24 décembre 2010

The Mystic Masseur, Naipaul offre une farce dans le Trinidad colonial des années 40

The Mystic Masseur 
by V.S. Naipaul (1957)

Ganesh est un fameux masseur, c'est certain. Pas un de ces escrocs habituels de Trinidad, masseurs auto-proclamés, sans formation, sans aptitude à guérir ; Ganesh possède tellement de livres, près de 1500 volumes, c'est un érudit ! Un penseur. Et très bientôt, un mystique, un guérisseur d'âme, capable de chasser les esprits entre deux prières murmurées vêtu d'un turban. De masseur à mystique, Ganesh connaîtra le succès, la renommée, l'ascension dans le petit monde du Trinidad des années 40, petite société coloniale britannique.

V.S. Naipaul est un écrivain célèbre dans le monde britannique. Un écrivain reconnu, ayant reçu le célèbre Booker Prize Award en 1971, et surtout le Prix Nobel de Littérature en 2001 ; à Ottawa, mon professeur de littérature n'hésitait pas à le décrire comme le meilleur écrivain vivant de langue anglaise... Pourtant, j'avoue ne pas vraiment avoir entendu son nom avant mon arrivée au Canada. En France, l'ami Naipaul ne semble pas aussi fameux que d'autres lauréats Nobel comme Günter Grass ou Garcia Marquez. Un rapide coup d'oeil à sa bibliographie française confirme cette impression : seuls deux livres de Naipaul ont été traduits en français avant 1981. Il avait déjà publiés 10 romans et 6 essais à cette époque !

La page Wikipedia française de V.S. Naipaul présente une unique photo, couverture d'un roman en traduction allemande...

Pourtant, les deux romans que j'ai lus cette année affichent un talent fort intéressant. Je reviendrai plus tard sur "In Free State", livre lauréat du Booker Prize en 1971, fascinant plongée dans différentes situations post-coloniales. Son premier livre, "The Mystic Masseur" date de 1957, traduit en France en 1994, et propose un ton fort différent de la riche d'In Free State : une farce caustique, riche de sous-entendus et de personnages hauts en couleur.

Avec, bien sûr, la figure centrale de Ganesh, le masseur mystique, le petit érudit de Trinidad. Personnage fascinant, dont la vie est lancée par un envoi tardif au collège, où il se passionne pour la lecture. Goût qui en fait une sorte d'être contemplatif, sans envie de travail, quittant son métier d'instituteur après 6 mois, se calfeutrant dans un village perdu, vivant dans une case qu'il emplit de livres selon une méthode systématiques : tous les livres des Editions Pinguin, tous ceux des éditions Everyman ! De fil en aiguille, cherchant à écrire lui-même, cherchant à délivrer des conseils mystiques, adoptant doucement une carrière politique qui le conduit jusqu'à l'assemblée législative.

Ganesh est une sorte d'escroc bienveillant et malgré lui, délivrant sa sagesse en toute bonne foi. Mais le peuple de Trinidad l'écoute, le soutient, le rend peu à peu célèbre ; Ganesh parle de destinée, il s'agit juste d'une sorte de résonance entre son dilettantisme lecteur et les envies des gens, qu'elles soient mystiques ou politiques.

The Mystic Masseur est un magnifique portrait d'un anti-héros, petit personnage sans envergure mais attiré par la sagesse. C'est aussi une galerie de personnages distrayant et truculents, femmes sans éducations, petits marchands cherchant à faire des affaires, petits politiciens aux combines dérisoires, tous parlant un anglais un peu biscornu, approximatif, joliment rendu dans les dialogues. Sous forme de farce, Naipaul présente la société de Trinidad dans les années 30 - 40, son île natale, île où les rumeurs propagées par les ouvrier de la canne à sucre peuvent faire d'un petit masseur un grand mystique, un homme politique influent. Tous ces enchaînements sont profondément drôles, scènes superbement présentées en quelques détails, en situations ridicules et cocasses : dans ses excès, Ganesh n'hésite pas à faire construire un temple hindou, où sa femme sert du coca-cola, ou à publier un livre sur les peines & plaisirs de la constipation... 

Petites médiocrités d'une petite île coloniale, bien loin de la sagesse libératrice d'un Gandhi ou d'un Nehru, emblèmes indiens contemporains sans cesse évoqués par les petits personnages de Trinidad. La création d'une identité nationale pour un peuple si jeune n'est pas une tâche facile, pas forcément une tâche entreprise par de grands hommes, semble dire Naipaul avec humour et dérision.

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