La galerie s'étend tout près de deux terrains de volley-ball sur goudron rouge, deux terrains de hand en arrière plan, dans une infime grisaille d'hiver. Blonde, fine, petite même, avouons-le, et appuyé sur les barrière, les longs cheveux bouclés jusque dans le dos par dessus le manteau. Même pas encore quatorze ans et voici un premier souvenir de St Valentin, première sensation d'un jour particulier, d'une ouverture au sentiment et d'un imaginaire collectif vague. A l'objectif peu clair.
"Valentine's day is a holiday invented par greeting cards compagnies to make people feel like crap."
Presque dix ans plus tard, le murmure de Jim Carrey résonne encore en voix-off, réminiscence du tout récent Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Oui, un jour sous forme de convention, une fête artificielle, c'est certain, mais j'appuie encore et encore sur le bouton pour relancer All apologie. Kurt Cobain grogne sans fin sur le bureau étudiant, je saisi peu à peu le mélange de rage et de détresse de Kurt. La boule dans l'estomac malade, le raclement remontant l'oesophage pour hurler avec une énergie folle, et une tristesse subtile, presque indécelable, très fine. Une fois dénichée la clé, je n'arrête pas d'ouvrir encore et encore cette boîte surchargée de spleen, le filigrane maussade glissé dans les mailles de la colère punk.
Mélancolique car le calendrier affiche 14/02, car c'est un jour où l'on doit se souvenir des fleurs, des baisers et des regards luisants, où le solitaire se sent obligé de surjouer un peu son chagrin. Autant le surjouer à l'aide d'un bras d'honneur de colère et d'irrespect à l'ordre établi.
Avec quelques années de recul, ce spleen grunge offre un magnifique condensat de mon rapport à la St Valentin. La St Valentin, symbole de ma principale angoisse amoureux, l'amour comme suite de règles, la check list dont chaque case se voit cocher peu à peu. Suivre les lois. Les pratiques, les coutumes, l'amour doit s'écouler selon des lois invariables, des gestes nécessaires et les paroles douces qu'il faut. Convenues. Le règne du moment précieux et de l'écoute adéquate, pour aboutir à l'objectif : le couple heureux, le joli couple, la vie de couple. La belle vie à deux grâce à tout ce qu'il faut ; à un St Valentin réglée comme dans un rêve, petit cadeau et joli dîner.
Mais je ne veux pas poser le regard sur cette check-list, le livre de recette nécessaire. Certes, les recettes produisent des instants sublimes quand elles mettent en jeu des individus splendides ; "You kiss by the book" murmure Juliette après le premier baiser de Roméo, le baiser simple et juste beau comme dans un livre, et cela fonctionne et émeut. Pourtant, je n'ai plus aucune envie de découvrir ces recettes toutes faites.
J'aspire à un élan, une épiphanie sans St Valentin, une merveille imprévue et sans convention, autour de laquelle s'articulerait la découverte, l'instabilité, le consensus, les compromis et la grande passion folle, négociée le long du cheminement du quotidien. Une folle relation comme dans le film Un homme un vrai, un coup de foudre immense, un désir sur la pointe des pieds mais sans vraie hésitation, fluide et comme un pari au milieu de la foule, sans retenue, finalement.
Et puis, aussi, bien sûr, les hauts et les bas du quotidien, les disputes et les usures et le besoin répété, régulièrement, comme dire autrement de retomber amoureux. La stratégie du remariage permanent, comme dans ce film aux trois temps schématiques et magnifiquement équilibré ; coup de foudre, rupture cinq ans plus tard, puis retrouvailles folles cinq encore plus loin. Une trame schématique comme programme pour une relation sans tentations cul-cul, pour retrouver, dix ans plus tard, le frisson de partager un duvet dans la forêt en observant des coqs de Bruyères, perdus dans la montagne.
Une stratégie limpide et des enchaînements sur surprise, voilà le programme, mais aussi toute la fantaisie du film pour irradier le cheminement à deux, que ce soit pour quelques semaines ou pour une durée en rapport avec les guide de conduite de la St Valentin. Un grain glissé dans le quotidien, une remise en cause de l'ordre amoureux établi, infime punk de la romance, capable d'immense déclaration d'amour éternel un bol de gaspacho à la main, de plonger tout habillé dans l'océan pour une grande incompréhension douloureuse, ou de glousser barbu comme un coq lorsque le fil amoureux retrouve, ébahi, et incrédule, en fait, son déroulement extatique et passionné, son désir le plus basique.
Bien entendu, je doute qu'il puisse exister de relation moderne sans miettes épongées sur la table du salon ou sans sorties du samedi à l'hypermarché. Mais je n'en suis même pas certain, et j'aspire à croire encore et encore à une forme d'amour fou, à mettre en pratique avec fantaisie et second degré l'amour fou. Rien que l'amour fou. Pour pouvoir murmurer, comme Matthieu Amalric de retour de la retraite en forêt de De la guerre : "J'ai découvert un endroit fabuleux. Bouleversant. Où le bonheur se joue dans le combat, dans la guerre, dans le partage communautaire. Je veux te le présenter, je veux que nous y allions ensemble. C'est là que nous devons nous rendre tous les deux. Car je ne veux pas que notre couple, ce soit aller faire les courses le week-end à Leclerc".
La voix proche de mes lèvres répondra alors, doucement, instable : "Mais je trouve cela beau, aller faire les courses au Leclerc avec toi. Juste nous deux, ensemble". Et notre avenir se jouera entre l'amour fou extrême et l'amour fou qui rend beau le quotidien, sans aucun guide pour en fournir la recette du mélange.t
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