par Lucrecia Martel, avec Maria Onetto (2009)
Des enfants courent le long d'un canal vide. "Descends de ton vélo". Ils sont tous à pieds, un chien courent auprès d'eux. Le poursuivi fait la roue pour descendre dans le canal à sec, pour remonter sans effort ; les autres le suivent avec peine. Ils grimpent à l'échelle d'un panneau publicitaire.
Vero suit cette route vide, le long du canal, en rentrant de la piscine. Lunettes noires, cheveux platine & décolorés, elle avale le ruban de terre et de poussière, vitesse conséquente. Sonnerie de téléphone portable, ses lunettes glissent, elle se penche pour les ramasser entre ses jambes , la voiture sursaute brutalement. Elle s'arrête ; roulé sur quelque chose, sur quoi, sur quelqu'un.
Longue respiration, regard au loin. Que faire.
Elle continue doucement, un chien est étendu dans la courbe, on le voit dans le rétroviseur.
Vero s'arrête enfin, plus loin. Tourne autour de la voiture, sa tête invisible à travers la glace latérale, elle marche un peu, quelques boucles. Il commence à pleuvoir.
A l'hôpital, un pansement sur le front. Vero ne parvient pas à remplir le formulaire. Elle va aux toilettes sans rien dire, regarde son reflet dans le miroir ; à côté d'elles, un policier récupère un détenu qui se cachait dans les toilettes, porte verrouillée, Vero ne quitte pas du regard ses cheveux, blonds mais gras & sales à l'instant.
Un taxi. Une maison. Elle embrasse un homme brun, silhouette fine, l'étreint.
Vero chez elle maintenant. Sa fille a la jaunisse, sa fille qui embrasse tendrement des filles à moto. Vero à nouveau dans son cabinet dentaire, s'assoit dans la salle d'attente et les patients sourient ; Vero écourte ses consultation, elle est un peu fatiguée, un peu barbouillée, rien de grave elle rentre chez elle.
Elle se cache dans la chambre. Un homme est entré, à la porte, pose du gibier dans la cuisine. Vero s'enferme dans la salle de bain, la douche coule et elle ne se déshabille pas ; elle écoute ; elle se place sous l'eau coulante sans se déshabiller.
Serviette pour essuyer ses cheveux. Un homme brun, glabre, massif, elle l'embrasse ; ils s'étreignent. Elle dit à son mari : "aujourd'hui, j'ai heurté quelque chose sur la route, je crois que j'ai tué quelqu'un".
La jeune réalisatrice argentine tisse subtilement la perte de repère de Veronica, déboussolée par l'incident routier. Une blessure superficielle à la tête, rien de plus qu'un cadavre de chien sur la route, mais Vero flotte maintenant sans reprendre pieds. Ne reconnaît plus vraiment les choses & les gens, son monde, sa grand tante alitée, son maris, son métier. Les choses s'avancent, les êtres se penchent, silhouettes inconnues dont les traits restent hors cadre, invisibles, indiscernables, une joue et une bouche se devinent à peine quand ils se penchent pour faire la bise à Vero et à son regard vague.
Des gens, des choses, des actions vaguement absurdes. Acheter d'immenses pots de fleurs. Contrôler l'adolescente au visage hépatique. Capter des expressions, des points de repères flous, le week-end des inondations, le corps retrouvé dans le canal, noyé bien sûr. Ou le petit employé du fleuriste qui manque depuis une semaine.
Se recoiffer.
Lucrecia Martel emploie un immense brio formel pour retranscrire cette perte de repères, jeu sur le premier et l'arrière-plan, sur le flou des visages, un flou instable, sur les cadres fixes et décentrés, regardant en coin ou droit devant eux indépendamment des silhouettes qui s'y meuvent. Brillante approche extrêmement déboussolante, sans trop de fil auquel le spectateur peut vraiment se raccrocher, sans aucun repère à l'écran pour lui non plus ; un nécessaire courage du spectateur, souvent à la limite de lâcher prise lui aussi : film brillant et exigeant certes, riche de détails infimes et ajustés, une expérience singulière assurément, mais est-il au point ? Un film à apprécier même s'il est parfois difficile de juger du dosage du système, trop snob ? trop opaque ? ou demandant un spectateur parfaitement concentré ?
Un film à effeuiller et scruter & écouter patiemment, retirer ce qui peut l'être, en un déchiffrage maladroit entre deux assoupissements lors des séances trop tardives ; loin des fils narratifs pré-mâchés, voilà le seul point de repère.
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