13 septembre 2010

David Heatley has an upside-down brain (but he knows how to draw it and share it)


My brain is hanging upside down (J'ai le cerveau sens dessus dessous)
by David Heatley (2008)

Nouvel exemple d'une oeuvre autobiographique stylisée et passionnante, la bande dessinée continue de creuser les pistes intimes et David Heatley pousse les limites du genre.

Amusant qu'une telle focalisation semble encore originale en bande dessinée, l'approche n'est plus trop neuve de nos jours, les blogs BD ont continué de répandre l'intime dessiné et le rendre familier du public. Mais la saturation semble encore lointaine, la bande dessinée ne paraît pas encore déclencher le même réflexe effrayé que l'auto-fiction en littérature française : "encore des élucubrations dégoulinantes d'un auteur s'épanchant, pouah !". L'originalité apparaît encore possible, voire promise, quand un nouveau projet de roman graphie intime se présente.

Tout du moins dans mon esprit ; peut-être est-ce simplement lié à ma jeunesse dans le domaine. A la réflexion, je lis des romans graphiques autobiographiques depuis 4 ans à peine...

Néanmoins, les sujets d'explorations dessinés restent vastes, peu saturés de précédents en matière de comics, et David Heatley n'a pas choisi les plus simples, les moins ambitieux. Rêves, sexe, rapports raciaux, rapport à la mère ou au père, histoire familiale, paternité. Pourtant nous sommes nombreux à nous interroger sur ces différents sujets, alors n'est-ce pas un peu exagérer d'utiliser l'expression "cerveau sens dessus dessous" ?
Mais le titre ne décrit pas uniquement l'état névrosé du jeune David et sa quête de sens à différents niveaux, elle se rapport aux caractéristiques même du recueil. Heatley choisit une approche systématique assez fascinante, dédiant un chapitre à chacun de ses grands sujets d'hésitations : "sexe", "race", "mère", "famille"... Pourquoi pas, se dit le lecteur innocent, parcourant les premières pages du premier chapitre, le sexe : planches de rêves, petits précipités surréalistes en une page ou deux - distrayantes, légèrement déroutantes, peu originales. Puis surgit une planche peuplée de cases minuscules (6 x 8 par pages), personnages comme griffonnés, certains nus ou cachés d'un trait de surligneur rose, baisant, l'avatar de l'auteur omniprésent. Qu'est-ce ?


David Heatley débute alors un aspect fascinant de son projet : le récit quasi-exhaustif de sa vie sexuelle depuis son plus jeune âge, depuis ses premiers souvenirs de petit garçon jouant à touche pipi, déshabillant la soeur de la voisine ou jouant aux jeux vidéo primitifs avec son zizi pour joystick. Les cases s'enchaînent hypnotisantes, la puberté, les filles, la timidité, les premières mains effleurées, puis très vites les soirées plus coquines, les nuits partagées. Toutes ses petites amies ; toutes - difficile de ne pas croire à l'honnêteté de l'auteur. Surtout quand on saisit les envies curatives recherchées avec ce récit systématique, ce je-me-souviens sentimalo-érotique : cette éducation sentimentale fin XXème doit permettre à Heatley d'apprivoiser ses besoins sexuels. Objectif apparemment atteint d'après les dernières cases, en bonheur conjugal contrôlé, qui peut paraître un peu fade & conservateur par rapport aux expériences multiples présentées ; mais tellement plus serein et sage, mature.

Et surtout, quel geste artistique ! Mise à nue risquée certes, mais authentique & touchante, à la portée générale concernant la recherche de soi. L'auteur explique ainsi son choix de cacher tous les sexes nus par un trait de surligneur : il ne s'agit pas d'une oeuvre pornographique, à but d'excitation du publique, rien qu'une révélation honnête, sans complaisance. Cette idée graphique est une très jolie trouvaille, poussant discrètement les dessins vers une sorte de burlesque, de censure rigolarde : toujours crue, mais avec une distance évidente.

La même approche systématique se répète dans le chapitre "race", traitant de toutes les personnes noires marquantes dans la vie d'Heatley, depuis ses petits camarades de jeu jusqu'à ses voisins croisés dans son appartement de Brooklyn. Le trait est encore une fois minimal, les choix graphiques plus épurés encore : un pur noir et blanc, avec cadre noir épais. On sent le même besoin d'épuiser le sujet, motivé là aussi par quelques expériences difficile qu'il faut exorciser. Mais l'économie du récit pousse encore l'expérience vers des teintes plus générales, l'axiome se vérifie, "plus l'artiste creuse le particulier, plus il touche au général". L'apparition de petites critiques de rap renouvellent également l'approche par rapport aux cases de "sexe", portrait d'une jeune blanc attiré par la culture noire et les difficultés rencontrées dans les années 80 ou 90.

David Heatley sait parfaitement ajuster ces choix esthétiques au contenu de ses projets, les dernières pages familiales confirme sa capacité à trouver une belle justesse. Le fait que ce livre rassemble des travaux réalisés sur 5 ans environ explique peut-être cette justesse et ce recul, le temps pour laisser décanter les idées et les approches : l'auteur a même réalisé une bande son de son livre avec compositions originales... Il sera intéressant de suivre l'évolution de cet auteur et son travail humain, fragile et risqué.


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