12 mars 2010

Jolis concerts des White Stripes pour un film peu documentaire, et pourtant mystérieux

The White Stripes - Under Great Northern Lights (2010)

Un jeudi soir et voici une file d'environ 80 personnes devant le Mayfair, cinéma indépendant d'Ottawa. Bien que diffusant certaines succès indépendants, ainsi que quelques blockbusters en séance de rattrapage, l'institution est plus habituée des doubles bills improbables, des séances de minuit avec des vieux films d'horreur, des documentaires pas vus beaucoup ailleurs ; ce mois-ci, le Mayfair propose fièrement un festival Jacky Chan, avec quelques films jamais diffusés en Amérique du Nord. Mais la foule affiche une moyenne d'âge en dessous de la trentaine, population majoritairement étudiantes au look détendus, aux bonnets bizarres. Ce gros public vient pour une affiche alternative, mais de musique alternative - un documentaire sur les White Stripes, Under Great Northern Lights.

En 2007, le duo de Détroit a entrepris une vaste tournée dans tout le Canada, traversant toutes les proviences et territoires, mais les plus au Nord. L'objectif était de découvrir de nouvelles villes, briser la routine de tournée, en assaisonnant les journées de concerts improvisés, hors de salles de concerts, annoncés une heure à l'avance. Des images avaient déjà tourné sur Youtube : Meg & Jack chantonnat en choeur dans un bus. Voilà qui s'annonçait prometteur.

Le film se focalise sur les passages dans les territoires les plus au Nord, villes de Yellowstone, Iqualuit... Voici le frère et la soeur descendant d'un avion, montant dans une voiture des années 50 conduite par le maire de la ville - "oui, nous avons une population de 21.000 habitants". Ou descendant d'un SUV aux vitres teintées, jouant une seul titre devant une salle communale pour remonter aussitôt en voiture. L'un des ses concerts ne durera d'ailleurs pas plus qu'un unique accord.

Assez vite, on comprend que le terme documentaire est un peu erroné. Aucune scène véritablement volée, aucun moment de véritable intimité ou confession du groupe ; quelques images de somnolence backstage, un interview fil rouge peu intéressant : aucun rapport avec ces groupes plongeant de plein pied dans la vraie pour les Concerts à Emporter de la Blogothèque. Les quelques promenades s'affichent à l'écran extrêmement léchées, habits parfaitement ajustés, une jolie vidéo musicale en extérieur, mais pas vraiment l'impression de voir les White Stripes dans leur vraie vie.

C'est un parti pris ; et ce n'est pas surprenant. Les White Stripes sont un groupe de contrainte, trois couleurs, deux instruments, réglant leur image. Le film est dans la même veine, offrant un très bel objet faute de dévoiler totalement l'humanité derrière le mythe rock.

L'essentiel, ce sont les scènes de concert, magnifiquement filmées avec plusieurs caméra, au plus près des visages et des mouvements, des effets de flous ou des mouvements de lumière. Rien d'extrêmement révolutionnaire pour l'imagerie rock, on retrouve l'esthétisme des photos de concerts sur papier glacé ; rien de très original, mais l'image reste splendide, surtout sur le grand écran du Mayfair, ou prochainement en DVD en home cinéma. Il serait dommage de bouder son plaisir, la présence scénique des White Stripes étant une des raisons de leur renommée. Investissement, mouvement fluides, chansons superbes, la voix de Jack qui oscille, et ces guitares terriblement saturées, follement agressives, distillant son énergie communicative.

La voilà, peut-être, la véritable valeur ajoutée par rapport à un simple rendu de concert : le charisme de Jack White présenté dans des multiples situations. Quel bavard, parlant sans arrêt, rit et blague ; quelle présence. On saisit par bribe toute son énergie motrice, son appétit créateur, forte impressionnante.

D'autant plus impressionnante à côté de l'effacement quasi complet de Meg. Certes, elle est présente presque en permanence à l'écran, le duo étant rarement séparé, mais elle se déplace terriblement effacée ; sa voix est à peine audible pendant l'ensemble du film, la majorité de ses paroles sont même sous-titrées ! Face au charisme grand format de Jack White, l'immense timidité de Meg devient peu à peu fascinante. On se surprend à guetter son regard, son pâle sourire poli en serrant la main d'un officiel, ses yeux qui tombent sur pieds ; et sa manière superbe de chantonner à mi-voix sur scène, suivant les paroles hurlées par Jack, chantant muette tout en martyrisant ses fûts.

La moindre action infime de Meg prête à réflexion, interroge le spectateur. Comme ces deux phrases prononcées à un conducteur de camion : "Oh, vous savez, nous ne sommes pas un groupe de rock traditionnel, nous sommes juste deux. Mais cela ne nous empêche pas de faire pas mal de bruit", et le sourire discrètement ravi sous-entend le profond plaisir à créer tout ce bruit. Cette fille si timide ? Comment a-t-elle pu commencer ?

La scène finale est certainement la plus mystérieuse et ambiguë du film. Jack chante en s'accompagnant d'un piano à queu, Meg assise à ses côtés. On croit d'abord à un soundcheck capté à l'improviste, mais les multiples caméras et la maîtrise des plans laisse vite entendre que la scène est très préparée ; la fameuse maîtrise des White Stripes. Pourtant, au bout d'une minute peut-être, Meg oscille toujours de la tête, replace toujours sa même mèche gauche ; et l'éran révèle des longues larmes coulant doucement sur ses joues.

Montrer ses larmes paraît d'une indécence assez gratuite, surtout par rapport au reste du film terriblement pudique et sous contrôle. Je ne suis pas parvenu à me réjouir de cet instant apparemment imprévu, une impression de voyeurisme.

Cependant, cette scène un peu bizarre laisse une impression poignante. Jack chante "She looked like a ghost", et Meg pleure, pleure, ne peut s'arrêter. Jack la prendra de ses bras à la fin, et l'écran se fait noir, le film s'arrête. Cette scène impudique, pas totalement bien gérée par le réalisateur, je pense, reste pourtant essentielle pour le film. Elle véhicule un vaste mystère, tellement de questions ; et donne envie de songer encore et encore à Meg, timide et effacée capable d'exploser à la batterie, de pleurer sur une chanson jouée au piano.


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