12 août 2010

La fragilité instable de The National inondant Osheaga

The National concert - July, 31st, 2010 - Osheaga Festival, Montréal

Fragile.
Fragile, pour dire ténu, mince, délicatement élégant. Epiphanique, mais instable, cristallin. Léger & tremblant, frémissant.
D'autant plus beau & touchant par cet équilibre de marcheur sur fil.

The National est peut-être le plus grand groupe du monde comme le proclame certains blogs, et j'en étais moi-même convaincu en sortant de leur concert à la Maroquinerie parisienne en mai 2007. Un groupe capable d'installer une envergure fascinante & profonde, et d'autant plus impressionnante qu'elle frémit précaire. Prête à s'envoler, à glisser, à devenir trop ceci ou pas assez cela ; pompeuse, ou dérisoire, ou un peu cul cul, ou prévisible.

La grâce n'est jamais qu'un équilibre instable.

Et cette précarité surgit dès la deuxième chanson jouée à Osheaga 2010 à Montréal. Placé entre deux mythes, Pavement & Arcade Fire, The National a attaqué plein d'énergie avec deux tubes tubes énergiques & émouvants, Mistaken for Strangers de l'album Boxer et de leur nouvel album, Bloodbuzz Ohio il me semble. Puis ils ont enchaîné par un morceau Boxer, au rythme terriblement lent, Slow Show apparemment, comme timide, tentant peut-être quelque chose, ou simplement incapable de laisser la mayonnaise prendre. Un faux-rythme, un sportif en dedans dans les premières minutes d'une finale, attentiste : mais que se passe-t-il ? La chanson semble traîner des pieds, la délicate voix rugueuse de Matt Berninger paraît juste paresseuse, l'équilibre des guitares et cordes ne s'entraîne pas mais se regarde du coin de l'oeil.

Plus de contenu, plus d'interprétation ou d'incarnation, juste une petite exécution un peu molle. Le funambule a trébuché, ou sent la peur de la chute, et plus rien n'est aérien.

On sent le groupe conscient du léger pataugement, de l'enlisement qui guette déjà. Attention, serrons-nous les coudes ! Plus question de grâce, les camarades échangent regards, respirent un grand coup, ils jouent plus simple peut-être, moins magnifiquement humains, mais il faut tenir la baraque. Matt rame avec les autres, un peu maladroit, un peu plus que d'habitude ; il fait le métier, offre les chansons, mais ne retrouve pas la finesse initiale, l'apesanteur que peuvent atteindre ces histoires & les morceaux du groupe.

Alors Matt en rajoute, il hurle encore plus fort qu'il ne le fait sur un refrain, il se roule encore plus sur le dos. Décharge d'énergie ! Comme un gosse qui tape du pied, qui ne sait plus comment faire, il n'y a plus qu'à crier ! Hurlement habituel du morceau, mais poussés cette fois avec un peu plus d'espoir : voilà qui va nous relancer, je me roule plus encore au sol !

Et voici le verre de bière renversé. Sur la batterie, sur un bout d'ampli, sur des pédales d'effet.
La bêtise qui détend l'atmosphère. Les sales gosses ricanent, vaguement honteux, vaguement benêts, regardant leurs pieds : tout de même, devant une telle foule, c'est un peu gênant. Stefen Malkmus était couvert de bière lui aussi avec Pavement, mais lancée depuis le public, c'était plus rock'n'roll et moins gaffeur. Mais autant en rigoler.

Le groupe repart plus léger, tâtonne encore un morceau ou un morceau et demi, rejoint par Richard Parry d'Arcade Fire pour une poignée de chansons. Mais voici un tâtonnement ascendant, l'incident de scène a joué certainement les soupapes, l'inquiétude s'est trouvée détournée, focalisée vers une bêtise dérisoire, et il n'y a plus qu'à jouer, jouer, pousser les inquiétudes qui se bousculent dans l'estomac et les suivre, les laisser murmurer les paroles sur les lèvres, plutôt que rester clouer au sol. Partager l'anxiété quotidienne dans le chant, les chansons de The National parlent-elles d'autre chose de toute façon ?

Alors The National monte, monte, doucement, prudemment, mais magnifiquement. Matt Berninger est plus névrosé que jamais, piétinant la scène entre les morceaux, les mains prises de tic, la mèche blonde éparse par dessus le profond regard bleu. Bien sûr, la densité émotionnelle de The National ne tient pas uniquement de son chanteur, les cordes, le piano, les entrelacs de guitare, tout un montage collaboratif et tout le monde joue tous les morceaux tout le temps, comme dans les meilleurs groupes. Mais le frémissement à fleur de peau de Matt s'affiche comme la pointe frêle de l'iceberg, limpide et apeurée. Est-il terriblement timide, à faire les cent pas à chaque pause ? Cherche-t-il à retrouver les sentiments violents et anxieux de l'écriture, de l'enregistrement, pour habiter au mieux les chansons, comme un comédien plongeant dans son rôle à chaque nouvelle scène ?

Qui sait ?
Au coeur de sa bande, Matt Berninger offre une profondeur intense dans sa voix baritonnée, et les échos résonnent longtemps de Fake Empire ou Terrible Love finaux, de la nouvelle pépitte England. Une partie du public a peu à peu tourné les talons pour s'approcher d'Arcade Fire, bientôt sur la scène de gauche, mais les oreilles ne se détachent pas, les regards luisent, luisent sur des joues doucement frémissantes.










The National & Pavement at Osheaga 2010 in Montreal copyright The Gazette
Video by Dario Ayala, edited by Marcos Townsend


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