2 avril 2009

Deux savants cherchent, découvrent et doutent, et l'on rit et apprend beaucoup

Les arpenteurs du monde 
par Daniel Kehlmann (2005)

S'approprier le monde, grand dessein de la science du XIXème siècle, indissociable de ses grandes figures. Explorer les mers et les plus lointaines jungles, jouer avec les formules mathématiques, mesurer chaque chose avec la plus grande précision qu'il soit, s'emparer des problèmes du monde et leur appliquer la précision et la rigueur des formules ; tout un socle de pratiques scientifiques débroussaillées par ces grandes figures, ces pères fondateurs de la science moderne.

Qu'il serait tentant d'imaginer le cheminement de ses grands esprits. Et même leur vie quotidienne, dans la foulée, leurs personnalités hors norme promettent de riches moments romanesques, de jolies anecdotes et des pommes venant frapper la tête du génie pendant une sieste à l'ombre...

Défi littéraire plus compliqué qu'il n'y parait : tisser une histoire agréable à lire, véridique sans être pédante, fluide et vivante, avec bien plus de fantaisie qu'une biographie rigoureuse ; et sans pour autant tomber dans la caricature du savant rêveur, du génie nébuleux. Daniel Kehlmann relève le défi en construisant un livre particulièrement distrayant autour de deux grandes figures allemandes. Gauss, le prince des mathématiques, et von Humboldt, explorateur de génie ayant parcouru l'Amérique du Sud des années durant. Les sciences pures et exactes face aux sciences de la vie, l'auteur a déniché une idée de génie en présentant ces deux figures complémentaires, évitant ainsi de tomber dans une caricature monolithique des recherches scientifiques, focalisées sur un sujet unique ; cette variété des domaines de recherche correspond parfaitement à l'état d'esprit des grands savants du XIXème, enfants des Lumières, leur envie d'embrasser le monde et d'appliquer l'entendement à toute chose. Ils sautent eux-mêmes d'un domaine à l'autre, des mathématiques à l'astronomie ou au magnétisme, de l'exploration pure au croquis scientifique ou à la classification d'espèces : toutes ces chapelles sont poreuses alors, il suffit de vouloir comprendre, attaquons !

Le récit se voit rythmé par ce va-et-vient, l'explorateur des mondes lointains, l'esprit immensément brillant qui ne quittera presque jamais la Prusse, et aucune lassitude ne vient perturber le parcours du lecteur. D'autant que Daniel Kehlmann joue parfaitement d'un humour fin, capable de provoquer éclats de rire sans jamais se moquer franchement de ses personnages. Il laisse percevoir leurs découvertes et leur génie, les ravages de l'âge ou leurs petites manies, à l'aide d'un style mesuré, sans phrase inutile, sachant faire mouche.

Von Humboldt gravit la plus haute montagne connue au monde, dans la Cordillière du monde, découvre les terribles effets de l'altitude, et l'on rit encore et encore de ses hallucinations, tout en sentant en sous-texte l'exploit physique du pionnier ; un immense chapitre qui reste gravé dans la mémoire. 

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