par Eric-Emmanuel Schmitt (2002)
Quitte à mourir, pourquoi ne pas en faire profiter l'art ? Léguer son corps à un artiste pour le laisser expérimenter ; et, finalement, qu'y a-t-il à perdre à se léguer tout entier, encore vivant, puisque de toute façon, on souhaitait mourir. Voici le postulat lançant le roman d'Eric-Emmanuel Schmitt, sort de pari de Pascal pour dépressifs séduits par les paillettes de l'art contemporain. Tazio ne saute donc pas du haut de la falaise et laisse Zeus-Peter Lama faire de lui une sculpture vivante, surchargée de prothèses et de cicatrices ; il devient Adam Bis, oeuvre d'art, perdant par conséquent son humanité.
Voici donc une fable sur les rapports entre l'art contemporain, l'apparence et l'humanité, la superficialité d'un art clinquant et la profondeur des artistes aspirant à capter l'invisible. Le récit s'écoule le long d'idées plutôt distrayantes, vol de la sculpture vivante ou achat pour les collections d'état, procès pour proclamer son humanité ; petit conte laissant place à quelques pensées sur l'art ou les valeurs humaines.
Hélas, le roman glisse en laissant un long sillage désagréable, impression permanente d'explorer un récit plutôt superficiel et peu approfondi. Les personnages surgissent sans véritables surprises, figures convenues des parents éplorées, de la jeune fille séduite, du peintre aveugle seul à même d'offrir un regard artistique authentique. Le conte n'arrive pas à offrir une personnalité qui lui soit propre, entre personnages désincarnés et rythme fade du style banal. Les phrases s'enchaînent vaguement ennuyeuses, ne prenant que quelques couleurs lors de certains dialogues, où la fluidité du verbe se fait plus agréable.
Il se dégage en fait une pénible impression de retenue difficilement explicable, comme si l'auteur ne savait trop quoi faire de son sujet. On pense par moment à Boris Vian pour quelques fantaisies associées à cette île imaginaire ; on songe à l'Ile du Dr. Moreau pour les manipulations & opérations sur le corps ; on sourit en saluant Oscar Wilde quand survient un tableau représentant la beauté intérieure du héros. Mais le texte ne parvient jamais à élargir ces références, elles surgissent en flash et disparaissent aussitôt, jamais vraiment approfondies, les paragraphes reprenant leur ronronnement modeste. Forme étrangement plate entre deux formules plutôt bien ciselées, hélas espacées de plusieurs pages : pourquoi retenir une véritable déchaînement de folie et nager en rond dans une critique routinière et facile de l'art contemporain ?
Car la véritable déception provient certainement du propos, de l'impression de facilité qu'il dégage. Une fable, certes, tissée d'archétypes et petites caricatures, mais dont l'assemblage ne parvient pas à transcender la banalité : l'artiste hype s'excite superficiel et avide d'argent, l'impresario recherche les scandales et la presse à sensation, l'administrateur d'état ne vit que pour les procédures, le vrai artiste construit son art dans la pauvreté mais se trouve reconnu à sa mort. Mais encore ? La figure de l'homme-oeuvre navigue dans ses eaux grises sans que rien de neuf ne se voit proposé au fil des pages ; il devient même difficile de ne pas s'avouer perplexe : le livre fait-il autre chose que labourer les idées reçues paresseuses sur l'art contemporain ? L'art contemporain loué par les médias n'est qu'un cirque manipulant le corps pour le plaisir de choquer, rien de plus qu'une foire des curiosités sans fil directeur, sans pensée ni message. Constat juste dans une certaine mesure, mais assurément réducteur et peu respectueux des artistes, rappelant les ricanements potaches de visiteurs jetant un vague regard dédaigneux sur des installations bizarres : non mais, c'est invraisemblable, comment une merde pareille peut-elle coûter autant de millions, ma fille dessine mieux !
Revient à l'esprit une phrase de Spinoza, citée dans le journal : "je m'efforce de ne jamais juger et tente toujours de comprendre". Désagréable impression de voir Eric-Emmanuel Schmitt juger sans offrir beaucoup de clés pour comprendre... Pourquoi pas ? Mais il est dommage de critiquer la superficialité artistique sans proposer soi-même de parti pris original, ni offrir une forme séduisante et riche. La satire est un art respectable ; mais elle ne devient véritablement percutante que soutenue par un travail approfondi sur le fond et la forme.
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