4 septembre 2010

Winter's Bone, tragédie dans le Missouri désolé

Winter's bone
by Debra Granik, with Jennifer Lawrence (2010)
sortie française le 5 novembre 2010 - projeté au festival de Deauville le 5 septembre

Des collines à l'herbe grise, un ciel pétrifié ; parfois une route, mais les voitures semblent plus souvent rouler sur des chemins de terres pour rejoindre des maisons en bois à l'air morne. Deux enfants sautent sur un trampoline, la fillette à califourchon sur un poney à bascule. Un voisin mal rasé coupe du bois.

C'est une voiture de police qui approche, un jeune officier au regard égal, décidé ; il fait son job, il sert la loi. Il se tourne vers l'adolescente qui est sortie au son de moteur. Le policier expose la situation la jeune fille interroge, fronce des sourcils - elle porte une chemise à carreaux. Question du père, il est introuvable, cela pose problème et il faudrait le retrouver ; sinon. Sinon il faudrait évacuer la maison. Plus de pauvreté encore, assurément, battre la campagne.
La jeune fille est grave mais elle a l'air sûre d'elle, elle va s'occuper de tout cela.
Le policier s'éloigne. Bientôt la jeune fille marchera de maisons en maisons, cherchant, cherchant.

Qu'il est étrange de découvrir un film en anglais et d'être perdu dans les dialogues et le flot des accents - un coup toujours désagréable envers un bilinguisme supposé ; et pourtant, perdant presque chaque fois pied dans entre les paroles, les intonations et les sous-entendus, apprécier l'expérience cinématographique, le réseau d'impressions, d'images, de tensions, la trame devinée, voire inventée. Un bon film peut se passer du détails des sons, il suffit d'élan et d'énergie.

Et l'énergie est un des moteur de Winter's Bone. La jeune Ree Dolly, 17 ans, doit se démener pour retrouver son père dealer ; il a laissé leur maison en caution lors de son dernier passage en prison : s'il ne se présente pas devant le juge, la maison sera saisie, les occupants mis à la rue. A savoir Ree, son jeune frère et sa toute jeune soeur, ainsi que la mère aphasique, apathique, fantomatique. Ree fait déjà tourner le foyer seule, sans argent, récupérant nourriture auprès des voisins. Elle ne peut compter que sur elle-même, et visite les maisons du voisinages les unes après les autres, sa famille, ses connaissances : a-t-on vu son père ? Chaque fois, soulevant des réponses agressives ; on ne secoue pas un microcosme un peu louche, les petits deals du Missouri, même avec quelques liens familiaux en jeu ; surtout quand quelques liens familiaux sont en jeu.

Les images de ce petit panier de crabe rural sautent au visage, portées par une photographie crépusculaire. Un pays de froid, la désolation, un pauvreté terne et dépouillée, comme une pauvreté de gueule de bois étirée année après année : voilà, il n'y a que ça. Le collines, les arbres, le bruit du vent ou un vieux marais, un peu de musique à la guitare tous réunis au salon. Un quotidien aux paysages fascinants et aux vies sans avenir, le réalisme du film frappe. La réalisatrie a su capter cette authenticité, rendant justice au roman de Daniel Woodrell, auteur centrant ses livres sur les Ozarks du Sud du Missouri. Un superbe travail de cinéma, patient et juste, correspondant à la justesse réaliste souvent récompensée au festival de Sundance ; Winter's Bone y a été acclamé cette année, remportant les prix du meilleur film et meilleur script.

Mais si la critique soutient le film de manière unanime, ce n'est pas uniquement pour cette justesse réaliste. Les films de "communauté un peu misérable dans des coins perdus des US" ne sont pas rares, comme le fait remarquer le New York Times. Winter's Bone offre une histoire une lutte apparemment perdue, une série d'oppositions à la violence larvée, des figures fortes et terribles, une véritable histoire intemporelle & quasi mythique. Lutte pour un peu de justice et soutenir sa famille, car seule Ree peut le faire, et donc le fait. Jennifer Lawrence offre une performance profonde & riche, des échanges perturbant avec un oncle ou une voisine imprévisible & dangereux ; rencontres enchaînés comme autant de scènes de théâtre, juste séparées par la marche ou la conduite dans les collines. Comme une tragédie.

Cet alliage entre réalisme du contexte et grandeur théâtrale de l'intrigue donne sa grandeur au famille, sa profondeur, son caractère fascinant. Histoire intemporelle de condition plongée dans un quotidien entièrement authentique : difficile de ne pas être touché et agrippé.

Noyé dans ces dialogues intenses mais à demi compris, observant les images & visages gris, j'ai plongé peu à peu dans un expérience méditative, remplie de pistes & suggestions de réflexions. Parmi lesquelles, bien sûr, les comparaison cinématographiques. J'ai rapidement songé à Dead Man de Jim Jarmusch, où Johnny Depp parcourt un ouest américain en noir & blanc, rencontrant brigands biscornus, indien bizarres, paysans sales ; mêmes paysages gris, pauvres & grandioses dans leur petite échelle désolée, rencontres successives et vaguement menaçantes un peu similaires, en tout cas dans mon souvenir, ou dans la tonalité qui a marqué mon souvenir.

Mais en y songeant un peu plus, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec L'Esquive, le magnifique film d'Abdelatiff Kechiche. Mise en rapport qui m'a supris moi-même : quel rapport le jeu amoureux adolescent en banlieue parisienne peut avoir avec un thriller du Missouri ? L'Esquive installe un histoire intemporelle de séduction dans la réalité cru d'un cité bétonnée, tournant chaque rencontre comme les scènes d'une pièce sur la dalle. Le tout laissant paraître une agressivité du quotidien, transmise par l'argot le plus violent, les intonations, l'énergie permanente, la menace ; un spectateur américain serait vite perdu dans les phrases, même avec un bon niveau de français : d'ailleurs, certains de mes amis n'avaient pas supporté ces dialogues intenses et hautement familiers... Le résultat offrant une superbe histoire tout en présentant un portrait de la banlieue respectueux et juste, comédie humaine et réalisme quotidien s'enrichissant réciproquement.

De tels alliages mettent en avant l'importance d'un écriture ambitieuse, capable de rendre fascinante une histoire de drogue locale. Une belle oeuvre.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le rapprochement avec l'Esquive est osé, mais c'est vrai que le langage tienn un grand rôle dans Winter's bone.
Bon texte, sinon !
Aurélien Ferenczi

Robin LE WILLIAM-NORTH a dit…

Merci pour votre lecture !
Pas sûr que le rapprochement avec L'Esquive soit très clair dans mon esprit, plutôt une impression. Le côté assez théâtral des rencontres avec les différents personnages. Il faudrait certainement que j'y songe encore un peu pour être plus clair dans mes commentaires...

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