by David Lodge (1984)
Le monde académique s'écoule comme un séjour sans fin à l'école ; alternance de cours magistraux et de conférences, correction de copies, bavardage et rivalités. Les mêmes murs que durant les années d'étudiants, le positionnement juste légèrement décalé, juge un peu moins noté qu'auparavant. Et par conséquent, le regard plongeant dans l'espace universitaire découvre l'étendu d'un microcosme, similaire à tout domaine d'activité créateur de société miniature, les luttes de pouvoir et le déroulement de codes propres, mélange de jargon et d'événements répétés. Le monde universitaire, une source idéale pour tisser des histoires, intrigues et scènes pittoresques ; le genre existe, bien peuplé dans la littérature anglo-saxone : on parle de Campus Novel.
David Lodge maîtrise son sujet quand il met en scène le monde de la théorie littéraire, tissée d'incessantes conférences sur le structuralisme, quelque poète précis ou plus simplement la littérature & l'histoire & la société & la morale. Il pioche dans une grande boîte d'archétypes académiques et prend un plaisir manifeste à manipuler ces petites poupées caricaturales, le professeur anglais traditionnel, l'américain proclamant la fin de la critique, le poète provincial naïf, la jeune fille arriviste & affamée de théorie, la professeur à la retraite traquant les symboles phalliques, le jeune théoricien homosexuel ; un joli sens du personnage et de la situation amusante, du rebondissement, assumant souvent ses ficelles de scénario, en hommage clair et réjoui à la grande tradition des épopées du Moyen-Age ; la lecture s'écoule en une magnifique fluidité distrayante, éclairée de gags et traits d'esprit propres aux meilleurs romans humoristiques britanniques.
Mais le charme de ce Small World tient aussi à ses ambitions de Campus Novel monde, aux belles capacités de vieillissement. David Lodge lance son histoire à l'aide d'une longue séquence dans une conférence, tissant intrigues et introduisant personnages, puis disperse sa troupe académique aux quatre coins du monde, au grès des conférences estivales. Ce monde académique ne semble ainsi pas bien grand, chaque conférence donnant lieu à des retrouvailles de deux ou trois personnages car, mine de rien, les professeurs de théorie critique ne se comptent pas par milliers ; caractéristique propre à tout domaine de recherche ou tout secteur spécialisé. Mais c'est la planète elle-même qui semble condensée, sorte de grand campus que l'on parcourt à coup de 747 comme on passerait d'un amphithéâtre à un autre. Oui, vers 1980, l'élément de base du monde universitaire n'est plus le campus classique et son unité de lieu accordée au savoir, mais la grande caravane moderne des conférences et symposium.
Ce rétrécissement du monde au début des années 1980 possède un charme profond pour le lecteur du monde globalisé de la fin des années 2000 : voilà une globalisation où la réservation d'un billet d'avion reste aléatoire, où les professeurs s'échangent politesses par courrier papier, où les publications se transmettent sous forme de copies xerox. Vingt-cinq ans seulement se sont écoulés mais l'on redécouvre les petits sursauts de la globalisation, loin de l'Internet omniprésent et des flux continus d'information ; ces professeurs naviguent bien comme des chevaliers parcourant le monde dans leur quête de savoir, ils ont été les pionniers du village global.
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