by Atlas Sound (2010)
preview for the Deerhunter concert - October, 28th, 2010 - Wonder Ballroom in Portland, Oregon
J'ai déjà un peu parlé de Deerhunter, de mon impatience à les voir en concert fin octobre, à Portland. Délicatement shoegaze d'après leurs anciens albums, et un dernier album apparemment complexe, riche, dense, fascinant : de belles promesses pour un joli concert, à n'en pas douter.
Mais persistent également de profonds souvenirs des quelques titres d'Atlas Sound, projet solo du chanteur Bradford Cox, entendus l'hiver dernier. Deux, trois titres, pas plus, mais réécoutés, répétés, murmurés encore et encore assis sur un canapé, enveloppé d'un pull, deux paires de chaussettes aux pieds, morceaux chantonnés en marchant doucement vers la cuisine, puis en retournant m'asseoir une assiette à la main. Certainement les deux ou trois morceaux que j'ai le plus écouté vers décembre 2009, par leur profondeur simple et enveloppante, cocon mélancolique et rebondissant, des couvertures dans lesquelles j'aimais à traîner quand le ciel s'éloignait gris et la neige tombait, faisant frissonner mon regard peu habitué au Canada, à l'asphyxie blanche de la nature hivernale.
Deux ou trois chansons très écoutées, dont une plus écoutée encore, fascinante. "Shelia". Une berceuse au lever du lit, un bâillement en sortant les jambes de la couette, trébuchant doucement, hésitation ensommeillée du matin ; hésitation macabre, essoufflée, où va-t-on ? Mais hésitation juste pour prendre son élan, peut-on croire, une petite chanson pop s'élance, déclaration d'amour simple, guillerette ; trois quatre phrases, un prénom féminin, rien de plus, mais il n'y a rien à ajouter en général pour tisser une simple tapisserie pop, surtout quand on peut jouer avec les sonorités du prénom.
Un prénom et des petites déclarations que l'on peut chantonner à mi-voix, souffler sans presque les dire, juste en les pensant, quelques notes parsemées dans le silence de la pièce & de la moquette : les boucles de musique envoûtantes ne se sont pas éteintes dans l'esprit, pourquoi faudrait-il les chanter également ? Les paroles suffisent, des mots à câlins, pour bercer un bébé délicatement nerveux, pour calmer sa copine au détour d'un petit cauchemar nocturne ; douces mélodies vocales en complément de câlins, serrer fort & tendre. Nous partagerons nos vies ensemble, nous n'aurons pas froid.
Même pas froid dans la mort, car nous mourrons ensemble, bien ensemble.
Voilà la bifurcation terrible de Shelia, berceuse à chantonner encore et encore, chanson douce pour câlin, morceau pop pour s'assurer d'amour éternel ; car rien ne rassure vraiment autant quand il s'agit de penser à la mort. Bradford Cox ne modifie en rien son élan, ses déclarations fidèles, ses boucles de guitare cotonneuses et réconfortantes, et glisse la mort dans la partie, presque sans en avoir l'air, progressivement. Une mort associée à l'amour & au couple, le soutien ultime, le soutien face à la détresse, à la disparition solitaire, le besoin d'une présence forte quand le gouffre approche, un besoin qu'il faut chanter sans fin, de plus en plus vite, laissant paraître plus fort l'obsession. Je ne m'arrêtais jamais pour chanter, berçant toujours, n'interrompant pas le câlin, comptant sur le ton des paroles malgré le désespoir des mots.
Shelia, berceuse d'espoir malade et désespéré, d'amour fidèle projeté vers la mort, morceau qu'il faut chanter jusqu'au bout aux êtres chers, pour se réchauffer l'un l'autre sur les canapés hivernaux.
Bradford Cox est plutôt familier de la mort, étant atteint d'un syndrome génétique, touché par une certain faiblesse, un doux désespoir. Mais laissant les paroles venir sur ses chansons, ne les sentant vraiment qu'après coup. Ses réflexions sur Shelia sont ainsi passionnantes à lire dans cette interview de Pitchfork (en dessous de la dernière photo...) Chanson d'amour tournée seulement vers le soutien, le besoin d'un autre pour accompagner vers la mort ; une tendresse presque non-amoureuse, détachée, pure affection, sans question de désir, de sexe ; un morceau d'amour parfaitement et purement asexuel. Et dont il a pris conscience de la portée une fois touché par la pneumonie, paniquant durant les moments d'étouffements, l'alitement désagréable et à l'issue lointaine.
Toute cette densité d'émotions apparaît dans cette version live de Shelia, dénichée sur Youtube. Le morceau s'étire plus encore que dans la version studio (7 minutes ici, 3:30 sur le disque), boucles reprises sans fin, voix modulée en écho sur les syllabes du prénom. Quelques éléments posés côte à côte, guitare, deux-trois phrases et un prénom ; obsession épaisse et cotonneuse pour les mélancolies humides & grises.
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