2 janvier 2011

Liste de livres lu en 2010 - et pas encore évoqués ici

Fin d'année calendaire, le temps des listes et autres best of. Une pratique certainement motivée par les vacances de journalistes à cette période de l'année : on peut préparer de tels articles à l'avance, les publier au dernier moment, et ainsi occuper les kiosques même quand le personnel festoie... Mais aussi une habitude joueuse, envie de classer, d'assembler ses préférences, d'exercer un petit pouvoir critique, de discuter longuement entre collègues ou entre potes ; et un plaisir de lecteur aussi, la liste offre le moyen de faire quelques découvertes, oeuvres noyées dans dans le flot de l'actualité...

Je l'avoue, je suis toujours tenté par ces listes de fin d'année, assemblage de films, classements de disques ou de chansons. Mais les listes de livres m'attirent moins, ou me semblent moins évidentes : on va voir les films au moment de leur sortie, mais on ne lit pas toujours les livres au moment de leur sortie. A moins d'être critique littéraire, libraire, employé de bibliothèque. En tout cas, dans mon cas, j'essaie de varier mes lectures, alterner les époques, les genres, les pays. Papillonner dans les bibliothèques, picorer les magasins de livres d'occasion... Un rythme qui se prête moins au classement à date fixe.

Cependant, il peut être amusant de garder trace de mes lectures, de mon cheminement dans le monde des livres. Un petit catalogue des mes lectures. Tout au long de l'année, j'ai déjà évoqué une vingtaine de romans sur ce blog, avec plus ou moins de détails. Mais d'autres ouvrages sont restés sur le côté, jamais évoqués faute de temps, ou parce que les livres me semblaient trop intimidants pour mes petits commentaires...

Alors voici une petite liste en vrac des livres lus cette année. Une liste un peu à la manière du joli blog "Discipline in Disorder", adepte de la liste sans classement, du texte posté spontanément, juste pour capter un moment de lecture. Leur liste 2010 mêle ainsi sans distinction romans, essais, livres de photos ou bande dessinée : toujours une jolie mine de trouvailles. Ma liste n'est pas aussi en désordre que celle de DiD, pas aussi laconique, et elle ne comprend pas les bandes dessinées - que j'évoquerai dans une autre liste. Mais j'espère qu'elle sera plaisante à lire...

  • Rosie Carpe de Marie N'Diaye (2001)
    Rosie arrive en Guadeloupe, à la recherche de son frère ; accompagnée de Titi, ce fils mou qu'elle a du mal à aimer. Rosie, fille à la dérive, ayant fui Brives, ayant travaillé sans élan à la Croix de Berny. Une terrible galerie de portraits contemporains, délicatement théâtrale, superbement écrit : un prix Femina tellement mérité...

  • Jour de Souffrance de Catherine Millet (2008)
    Catherine Millet avait conté sa vie sexuelle, elle parle ici de sa longue jalousie. Livre de récit et livre d'analyse des sentiments, des obsessions sentimentales incontrôlables. Honnête, juste, doucement torturé : la jalousie contemporaine.

  • In a Free State by V.S. Naipaul (1971)
    Livre en trois épisodes. Un serviteur indien suit son maître à Washington DC. Un ouvrier des Caraïbes suit son frère en Angleterre pour aider ses études. Deux anglais traversent l'Afrique du Sud en voiture quand une guerre ethnique se prépare. Trois tensions entre pays du Nord et du Sud, peuples dominants et masses dominées, tressées avec subtilité dans un monde où les colonies ont disparu (officiellement). On comprend parfaitement le Booker Prize attribué au livre, et le Nobel offert à Naipaul...

  • La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint (2009)
    Trosième volet des amours de Marie, histoire d'amour des années 2000. Toussaint pousse son système d'écriture plus loin encore, tissant des scènes presque abstraites, terribles, superbes : qui imaginerait tant de beauté dans la course neigeuse d'un cheval fou sur l'aéroport de Tokyo ?

  • La légende de nos pères de Sorj Chalandon (2009)
    Un écrivain doit écrire la biographie d'un ancien résistant, commandé par sa fille - mais les pièces du récit s'assemble mal. Un livre de souvenir, d'écriture, de recherche sur l'histoire dans ses détails ; sorte d'étude de cas : poids mythologique de la résistance française, étiré jusque nos jours.

  • Carte Muette de Phlippe Vasset (2005)
    Un groupe de géographe est engagé pour cartographier Internet : pas uniquement les lignes de serveurs, tous les flux des utilisateurs... Livre doucement expérimental, construit par bribes d'emails, jouant avec les polices de caractères, tentant de mêler discussions typiques d'Internet et monologue intérieur. Pas désagréable, pas inintéressant, mais l'aspect le plus fascinant tient au "vieil Internet" qu'il présente : un Internet d'emails, sans chat, sans Facebook, sans Twitter - et le livre n'a que 5 ans !

  • Le lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann (2009)
    Biographie monstre de Claude Lanzmann, réalisateur du monumental film Shoah. Mais aussi résistant actif, compagnon de Simone de Beauvoir et ami de Sartre ou Deleuzz, militant pour la décolonisation, journaliste explorateur du monde en Israël, Allemagne de l'Est ou Algérie, directeur de revue... Une vie vertigineuse, riche comme 1000 romans ou essais, et superbement écrite - 800 pages à dévorer, terriblement stimulantes.

  • The New Journalism - anthologie assemblée par Tom Wolfe (1973)
    Le Nouveau Journalisme, élan du journalisme des années 60-70, où le journalisme se rafraîchit en piochant des techniques d'écritures romanesques, en offrant plus d'espaces à l'auteur parlant à la première personne, à tous les délires du gonzo. Dès 1973, Tom Wolfe assemble une anthologie de textes forts, et la lecture s'écoule fascinante : tant de grands papiers ! Pages de In Cold Blood de Capote, délires de Hunter S. Thomson, enquête d'un journaliste participant à un match de foot US pro, interview avec une actrice pour Warhol, récit de la mort lente d'une adepte des régimes macrobiotiques. Une variété sans fin, et une mine d'exemples pour repousser les limites de l'écrit, qu'il s'agisse de non-fiction ou de tout type de récit...

  • Un an de Jean Echenoz (1997)
    Une femme se réveille à côté d'un cadavre, s'enfuit, se construit une vie cachée - de plus en plus pauvre, faute d'argent, jusqu'à dormir dans la rue avec les clochards. Déchéance et fuite, passivité, un petit monde de marginaux du sud de la France, plantés par le style sobre d'Echenoz. Difficile de bien savoir où tout cela va, mais la course doucement paranoïaque est vaguement envoûtante.

  • Boderline (2000) / La Brèche (2002) de Marie-Sissi Labrèche
    L'autofiction à Montréal dans les années 90. Marie-Sissi Labrèche raconte ses rapports détestables avec sa mère folle, conte son amour fou et obsessif pour son professeur de littérature, le mépris de son corps, machine à sexe à la dignité perdue. Les thèmes maternels ou d'amour fou ne sont pas toujours très profonds, semblent parfois un peu convenus ou superficiels. Mais l'élan halluciné du langage donne un rythme certain, souvent fascinant pour un lecteur parisien : un élan obsessionnel pavé d'expressions québécoises surprenantes pour l'oreille francophone européenne.

  • Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise (2000) / Par une nuit où la lune ne s'est pas levée (2007) de Dai Sijie
    Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise, un immense succès littéraire : traduit en 25 langues ! Jolie histoire d'adolescents envoyés à la campagne pendant la révolution culturel, transmettant la littérature européenne à une couturière analphabète - récit poétique, doux, humoristique.
    Le livre suivant est également fascinant, mais à la construction ambitieuse et multiple, centrée autour d'un parchemin déchiré offrant une citation du Boudha. Le livre mêle visite d'une traductrice en Chine, récit d'aventurier français après la Seconde Guerre, vie du dernier empereur, réflexion sur la traduction ou les langues mortes. Un roman multiple, foisonnant, érudit, poétique.

  • The Echo Maker by Richard Powers (2006)
    Un accident de voiture, le frère dans le coma, reprenant peu à peu ses esprits, mais croyant sa soeur une comédienne, un imposteur chargé de le tromper... Joli pitch initial, mais livre que j'ai trouvé terriblement poussif ; à la construction tellement apparente, à la progression lente, à la documentation visible et artificielle, aux personnages souvent prévisibles. Un livre fabriqué, comme parfaitement assemblé avec des recettes précises, façon cours de "Creative Writing" - sans vie. J'ai du mal à comprendre son statut de finaliste au Prix Pulitzer, du mal à saisir l'enthousiasme critique...

  • Extension du domaine de la lutte par Michel Houellebecq (1994)
    Parce qu'il fallait tout de même avoir lu un livre de Houellebecq dans sa vie - et surtout cette année ; alors commençons par le premier roman. Petite histoire d'homme des années 90 désabusé, petit cadre en services informatiques transporté dans les hôtels de province, les petites mesquineries de l'entreprise. Un ton personnel, détaché, doucement cynique, où surgissent des aphorismes déprimés sur la société, des scènes acides sur les comportements de collègues, de pures envies de détachement voire de meurtre. Il serait maintenant intéressant de lire Les Particules Elémentaires...

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