Mais en ce cas, pourquoi votre bande son s'écoule-t-elle comme une vieille compilation folk, un ruisseau à une dimension ?
Peut-être est-ce dû au vieil adage du blogger sage : "un garçon qui prépare une compilation pour une fille est un garçon amoureux". L'esprit enfumé d'effluves romantiques et de sentiments roses aime à partager ses émotions musicales, ses coups de coeurs pour des morceaux tellement touchants, alliage de paroles juste et de mélodies parfaites. The perfect love song, le Graal du song writter pop, et où trouver de tels artisans de l'émotion et du sentiments, si ce n'est dans le rayon pop-folk ? Sur un label indépendant pour ne pas risquer de tomber sur quelque guimauve trop commerciale, tout de même.
En cette ère où la playlist folk sert d'étalon du bon goût musical, je me fixe un défi : ciseler une compilation sans chanson d'amour, sans même aucun morceau pop ni folk. Mais une compilation qui saurait procurer des émotions intenses, car la puissance d'un morceau n'implique pas qu'il parle d'amour.
Et, allant plus loin, j'aspire à un enchaînement des morceaux qui fasse sens. Que l'écoute du disque constitue un cheminement et trace une histoire à l'aide de ses tonalités, comme cet idéal éculé de l'album concept. Que l'ordre des morceaux influe sur l'expérience musicale à la manière de l'agencement des chapitres d'un livre ou des scènes dans une pièce de théâtre. 80 minutes pour raconter une histoire en une dizaine de morceaux sans chanson pop ; rien de vraiment commun avec les milliers de titres qui dorment sur le disque dur du téléchargeur paresseux, fichiers mp3 qui se voient réveillés au hasard grâce à la fonction de lecture aléatoire. Oui, la musique que l'on manipule sans support physique offre une plasticité sans limite alors sculptons la glaise mélodique pour rédiger notre nouvelle sonore.
Une nouvelle qui se déroulerait une nuit, la nuit de liberté offerte par le samedi soir. Début de printemps, envie de traîner tard dans les rues piétonnes d'un centre ville aux bars nombreux, redécouvrir dans cette tiédeur surprenante une aspiration au sublime . Une douce euphorie. Une envie d'euphorie, tout du moins, qui bat la mesure en sourdine dans ses tempes à peine ivres, la promesse d'un oubli ravi qui glisse par la fenêtre ouverte d'un bar ; promesse enivrante sous la forme de quelques accords de guitare qui tournent sans fin.
Il entre.
Le brouhaha plus fort au fond près du comptoir, les conversations tout près de l'entrée restent presque paisibles, montant doucement en régime au fur et à mesure des blagues, des anecdotes, des cocktails. Le murmure sensuel de la foule se déhanche lentement mais bat peu à peu du pied, claquettant, criant sa joie en bondissant plus haut. En aidant la température à monter elle aussi, les visages couverts de sourire et de sueur. La chaleur va continuer à peupler les lattes du plancher et les tabourets hauts, la chaleur va poursuivre son train et taper encore sur ses tam-tams débordants, poussant les pieds vers la rue ; chercher de l'air plus frais, courir fou sur tout l'espace d'une allée, courir vers une autre folie cuivrée et courir vers le monde qui bouge sur la hanche d'une femme.
Ainsi, un micro-bar cubain en sous-sol, lumière tamisée et cuivres déments qui jonglent avec les membres des danseurs, serrés comme dans un sac, tassés pendant à peine trois minutes. Un chahut où la foule bouge en bloc, se décalant de plusieurs pas, soulevant les plus légers, et il décide soudain de s'extirper un peu, faire une pause au bar. La danse glisse encore derrière son oreille, des danseurs raides et au garde à vous, voici l'impression qu'il a.
Depuis le coin sombre du bar, la danse ivre paraît soudain mélancolique, plaquant des paroles terrifiantes sur son rythmiques irrésistibles. Une musique aveugle rendant le passé et le futur douloureusement clair.
Voici certainement le premier coup de fatigue de sa nuit, légère baisse de régime et la jauge déprimée reprend quelques couleurs. Le moral instable, vascille, mais il se découvre une capacité nouvelle, un sens étrange, il entend des paroles pessimistes et terrifiantes au milieu de la musique, des dénonciations fortes et tellement imprévues dans une telle ambiance festive. Qui se soucie du Congo dans cette mère d'alcool et de débardeurs fluos ?
Ce n'est qu'un soupir, allons, quelles que soient ses douleurs, l'Afrique offre toujours de magnifiques musiques dansantes, des chants superbes sur des rythmes efficaces et nouveaux, et les drames s'effacent encore, s'effacent toujours, who cares et pourquoi faudrait-il s'en soucier précisément maintenant, cette nuit, lors de ces danses et tout près de cette mignonne blonde qui ne le regarde pas ?
Mais personne, en fait, n'ose l'observer franchement, aucune regard ne se pose longuement sur lui malgré l'énergie déployée et la profondeur de son ivresse. Danser, danser, seul aussi, ou même avec ses camarades silencieux, comme chaque semaine, des amis qui ne se parlent que pour commander un nouveau verre de tequila. Danser seul et songer, soudain prendre conscience que cette danse n'offre aucun partage, cette impression fugace se fait évidence incontestable ; il danse dans le vide, pour rien, il n'arrive pas à danser. Qu'il aille autant s'asseoir un instant et réfléchir un peu.
Problème de communication, défaut de finesse dansante et d'efficacité physique, il ne peut s'empêcher d'incriminer son éducation. L'éducation, le milieu dans lequel il a baigné enfant, bourgeoisie de banlieue aisée, tous ces codes, toute cette retenue et cette sensation d'une flèche du temps ; le sens de la vie, le sens de la réussite. On ne choisit pas son ghetto, mais le milieu social pèse de tout son poids, il appuie plus fort et plus inévitable dans les moments de doute, dans le coin reculé d'une boîte rose et cubaine.
Le ghetto, et tous les décors urbains en fait, scène bétonnée où défilent les gestes modernes et inévitables, un écoulement comme un long monologue. Peut-on s'échapper ? Peut-on murmurer autre chose que des paroles molles, tristes, résignées, les paroles de contes aux fins désespérées et dérisoires ?
Il est sorti sur le trottoir, il chantonne tout doucement, juste pour lui, assis sur un plot en béton. Il chantonne une mélodie d'à peine quelques inflexions, le psaume de sa nuit de danse sombre ; les plus belles danses sont mélancoliques, mais valent-elles la peine d'attendre toute une semaine avec excitation, valent-elles vraiment d'idéaliser les sorties du samedi et d'en déguiser le contenu ? Un masque pour seul solution, le masque de la semaine, le masque pour tout cacher et ne pas se mettre à hurler en songeant à son visage.
Il sourit. Ces moments de minuscule déprime sont finalement assez amusants, quand on y songe ; intenses et grandiloquents, rendus lyriques par l'alcool consommée et la fatigue d'une nuit blanche, et pourtant tellement prévisibles et injustifiés. Car le vrai bonheur d'une nuit d'ivresse aux milieux des pavés et des fêtes étudiantes, c'est le lever du soleil, le carillon des teintes et l'optimiste naïf de lumière renaissante. Come on.
Alors, face à cette redécouverte, le petit coeur bat de nouveau si vite, aussi vite qu'à l'orée de la folle nuit qui s'annonçait.
THE LITTLE HEART BEATS SO FAST
- The Field - A Paw in my Face (2007)
- TV On The Radio - Shout Me Out (2008)
- Talking Heads - The Great Curve (1980)
- Pigbab - Papa's Got a Brand New Pigbag (1981)
- Liquid Liquid - Optimo (1981)
- Hercules & Love Affair - Blind (2008)
- Baloji - Tout ceci ne vous rendra pas le Congo (2008)
- The Very Best (Esau Mwamwaya & Radioclit) - Boyz (2008)
- TTC - (Je N'arrive Pas À) Danser (2002)
- Le Klub des Loosers - Sous le signe du V (2004)
- IAM - Demain c'est loin (1998)
- The Streets - Empty cans (2004)
- Minimal Compact - Disguise (1982)
- Sufjan Stevens - Come on feel the Illinoise! (2005)
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