11 décembre 2010

Marie Brassard joue au CNA d'Ottawa avec une vague poésie souvent obscure et plate

Moi qui me parle à moi-même dans le futur 
par Marie Brassard 
spectacle au CNA d'Ottawa du 8 au 11 décembre 2010 

Scène blanche, écran plan dans le fond, de toute la largeur du plateau. Des câbles blancs sur le sols, apparents, des fibres optiques. Une voix sort doucement de haut parleur, un film noir et blanc défile envoûtant sur l'écran, neigeux, pixelisé s'il avait été numérique, ombre chinois montrant une silhouette qui bouge doucement. "La vie, le futur, la mort" - des mots doucement énumérés.

Et bien vite, les silhouettes visibles sur scènes, et les paroles commencent, offertes.

"Plus jeune, avec mes amis, nous jouions à mettre en scène des comédies d'horreur. Dans des maisons. Des squelettes sortant d'un placard, des ossements, toutes une iconographie de la mort. Et nous  guidions nos victimes les yeux bandés, qui ne savaient pas ce qui pouvaient arriver. Ils étaient terrifiés, pour la plupart. Mais nous les guidions. 'N'aie pas peur, suis moi, suis moi. Je serai tes yeux. Je serai tes yeux'." La dernière phrase prononcée d'une voie enfantine...

Marie Brassard présente ainsi un nouveau spectacle solo, composition poétique et puisant dans ses souvenirs, avec ambitieux assemblage technique. Deux musiciens l'accompagne sur scènes, un clavier chacun, un laptop chacun aussi, une guitare pour l'un : des bourdons sonores, constructions de bruits envoûtantes. Au fond, l'immense écran diffuse des images souvent tremblantes, souvent toujours noir & blanc, souvent instables, rêveuses. Et toute la voix de la comédienne passe par un micro, offrant plusieurs variantes d'effets, voix soudainement grave et masculine, voix d'enfant, voix âgée.

Mais pour quoi raconter ? Marie Brassard s'élance dans des paroles poétiques, des scènes d'enfances, assemblages de souvenirs distordus, toute une suite de pièces vaguement surréalistes, obscures, imaginée, symboliques. "Si je l'imagine, cela existe-t-il ?" Et la voix grave répond : "Oui, si tu l'imagines, cela existe."

Le spectateur a donc droit  à un long passage initial sur les récits d'horreurs, la fascinations des enfants de Trois-Rivière pour les faits divers des journaux, les meurtres les plus sanglants dont ils s'inspirent pour leurs jeux. Le sang, le sang, le sang qui réapparaît dès le passage suivant, surgissant dans un rêve d'enfant, formant une flaque aux pieds de la comédienne ; flaque qui dessine son visage de femme âgée. Prétexte à un dialogue de la jeune fille avec l'aînée du future, ou c'est ce que semble évoquer le titre.

Hélas, les symboles semblent souvent pesants, tellement vus et revus, le sang, la mort, sans véritable renouvellement du texte. Les paroles et scènes semblent vaguement surréalistes, sans véritables élan, presque un résidu sorti d'un poète parisien un peu mou des années 20. Parfois, Marie Brassard s'échappe dans des symboliques apparemment plus obscures, plus abstraites, comme ce long pour enfant décrivant l'origine du monde à travers les étapes de têtards : créant des ondes sous l'eau, formant donc une oreille pour entendre la musique, puis des jambes pour danser, puis des mains pour avoir du contact, puis un cerveau pour penser pendant que certains dansent... Passage passablement poussif, dont l'intérêt n'est pas facile à saisir. "Me voici racontant une histoire qui n'a pas grand sens. Mais ce mythe d'origine du monde, je peux le garder, c'est le mien celui que j'ai inventé". Hélas, seule la première partie de la réplique frappe : tout ceci n'a pas grand sens et ne semble pas offrir grand chose.

Et principalement à cause des limitations du texte, car l'assemblage musical et visuel n'est pas désagréable, joliment envoûtant, avec des musiciens irréprochables. Ils tissent des nappes denses, bruyantes, épaisses, bourdonnantes, et les images tremblent doucement, grains de photos argentiques vibrant en gros plans, plan de bungalow frissonnant, bien de face, sans profondeur. Joli, captant, et pourtant sans m'avoir jamais vraiment emporter, trop agacé par la minceur du texte et son côté décousu.

Mais surtout par les limites de la voix, la restriction de son utilisation, trop filtré par le micro, l'amplification, les effets. Bien entendu, l'amplification était certainement rendue nécessaire par le bourdon des claviers et de la guitare, afin de permettre la compréhension du public ; et, quitte à amplifier, autant profiter des possibilités des effets. Pourquoi pas ? Mais ces effets sont introduits dans l'opacité la plus complète, changement de voix survenant sans prévenir, assurément actionnée depuis la régie (je n'ai pas aperçu de système sur scène, ou alors cachée par la comédienne quand elle s'en servait). A mon avis, la mise en scène s'est ainsi privé d'un jeu sur le contrôle de la voix, préférant privilégier la surprise et les variations imprévisibles, le rêve, la continuité. Sans jamais assumer les possibilités de connivence avec le public, d'honnêteté du comédien sur scène : oui, c'est moi, Marie Brassard, regardez comme maintenant je vais changer ma voix, comme je vous présente les différents personnages qui sortent de mon imagination !

Cette remarque est assurément liée à mes expériences théâtrales, le goût que j'y ai découvert pour un théâtre qui ose présenter ses petits bricolages en public, et qui en joue. Vision personnelle de petit spectateur contre vision personnelle de l'artiste : pas grand chose à dire, finalement, respectons son choix, et regrettons juste de ne pas avoir été touché...

Mais d'une manière plus générale, il m'a semblé que quelques petites approximations auraient pu être plus exploitées dans le spectacle lui-même. 70 minutes de spectacle, de monologue, de phrases parfois obscures, imprévisibles : sans surprise, il y a eu quelques hésitations de la part de Marie Brassard, et cela ne remet pas en cause sa belle technique, son talent. Mais ces petites hésitations ont souvent été rattrapées très discrètement, très professionnellement, et je me suis fait la remarque que ces hésitations auraient pu nourrir un peu plus l'ensemble de la pièce. Texte parfois au goût d'écriture automatique, dont le tremblement hésitant ou hypnotique auraient pu être mieux transcrit par la voix de la comédienne ; là encore, un petit regret lié à l'utilisation vaguement filtrante d'un micro.

Le spectacle m'a donc semblé assez frustrant, glissant entre mes mains, offrant même un moment terriblement agaçant. Comédienne à genoux, voix totalement modifié pour se faire apparemment hypnotiques, des cercles concentriques en mouvements perpétuelles sur l'écran du fond, "je vais pénétrer votre esprit". Désagréable sensation de revoir une vague installation dada ou une étude artistico-scientifique sur la lumière, le mouvement, la persistance rétinienne : déjà vu, rien de nouveau, et rien ne fonctionnant bien !

Et pourtant, après ce passage terriblement agaçant surgit un joli moment. Le récit se fait plus simple, évoquant la ville natale de la comédienne, ses sorties du samedi soir, les nuits à perdre l'esprit auprès des rockers ou de la drogue, des deux. La lumière se fait plus simple sur scène, trois cercles lumineux pour les trois personnes sur scène, la musique se détend un peu, la guitare offre deux ou trois accords, alternance d'aigus et de basses, Marie Brassard module sa litanie platement surréaliste vers une sorte de chant, un souvenir plus simple, plus parlant. Le spectacle fonctionne enfin, transmet plus que des symboles aléatoires. Dommage que cela arrive si tard.


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