14 août 2010

Folie hystérique adolescente de Scott Pilgrim

Scott Pilgrim vs. The World
by Edgar Wrigth, with Michael Cerra, Mary Elizabeth Winstead, Jason Swartzman (2010)
sortie française: 20 octobre 2010

Hilarious
C'est le mot à employer en Amérique du Nord quand on parle d'un film à hurler de rire, certainement plus employé que le "hilarant" français. Je n'ai pas souvenir d'avoir entendu une cousine de 15 ans répéter plusieurs fois "c'est hilarant".

Ou mieux, hysterical.
Tout aussi difficile à bien prononcer pour un français, à cause du "h". Mais à utiliser sans retenu pour parler d'une série ou d'un bouquin à mourir de rire, ou un film totalement absurde, tel les Monty Pythons. Et hysterical est définitivement à utiliser pour ce monstrueux Scott Pilgrim vs. The World.

Scott a 22 ans et sort avec une jeune asiatique du lycée, 17 ans seulement ; normal, c'est le genre de chose qui arrive, surtout quand on peine toujours à se remettre d'une rupture douloureuse. Ca fait partie des aléas d'un deuil amoureux. Mais Scott aperçoit Ramona dans une soirée, moue vaguement cynique, chevelure rose, et c'est le coup de foudre. Cependant, pour pouvoir sortir avec Ramona, Scott va devoir se débarrasser des 7 ex de Ramona, et pas n'importe comment : en combat singulier à mort.

Hysterical, n'est-ce pas ?

Scott Pilgrim est une série de comics canadien, publiée en 6 volumes entre 2004 et 2010 ; un volume par ex de Ramona. Style fortement inspiré du manga, énormes références au jeux vidéos, humour profond avec une jolie caractérisation des personnages : Scott Pilgrim a ravi les adolescents nord-américains. Il s'est tout naturellement retrouvé adapté au cinéma, avec à la réalisation Edgar Wright, auteur des très hystériques Hot Fuzz et Shaun of the Dea, parodiques et hautement référencés pop : un client idéal pour la franchise.

Et la réalisation ne déçoit pas, terriblement rythmée, usant du split screen ou d'ellipses temporelles fusionnées par quelques astuces de mises en scènes, similaires au saut d'une case à une autre. Wright ne cache pas l'origine de l'histoire, la BD, et joue même avec, utilisant certaines planches du comics pour présenter quelques récits en voix off. Une superbe transposition des singularités de la BD, cet art séquentiel définit par Scott McCloud.

Mais plus qu'une bande dessinée, Scott Pilgrim est véritable film jeu vidéo, adoptant l'esthétique des jeux de combats tels Street Fighters ou Mortal Kombat pour les duels de Scott avec les ex maléfique. C'était l'approche adoptée par la bande dessinée, et le film respecte cette approche : barre de vie, incrustation d'un immense VS. entre les deux protagonistes vus de profil, apparition de lettres donnant le nombre de coups portés, pas de doute, on se retrouve dans une bonne salle d'arcade. Le film saute sans répit d'un ex à un autre, d'autant qu'il faut faire tenir les 6 volumes en 1h45 ; pas le temps de tergiverser. Donc, oui, un jeu vidéo, une suite de combats, avec quelques scènes intercalées pour faire avancer l'histoire. C'est l'un des plus profonds aboutissements d'un "film d'arcade", plus encore que Zombieland l'an passé, qui glissait un peu plus d'histoire entre son élimination systématique de zombies.

Film d'arcade, manga, jeux vidéos, Scott Pilgrim est un magnifique objet pop, terriblement référencé. Les combats s'enchaînent comme des duels de kung-fu ou de Matrix sous acide, totalement irréalistes, ultra-stylisé, tout pour la vitesse et le speed. Et le fun pour geek et autre amateur de genre, avec par exemple l'utilisation tels quels de certains bruitages 8 bits de jeux vidéos des années 90, comme Sonic.

Ajoutez à cela l'utilisation compulsive du téléphone portable, des fringues un peu fluo, un peu recherchés, des coupes de cheveux manga ou une obsession des ados pour trouver un nouvel amoureux, et vous obtenez un film générationnel. Un film symbole de l'adolescence américaine de l'année 2010.

Là, le déclic doit se faire : film d'ado générationnel, ne nous avait-on pas servi Juno ou Nick & Nora il y a quelques années ? Des ados, fans de musique, jouant souvent dans des groupes, focalisés sur les problèmes amoureux, souvent bien fringués dans le style geek ; la comparaison s'impose, d'autant que Scott est joué par Michael Cerra, un des emblèmes de la comédie adolescente de ces dernières années : mais oui, c'était lui, Nick, c'était lui, le copain de Juno. Certes, la liste des ingrédients semble les mêmes, musique + fringues + drague, mais Juno ou Nick&Nora plongeaient ces idées dans un bain tiède qui me les avait rendus terriblement désagréables. Des comédies assez cul-cul, avec quelques idées comique tournant à la formule, et une bande-son criant "achetez ma jolie compil' d'indie rock sympa". Leurs belles sensibilités à l'air du temps ado se trouvaient délavées par l'envie de plaire, de toucher le plus grand nombre, de rester accessible ; de recycler les vieilles méthodes.

Scott Pilgrim ne cherche pas à reprendre la formule de la comédie en l'upgradant, le film offre un objet tel que des adolescents en consommeraient. Zappeur, fort en vannes, saturés de clins d'oeils, allant à toute vitesse, un rythme fou que n'avaient pas les comédies molles citées plus haut. Les ingrédients classiques d'un monde zapping-internet-iPhone-jeux vidéos permanents sont juste poussés un peu plus loin, à la vitesse maximale, et l'on peut donc y trouver un sens certain de la création. Une forme inédite, fortement contemporaine : pas sûr que le résultat soit facile à digérer pour un plus de 30 ans, mais tout le monde se doit de reconnaître cette originalité, cette prise de risque, ce goût fou de la vitesse.

Intensité créative renforcée par le choix de morceaux presque tous inédits pour la bande son, un rock rugueux, rapide, riche en saturation. En parfaite adéquation avec des groupes comme Girls, Wavve, Japandroid, Blood Red Shoes (ces derniers glissant un morceau dans une scène), de la pop à haut rythme mais bruyante, saturée, pleine de jeunesse & d'appétit. Peut-être est-ce aussi une question de mode : Juno était sorti pendant une grosse vague folk, alors que les airs de l'années sont plus lo-fi &noisy... Mais les compositions de Nigel Godrich font merveille, le producteur de Radiohead, Beck ou Air s'est fait plaisir, et l'énergie fournie est superbe et entraînante, le rythme d'un mp3 partagé en fond du bus avec l'iPod glissé dans un jean slim.

Une euphorie, un appétit, un enthousiasme, un sens de l'hyperbole qui irrigue tout le film, une montagne russe dans un rêve d'ado un peu fou, qui mélangerait tous ses rêves, toutes ces idées fixes. Mais un sens du détail allant au delà le goût de la citation clinquante, présent dans les dialogues de ces ados speedés. Les auteurs & comédiens ont pris un plaisir évident à user des expressions passe-partout de la jeunesse nord-américaine, abusant du "awesome", du "totaly", du "sooo into this", ainsi que des rendez-vous chez Pizza Pizza ou Second Cup, les équivalents canadiens de Pizza Hut & Starbucks. Des détails qui ne seront pas forcément simple à transmettre au moment de la sortie française, mais qui offrent une belle immersion dans ce monde, une jolie justesse dans cet environnement hystérique.


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