19 janvier 2011

Brock Clarke tisse un hilarant guide des écrivains de Nouvelle-Angleterre

Guide de l'incendiaire des maisons d'écrivains en Nouvelle-Angleterre 
(An arsonists guide to writers' homes in New England
by Brock Clarke (2007 - traduit en français en 2009)

Pas facile de mener une vie normale après dix ans en prison, surtout pour une peine purgée à l'âge de 18 ans. Et moins facile encore quand le méfait en question, c'est avoir fait brûler la maison d'Emilie Dickinson, tuant par la même occasion le couple de guide... Pas un crime comme les autres, une sacrée portée symbolique dont il est difficile de se détacher

"Il suffira sans doute de dire qu'au panthéon des grandes et sinistres tragédies qui ont frappé le Massachusetts il y a les Kennedy, les sorcières de Salem, et puis il y a moi."

Sam Pulsifer cherche donc à mettre de côté ses souvenirs terribles, la culpabilité que les voisins lui rappellent sans cesse. Cours en université, coupures des rapports parentaux, mariage rapide, chanceux, vie de banlieue US avec les deux enfants. Une bonne petite course en avant, qui doit marcher, pourquoi cela ne serait-il pas suffisant, même si parfois une petite voix murmure Quoi d'Autre, Quoi d'Autre ? Tout va bien se passer, une vie comme les autres. Mais bien sûr, rien ne s'efface jamais, et tout se détraque vraiment quand un inconnu vient demander des comptes...

J'imagine que Brock Clarke est parti de cette hypothèse : que se passerait-il si quelqu'un faisait brûler une maison célèbre comme celle d'Emilie Dickinson ? Une telle icône de la Nouvelle-Angleterre, dans un pays où les lieux d'histoire sont rares ! Il a assemblé quelques explications pour conduire à ce geste, cette maladresse. Il a construit un personnage un peu paumé, plutôt passif, déboussolé et cherchant à comprendre ; une jolie voix comme narrateur, mais facile à guider. Il n'y a plus qu'à pousser l'idée au maximum, voir jusqu'où l'idée farfelue peut aller.

Et dieu sait si Clarke ne manque pas d'imagination. Les pages sont un véritable festival de situations imprévues, personnages déglingués & loufoques, petits et gros rebondissements, impliquant alcoolisme, policiers, figures littéraires, satire de la vie de banlieue US. L'un des moteurs de l'action tient en cette idée géniale : certes, un incendiaire littéraire sera détesté par les amateurs de légende, mais aussi adulé par d'autres - pourquoi ne lui demanderait-on pas de continuer sa tâche libératrice ? Bon sang, pourquoi ne pas nous débarrasser aussi de la maison de Mark Twain, bon sang, il faut finir le boulot ?

Le livre regorge de tels raisonnements absurdes, qui rappellent souvent de grands livres comiques comme Le Guide du Routard Galactique ou Trois Hommes en Bateau, où la logique semble parfaite mais déroute les sens. Effet renforcé par les perceptions limitées du pauvre Sam, qui peine à déchiffrer les signaux les plus simples. Le monde réel se fait donc source de surprises sans fin, impossibles à capter, où les figures parentales semblent varier sans cesse, d'un jour à l'autre, ici anxieux cherchant la réussite, là atteint d'une attaque cérébrale, plus loin amant de 30 ans ou simplement ivrogne. Situations inextricables qui ne manquent jamais de susciter des salves d'interrogations dans l'esprit de Sam, suite de questions silencieuses pseudo-existentielles terriblement distrayantes.

Mais Brock Clarke offre plus qu'un simple assemblage comique efficace et malin. Il prend un plaisir manifeste à croquer les tares littéraires de la Nouvelle-Angleterre, auteurs pionniers du XIXème siècle vantant la dureté au travail et la rudesse des femmes, auteurs misanthropes du XXème siècles nourris au bourbon dont les personnages passifs passent eux-mêmes leur temps à boire. Une érudition légère & loufoque, tournée en dérision mais bien présente, et qui donne bien entendu du corps au texte. Il aurait été dommage de ne pas profiter d'un tel sujet pour s'amuser un peu avec tous ses mythes & clichés - contrebalancés par les pratiques littéraires actuelles comme les lectures d'écrivain ou les fameux clubs d lecture américain. Tout une ambiance de littérature à l'américaine, passée et présente.

Et justement, Clarke maîtrise parfaitement les atmosphères propres à la Nouvelle-Angleterre. Mélange de petits villages anciens, de banlieues superficielles sans racines autres que de gigantesques centres commerciaux, froides régions du New Hampshire où l'habitat de base tient plus du mobile home. J'ai pu roulé quelques jours dans ces régions durant l'été 2009, dévoré quelques sandwichs et burgers dans des motels dépouillés ou des épiceries au parking remplies de Pick-Up. En quelques phrases, Clarke sait évoquer  de telles images, paysages pittoresques du Maine, New Hampshire, Massachsetts.

A un moment du livre, un conférencier évoque "l'esprit véritable de la Nouvelle-Angleterre". Approche qui entraîne cette remarque vaguement ennuyée de Sam : "Je ne peux pas dire que j'ai tout écouté, loin s'en faut, de la même manière que vous n'écoutez pas vraiment ces publicités qui vous racontent que telle ou telle voiture incarne le véritable esprit de l'Amérique." Brock Clarke se méfie des grandes phrases vaguement réac', les valeurs éternelles, il leur rit au nez. Nous lui ferons donc pas l'insulte de dire qu'il a capté un certain esprit de la Nouvelle-Angleterre actuelle. Mais son joli mélange d'absurde et de caricature sera intéressant à voir évoluer au fil des livres.

Motel à Keesville, dans l'Etat de New York

Bethlehem, New Hampshire

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