8 août 2010

La finesse charmante d'une vie de famille lesbienne

The kids are all right 
by Lisa Cholodenko, with Julianne Moore, Annette Bening, Mark Ruffalo, Mia Wasikowska (2010)

L'été passait doucement et j'étais un peu surpris de ne pas avoir mon petit délice ciné issu de Sundance. Une de ces douces pépites américaines indépendantes, budgets pas très gros, au scénario charmant, laissant la place aux acteurs et à la société d'aujourd'hui. Une comédie intelligente, agréablement réalisé, un peu formaté dans son côté fauché, mais toujours frais. Où étaient les Squid and the Whale, Little Miss Sunshine, Me and you and everyone we know, (500) days of Summers, Brick de 2010, ces jolis chouchous qui ont égayé mon imaginaire ces dernières année ? Voire même un petit Juno ? Le festival ayant lieu en janvier, les films sortent souvent durant l'été, mais rien pour l'instant. Greenberg avait bien rempli son rôle de rappel indie plus tôt dans l'année, peut-être allait-il falloir attendre quelques lancements en septembre après le festival de Toronto ?

Mais voici donc "The kids are alright", qui affole le box office des sorties limitées depuis quelques semaines. Une histoire de famille, bien sûr, comme le titre l'indique, dans l'esprit Sundance des années passées, avec un casting prometteur. Et dès la scène d'ouverture, l'intérêt se trouve agrippé, une délicate finesse s'affiche à l'écran. Grande maison de banlieue américaine, deux adolescents chahutent, deux adolescentes discutent sentiments dans une chambre, deux femmes au salon discutent, complices, font une remarque au frère et à la soeur, attention éducatives. Ce sont les deux mères. Un couple avec deux enfants, comme partout aux Etats-Unis, mais un couple lesbien.

La simplicité et l'évidence de cette entrée en matière nous plonge aussitôt dans un quotidien rôdé par presque vingt ans de vie commune, où les jeunes rouspètent parce qu'ils ont des problèmes d'ados et trouvent leurs mères un peu oppressantes. Pas d'effets, aucune situation surlignée, et cette simplicité affiche la plus grande audace d'un film sortant sur les cendres encore chaudes de Bush et du néo-conservatisme : un film de famille, d'ado et de crise de la quarantaine, classique, mais lesbien.

L'effet est d'autant plus frappant à travers le choix des deux actrices principales, ayant déjà embrassé le rôle d'housewife dans certains films marquants. Julianne Moore, magnifique dans Far from Heaven ou Shortcuts, et plus encore Annette Bening, au rôle presque icônique dans American Beauty il y a plus de 10 ans. Les voici maintenant en couple, plus âgées, tellement complices & tendres, s'aimant, menant leur foyer, discutant des problèmes ou sortant un DVD X pour pimenter le lit conjugal. La vie de couple n'est pas simple, qu'on soit homo ou hétéro, et il y aura toujours un membre soudain surmené qui boira un peu trop de vin à un dîner et dira quelques bêtises.

Le film affiche donc une tendresse banal & normalisé, pour un couple apparemment hors de la norme, et la douceur de cette peinture s'écoule magnifique et réjouissante.

Bien sûr, il serait intéressant de positionner plus clairement l'idéologie central du film. Film très libéral par sa normalisation du couple lesbien, de l'insémination artificiel hors de la famille traditionnelle ? Film vaguement conservateur par sa présentation d'une famille fort classique, aux valeurs finalement peu révolutionnaires : un toit et une famille heureuse, heureuse ? La frontière est mince, l'éclairage grisé et les nuances variées, la réponse peu évidente ; peut-être, tout simplement, parce que tout le monde ne peut pas être un militant aux aspirations d'absolu, mais cherche aussi une vie agréable sans remettre en cause toute la société, mais en ayant aussi une jolie carrière hospitalière ; il faut des avants-gardes et des révolutionnaires, il faut aussi une masse intégrant doucement de nouveaux principes et les adaptant à sa sauce. On peut d'ailleurs imaginer que les luttes n'ont pas dû manquer pour ces deux femmes en vingt ans de vie commune, mais on ne les voit qu'après la guerre, dans une escarmouche du quotidien, dans leur vie normale.

C'est un peu le commentaire que m'avait fait une amie à la sortie de Brokeback Mountain : "bah, c'est nul : en fait, c'est juste une histoire d'amour ultra-classique, un gros mélo". Ce commentaire m'avait finalement semblé une belle victoire pour Ang Lee, finalement : rendre une histoire de cowboys homo aussi légère et touchante qu'une histoire d'amour hollywoodienne, un joli symbole de normalisation. Ici, la situation est encore plus banale, pas d'homosexualité rentrée dans un milieu caricaturalement macho comme celui des cowboys, juste deux femmes cherchant à vivre leur amour et leur vie de famille. Un degré supplémentaire dans une normalisation du couple homosexuel.

Mais si le film présente une ravissante normalisation, il ne fait pas totalement l'impasse sur la singularité de la situation. Qui dit enfant dit père biologique, ici par la voie d'un donneur de sperme. Donneur dont l'existence ne manque pas de titiller les deux adolescents, qui en retrouve la trace : que peut-il advenir quand le donneur est mis en contact avec la famille avec laquelle il est biologiquement lié ?

Voilà le moteur du film, moteur léger et progressif grâce à la finesse du scénario et de la conduite d'acteur. Mark Ruffalo offre un ancien donneur joyeusement immature, mais sans excès, en contre-point parfait du couple féminin mûr et doucement tourmenté par la vie de famille. Le film varie parfaitement les registres, les petits tubes indie rock, les jolies répliques, les beaux plans et les ado mignons et sensibles, comme Mia Wasikowska, si prometteuse quand on lui offre plus d'espace que les fonds verts 3D d'Alice. Toute une galerie de portraits magnifique ; mais une séquence hantera longuement la mémoire, le silence douloureux d'Annette Bening au cours d'un dîner, prise soudain de doutes, d'une terrible peine amoureuse. Ce silence progressif et intense résonne longtemps, longtemps, longtemps.

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