'Harry Belafonte au Muppet Show est ainsi mémorable...



6 septembre 2010

Osheaga 2009, humide mais joyeux : photos souvenirs un an après

Il y a peu, j'ai écrit quelques résumés des concerts vus à Osheaga fin juillet 2010. Mais il ne s'agissait pas de mon premier passage dans le parc Jean Drapeau de Montréal, puisque je m'étais déjà rendu à Osheaga en 2009 pour le deuxième jour du festival.

Un dimanche apparemment maudit, amputé de sa tête d'affiche après l'annulation des Beastie Boys pour cause de cancer de MCA. Et d'autant plus mal parti qu'un orage immense éclatait en début d'après-midi, laissant augurer d'une foule plutôt clairsemée. En effet, la comparaison des photos d'alors avec celles de 2010 montre une colline bien peu remplie... Le soleil est un élément de motivation indéniable pour les festivals en plein air...

Mais l'après-midi avait été plaisante, avec un magnifique enchaînement de groupes depuis les Ting Tings jusqu'aux Yeah Yeah Yeahs en passant par Vampire Weekend, the Decemberists ou les Arctic Monkeys. Superbes moments souvent pleins d'énergies et de dérision, comme quand le chanteur des Decemberists Colin Meloy a reçu un filet d'eau continu tombant d'un trou du toit ; filet d'eau qu'il a pris plaisir à utiliser pour faire rire le public, y plaçant souvent la tête jusqu'à la fin du concert - quand l'orage s'est à nouveau déversé sur la foule.

Une jolie après-midi aux nombreuses images fortes, public chaussé de bottes en caoutchouc, shorts courts et humides, capes de pluie et parapluie ; une bonne musique.








August, 2nd, 2009 - Osheaga Festival - Parc Jean Drapeau, Montréal, Québec

4 septembre 2010

Winter's Bone, tragédie dans le Missouri désolé

Winter's bone
by Debra Granik, with Jennifer Lawrence (2010)
sortie française le 5 novembre 2010 - projeté au festival de Deauville le 5 septembre

Des collines à l'herbe grise, un ciel pétrifié ; parfois une route, mais les voitures semblent plus souvent rouler sur des chemins de terres pour rejoindre des maisons en bois à l'air morne. Deux enfants sautent sur un trampoline, la fillette à califourchon sur un poney à bascule. Un voisin mal rasé coupe du bois.

C'est une voiture de police qui approche, un jeune officier au regard égal, décidé ; il fait son job, il sert la loi. Il se tourne vers l'adolescente qui est sortie au son de moteur. Le policier expose la situation la jeune fille interroge, fronce des sourcils - elle porte une chemise à carreaux. Question du père, il est introuvable, cela pose problème et il faudrait le retrouver ; sinon. Sinon il faudrait évacuer la maison. Plus de pauvreté encore, assurément, battre la campagne.
La jeune fille est grave mais elle a l'air sûre d'elle, elle va s'occuper de tout cela.
Le policier s'éloigne. Bientôt la jeune fille marchera de maisons en maisons, cherchant, cherchant.

Qu'il est étrange de découvrir un film en anglais et d'être perdu dans les dialogues et le flot des accents - un coup toujours désagréable envers un bilinguisme supposé ; et pourtant, perdant presque chaque fois pied dans entre les paroles, les intonations et les sous-entendus, apprécier l'expérience cinématographique, le réseau d'impressions, d'images, de tensions, la trame devinée, voire inventée. Un bon film peut se passer du détails des sons, il suffit d'élan et d'énergie.

Et l'énergie est un des moteur de Winter's Bone. La jeune Ree Dolly, 17 ans, doit se démener pour retrouver son père dealer ; il a laissé leur maison en caution lors de son dernier passage en prison : s'il ne se présente pas devant le juge, la maison sera saisie, les occupants mis à la rue. A savoir Ree, son jeune frère et sa toute jeune soeur, ainsi que la mère aphasique, apathique, fantomatique. Ree fait déjà tourner le foyer seule, sans argent, récupérant nourriture auprès des voisins. Elle ne peut compter que sur elle-même, et visite les maisons du voisinages les unes après les autres, sa famille, ses connaissances : a-t-on vu son père ? Chaque fois, soulevant des réponses agressives ; on ne secoue pas un microcosme un peu louche, les petits deals du Missouri, même avec quelques liens familiaux en jeu ; surtout quand quelques liens familiaux sont en jeu.

Les images de ce petit panier de crabe rural sautent au visage, portées par une photographie crépusculaire. Un pays de froid, la désolation, un pauvreté terne et dépouillée, comme une pauvreté de gueule de bois étirée année après année : voilà, il n'y a que ça. Le collines, les arbres, le bruit du vent ou un vieux marais, un peu de musique à la guitare tous réunis au salon. Un quotidien aux paysages fascinants et aux vies sans avenir, le réalisme du film frappe. La réalisatrie a su capter cette authenticité, rendant justice au roman de Daniel Woodrell, auteur centrant ses livres sur les Ozarks du Sud du Missouri. Un superbe travail de cinéma, patient et juste, correspondant à la justesse réaliste souvent récompensée au festival de Sundance ; Winter's Bone y a été acclamé cette année, remportant les prix du meilleur film et meilleur script.

Mais si la critique soutient le film de manière unanime, ce n'est pas uniquement pour cette justesse réaliste. Les films de "communauté un peu misérable dans des coins perdus des US" ne sont pas rares, comme le fait remarquer le New York Times. Winter's Bone offre une histoire une lutte apparemment perdue, une série d'oppositions à la violence larvée, des figures fortes et terribles, une véritable histoire intemporelle & quasi mythique. Lutte pour un peu de justice et soutenir sa famille, car seule Ree peut le faire, et donc le fait. Jennifer Lawrence offre une performance profonde & riche, des échanges perturbant avec un oncle ou une voisine imprévisible & dangereux ; rencontres enchaînés comme autant de scènes de théâtre, juste séparées par la marche ou la conduite dans les collines. Comme une tragédie.

Cet alliage entre réalisme du contexte et grandeur théâtrale de l'intrigue donne sa grandeur au famille, sa profondeur, son caractère fascinant. Histoire intemporelle de condition plongée dans un quotidien entièrement authentique : difficile de ne pas être touché et agrippé.

Noyé dans ces dialogues intenses mais à demi compris, observant les images & visages gris, j'ai plongé peu à peu dans un expérience méditative, remplie de pistes & suggestions de réflexions. Parmi lesquelles, bien sûr, les comparaison cinématographiques. J'ai rapidement songé à Dead Man de Jim Jarmusch, où Johnny Depp parcourt un ouest américain en noir & blanc, rencontrant brigands biscornus, indien bizarres, paysans sales ; mêmes paysages gris, pauvres & grandioses dans leur petite échelle désolée, rencontres successives et vaguement menaçantes un peu similaires, en tout cas dans mon souvenir, ou dans la tonalité qui a marqué mon souvenir.

Mais en y songeant un peu plus, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec L'Esquive, le magnifique film d'Abdelatiff Kechiche. Mise en rapport qui m'a supris moi-même : quel rapport le jeu amoureux adolescent en banlieue parisienne peut avoir avec un thriller du Missouri ? L'Esquive installe un histoire intemporelle de séduction dans la réalité cru d'un cité bétonnée, tournant chaque rencontre comme les scènes d'une pièce sur la dalle. Le tout laissant paraître une agressivité du quotidien, transmise par l'argot le plus violent, les intonations, l'énergie permanente, la menace ; un spectateur américain serait vite perdu dans les phrases, même avec un bon niveau de français : d'ailleurs, certains de mes amis n'avaient pas supporté ces dialogues intenses et hautement familiers... Le résultat offrant une superbe histoire tout en présentant un portrait de la banlieue respectueux et juste, comédie humaine et réalisme quotidien s'enrichissant réciproquement.

De tels alliages mettent en avant l'importance d'un écriture ambitieuse, capable de rendre fascinante une histoire de drogue locale. Une belle oeuvre.



3 septembre 2010

Joe Matt toujours plus épuisé, aux récits toujours plus squelettiques et fascinants



Spent
by Joe Matt (2007)

Spent est le dernier livre de Joe Matt, paru en France sous le titre Epuisé. Joe Matt poursuit la description de sa vie et de ses défauts, son côté radin, ses petites manies sales comme pisser dans le lavabo, ses amis dessinateurs Seth & Chester Brown. Et bien sûr, son obsession pour la pornographie, collection de vidéo, séances répétées de masturbation quasi-permanentes. Portrait honnête, voire volontairement négatif : un anti-héros sous forme d'auto-caricature bien dosée, assez fascinante.

Le matériel reste le même que dans les précédents livres édités, comme le recueil des planches parues dans Peepshow. Mais le style a évolué depuis les premières planches où des cases minuscules s'entassaient sans fin sur de larges pages. Ici, les épisodes sont décrits en détails, sous forme de 4 parties correspondant à 4 publications préalables dans le magazine Peepshow. Chaque épisode est s'écoule sous forme d'une scène unique, une sorte de plan séquence de plusieurs dizaines de pages, présentant soit des monologues de Joe Matt isolé ou de longues discussions avec ses amis. C'est humain comme du cinéma filmé avec délicatesse, prenant le temps de capter les mimiques, les réactions, les détails, les douces évolutions d'un dialogues. La finesse des peintures est renforcé par le style ligne claire, façon anciens comics, créant distance et familiarité.

Tout cela pour raconter quoi ? Les copies de cassettes vidéo porno, compilation que Joe Matt passe des heures à assembler pour couper toutes les scènes inutiles, tous les gros plans désagréables sur un mec un peu poilu : des best-of ultimes en VHS, concentré de jouissances lubriques potentiels. Difficile de ne pas sentir un peu de pitié face à ce personnage, vivant dans le dénuement, sans vraie technologie autre que sa télé, vivant très chichement de quelques contrats de BD ; pitié, léger mépris, interrogation : comment vivre ainsi ? Une vie aussi vide...

Le thème central du travail autobiographique de Joe Matt poussé dans ses limites les plus squelettiques. Plus aucun événements, plus aucune surprise, juste du détail, un art dérisoire poussé à son sommet le plus maîtrisé. Une sorte de perfection de sous-culture et d'une petit misère, une sorte de geste artistique étrange ; une BD à explorer.



A Tribe Called Quest, classique même dans une vidéo 8 bit

Scénario
bill A Tribe Called Quest (1991)

A Tribe Called Quest, magnifique tribu hippy hop dont les albums ont marqué les années 90, comme ce superbe "The Low End Theory" de 1991. Le disque est d'ailleurs largement cité dans les listes de magazines, parmi les albums marquant de l'histoire du hippy hop ou tout simplement des années 90. Tout simplement de très grands morceaux aux samples élégants à tonalité jazz, flow souple et malin, zigzag entre plusieurs MC : du classique, de l'intemporel.

Le clip de Scenario semble beaucoup plus daté au premier coup d'oeil, une espèce de délire informatique mimant un logiciel multi-fonction étrange et rudimentaire. Une sorte d'outil à tout faire multimédia, modifiant les images, ajustant le son, mais dans une esthétique 8 bit ultra cheap. Je suis curieux de savoir combien le clip a pu coûter, car certains effets spéciaux étaient plus difficile à réaliser qu'en quelques clips de laptop... Mais paradoxalement, ce emballage désuet donne un joli cachet rétro qui correspond bien à la tonalité old school de l'ensemble.

Et il s'agit d'un écrin magnifique pour les 5 MC qui se succèdent au champs, Busta Rhymes, Dinco D et Charlie Brown ayant rejoint les habituels Phife Dawg et Q-Tip. La vidéo accueille également Spike Lee ou les De La Soul, camarades newyorkais du hip hop jazz ; un superbe déchaînement de fun. Et finalement pas très éloigné de la vidéo où Hot Chip jouait avec les trucages numériques sur font vert...

1 septembre 2010

"American Trip", drôle de traduction pour "Get Him to the Greek"

American Trip
by Nicholas Stoller, with Russell Brand & Jonah Hill (2010)

En juin dernier sortait "Get him to the Greek", nouveau délire produit par Judd Apatow: un sous-fifre a 72 heures pour faire voyager une vieille rock star depuis Londres jusqu'à la Californie. Gags trash, dialogues aux vannes bien rôdées, jolis duo d'acteur entre Jonah Hill et Russell Brand : un grand éclat de rire.

Le film arrive maintenant en France sous le titre de "American Trip". Le film veut profiter du succès de "The Hangover", intitulé "Very bad trip" en France ; c'est un peu cynique, mais l'humour des deux films n'est pas tellement différent, juste peut-être plus de blagues de dialogues dans "Get him to the Greek". Mais si ce subterfuge peut donner un peu de visibilité au film en France, pourquoi pas ? "Sans Sarah, rien ne va", dont sont issus les personnages de ce Greek, a été à peine distribué en France...

Plus de détails sur le film dans mon texte publié en juin dernier.

Quelques détails à ajouter toutefois. Je n'avais alors pas réalisé que le patron du label de disque est joué par P. Diddy. Sa grossièreté, son cynisme et sa bêtise trace un portrait outré mais hilarant du monde de la musique, d'autant plus drôle quand on connaît la place de Diddy dans la pop US.

Et justement, pour rester du côté de la musique, Pitchforkmedia offre une critique très éclairante de la BOST du film. Uniquement composée des titres chantée par Aldous Snow, la rock star has been du film. Les titres ont été composés par Carl Barât ou Jarvis Cocker, la crème de la pop / rock anglaise des années 90 et 2000, et les titres sont très agréables à l'écrane. Mais le webzine fait remarquer que ces chansons manquent pas mal d'unité, s'apparentant plus à un best-of de la pop anglaise des vingt dernières années. Donc loin de renforcer l'unité psychologique du rocker ; commentaire intéressant et fouillé du site indie, comme toujours, mais qui oublie peut-être le côté dispersé du personnage dans le film...

"Be Bad !" remplace "Youth in Revolt" mais c'est toujours drôle

Be Bad !
by Miguel Arteta, with Michael Cera (2010)

J'avais vu "Youth in Revolt" en avril dernier, bien après sa sortie en janvier. Film sympathique, aux idées assez drôles, centré sur le comédien attachant Michael Cera. Le film n'a pas eu beaucoup de succès, Cera a un charisme trop distancié et second degré pour attirer les foules à lui tout seul...

Je me demandais alors si ce film sortirait un jour en France. Voici donc qui est cette première semaine de septembre sous l'abominable titre de "Be bad !" : sous la même logique que "The Hangover" devenant "Very bad Trip" ou "Get him to the Greek" se changeant en "American Trip" (on saisit le modèle...), les distributeurs semblent privilégier des titres superficiels, crétins et en anglais pour vendre leurs comédies en France. Logique un peu étrange...

Mais cela fait plaisir de savoir que quelques spectateurs français vont pouvoir goûter à ce Cera-movie pas désagréable. Dont les accents de folie valent d'ailleurs un peu mieux que ce qualificatif de Cera-movie : il ne faut pas oublier que "Youth in Revolt" est d'abord un livre publié en 1993 au succès assez conséquent.

Pour les curieux, mes commentaires d'avril dernier se trouvent ici, ainsi que la bande annonce US.