13 octobre 2010

The Social Network, un Facebook pour les critiques de film et les interprétations

by David Fincher, with Jesse Eissenberg, Andrew Garfield and Justin Timberlake (2010)
sortie française le 13 octobre


"The Social Network" sort en France cette semaine. Je l'ai vu il y a dix jours, le week-end de sa sortie nord américaine ; j'en ai déjà parlé longuement et avec enthousiasme. Mais j'avais aussi évoqué la richesse du film, et mon impatience à l'idée de parcourir les nombreuses critiques disponibles. Je profite de la sortie française du film pour faire un petit tour d'horizon d'idées lues ici ou là.

En commençant par cette jolie interview de David Fincher et Trent Reznor sur Pitchfork. La musique composée par le leader de Nine Inch Nail est en effet un très joli détail du film, et j'avais oublié d'en parler dans mes longues élucubrations. Des nappes électroniques flottent entre les bâtiments d'Harvard ou dans un bureau légal anonyme, nimbant les images et les tonalités d'une lourdeur étrange, une sorte de grandeur profonde mais minimale : profondeur des échos, mais simplicité des quelques notes électroniques. Un peu comme le film, une entreprise d'envergure, une sorte de tragédie contemporaine, mais où les Geeks sont les héros grecs.

Mais la musique n'est pas le seul angle d'approche dont je n'avais pas parlé. Je ne peux pas penser à tout, je ne suis pas journaliste et ma culture est limitée ; et j'avais pris le parti de capter mes impressions et idées sans recherche préalable. Mon sentiment reste que ce film est extrêmement riche, offre de multiples approches, et les critiques ou articles lus confirme cette variété de lectures : que d'idées différentes !

Le papier le plus impressionnant est peut-être un superbe portrait de Sean Parker dans Vanity Fair. L'homme est bien sûr plus complexe que le personnage sur grand écran, comme toujours, mais le vrai Sean Parker est un être bigger than life, qui mériterait certainement un film à lui tout seul, voire plusieurs. Co-créateur de Napster à 19 ans, génie de l'informatique dans son plus jeune âge, doué d'un flair impressionnant pour sentir les projets à fort potentiel, génie multiple, fêtard : le film suggérait le charisme et l'intelligence, mais la réalité est bien plus grande. Le Sean Parker du film est-il pour autant une caricature ? Non, comme le dit Le Monde, les personnages mêle pure antipathie et absence de caricature dans un équilibre fascinant. Le Sean Parker joué par Justin Timberlake est peut-être éloigné du génie réel, mais il présente une cohérence pleine de justesse, et offre un élan supplémentaire au film par son charisme et son enthousiasme comme le note le New Yorker - élan dont ne manque pourtant pas la première partie. Le Sean Parker cinématographique ? Respect de l'apport de l'homme dans l'histoire de Facebook, fascinant hédoniste 2.0, parfait apport à la mécanique narrative du film : un rêve de scénariste.

Mais le papier du New Yorker est un véritable délice long de 5 pages, superbement écrit, multipliant les approches, les remarques - le tout écrit avec un style souvent magnifique (mais non disponible on-line gratuitement).  Et débute par un aspect pas forcément facile à percevoir pour un spectateur français, même le plus au fait de la société américaine : la peinture d'Harvard, sa caste d'étudiants issus d'une bourgeoisie américaine quasi-aristocratique. Harvard et Boston ne font pas parti de l'Ivy League pour rien. Bien sûr, le regard français est sensible au sous-texte, au contexte social, et j'ai souvent pensé à mes souvenirs de prépas et de grandes écoles d'ingénieur parisiennes, aux castes françaises venant des lycées versaillais. Mais il faut lire des articles américains pour sentir la justesse du portrait offert par Fincher dans le film : minutieux dans les détails, mais sans satyre excessive, dit le New Yorker.

De tels films et articles donnent envie de voir une telle approche respectueuses mais juste transposée en France, des élèves d'HEC sans trop de clichés, des Polytechniciens. Et ce dans toute la variété des profils présents dans les écoles, car "The Social Network" présente en effet une opposition nuancée entre membres des clubs huppés et geeks. Facebook, c'est une success story de capitalisme, mais une success story lancé par des geeks, pour des raisons pas forcément reluisantes, tournant autour des filles. Les Inrocks soulignent d'ailleurs le côté très masculin du film, où les filles servent uniquement comme objectif lointain ou figure dont il faut se moquer ou se venger ; sans véritable personnage féminin actif. Un aspect qui m'avait frappé après coup, sans savoir trop quoi en penser, mais les Inrocks savent pointer une certaine cohérence de cet univers mâle avec d'autres films de Fincher comme Se7en ou Fight Club.

Voilà bien une constante dans les critiques du film, les longs commentaires sur le parcours de David Fincher, comparaison avec ces différents films. Le New Yorker bat à nouveau tout le monde en longueur, mais la digression d'une page semble un peu déplacée par rapport au reste des commentaires, même si souvent très intéressante. Fincher, une des dernières signatures en terme de réalisation à Hollywood ? GQ n'oublie pas de rappeler le côté superficiel des films de Fincher, en particulier du bizarre et assez raté Benjamin Button. Le besoin d'écrire à ce sujet vient peut-être de là, de la justesse sobre de Fincher, une maturité en douce rupture avec ces films passés.

Une réalisation qui fascine le critique, rivalisant de formules ou d'idées d'analyse. Superbement composé par le duo Fincher et Aaron Sorkin, scénariste, selon les Inrocks, mais le New Yorker insiste plutôt sur la tension entre les deux créateurs, le goût de Fincher pour les outsiders et le dégoût de Sorkin pour les amitiés électroniques créées par les réseaux sociaux.

Mystère créatif qui s'ajoute aux analyses variées du sujet du film : une richesse supplémentaire pour un film qualifié de film américain le plus intelligent depuis Preminger dans GQ. Rien que ça ; les Inrocks citent Howard Hawks en l'imaginant sous coke, le New Yorker ou Todd McCarthy parlent Citizen Kane, tout en soulignant les différences de contexte : différence mais pas de fausses notes, surtout une mise à jour. Une belle épaisseur donc, dont on devrait parler au moins jusqu'aux Oscars. Le New Yorker évoque le personnage de Zukerberg  en disant que "jamais deux spectateurs différents ne le verront tout à fait de la même manière", illustrant les nuances du personnage. Et cela vaut bien sûr pour le film dans son ensemble.





1 commentaire:

ndl a dit…

Beaucoup aimé le film, cela montre bien la montée en puissance des geek pour l'an 2.0 et les investissements fait pour devenir le réseau social incontournable qu'on le veuille ou non.

Enregistrer un commentaire