6 janvier 2011

The World in the Evening et Isherwood perd ses belles qualités d'écritures dans un récit d'édification

The World in the Evening (Le Monde au Crépescule)
by Christopher Isherwood (1954)

Stephen s'évade, s'échappe de la soirée hollywoodienne. Il vient de surprendre sa femme en plein adultère ; pas une surprise, mais un déclencheur. Il s'enfuit. Se réfugie en Pennsylvanie, chez la femme qui l'a élevé. Juste pour quelques temps ; il court beaucoup, il ne tient pas vraiment en place ; il cherche, d'une certaine manière ? Mais cette fois-ci, juste avant de prendre le train, il est victime d'un accident, percuté par un camion. Immobilisation de 10 semaines, jambe cassée, corps plâtré ; repos forcé & statique, situation rêvé pour songer à sa vie : échec du second mariage et souvenirs de sa première femme, auteur morte si jeune et dont les lettres restent à classer...

Christopher Isherwood est un grand nom de la littérature anglo-saxone du XXème siècle. Né en Angleterre, immigrant aux Etats-Unis après des séjours en Europe, en particulier à Berlin. Un nom que je ne connaissais pas, je l'avoue, jusqu'à l'an passé et l'adaptation au cinéma de son récit A Single Man - dont j'avais écrit un long commentaire... Pourtant, un rapide coup d'oeil à sa fiche Wikipedia dresse son portrait en grand homme de lettre, aux relations sûres : stimulant la carrière de Ray Bradbury, ami de E.M. Forster qui lui lègue les droits de son roman Maurice, proche d'Aldous Huxley ou W.H Auden, abondant scénariste pour le cinéma... Une oeuvre abondante et variée, où revienne souvent les thèmes homosexuels.

Alors qu'en est-il de ce World in the Evening ? Un début rythmé, lancé à toute vitesse en peinture acerbe d'une fête hollywoodienne, narrateur vaguement cynique, vaguement désabusé, surprenant sa femme, faisant voler sa vie en éclat, s'envolant pour la Pennsylvanie, sa vieille préceptrice ; s'y sentant vite oppressé au milieu des quakers, cherchant à s'enfuir par le train, mais hésitant sur le passage piéton. Voilà : accidenté, bloqué au lit - forcé à songer.

Cette première partie est fortement aspirante, les petits montages s'effacent derrière la vitesse de l'action, la fuite de Steven et l'apparition de personnages variées, introduits avec légèreté, détaillés très progressivement, par touches dans le récit. L'histoire du personnage s'assemble ainsi, par touches, sauts de mémoire ou apparitions de nouvelles figures, parfois convenues, parfois surprenante. La "tante" quaker à l'empathie parfaite, pieuse et modeste lasse vite par son caractère idéal. Le couple homosexuel du médecin et d'un artiste primitif doucement bipolaire surprend plus, surtout au coeur d'une Pennsylvanie pieuse. Tout cela est plaisant.

L'installation au lit & plâtré casse un peu ce rythme, on s'en doute, mais rend les choses surtout plus artificielles et prévisibles. Voici Steven repassant sa vie en mémoire, avec pour déclencheur la correspondance de sa première femme, son âme soeur, trop tôt décédé. Un tel procédé semble un peu convenu ; il est manié avec un certain brio et une envie de variété, alternant les réminiscences de Steven et les lettres animées d'Elizabeth, mêlant interrogations sentimentales et réflexions sur l'écriture. Tout cela semble plus encadré et appliqué, mais garde une certaine vivacité. Les aventures érotiques du jeune Steven à Berlin ou les discussions littéraires de la jetset londonienne restent digestes.

Mais tout cela peine un peu à trouver un second souffle. Steven et Elizabeth se marient, Steven reconnaît peu à peu dans ses souvenirs ses petites mesquineries ou égoïsmes, Elizabeth est superbement compréhensives, courageuse face à la maladie ou spirituelle ; ils voyagent. Ces enchaînements commencent à lasser : toujours joliment agencés, mais lançant une sorte d'éducation sentimentale de couple pour Steven, à la limite du moralisme ou du moins sans surprise. Un long passage de flirt homosexuel semble étonnamment étiré & dilué ; le décès d'Elizabeth légèrement pathétique. 

Bien entendu, ceci tient à l'état d'esprit de Steven, riche héritier sans besoin de travailler, capable de parcourir le monde sans vrai soucis, si ce n'est son épouse ou ses états d'âme ; ses petits égoïsmes. Certes. Mais un tel flottement semble un peu dispersé, semble faire peu sens, vaguement artificiel, proche de la liste ; sans trop de vie. Une certaine manière de rendre compte de la vie, jamais trop prévisible, flottant doucement, surtout pour de tels voyageurs ; un moyen aussi pour Isherwood de présenter des lieux et situations qu'il connaît : nombreux sont les endroits ou motifs qu'on retrouve par un rapide coup d'oeil à sa biographie. Non, tout seulement n'est pas désagréable, bien exécuté, mais paraît un peu court. Même les allusions à la Seconde Guerre mondiale proche, pourtant assemblées avec subtilités, peinent à intéresser vraiment.

A la fin, Steven guérit, divorce ; quelques mois passent pour tout régler, et il revoit quelques figures marquantes de sa convalescence ; il va bientôt partir comme ambulancier à la guerre, il va vivre enfin seul, sans recherche d'amour. Il peut s'élancer à nouveau. Boucle d'un parcours pas inintéressant, mais légèrement attendu. Mais ce résumé un peu morne ne doit pas faire oublier quelques qualités du livres : sa trajectoire d'édification est peut-être construite trop proprement, mais dans ses courtes réflexions littéraires ou ses dialogues agréables offrent de jolis plaisirs de lecture.


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