29 janvier 2011

Le Ring, cinéma social à Montréal qui prend doucement son envol





Le Ring 
by Anaïs Barbeau-Lavalette, avec Maxime Desjardin-Tremblay, Jean-François Casabonne (2007)
sélectionné au festival de Berlin en 2008 - jamais distribué hors du Québec


Pas facile de plonger dans la cinématographie d'un pays ? Que connaît-on du cinéma allemand depuis la France ? Quelques films d'auteurs diffusés dans les festivals ou les salles parisiennes, un gros succès une fois tous les deux ou trois ans - mais on ne voit jamais les mauvaises comédies ringardes, jamais achetées par les distributeurs internationaux. Sait-on que 180 films environ sont produis en Espagne chaque année, ce qui n'est pas beaucoup moins que la production française, il me semble ? Pas facile de bien connaître les habitudes locales de cinéma, tous ces films moyens qui constituent le gros des films vus, la majorité des entrées...

Il y a quelques années, j'osais dire "j'aime le cinéma asiatique", sur la foie d'une poignée de films coréens et japonais aperçus dans des salles d'Art et d'Essais parisiennes. Mais que savais-je sur le coeur ces cinéma, hors les quelques champions ou piliers de festivals, hors les chouchous de la critique européenne ? Que dire sur le gros du peloton, et comment savoir s'il y a une spécificité nationale concernant les grosses comédies à succès ?

Bref, qu'en est-il des films du milieu à l'international ? 

Ainsi, il n'y a pas si longtemps, une chronique de Pitchfork évoquait les amateurs occasionnels de pop, ceux qui n'aimaient que les chansons les plus avant-gardistes, celles qui repoussent les limites de la pop. Peuvent-ils vraiment dire qu'ils aiment la pop en général s'il ne goûte qu'aux tubes ? Est-on vraiment cinéphile si l'on ne regarde que quelques chefs d'oeuvres, si l'on évite toujours le commun des films ? Si l'on est incapable de retirer quelque chose d'un film moyen, même dépaysant ?

Petites expériences auxquelles je compte m'atteler, découvrir un peu plus les films "locaux" - comme on met en avant les légumes cultivés dans la région. Histoire de mettre un peu au défi mon goût du cinéma, de voir si quelques particularités surgissent, quelques tonalités régionales, de découvrir des talents moins mis en avant hors des frontières. Et garder un oeil toujours ouvert pour les détails introuvables, les décors légèrement différents d'une région à une autre, les accents, les petites blagues intransportables.

Alors je compte plonger un peu plus dans le cinéma québécois, quitte à vivre au Canada et avoir le français pour langue maternelle. Cela va certainement entraîner quelques moments douloureux, comme pour l'abominable "L'Appât" de décembre dernier, mais cela restera instructif ; comme si un canadien goûtait au cinéma français en tombant parfois sur de mauvais Eric & Ramzy ou Fatal Bazooka... Les DVD de bibliothèque permettent de piocher dans les époques et les genres sans trop hésiter, juste pour le plaisir.

Et en tentant d'éviter les a priori, comme face à la jaquette de "Le Ring". Un gosse, des rues désolées et défavorisées, une vague histoire de lutte en arrière-plan : les quartiers difficiles, la rédemption, le cinéma réaliste vite schématique, les émules de Ken Loach ou des frères Dardenne. Ca peut vite déraper, glisser vers le téléfilm ou le faux documentaire...

Le début laisse craindre le pire. La caméra tremble un peu comme chez les frangins belges, le gosse ne va pas à l'école ou pas trop, les parents combinent bières, drogue et prostitution, gamine de trois ans pas trop lavé. Le tout cadré au plus près du héros, Jessy, 12 ans, petite gueule de hooligan québécois en puissance, et cadré TRES près : la première partie du film multiplie les plans très serrés sur son visage, ses regards marchant. Pari un peu inquiétant, car malgré son énergie et ses qualités, Maxime Desjardin-Tremblay reste un comédien peu expérimenté, dont les petits défauts peuvent vite sauter au regard...
Ajoutez une photographie bien grise, bien industrielle, plus quelques scènes de catch amateur un peu lisses : pas facile de trouver une prometteuse originalité. Le gosse va tâter du deal une fois la mère partie, va tenter d'entrer dans le monde des lutteurs - and so what?

Mais doucement, peu à peu, le film prend plus d'espace, de temps, se laisse plus respirer. Ou le regard du spectateur apprend à suivre la démarche du réalisateur... Quoiqu'il en soit, les plans semblent plus posés, laissent plus d'espaces à ce quartier de Montréal, Hochelaga-Maisonneuve, tout à côté du Stade Olympique. Les personnages sont observés d'un peu plus loin, ou moins de pression. Le fil du scénario semble moins contraint, plus ouvert, mais dans la démonstration ou même simplement dans l'action, un peu plus contemplatif. 

La jeune Anaïs Barbeau-Lavalette laisse alors entrevoir de très prometteuses qualités de cinéma de fiction. Le Ring est sa première fiction, après plusieurs documentaires, dont 4 longs-métrages. Sans surprise, elle cite les frères Dardenne dans les bonus du DVD, ou évoque son aspiration à faire un peu changer les choses par le cinéma ; discours peu surprenant pour une réalisatrice de documentaires et adepte d'un cinéma social. Pas de grande surprise non plus à apprendre que Le Ring a eu pour déclencheur un documentaire tourné dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, de l'envie de suivre les personnages qui y habitent. Mais apprend-on encore vraiment quelque chose de nouveau dans les bonus d'un DVD ?

Ce qui frappe plutôt dans ce film, c'est le regard qu'elle parvient peu à peu à transmettre, doucement, en prenant le temps, en laissant du temps aux plans, du temps aux personnages. Dans ces moments, le scénario ne compte plus vraiment, les petites ficelles, les lignes de récit. Plus rien que les personnages et leur environnement. Ainsi, comme un symbole, Jessy est accepté aux entraînements de lutteur, mais ne bougera jamais du bord de touche ; la mécanique logique et attendue de la rédemption s'est arrêtée, l'enchaînement du film social de genre se suspend, il n'y a plus qu'à regarder, à voir la passivité en pleine démonstration.

Surgissent ainsi des figures doucement marquantes, flottantes, bloquées dans leur monde, comme ce clochard, lutteur acceptant sans broncher de perdre chaque soir. Une silhouette douce et spectrale incarné avec justesse et simplicité par Jean-François Casabonne, artiste multi-casquettes dont j'espère découvrir un peu plus les talents ; un type minéral et mal rasé, traînant sans fin sur un banc face avec au fond les trains de marchandises au bord du St Laurent, les montagnes russe de la Ronde sur l'île Ste-Hélène. Mais une autre silhouette m'a plus frappé encore, celle de la soeur de Jessy, un peu plus âgée, entrant doucement dans la puberté. Le personnage est encore plus épuré que celui du clochard, presque mutique,   apparaissant à la recherche silencieuse d'une mère disparue, ou passant pour la première fois un peu de rouge maladroit sur des lèvres minces. Cette figure en creux, aux apparitions épisodiques, touche profondément, plus que toute petite histoire de deal ou de lutte - rien qu'une fille déboussolée ; mais seuls peuvent encore sortir les mots "misère, misère, mais comment faire ?"


Trailer





Intretien avec Anaïs Barbeau-Lavalette





25 janvier 2011

Logorama, Oscar for fun, but depth might no be obvious

Logoroma  (english version)
Short film by studio H5 (2009)
     Oscar for best short film in 2010 
     Nommé au César du meilleur court-métrage 2011


Je l'ai déjà dit hier, les nominations pour les Oscars vont être révélées ce mardi. Et, autre répétition, le dernier vainqueur de la catégorie Court Métrage est un film français, Logoroma. Quinze minutes d'animations assemblées par le collectif H5 (François Alaux, Hervé de Crécy et Ludovic Houplain).

Un joli joujou fascinant, petit film d'action entièrement construit à partir de logos. Bâtiments formés par les marques Malboro, voitures en forme de boîte ou moto du titre de Grease, papillons MSN voletant dans les airs - sans parler des personnages, allant du Bibendum Michelin en policier ou du clown Ronald en maniaque en cavale. Logorama pioche dans tout un imaginaire visuel contemporain pour créer un monde où le crocodile Lacoste est gardé au zoo par le Géant Vert. Entre surréalisme, vertige de pub et saturation opportuniste de références évidentes.

Le scénario s'avère plus malin et construit que ne le laissent craindre les premières secondes en accumulation référentielle : il y a plus de cinéma que dans une simple mise en espace des Pages Jaunes. Des plans, des séquences intéressantes, des personnages suivis, presque construits par quelques traits de caractères, quelques éclats de dialogues. Un grand amour pour les films d'actions hollywoodiens, fusillades, hélicoptères et catastrophe naturelle à la fin. Une deuxième couche de références pour organiser tous les motifs visuels.

Tout cela est donc indéniablement brillant dans son assemblage, son soin, sa construction, son goût du détail. Avec toutefois cette question qui titille un peu : tout cela n'est-il pas un peu vain ?

Quelques commentaires lus sur IMDB avouent leur dégoût pour ce déchaînement de marques, qui soutiendraient insidieusement la société "tout pour la pub, tout pour la consommation". D'autres y voient certainement un brillant manifeste post-moderne, transposition visuelle d'un monde où, effectivement, tout est pub ; mettre en scène pour dénoncer. La première critique fait réfléchir, mais semble un peu naïve ou paranoïaque. La seconde peut-être un peu trop optimiste, intellectualisée : la force revendicative de Logorama semble moins puissante que celle du fameux Bibendum noir de Bruno Peinado. On est plus proche du gag et du clin d'oeil que d'une véritable machine de guerre théorique ou altermondialiste.

Mon scepticisme s'est légèrement accentué à la lecture de la page Wikipedia dédiée au film, laissant un relent de bête à concours pas forcément très agréable... "Six ans de réalisation", "3.000 logos intégrés au film", multiples prix aux quatre coins du monde : comme s'il y avait plus de fierté à épater la foule qu'à communiquer sur le sens du film. Impression renforcée par le choix d'Omar et Fred pour les doublages français, dont les voix sont assez catastrophiques... L'absence de tout lien critique sur Wikipedia ne surprend plus trop après une telle liste à la Cecile B. DeMille : 40 éléphants, 12 chameaux, et des femmes à barbes...

Virtuosité technique indéniable, pouvoir critique ambigu, tout cela méritera quelques réflexions supplémentaires. Et c'est déjà une certaine victoire pour un cours métrage. Qui, indépendamment des questions de critique ou de pédanterie, reste un superbe moment de fun efficace.

23 janvier 2011

Le Mozart des Pickpockets, un Oscar pour Philippe Pollet-Villard

Le Mozart des pickpockets 
short film by Philippe Pollet-Villard, with himself, Matteai Razzouki-Safardi and Richard Morgiève (2006)
Oscar for best short film in 2008
César du meilleur court métrage en 2008


Mardi prochain sont dévoilées les nominations pour les Oscars. Grands noms anglo-saxons vont donc défiler dans les listes, autour des favoris Colin Firth, Jeff Bridge, Nathalie Portman, Annette Banning ou David Fyncher et Christopher Nolan. Mais il y a aussi des catégories moins médiatisées, comme celle des courts-métrages. Dont le lauréat l'an passé n'était autre qu'un collectif français pour l'expérimental Logorama ! Je reparlerai très prochainement du rigolo Logorama, mais une telle victoire n'est pas isolée dans un passé récent. Certes, les chouchous français récents n'ont pas eu beaucoup de succès du côté des longs métrages, Un Prophète ou Entre les Murs ont fait choux blanc, et Des Hommes et des Dieux n'a pas passé le dernier stade des présélections... Mais déjà en 2008, un court métrage français avait remporté le précieux Oscar, à savoir le film Le Mozart des Pickpockets.

Si Logoroma est un pur produit contemporain, film d'animation à la technique léchée, cocktail postmoderne, enfant des écoles graphistes et d'animations, le Mozart des Pickpockets est un film bien plus classique. Contexte parisien, une petite association de pickpockets officiant du côté de Montmartre pour plumer les touristes, et ajoutez un enfant perdu comme élément perturbateur : rien de très surprenant ici, le schéma est simple. Mais l'humour sonne juste, les dialogues coulent clairement, une certaine insouciance plane même si le duo principale semble bien peu efficace. Un schéma simple et parfaitement maîtrisée, avec ce qu'il faut de bonnes idées et de bons comédiens pour que la sauce prenne.

Le film a connu un joli succès, remportant une demi-douzaine de prix, dont les fameux Oscar et César. Difficile d'obtenir une carrière plus réussie. Il sera intéressant de suivre la carrière future de Philippe Pollet-Villard. Car si le Mozart des Pickpockets peut sembler un film réussi, frais, mais plutôt classique, le parcours du réalisateur semble bien plus sinueux. Quittant l'école à 14 ans, reconverti dans les arts graphiques et la publicité, auteur de deux romans, il ne s'est lancé dans la réalisation qu'à 40 ans, avant d'obtenir le succès pour le Mozart à 48 ans... Une trajectoire d'outsider, bien différente des carrières gérées au mieux par les grandes stars hollywoodiennes !






Le film Le Mozart des Pickpockets est visible sur Youtube




Interview et extraits




Interview avec Philippe Pollet-Villard sur paperblog

.

22 janvier 2011

Belle and Sebastian, from 1996 to 2006: same melodic depth, further cheerfulness

.


Belle and Sebastian 

  • Get Me Away from Here, I'm Dying   -   from the album "If you're feeling sinister" (1996) 
  • Sukie in the Graveyard   -   from the album "The Life Pursuit" (2006) 
  • live at Lowlands Festival 2006 (Netherlands)

Belle and Sebastian, pour moi, c'est l'album "If you're feeling sinister". Un de ses albums inusables, valeur refuge, pièce précieuse que l'on peut ressortir à tout moment, retrouver séduisant comme toujours, explorer les détails et variations. Un disque au joli goût épiphanique, longuement écouté vers 2004, période où j'explorais des sons plus calmes, plus pop, moins rock ou saturés. Mélodies douces, bien réglées, paroles riches, joliment construites, cette impression d'une bande de potes murmurant de petites histoires à l'oreille d'un groupe de fille, au coin du feu, ou assis en chaussettes sur la moquette d'une chambre. L'album a intégré ma mythologie personnelle, mes petites références, certaines phrases surgissent au détour d'une conversation avec une fille, quand l'envie d'écrire un texte s'invite. Un bel ami.

Jusqu'à il y a quelques mois, je n'avais pas écouté d'autre album de Belle and Sebastian, rien de plus que le court et bricolé Tigermilk, petit essai précédent "If you're feeling sinister". Comme si, pour moi, leur carrière ne comptait qu'un album, leur premier véritable, et les 6 albums suivants n'existaient pas.

Pas envie d'en savoir plus ? Pas envie d'être déçu ? Pas envie de les voir changer, ou juste différents, pas vraiment l'intention de savoir ?

Cela doit être lié à la petite discipline que j'ai établi il y a quelques années, logique d'exploration. Varier les genres, varier les périodes, alterner, ne pas répéter, ne pas toujours creuser le même sillon ; car je me connais. Il y a une dizaine d'années, j'avais réfléchi un peu à mes habitudes de lecture de jeunesse : grand amateur de séries, de romans policiers classiques, de personnages récurrents. Agatha Christie encore et toujours, l'ami Poirot. Sans trop m'en rendre compte, cela m'avait peu à peu lassé, et je lisais moins, je n'avais pas intégré l'envie d'exploration dans mes choix de lecture. Je ne sais pas si l'analyse était juste, pas un peu biaisée, mais j'ai mis en place cette discipline : ne jamais lire deux livres du même auteur. 
En tout cas, jamais de manière trop rapprochée.

J'ai donc sauté d'un auteur à un autre, jonglant entre les époques. J'ai agi de même pour la musique et les films, piochant enthousiaste dans les rayons des bibliothèques, tentant de petits dans les magasins d'occasion. Et puis, il y a 2 ou 3 ans, la discipline s'est faite plus souple, toujours exploratrice, mais inspirée également par la politique des auteurs. A savoir, chercher à mieux comprendre un créateur, sentir ses variations, être attentif aux thèmes, aux motifs, aux changements. Jouer un peu plus sur les deux tableaux : variété mais aussi approfondissement.

Bizarrement, c'est plus marqué en littérature ou en cinéma, explorant Emmanuel Carrère ou Jean-Philippe Toussaint, Alain Resnais, Christophe Honoré, Desplechin, Gus Van Sant, Wes Anderson - plus encore en bande dessinée avec Dupuis - Berberian, Trondheim, Daniel Clowes... Mais assez peu en musique, je suis encore un amateur d'albums isolés, de groupes connus pour une seule facette.

Mais il y a aussi des évolutions, des groupes que je connais mieux et sur plusieurs années. C'est pourquoi j'ai pensé à de petites comparaisons, voire le mûrissement, songer un peu à mes réactions face aux évolutions. Une expression m'est venue à l'esprit : "point d'ancrage". Le premier contact comme ferment d'une relation avec un groupe, les fondations de mon goût pour cette musique, quelques choses de solides. Le déclic qui a lancé l'intérêt mais aussi pérennisé l'intérêt. L'idée d'une source de cristallisation, comme dans la dialectique amoureuse de Stendhal, mais aussi l'idée de durée. Voir comment cet ancrage réagit face à d'autres

Nous verrons à l'usage si tout cela fait sens.

Alors, comme évoqué plus haut, le point d'ancrage de Belle and Sebastian, ce sont les chansons douces et riches de "If you're feeling sinister", le côté boy scoot malin et soigné, l'ami fidèle. Mais il y a quelques mois, j'ai trouvé l'album "The Life Pursuit" à la bibliothèque d'Ottawa. Album de 2006 - soit 10 ans après la publication de mon ancre douce et rassurante.

"The Life Pursuit", et tout de suite, une présence familière, mais aussi une impression d'ampleur. La même voix, le même genre de logique musicale, la même richesse de parole, mais dans une musique plus vaste, aux couleurs plus variées et nombreuses, comme offerte sur une écran plus large, avec plus de profondeur de champs. Dix ans ont passé, le murmure mélodique du coin du feu ouvre grand la bouche et remplit totalement les poumons, il sautille, danse sur place avec un grand sourire. Les amis sont plus nombreux, il frappe plus des mains et tapent plus fort sur leur batterie et leur tambourin ; certains ont même apporté une trompette ou un orgue.

Les mêmes qualités flottent sur cet album de 2006, mais plus sûres d'elles, et prenant un peu plus de risques. Bien sûr, "If you're feeling sinister" reste sublime dans son dépouillement, sa modestie, sa timidité. Mais sentir Stuart Murdoch aussi à l'aise donne le sourire, on l'imagine dansant en studio ou dans sa famille. Et les images des concerts de 2006 montrent toute l'équipe radieuse, aussi bien sur les nouveaux morceaux que sur les anciens classiques, aux teintes légèrement plus enjouées, mais toujours aussi douces. Un cheminement très joli à observer...


 Away from Here, I'm Dying
from the album "If you're feeling sinister" (1996)
live at Lowlands Festival 2006 (Netherlands)


Sukie in the Graveyard
from the album "The Life Pursuit" (2006)
live at Lowlands Festival 2006 (Netherlands)


Get Me Away from Here, I'm Dying
from the album "If you're feeling sinister" (1996)
album version

21 janvier 2011

Lemonade, and Braids offer nice pop atmosphere for Canadian winter

Lemonade 
by Braids (2011)
from the album Native Speaker, released on January, 20th, 2011 

A l'automne 2009, Vincen Moon profitait du festival POP Montréal et captait les prestations de quelques jeunes groupes de la ville. Un bien joli article présenté sur la Blogothèque, dont la richesse ne s'épuise pas. C'est par lui que j'avais tout d'abord découvert les Luyas, beau moment musical dans un café d'Ottawa au printemps dernier. J'avais aussi exploré quelques pages Myspace, déniché quelques titres prometteurs, dont celui des Braids. Voici que sort justement leur premier album, intitulé Native Speaker.

Une pop très atmosphérique, délicatement construite, très progressive et douce, enveloppante. Petits assemblages de batterie légère, vaguement répétitive, minces ondes de guitares. Les voix flottent, féminines, mêlant quelques paroles, de simples notes lancées ici ou là, librement. Tout un jeu de cristal vibre tranquillement, presque fragile, très touchant, gracieux et modestement intense.

Lemonade offre ainsi un exemple magnifique, terriblement accrocheur. J'avais écouté cette chanson au moment de l'article de la Blogothèque, son charme discret s'était doucement glissé autour de moi, mais je n'y avais plus trop pensé. Je l'ai ressorti cette semaine en découvrant la parution de l'album, et la puissance de Lemonade me baigne et me fascine.

L'album Native Speaker s'annonce de plus agréables dans son ensemble, une couette des plus douces pour envelopper l'hiver canadien. Mais avant de m'enrouler dans cette douleur fraîche et chaude, je compte bien profiter du concert des Braids. Ce jeudi 20, le groupe joue à domicile, à Montréal, pour le lancement du disque. Mais, demain, vendredi 21 janvier, les musiciens viendront à Ottawa en voisin, concert fort prometteur dans la petite salle du Mavericks. La soirée s'annonce idéale pour lancer la nouvelle année musicale dans la capitale canadienne.

Braids, en concert avec Long Long Long
Vendredi 21 janvier 2011 - Mavericks, Ottawa, Ontario

19 janvier 2011

Brock Clarke tisse un hilarant guide des écrivains de Nouvelle-Angleterre

Guide de l'incendiaire des maisons d'écrivains en Nouvelle-Angleterre 
(An arsonists guide to writers' homes in New England
by Brock Clarke (2007 - traduit en français en 2009)

Pas facile de mener une vie normale après dix ans en prison, surtout pour une peine purgée à l'âge de 18 ans. Et moins facile encore quand le méfait en question, c'est avoir fait brûler la maison d'Emilie Dickinson, tuant par la même occasion le couple de guide... Pas un crime comme les autres, une sacrée portée symbolique dont il est difficile de se détacher

"Il suffira sans doute de dire qu'au panthéon des grandes et sinistres tragédies qui ont frappé le Massachusetts il y a les Kennedy, les sorcières de Salem, et puis il y a moi."

Sam Pulsifer cherche donc à mettre de côté ses souvenirs terribles, la culpabilité que les voisins lui rappellent sans cesse. Cours en université, coupures des rapports parentaux, mariage rapide, chanceux, vie de banlieue US avec les deux enfants. Une bonne petite course en avant, qui doit marcher, pourquoi cela ne serait-il pas suffisant, même si parfois une petite voix murmure Quoi d'Autre, Quoi d'Autre ? Tout va bien se passer, une vie comme les autres. Mais bien sûr, rien ne s'efface jamais, et tout se détraque vraiment quand un inconnu vient demander des comptes...

J'imagine que Brock Clarke est parti de cette hypothèse : que se passerait-il si quelqu'un faisait brûler une maison célèbre comme celle d'Emilie Dickinson ? Une telle icône de la Nouvelle-Angleterre, dans un pays où les lieux d'histoire sont rares ! Il a assemblé quelques explications pour conduire à ce geste, cette maladresse. Il a construit un personnage un peu paumé, plutôt passif, déboussolé et cherchant à comprendre ; une jolie voix comme narrateur, mais facile à guider. Il n'y a plus qu'à pousser l'idée au maximum, voir jusqu'où l'idée farfelue peut aller.

Et dieu sait si Clarke ne manque pas d'imagination. Les pages sont un véritable festival de situations imprévues, personnages déglingués & loufoques, petits et gros rebondissements, impliquant alcoolisme, policiers, figures littéraires, satire de la vie de banlieue US. L'un des moteurs de l'action tient en cette idée géniale : certes, un incendiaire littéraire sera détesté par les amateurs de légende, mais aussi adulé par d'autres - pourquoi ne lui demanderait-on pas de continuer sa tâche libératrice ? Bon sang, pourquoi ne pas nous débarrasser aussi de la maison de Mark Twain, bon sang, il faut finir le boulot ?

Le livre regorge de tels raisonnements absurdes, qui rappellent souvent de grands livres comiques comme Le Guide du Routard Galactique ou Trois Hommes en Bateau, où la logique semble parfaite mais déroute les sens. Effet renforcé par les perceptions limitées du pauvre Sam, qui peine à déchiffrer les signaux les plus simples. Le monde réel se fait donc source de surprises sans fin, impossibles à capter, où les figures parentales semblent varier sans cesse, d'un jour à l'autre, ici anxieux cherchant la réussite, là atteint d'une attaque cérébrale, plus loin amant de 30 ans ou simplement ivrogne. Situations inextricables qui ne manquent jamais de susciter des salves d'interrogations dans l'esprit de Sam, suite de questions silencieuses pseudo-existentielles terriblement distrayantes.

Mais Brock Clarke offre plus qu'un simple assemblage comique efficace et malin. Il prend un plaisir manifeste à croquer les tares littéraires de la Nouvelle-Angleterre, auteurs pionniers du XIXème siècle vantant la dureté au travail et la rudesse des femmes, auteurs misanthropes du XXème siècles nourris au bourbon dont les personnages passifs passent eux-mêmes leur temps à boire. Une érudition légère & loufoque, tournée en dérision mais bien présente, et qui donne bien entendu du corps au texte. Il aurait été dommage de ne pas profiter d'un tel sujet pour s'amuser un peu avec tous ses mythes & clichés - contrebalancés par les pratiques littéraires actuelles comme les lectures d'écrivain ou les fameux clubs d lecture américain. Tout une ambiance de littérature à l'américaine, passée et présente.

Et justement, Clarke maîtrise parfaitement les atmosphères propres à la Nouvelle-Angleterre. Mélange de petits villages anciens, de banlieues superficielles sans racines autres que de gigantesques centres commerciaux, froides régions du New Hampshire où l'habitat de base tient plus du mobile home. J'ai pu roulé quelques jours dans ces régions durant l'été 2009, dévoré quelques sandwichs et burgers dans des motels dépouillés ou des épiceries au parking remplies de Pick-Up. En quelques phrases, Clarke sait évoquer  de telles images, paysages pittoresques du Maine, New Hampshire, Massachsetts.

A un moment du livre, un conférencier évoque "l'esprit véritable de la Nouvelle-Angleterre". Approche qui entraîne cette remarque vaguement ennuyée de Sam : "Je ne peux pas dire que j'ai tout écouté, loin s'en faut, de la même manière que vous n'écoutez pas vraiment ces publicités qui vous racontent que telle ou telle voiture incarne le véritable esprit de l'Amérique." Brock Clarke se méfie des grandes phrases vaguement réac', les valeurs éternelles, il leur rit au nez. Nous lui ferons donc pas l'insulte de dire qu'il a capté un certain esprit de la Nouvelle-Angleterre actuelle. Mais son joli mélange d'absurde et de caricature sera intéressant à voir évoluer au fil des livres.

Motel à Keesville, dans l'Etat de New York

Bethlehem, New Hampshire

15 janvier 2011

Paris Monopole, un joli court métrage d'Antonin Peretjatko- grâce aux Cahiers du Cinéma

Paris Monopole 
court métrage d'Antonin Peretjatko (2010)

J'aime bien lire les textes sur le cinéma, critiques, interviews de réalisateurs, dossiers comparatifs, que sais-je. Toujours une source d'interrogation, un moyen de découvertes, et de mettre à l'épreuve mes analyse de films ; analyses souvent bien limitées, je le reconnais, mais le jeu de confrontation entre mon oeil amateur et les arsenaux critiques est distrayant, stimulant. Un hobby comme un autre, ou presque, une violon d'Indre mi-sérieux, mi dilettante.

Et j'aime ainsi parcourir les Cahiers du Cinéma ; pour leur légende, bien sûr, mais aussi pour l'approfondissement avec lequel ils composent leurs textes. Pas que de telles analyses soient absentes d'autres sources de littérature cinéphile, site Internet, magazines, quotidiens nationaux. Mais il y a un petit plaisir à explorer les Cahiers, et retrouver certaines de leurs obsessions, la mise en avant de auteurs ou des cinématographies peu explorées, l'attention apportée aux expériences de cinéma. C'est en tout cas ainsi que je le perçois : je n'ai pas dû lire plus d'une demi-douzaine ou dizaine de numéro des Cahiers du Cinéma dans ma vie...

Une des marottes des Cahiers du Cinéma, c'est le cinéma français, ce qu'il peut représenter, et plus encore, le jeune cinéma français. Une envie de débroussailler et de soutenir les nombreux "premiers films", petits assemblages souvent dits d'auteur, et qui ne donnent pas toujours suite à de plus longues carrières. Ce regard porté sur les premières oeuvres est précieux et louable, et plus précieux encore pour un lecteur du Canada, puisque tel est mon statut actuel. Même si certains films français apparaissent dans les salles Québécoises, il n'est pas commun que des premiers films traversent l'Atlantique, du moins dans des diffusions conséquentes. Les Cahiers du Cinéma : une bonne manière de poursuivre une veille technologique du jeune cinéma français.

J'ai ainsi pris beaucoup de plaisir à parcourir le dossier "Demain, ils feront le cinéma français", paru dans le numéro 661 des Cahiers du Cinéma. Un numéro un peu acheté par hasard, juste après Noël, dans une librairie québécoise qui ne proposait pas le numéro de décembre. Un petit hasard, mais un joli plaisir de lecture et d'exploration, 38 pages de critiques et portraits et interviews. Avec cette interrogation clé, fil rouge du dossier : quels jeunes cinéastes proposent des formes nouvelles, loin d'un réalisme un peu paresseux ? Un réalisme en vogues dans les premières oeuvres ces 15-20 dernières années, vaguement littéraire, plutôt parisien, que ce soit par des chroniques sentimentales ou sociales (1). Des formes nouvelles !

Beaucoup de réflexions stimulantes donc, qui poussent à s'interroger sur la création, sur ce que l'on souhaite montrer et de quelle manière. Mais j'ai aussi pu découvrir de très jolis courts métrages, par la magie d'Internet et des sites de streaming vidéo. Des petites découvertes vidéos que je compte partager ici, en tentant d'y ajouter quelques mots, mais surtout pour partager ces découvertes autour de moi. Bien entendu, je ne voudrais pas dépasser les limites de la décence et de la copie de l'oeuvre : tout ayant-droit qui se sentirait lésé peut me contacter, et je retirai les liens vidéos...

Ce qui serait pourtant dommage quand on voit le sens comique d'Antonin Peretjatko dans ses courts métrages. Un point de départ, un joli assemblage de situations absurdes, des gags simples mais hilarants - le tout filmé dans Paris, en pleines rues ou au milieu d'un défilé militaire, avec un magnifique sens du rythme. Une sorte de Nouvelle Vague pour les figures jeunes évoluant en liberté dans Paris, mais terriblement absurde, poétique, riches en gags et jeux de mots et autres petites blagues potaches. Et pourtant, au milieu de cette grâce souriante et désinvolte, flotte pas mal de l'air du temps parisien. Les 18 minutes de Paris Monopole (ci-dessous) naviguent en effet entre boulots d'intérim et recherche de chambres au loyer raisonnable, gros défi parisien des années 2000...

L'article des Cahiers du Cinéma évoque les recherches de financement d'Antonin Pertjatko pour un premier long métrage (2). Intitulé La Loi de la Jungle, évoquant un entrepreneur guyanais cherchant à ouvrir une station de ski à neige artificielle. Difficile de savoir comment le rythme se transposerait sur un format long, mais la folie douce de Paris Monopole et l'élan rieur de Hafsia Herzi de la Graine et le Mulet donnent très envie d'en voir plus...




(1) French Touch - article de Stéphane Delorme - Cahiers du Cinéma n° 661, pp 6-7
(2) Antonin Peretjatko, kamais à courts d'idées - article de Joachim Lepastier - Cahiers du Cinéma n° 661, pp 6-7

14 janvier 2011

Deer-Ree-Shee, le bruit des Black Angels résonne longtemps



Deer-Ree-Shee 
by The Black Angels (2008)
Live in Paris at Canal Plus and at La Maroquinerie

J'ai découvert The Black Angels début 2008 par le précieux Podcast du service musique de Libération, Libélabo La Playlist. Un titre lent mais légèrement tonique, aux guitares atmosphériques, fortement planant, doucement atmosphérique, une écoute assez fascinante au milieu des rues industrielles de Duisburg. Peu de temps après, j'ai acheté leur deuxième album, Direction to See a Ghost, à la pochette criarde rouge et verte, très soleil de San Francisco en 68. De manière assez surprenante, c'est un album vers lequel je reviens régulièrement, dont certains titres m'ont accompagnés sur les trois dernières années ; une jolie durée de vie.

Le pouvoir séducteur des Black Angels n'est pourtant pas bien compliqué, un rock psychédélique vaguement anxieux, où les couches de guitares obscures se répètent. Ils n'ont pas choisi leur nom d'après le Velvet Underground pour rien, l'influence est assumée. Mais on connaît le pouvoir de tels diamants noirs, de sons drogués et paranoïaques, que ce soit par le Velvet, les Black Angels ou les silhouettes fines et tordues des Jesus and Mary Chain. Un sorte de hurlement contenu à mi-voix, le bourdonnement du matin dans des draps bizarres et brouillés, le spleen des soirées un peu longues sur des canapés défoncés, la grisaille qui ricane quand le bus de fin de journée arrive un peu chargé. Des atmosphères clair-obscure, des entre-deux, une certaine urbanité métallique au crissement en sourdine, aux petites rugosité ; on n'y pense pas forcément, on peut même ne pas être convaincu du tout par cette anxiété, ce spleen de bruit blanc ; mais il reste fascinant à observer et écouter à intervalles réguliers.

Je serais très curieux de voir les Black Angels en concert. J'avais été agréablement surpris de les découvrir dans la programmation 2010 du mastodonte parisien Rock en Seine ; mais pas facile pour moi d'y aller depuis Ottawa... Je vais continuer à chercher une occasion. Mais ces deux versions live parisiennenes du superbe Deer-Ree-Shee confirme que l'effort en vaudra la chandelle - une aux effets visuels surproduits dans les studios de Canal Plus, l'autre en caméra fixe backstage à la Maroquinerie, et deux intensités similairement impressionnantes.






13 janvier 2011

Repeating Nirvana's All Apologies on a past mid-February night

 
Eyes slightly surprised, this slow start, the patient starting pace with the catchy modest melody of a dozen notes. The eyes unfocussed a bit more - not that they had been highly concentrated before - any visual intention stepping to the background. Here is a song to listen to, a few minutes with more accute concentration, especially since the rhythm now accelerates pushing any cuteness by the shoulder. But  in a certain way this is the common Nirvana explosion, their usual balance - slow verses, punk chorus.

Still the song diffused its own tint, a small spark.
     REPEAT.

Another start, the same careful setting, everything assembled itself again, the shallow grasp might have been slightly more obvious, the good surprise feeling lightly more intense. I was younger at the time, I was still learning the classics - I could still be surprised by a battered album like In Utero. Could you imagine I had never listen to it from start to end before 23? How could I call myself a rock fan? I knew Rape Me, knowing more maybe, maybe indiscriminate acoustic versions from the Unplugged In album, without nothing their origin; I might still consider "The Man Who Sold the World" a Cobain song at the time... I was fresh, as jaded as university student can be, and even more jaded in a way since I was from Paris, and its snobbishness. Perfectly unwise & inexperienced.

Boring, lazy, or merely predictable. The vaguely boring ending slowly faded.
     REPEAT.

What sort of combination is this? My mind was shrugging faintly, constantly, nervously, ideas trying to find a stable ground - this sound was confusing. And then I could hear a few cello sparks, charming, nice, commercial, produced & packaged: I would have never imagined cello in the background of a Nirvana song. No doubt Cobain felt he was selling out. Cello, how punk, my dear - and give me some more tea & cookies, Courtney. And the tiny, fresh looped melody, acoustic clear: it could easily be implemented in a music box. The ballet dancer would swirl in between two dirty saturated guitar lightning's. That's a vision.

The fading sung echo even keeps going on without music in the end, pure voice, pure voice, vocal weakness alone.
     REPEAT.

A mumbling voice in the final and a mechanical list in the beginning, triggered a few seconds after the cleanly-installed atmosphere. Questions, complaints, questions, complaints - as simply assembled as most Nirvana songs. As blurred & teenage meaningless, blue pencil ants on a cheap notebook Cobain stuck in a shapeless backpack to college. But not ridiculous though. Not cheap. - not too cheap Neither the screams and their clumsy wordplay 'Married! Buried!'. Things remained on balance, things were slowly building something bigger, something trembling, flickering, so small & invisible, something diffusing patiently,  around, all around, inside.

The husky lyrics kept trembling nervous & contained all along, with controlled levels: early low-husky, mixed-mumbling-husky eventually, jumping-husky in chorus. A latent painful anger buzzing far, far, deep, and only jumping a bit closer to the surface at some points.
     REPEAT.

Anger, anger yeah, clear even in the first verses. Not the first, flat, clean, basic, but already obvious in the final syllabi of the second verse; a lock shaken back with a grin, a sigh, a grumbling lip - anger was walking calmly, thorns ready to jump if attacked, if talked to, if gazed at, if it suddenly wanted to swell up. Anger, an hurt anger, battered anger. Hence pain, through the scratched anger, the scratched screams and reddening shouts. Fakely-sleeping anger & disguised hurt pain, looking with modest eyes, talking like any day, like small talks at the bakery store, small talks with apparently polite & harmless words; but anger & pain gazing, gazing, gazing without end, with half-shut sleepy eyes, eyes loaded with velvet unclear products, eyes that certainly cried themselves to sleep in between stomach pain and life-is-so-pointless pain.

The looped cute melody now sounds costumed, a make-believe approach, Troy horse leading to vague lyrics leading vague shouts - all of them saturated with invisible pain & anger. FM waves were certainly filtering them, you would barely hear them on the car radio, and still.
     REPEAT.

Anger & pain I could scream in the tiny student room, in front of the cheap desk covered with a couple of scientific sheets, scattered logarithms or heat transfer formula or electronic meaningless diagrams. But who can remember now, and who cared at the time by the way, on that very night? I was screaming in tune, pacing the beat, clapping opened hands on the bare industrial wood, stuck to the assembled layers that were opening next to me. Eyes full of tears, belly & chest shaken with anger, infinite sadness & deep anger walking hand in hand, impossible to distinguish, mixed & blended, one single inescapable feeling with merely two vague trembling shades under the unstable light. I could not stop singing & shooting, even silently most of the time.

Even the the final fade out had grasped me by then, mashed words who could not keep inside your throat, but raw sound pieces I could not shape before they leaked through the lips. allinallisallweallare allinallisallweallare allinallisallweallare, not even capital letters required. Did not know what it meant, did not think it meant anything, nothing but breaths with vague vowels thrown to the wind.
     REPEAT.

And it was not a real break-up, not a break-up at all, come to think of it. Just a worthless girl, an egoist girl, a girl in her world. We had shared coffee a couple of months before, had ordered fine tea in a fancy cafe, had seen a bad movie she had chosen. We had talked, talked, she was lost, recently alone. And almost instantly she had vanished, had dived in a faster life, further than the campus, invisible, only sneaking in classrooms without a word. A new boyfriend for sure. A real one, after the naive kid who had served tea when confidence was lacking, the movie companion who had slowly started thinking "and if? but no... but if?".

No, not a girlfriend at all, not even close to be one. No more than a couple of afternoons with light chat and snobbish laughs and mechanical compliment. No more than a bitter paragraph you can classify and quote years later as cheap late-night anecdote.

Still, the sad shouting anger would not release the grip, the flux in my mind in this mid-Feburary evening.
     REPEAT

Details can break weak doors and release the files that had not been cleanly classified, not clearly concluded and forgiven. At lunch, she had been sitting at next table, one meter away; not even a word, not even, a movement of the eyes, not even anything - statue laughing with another buddy one meter away. Nothing at all, cheap & easy & petty arrogance, uninteresting pride. Not even enough material for two paragraphs in a short story. Merely a flash, a vision, a couple of shapes for disbelieving eyes.

Nothing, nothing, nothing, nothing, this nothing whispering all afternoon and all evening. The little nothing seeds of sadness & anger & pain, mute and swelling. Nothing, nothing, the tsunami wave was a mere 2 cm step above the deep sea, while rushing fast toward passive islands. Just turned the head where it was darker, more blurred, over the quicksandy carpet - I could not see anything else but this nothing, I could see it growing and could not really look away.
     REPEAT.

I had found the In Utero album at the University library, the previous day or that very night, not the kind of details I could remember or I would have written down. I had put the CD on without thinking, a weird vision of mute arrogant girl printed in my mind. A few tracks, the unbalanced songs gathered by Nirvana, raw & predictable, and then All Apologies appeared. All Apologies kidnapped me, leaving only my finger on the CD player button.
    REPEAT.

The song had unravelled itself, it had made obvious unpredictable blends, it had revealed it intimate skeleton and consistency, its meaningful succession. A then B then C then D, even mere drum beats were now resonating crystal clear in twelve square meters, the predictable highlights that were appreciated even more at each of their iteration. I could feel the details in Cobain grainy voice, grainy grumble, unrecorded breaths. I could get drunker and drunker to the unsuspected idea that pure desperate sadness could be associated with honest & intense anger. They could be blended, they could be one, and I did not need any justification - I was feeling the blend so clearly and feelings are their own justification.

I dived and sung and inspected aspects and aspects of All Apologies.
I must have listened to the song 10 times in a row that night, repeating it again and again, totally unable to stop the string of identical fascination, self-fed.

I cannot remember how it ended, how I stopped. I can only imagine it as an oscillating restless scuba diver who suddenly kept his head out of the water, removed his mask & tuba, and started floating on the water on his back, with a sad & angry & exhausted faint smile.




11 janvier 2011

Push It with Salt-N-Pepa, great vintage hip hop single from 1986



Push It 
by Salt-N-Pepa (1986)

Tiens, bibliothèque d'Ottawa et je tombe sur un album de Salt-N-Pepa, le trio de rap féminin. En fait, je ne les connais que de nom, et pour quelques minutes ; mais quelles minutes : le mash up The Stooges VS Salt-N-Pepa sur le mix As Heard on Radio Soulwax Pt. 2 des 2manydjs. Mélange parfait, les guitares rouillées de Détroit, un flow féminin, les 'No Fun' d'Iggy répondant aux 'Push It' de Salt et Pepa. Un classique, une bombe. La bastard-pop et les mash-up, c'est tellement 2002, mais certains restent fascinants. Et surtout de belles portes d'entrées pour mettre à jour sa culture musicale.
En théorie. Car, je l'avoue, malgré mon amour pour ce No Fun Push It des Belges fous, je n'ai jamais trop cherché à me renseigner sur Salt-N-Pepa. Merci donc à la bibliothèque d'Ottawa et son exemplaire de l'album Very Necessary de 1993.

Un album présent à la première écoute, énergique, aux beats efficaces, qui donne enfin envie d'aller explorer le web. Et les premiers chiffres laissent rêveurs : en 1993, Very Necessary s'est vendu à 5 millions de copies aux US. Par comparaison, la meilleure vente d'albums aux US en 2010, c'est Eminem, avec environ 3.2 millions d'albums... Bien entendu, cela illustre surtout la baisse des ventes d'albums en une quinzaine d'années ; mais cela donne une idée du phénomène.

Quelques clics supplémentaires m'ont fait réaliser que, oui, je connaissais le plus gros hit de Salt-N-Pepa, le fameux Let's Talk About Sex. Il existe bien une forme de culture inconsciente pour le hip hop, dans son versant le plus pop ; et surtout pour ses refrains, je n'ai aucun souvenir des versets de Let's Talk... Alors j'ai donc jeté un oeil au vieil ami Push It - deuxième plus gros succès du groupe, 2ème des charts UK en 1987, et même n°1 aux Pays Bas. 

Le titre garde peut-être un peu plus de charme que Let's Talk About Sex, une énergie très personnelle et singulière. Un délicat aspect vintage, particulièrement si l'on regarde une vidéo d'époque. Un immense classique : le titre s'est classé n°8 des 100 meilleurs titres hip-hop, publiés par VH1 en 2008...





9 janvier 2011

Liste de bandes dessinées lues en 2010 - et pas encore évoquées ici...

Je ne me considère pas un lecteur compulsif, pas un très grand lecteur. Il existe tellement de personnes qui lise plus que moi, plus vite, de manière plus originale ! Mais je m'amuse de ce petite collection de textes & ouvrages, et je prends plaisir à partager cette modeste exploration sur ce blog. Sans pouvoir toujours suivre le rythme : si je ne suis pas un grand lecteur, mon rythme de blog plus piètre encore... C'est pourquoi j'ai publié récemment une liste de "Ces livres lus en 2010 et pas encore évoqués", liste en vrac vaguement inspirée par les listes désordonnées du blog "Discipline in Disorder".

Mais cette liste n'évoquait que les romans & essais lus en 2010, laissant de côté les bandes dessinées. Certes, cela induit un certain classement dans cette liste prétendument désordonnée. Mais je souhaitais illustrer ma liste graphique de quelques images de cases - cela aurait créer un léger déséquilibre entre les romans graphiques et les romans en pur texte. Voici donc la liste de Bandes Dessinées lues en 2010, et pas encore évoquées sur ce blog. Beaucoup d'ouvrages très denses et riches, dont je parlerai certainement plus en détails un jour ou l'autre, et qui partagent un prometteur point commun : j'ai très envie de le relire et les explorer à nouveau...



Bodyworld by Dash Shaw (2010)
Oeuvre extrême, vieux professeur cherchant une nouvelle drogue sur un campus isolé, autarcie du futur. Psychédélique, satyre des microcosmes de lycée US, science-fiction de série B, et bien plus encore, porté par une recherche graphique fascinante. 


Summer Blonde by Adrian Tomine (2002) 
Quatre histoire mi-courte mi longue, sorte de nouvelles graphiques: "graphic short story" par extension de "graphic novel". La puissance simple de nouvelles, portrait de personnages un peu perdus, glissés dans une ligne claire réaliste parfaitement dosée.


Wilson by Daniel Clowes (2010) 
Nouvelles explorations de Daniel Clowes: raconter la vie d'un personnage sous forme de comic strip, pages de 6 cases avec une chute - le style de dessin variant d'une page à l'autre. Un jeu d'ellipses, suite de blagues amères pour un personnage misanthrope et minable : simple d'apparence mais très impressionnant.


David Boring by Daniel Clowes (2000) 
Récit multipliant les pistes de recherches étranges : histoire familiale, cases éparses de comics 50s, autarcie post-apocalyptique, huis-clos, enquête, obsessions callipyges... Une histoire entre cadavre exquis ou film de David Lynch, déroutante, riche, exploratrice. 


 Shortcomings by Adrian Tomine (2007) 
Profond roman graphique au style proche des nouvelles de Summer Blonde. Mais l'histoire possède une ampleur plus développée, mêlant interrogations de jeunes émigrés asiatiques de deuxième génération, relations homosexuelle, spleen, amours entre communautés émigrés. Le tout avec une jolie maîtrise du cadre, du rythme du récit, du dessin.


Understanding Comics - The Invisible Art by Scott McCloud (1993) 
Un essai pour déconstruire et comprendre la bande dessinée, cet art de l'enchaînement et de l'ellipse. Superbes explorations théoriques présentées sous forme dessinée, un classique à la profondeur toujours aussi fascinante.


Pussey! by Daniel Clowes (1995) 
Le regard satirique de Daniel Clowes sur le monde des comics, ses collectionneurs, ses petits professionnels à l'ancienne qui assemblent de plates histoires de super héros sans recherche. Suite d'histoires de quelques pages, acerbes, percutantes, aux caricatures hilarantes. En particulier Dan Pussey, le personnage centrale, geek dessinateur aux cheveux gras... 


Gemma Bovery by Posy Simmonds (1999)
Avant Tamaraw Drewe, récemment adapté au cinéma, Posy Simmonds s'était déjà attaquée à une libre transposition littéraire - et pas n'importe laquelle : Madame Bovary ! Le classique de Flaubert évolue alors à travers des londoniens aisés achetant un pied-à-terre en Normandie... Assemblage hétérogènes de crayonnés en petites cases ou larges bandes, d'extraits de journal intimes, de narration à la première personne, de coupure de presse : intelligent, léger, et malin.


 Footnotes in Gaza by Joe Sacco (2009) 
Après ses recherches en Yougoslavie ou ses reportages durant l'intifada, le reporter graphique Joe Sacco retourne en Palestine pour enquêter sur un massacre de 1956, un petit événement oublié des livres d'histoire ou des rapports d'organisations internationale - une note en bas de page. L'enquête mêle de nombreux témoignages avec des survivants, des commentaires d'historiens, le récit même des démarches du journaliste, ses hésitations ; le tout retranscrit par de magnifiques dessins. La présence de plus de 50 d'annexes suffirait à transcrire l'ampleur du projet ; mais cette reconstitution par le dessin est tellement vaste, offre tellement plus qu'un simple rapport fouillé...


Quai d'Orsay - Chroniques Diplomatiques by Christophe Blain & Abel Lanzac (2010) 
J'ai toujours été amateur du dessin de Christophe Blain, de son rythme, de ses récits de pirates ou cowboys. Sa collaboration avec un ancien membre du cabinet Villepin aux affaires étrangères repousse les limites de cet art graphique. Les obsessions cinétiques de Blain se mêlent avec les anecdotes édifiantes de Lanzac sur le fonctionnement d'un ministère : un mélange subtile, profond, et souvent hilarant...


6 janvier 2011

The World in the Evening et Isherwood perd ses belles qualités d'écritures dans un récit d'édification

The World in the Evening (Le Monde au Crépescule)
by Christopher Isherwood (1954)

Stephen s'évade, s'échappe de la soirée hollywoodienne. Il vient de surprendre sa femme en plein adultère ; pas une surprise, mais un déclencheur. Il s'enfuit. Se réfugie en Pennsylvanie, chez la femme qui l'a élevé. Juste pour quelques temps ; il court beaucoup, il ne tient pas vraiment en place ; il cherche, d'une certaine manière ? Mais cette fois-ci, juste avant de prendre le train, il est victime d'un accident, percuté par un camion. Immobilisation de 10 semaines, jambe cassée, corps plâtré ; repos forcé & statique, situation rêvé pour songer à sa vie : échec du second mariage et souvenirs de sa première femme, auteur morte si jeune et dont les lettres restent à classer...

Christopher Isherwood est un grand nom de la littérature anglo-saxone du XXème siècle. Né en Angleterre, immigrant aux Etats-Unis après des séjours en Europe, en particulier à Berlin. Un nom que je ne connaissais pas, je l'avoue, jusqu'à l'an passé et l'adaptation au cinéma de son récit A Single Man - dont j'avais écrit un long commentaire... Pourtant, un rapide coup d'oeil à sa fiche Wikipedia dresse son portrait en grand homme de lettre, aux relations sûres : stimulant la carrière de Ray Bradbury, ami de E.M. Forster qui lui lègue les droits de son roman Maurice, proche d'Aldous Huxley ou W.H Auden, abondant scénariste pour le cinéma... Une oeuvre abondante et variée, où revienne souvent les thèmes homosexuels.

Alors qu'en est-il de ce World in the Evening ? Un début rythmé, lancé à toute vitesse en peinture acerbe d'une fête hollywoodienne, narrateur vaguement cynique, vaguement désabusé, surprenant sa femme, faisant voler sa vie en éclat, s'envolant pour la Pennsylvanie, sa vieille préceptrice ; s'y sentant vite oppressé au milieu des quakers, cherchant à s'enfuir par le train, mais hésitant sur le passage piéton. Voilà : accidenté, bloqué au lit - forcé à songer.

Cette première partie est fortement aspirante, les petits montages s'effacent derrière la vitesse de l'action, la fuite de Steven et l'apparition de personnages variées, introduits avec légèreté, détaillés très progressivement, par touches dans le récit. L'histoire du personnage s'assemble ainsi, par touches, sauts de mémoire ou apparitions de nouvelles figures, parfois convenues, parfois surprenante. La "tante" quaker à l'empathie parfaite, pieuse et modeste lasse vite par son caractère idéal. Le couple homosexuel du médecin et d'un artiste primitif doucement bipolaire surprend plus, surtout au coeur d'une Pennsylvanie pieuse. Tout cela est plaisant.

L'installation au lit & plâtré casse un peu ce rythme, on s'en doute, mais rend les choses surtout plus artificielles et prévisibles. Voici Steven repassant sa vie en mémoire, avec pour déclencheur la correspondance de sa première femme, son âme soeur, trop tôt décédé. Un tel procédé semble un peu convenu ; il est manié avec un certain brio et une envie de variété, alternant les réminiscences de Steven et les lettres animées d'Elizabeth, mêlant interrogations sentimentales et réflexions sur l'écriture. Tout cela semble plus encadré et appliqué, mais garde une certaine vivacité. Les aventures érotiques du jeune Steven à Berlin ou les discussions littéraires de la jetset londonienne restent digestes.

Mais tout cela peine un peu à trouver un second souffle. Steven et Elizabeth se marient, Steven reconnaît peu à peu dans ses souvenirs ses petites mesquineries ou égoïsmes, Elizabeth est superbement compréhensives, courageuse face à la maladie ou spirituelle ; ils voyagent. Ces enchaînements commencent à lasser : toujours joliment agencés, mais lançant une sorte d'éducation sentimentale de couple pour Steven, à la limite du moralisme ou du moins sans surprise. Un long passage de flirt homosexuel semble étonnamment étiré & dilué ; le décès d'Elizabeth légèrement pathétique. 

Bien entendu, ceci tient à l'état d'esprit de Steven, riche héritier sans besoin de travailler, capable de parcourir le monde sans vrai soucis, si ce n'est son épouse ou ses états d'âme ; ses petits égoïsmes. Certes. Mais un tel flottement semble un peu dispersé, semble faire peu sens, vaguement artificiel, proche de la liste ; sans trop de vie. Une certaine manière de rendre compte de la vie, jamais trop prévisible, flottant doucement, surtout pour de tels voyageurs ; un moyen aussi pour Isherwood de présenter des lieux et situations qu'il connaît : nombreux sont les endroits ou motifs qu'on retrouve par un rapide coup d'oeil à sa biographie. Non, tout seulement n'est pas désagréable, bien exécuté, mais paraît un peu court. Même les allusions à la Seconde Guerre mondiale proche, pourtant assemblées avec subtilités, peinent à intéresser vraiment.

A la fin, Steven guérit, divorce ; quelques mois passent pour tout régler, et il revoit quelques figures marquantes de sa convalescence ; il va bientôt partir comme ambulancier à la guerre, il va vivre enfin seul, sans recherche d'amour. Il peut s'élancer à nouveau. Boucle d'un parcours pas inintéressant, mais légèrement attendu. Mais ce résumé un peu morne ne doit pas faire oublier quelques qualités du livres : sa trajectoire d'édification est peut-être construite trop proprement, mais dans ses courtes réflexions littéraires ou ses dialogues agréables offrent de jolis plaisirs de lecture.


3 janvier 2011

La rue Ste-Catherine à Pointe-à-Caillière, exposition sur la rue symbole de Montréal


La rue Ste-Catherine fait la une !
exposition au musée Pointe-à-Caillière de Montréal, Québec
du 7 décembre 2010 au 24 avril 2011

La rue Ste-Catherine, artère est-ouest du coeur de Montréal, longue de plus 11 km ; rue de commerces, salles de spectacles, d'anciennes résidences aisées, de l'université Concordia. Une rue clé de Montréal, un de ses poumons, un symbole. Il est donc naturel que Pointe-à-Caillière, le musée archéologique de Montréal, lui dédie une exposition temporaire.

On y découvre la formation progressive de la rue au début des années 1800, un peu au nord du vieux Montréal, le centre historique. Des plans illustre son allongement progressif, l'apparition de différents quartiers : résidences à l'anglaise dans la partie ouest, habitations ouvrières dans la partie est. Quelques beaux clichés d'époque illustrent les différents types d'habitations rencontrées, les chantiers progressifs, comme celui du Centre Desjardin, immense complexe de commerces et bureaux en plein coeur de l'actuel quartier des spectacles.

Mais, même soignés, ces archives architecturaux ne font pas la richesse de l'exposition, son caractère sympathique. Le visiteur est surtout porté par la variété des modules présentés, introduisant les différentes activités offertes dans la rue Ste Catherine : bars florissants avec l'afflux des clients américains durant la Prohibition, multiples salles de spectacles, apparitions des grands magasins, développement du tramway. C'est cette multiplication des angles d'approche qui fascine, mimant la variété de la rue Ste Catherine elle-même, son identité multiple. L'un des plus vastes espaces est ainsi dédié au Forum, l'ancienne salle des hockeyurs du Canadien de Montréal. Coupes, photos ou vidéos d'archives rappellent l'importance du hockey au Canada, et le poids des Habs dans la fierté des Montréalais. Ce sont de tels détails qui permettent à l'exposition de quitter la présentation urbaniste prévisible, et capter un peu de la singularité de la ville.


Construction du centre Desjardin


L'ancien Forum, salle mythique des Canadiens de Montréal

Musée Pointe-à-Caillière, sur le Vieux-Port de Montréal


2 janvier 2011

Liste de livres lu en 2010 - et pas encore évoqués ici

Fin d'année calendaire, le temps des listes et autres best of. Une pratique certainement motivée par les vacances de journalistes à cette période de l'année : on peut préparer de tels articles à l'avance, les publier au dernier moment, et ainsi occuper les kiosques même quand le personnel festoie... Mais aussi une habitude joueuse, envie de classer, d'assembler ses préférences, d'exercer un petit pouvoir critique, de discuter longuement entre collègues ou entre potes ; et un plaisir de lecteur aussi, la liste offre le moyen de faire quelques découvertes, oeuvres noyées dans dans le flot de l'actualité...

Je l'avoue, je suis toujours tenté par ces listes de fin d'année, assemblage de films, classements de disques ou de chansons. Mais les listes de livres m'attirent moins, ou me semblent moins évidentes : on va voir les films au moment de leur sortie, mais on ne lit pas toujours les livres au moment de leur sortie. A moins d'être critique littéraire, libraire, employé de bibliothèque. En tout cas, dans mon cas, j'essaie de varier mes lectures, alterner les époques, les genres, les pays. Papillonner dans les bibliothèques, picorer les magasins de livres d'occasion... Un rythme qui se prête moins au classement à date fixe.

Cependant, il peut être amusant de garder trace de mes lectures, de mon cheminement dans le monde des livres. Un petit catalogue des mes lectures. Tout au long de l'année, j'ai déjà évoqué une vingtaine de romans sur ce blog, avec plus ou moins de détails. Mais d'autres ouvrages sont restés sur le côté, jamais évoqués faute de temps, ou parce que les livres me semblaient trop intimidants pour mes petits commentaires...

Alors voici une petite liste en vrac des livres lus cette année. Une liste un peu à la manière du joli blog "Discipline in Disorder", adepte de la liste sans classement, du texte posté spontanément, juste pour capter un moment de lecture. Leur liste 2010 mêle ainsi sans distinction romans, essais, livres de photos ou bande dessinée : toujours une jolie mine de trouvailles. Ma liste n'est pas aussi en désordre que celle de DiD, pas aussi laconique, et elle ne comprend pas les bandes dessinées - que j'évoquerai dans une autre liste. Mais j'espère qu'elle sera plaisante à lire...

  • Rosie Carpe de Marie N'Diaye (2001)
    Rosie arrive en Guadeloupe, à la recherche de son frère ; accompagnée de Titi, ce fils mou qu'elle a du mal à aimer. Rosie, fille à la dérive, ayant fui Brives, ayant travaillé sans élan à la Croix de Berny. Une terrible galerie de portraits contemporains, délicatement théâtrale, superbement écrit : un prix Femina tellement mérité...

  • Jour de Souffrance de Catherine Millet (2008)
    Catherine Millet avait conté sa vie sexuelle, elle parle ici de sa longue jalousie. Livre de récit et livre d'analyse des sentiments, des obsessions sentimentales incontrôlables. Honnête, juste, doucement torturé : la jalousie contemporaine.

  • In a Free State by V.S. Naipaul (1971)
    Livre en trois épisodes. Un serviteur indien suit son maître à Washington DC. Un ouvrier des Caraïbes suit son frère en Angleterre pour aider ses études. Deux anglais traversent l'Afrique du Sud en voiture quand une guerre ethnique se prépare. Trois tensions entre pays du Nord et du Sud, peuples dominants et masses dominées, tressées avec subtilité dans un monde où les colonies ont disparu (officiellement). On comprend parfaitement le Booker Prize attribué au livre, et le Nobel offert à Naipaul...

  • La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint (2009)
    Trosième volet des amours de Marie, histoire d'amour des années 2000. Toussaint pousse son système d'écriture plus loin encore, tissant des scènes presque abstraites, terribles, superbes : qui imaginerait tant de beauté dans la course neigeuse d'un cheval fou sur l'aéroport de Tokyo ?

  • La légende de nos pères de Sorj Chalandon (2009)
    Un écrivain doit écrire la biographie d'un ancien résistant, commandé par sa fille - mais les pièces du récit s'assemble mal. Un livre de souvenir, d'écriture, de recherche sur l'histoire dans ses détails ; sorte d'étude de cas : poids mythologique de la résistance française, étiré jusque nos jours.

  • Carte Muette de Phlippe Vasset (2005)
    Un groupe de géographe est engagé pour cartographier Internet : pas uniquement les lignes de serveurs, tous les flux des utilisateurs... Livre doucement expérimental, construit par bribes d'emails, jouant avec les polices de caractères, tentant de mêler discussions typiques d'Internet et monologue intérieur. Pas désagréable, pas inintéressant, mais l'aspect le plus fascinant tient au "vieil Internet" qu'il présente : un Internet d'emails, sans chat, sans Facebook, sans Twitter - et le livre n'a que 5 ans !

  • Le lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann (2009)
    Biographie monstre de Claude Lanzmann, réalisateur du monumental film Shoah. Mais aussi résistant actif, compagnon de Simone de Beauvoir et ami de Sartre ou Deleuzz, militant pour la décolonisation, journaliste explorateur du monde en Israël, Allemagne de l'Est ou Algérie, directeur de revue... Une vie vertigineuse, riche comme 1000 romans ou essais, et superbement écrite - 800 pages à dévorer, terriblement stimulantes.

  • The New Journalism - anthologie assemblée par Tom Wolfe (1973)
    Le Nouveau Journalisme, élan du journalisme des années 60-70, où le journalisme se rafraîchit en piochant des techniques d'écritures romanesques, en offrant plus d'espaces à l'auteur parlant à la première personne, à tous les délires du gonzo. Dès 1973, Tom Wolfe assemble une anthologie de textes forts, et la lecture s'écoule fascinante : tant de grands papiers ! Pages de In Cold Blood de Capote, délires de Hunter S. Thomson, enquête d'un journaliste participant à un match de foot US pro, interview avec une actrice pour Warhol, récit de la mort lente d'une adepte des régimes macrobiotiques. Une variété sans fin, et une mine d'exemples pour repousser les limites de l'écrit, qu'il s'agisse de non-fiction ou de tout type de récit...

  • Un an de Jean Echenoz (1997)
    Une femme se réveille à côté d'un cadavre, s'enfuit, se construit une vie cachée - de plus en plus pauvre, faute d'argent, jusqu'à dormir dans la rue avec les clochards. Déchéance et fuite, passivité, un petit monde de marginaux du sud de la France, plantés par le style sobre d'Echenoz. Difficile de bien savoir où tout cela va, mais la course doucement paranoïaque est vaguement envoûtante.

  • Boderline (2000) / La Brèche (2002) de Marie-Sissi Labrèche
    L'autofiction à Montréal dans les années 90. Marie-Sissi Labrèche raconte ses rapports détestables avec sa mère folle, conte son amour fou et obsessif pour son professeur de littérature, le mépris de son corps, machine à sexe à la dignité perdue. Les thèmes maternels ou d'amour fou ne sont pas toujours très profonds, semblent parfois un peu convenus ou superficiels. Mais l'élan halluciné du langage donne un rythme certain, souvent fascinant pour un lecteur parisien : un élan obsessionnel pavé d'expressions québécoises surprenantes pour l'oreille francophone européenne.

  • Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise (2000) / Par une nuit où la lune ne s'est pas levée (2007) de Dai Sijie
    Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise, un immense succès littéraire : traduit en 25 langues ! Jolie histoire d'adolescents envoyés à la campagne pendant la révolution culturel, transmettant la littérature européenne à une couturière analphabète - récit poétique, doux, humoristique.
    Le livre suivant est également fascinant, mais à la construction ambitieuse et multiple, centrée autour d'un parchemin déchiré offrant une citation du Boudha. Le livre mêle visite d'une traductrice en Chine, récit d'aventurier français après la Seconde Guerre, vie du dernier empereur, réflexion sur la traduction ou les langues mortes. Un roman multiple, foisonnant, érudit, poétique.

  • The Echo Maker by Richard Powers (2006)
    Un accident de voiture, le frère dans le coma, reprenant peu à peu ses esprits, mais croyant sa soeur une comédienne, un imposteur chargé de le tromper... Joli pitch initial, mais livre que j'ai trouvé terriblement poussif ; à la construction tellement apparente, à la progression lente, à la documentation visible et artificielle, aux personnages souvent prévisibles. Un livre fabriqué, comme parfaitement assemblé avec des recettes précises, façon cours de "Creative Writing" - sans vie. J'ai du mal à comprendre son statut de finaliste au Prix Pulitzer, du mal à saisir l'enthousiasme critique...

  • Extension du domaine de la lutte par Michel Houellebecq (1994)
    Parce qu'il fallait tout de même avoir lu un livre de Houellebecq dans sa vie - et surtout cette année ; alors commençons par le premier roman. Petite histoire d'homme des années 90 désabusé, petit cadre en services informatiques transporté dans les hôtels de province, les petites mesquineries de l'entreprise. Un ton personnel, détaché, doucement cynique, où surgissent des aphorismes déprimés sur la société, des scènes acides sur les comportements de collègues, de pures envies de détachement voire de meurtre. Il serait maintenant intéressant de lire Les Particules Elémentaires...