1 janvier 2011

Exposition Trajets au CCA de Montréal, fascinante juxtaposition sur le thème des flux et mouvements


Trajets - Comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement 
Exposition au Centre Canadien d'Architecture - Montréal, Québec
du 20 octobre 2010 au 13 mars 2011

De manière assez surprenante, je n'avais jamais entendu parlé du Centre Canadien d'Architecture de Montréal (CCA). Je commence à bien m'orienter dans la ville, tout du moins dans ses parties centrales et touristiques ; mais je ne connaissais pas ce musée d'architecture. Il est situé sur le boulevard René-Levesque ; schématiquement, il se trouve juste à l'est de l'ancien Forum du Canadien de Montréal, et juste à l'ouest de l'université Concordia : un peu en périphérie du centre ville et de la place des Arts, mais tout de même en plein coeur de l'île.

Un bâtiment plutôt intéressant, c'est tout de même ce qu'on est en droit d'attendre d'un centre traitant d'architecture. Il est principalement formé d'un bâtiment moderne datant de 1989, à deux niveaux, où l'on trouve des salles d'expositions, une vaste librairie, une bibliothèque, un vaste auditorium. Ce long bloc est en C est relié en son centre à une maison plus ancienne, construite en 1874, et classée monument historique. L'intérieur de ce ancienne bâtisse est plutôt dépouillée, offrant tables, chaises ou même poufs pour les enfants ; mais sans comptoir permanent, rien qu'une petite machine à café, en panne lors de mon passage. J'imagine que cet espace peut accueillir différents types de réunions ou activités. Mais il est agréable de voir un tel espace laissé à la disposition des visiteurs, pouvant s'y détendre ou lire ; deux mamans y allaitaient de jeunes enfants lors de ma visite.

Certes, un joli bâtiment, c'est important pour un musée d'architecture, mais le contenu des expositions en fait la vraie valeur pour le visiteur. Et je n'ai pas été déçu par la jolie exposition "Trajets", visible jusqu'au 13 mars 2011.

Le sous-titre assez vaste ne m'avait pas vraiment permis d'imaginer la teneur de cette exposition. "Comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement" : peut-on faire plus vague, plus insaisissable que de tels concepts accolés ? Un mot sur le livre d'or à l'entrée a piqué ma curiosité : "La plus belle exposition vue en 2010, sans hésitation." Hé bien : cela avait-il été écrit par le fils du conservateur ? Et le message suivant sur le livre d'or ne permettait pas d'en savoir plus : "J'ai adoré les concombres." Bigre.

Le premier mur rend le mystère plus épais, présentant de nombreuses gravures biologiques de noix de coco. Dans un centre d'architecture ? Illustration simple de flux non maîtrisés par l'homme : la noix de coco peut flotter pendant plus de quatre mois sans perdre ses facultés de germination ; une fois fleuri, le cocotier peut se nourrir longtemps du lait de coco. C'est ainsi que le cocotier a peuplé toutes les îles du Pacifique, sans intervention humaine. La mobilité recompose l'environnement sans contrôle prévisible.

Mais dès le deuxième ensemble, c'est un exemple de contrôle extrême qui est présenté : la directive de l'Union Européenne sur les concombres. L'UE exige une faible courbure pour autoriser l'utilisation du terme "concombre de catégorie extra". Une telle exigence a entraîné une culture majoritaire des concombres longs et droits, différents des concombres petits et courbés qu'on peut trouver en Ontario par exemple. La juxtaposition du concombre et de la noix de coco permet de saisir peu à peu l'approche de l'exposition : petits modules, petits exemples très précis, simplement posés côte à côte, sans fil directeur ni message surligné. Au visiteur de construire sa visite, de s'interroger, de faire des découvertes.

Et les découvertes ne manquent pas, les petits assemblages balaient des thèmes d'une variété fascinante. Evolution de l'emploi du terme bungalow, de maison rurale du Bengale jusqu'aux préfabriqués des banlieues US. Flux financiers des émigrés sénégalais en Italie, cause d'une bulle financière au Sénégal. Implantation des Ibis d'Egypte en France. Déplacement des maisons de pêcheurs en Terre-Neuve. Agriculteurs japonais modifiant les techniques de production du riz en Bolivie. Echecs de grands ensembles aux Pays Bas. Impossible de deviner ce que la salle suivante va présenter !

Cela peut être la limite de l'exposition, un balayage de petits exemples sans vrai lien, petit saupoudrage superficiel. Zapping, diront certains : que fait-on de tout cela, où veulent-ils en venir ? Le monde est mobile, mouvant, fait de flux, mais encore ? Mais l'intérêt de chaque exemple est réel, jamais anodin, chaque situation soulevant la curiosité, donnant envie d'en savoir plus : les sénégalais travaillant en Italie fournissent-ils réellement 400 millions de dollar par an pour l'immobilier de leur pays natal ? 

La multiplication de ces petits modules fonctionne en fait comme une transcription physique du surf sur Internet. On peut sauter d'une pièce à l'autre, d'un panneau à l'autre, se surprendre, chercher à approfondir, graver un exemple dans un coin de sa mémoire. L'exposition mime ainsi le rapport contemporain à la connaissance, ludique, décentralisé, à la disposition du public, sans vrai classement. une exposition comme Wikipedia, construite d'exemples approfondis et documentés, mais plaisant à explorer, sans ordre, s'avançant comme surgissement d'idées, imprévisible.

C'est donc une exposition joliment contemporaine que l'on s'amuse à découvrir, d'autant plus que chaque module est installé avec soin & recherche. On n'est jamais loin d'une installation d'art contemporain. La zone concombre propose ainsi les dossiers de la fameuse directive dans toutes les langues de l'UE, juxtaposition de critères pour concombre donnant le vertige. De superbes séries photographiques juxtaposent des maisons improbables ; un peu à la manière des séries d'aciéries de la Rhur aperçues au musée d'art moderne de Düsseldorf. De nombreux documentaires vidéos sont proposés, durant souvent 20 ou 30 minutes. Suivre les maisons de Terre Neuve, tirées sur l'eau par des hors bords, est une image fascinante ; le documentaire datant de 1970 offre de superbes images de cinéma, magnifiques cadres, superbes mises en scènes des interviews. Quel assemblage de plaisirs pour les yeux !

Je reparlerai certainement de cette exposition. J'ai en effet quitté le CCA avec le livre édité pour l'exposition, 200 pages détaillant les différents exemples présentés. Lecture qui s'annonce certainement des plus intéressante...

Entrée du CCA par la façade Nord



Façades Sud du CCA, donnant sur le boulevard René-Levesque

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