30 avril 2009

Une fille sans qualités aux défauts un peu trop marqués

La fille sans qualité 
par Juli Zeh (2004)

Ada est une fille extrêmement intelligente ; grande lectrice, dotée d'un profond sens critique pour son âge, une grande maturité intellectuelle à seulement 14 ans. Elle fréquente un lycée de Bonn, établissement privé réputé où elle lance de longues joutes verbales avec ses professeurs. Elle court longuement et intensément, des jambes rapides et une capacité à résister à la douleur en font une potentielle championne universitaire d'athlétisme. Ada n'est peut-être pas très mignonne, pas autant que les poupées blondes à la beauté calibrée, mais elle possède une poitrine généreuse ; assurément une jolie sensualité, rehaussée par son caractère et son indépendance.

Ada est également nihiliste.
Elle tisse de longues réflexions intérieures sur la vacuité du monde, la superficialité de la société post-moderne, la faillite des politiques ; la stupidité générale de ces camarades inconséquents. Elle lit et lit, enfermée dans la salle de bain ; elle n'ouvre pas souvent la bouche en classe, hormis pour quelques brillantes saillies à la limité de l'impertinence. Ada n'imprime même pas les souvenirs, les choses glissent sur elles, et elle se contente de lire et courir.
Ada se trouve dans cet établissement huppé après avoir été renvoyé de son précédent lycée ; sans grande raison apparente, sans motivation réelle de sa part, elle avait cassé le nez d'un camarade avec un poing américain.

L'arrivée d'Alev dans sa classe va lui offrir un alter ego précieux ; nihiliste également, ballotté par ses parents d'un pays à l'autre, passionné par la théorie du jeu, Alev aime à jouer de son charme pour manipuler, pour le plaisir de démontrer  la vacuité intrinsèque des relations humaines. Ada et Alev rivalise d'éloquence en classe, et se font peu à peu complice d'un jeu trouble de manipulation.

Juli Zeh construit briques après briques un lourd roman, le grand roman de la jeunesse allemande des années 2000 et de son état d'esprit. Gros pavé de plus de 500 pages visant à capter le caractère désabusé de cette jeunesse qui a déjà tout vu, connaît tout des échecs des générations antérieures, digère sans effort les moyens de communication et le cynisme des politique ; une génération consommatrice mais jamais dupe, qui ne cherche plus le secours des idéologies et des illusions : une génération sans espoir mais qui s'en amuse, cruelle mais avec le sourire. Les arrière-petits enfants des nihilistes & anarchistes du début du XXème siècle.

Et pour peindre un tel tableau ambitieux, l'auteur convoque l'immense "Homme sans qualités" de Robert Musil, monument de la littérature de langue allemande : l'immense fourre-tout inachevé qui piégeait la décadence autrichienne d'avant la grande guerre. Deux époques de fin de règne et de voie sans issue, alors pourquoi pas ?

Alors Juli Zeh convoque la philosophie, ses inquiétudes de juriste sur le juste, les angoisses allemandes envers la guerre en Irak ou les attentats de Madrid, le mal-être des exilés des anciens pays de l'Est, les familles globe-trotters, les amateurs de black métal vêtu de cuir, les petits chefs carriéristes, les parents divorcés, l'importance de la pornographie dans les esprits adolescents modernes. Vaste galerie de portraits et de situations, de rebondissements et de méditations, d'incursions en salles des professeurs ou dans les dortoirs des internes ou chez les immigrés polonais à Berlin avant la chute du mur.

Boulimie de thèmes et d'approches qui ne semble hélas pas tellement prendre vraiment pour une certaine superficialité d'ensemble, au final. L'écriture manque généralement de fluidité, mais sans jamais véritablement offrir la profondeur que laisser espérer les longues phrases minutieusement construite. "L'homme sans qualités" de Musil est dense, délicat à explorer et presque à impossible à lire longtemps au lit ; mais il offre en retour la densité philosophique et la subtilité d'humour du chef d'oeuvre.  "La fille sans qualités" du XXIème siècle semble tâtonner dans son aspiration à voir grand, sans trop d'unité, sans vrai fil directeur, si ce n'est une désagréable impression surgissant régulièrement : le plaisir pris par l'auteur à tisser des passages pour choquer le lecteur. "Choquer le bouregois". Propension déjà présente dans son précédent livre, "L'aigle et l'ange" ; mais des scènes chocs n'apportant pas trop de réflexions, des scènes facilement cruelles et dérangeantes, m'a-t-il semblé, à la limité de la gratuité.

Juli Zeh est ambitieuse, vise haut : capter l'air du temps contemporain et incarner des dilemmes moraux. Elle tisse pour l'instant d'exigeants thriller ; il lui reste du travail pour toucher au chef d'oeuvre de son temps.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire