par Bayon (2005)
Les pays immobiles est une réponse à la question "tu écris ?" qu'on me pose.
J'ai d'écrits, depuis ma dernière publication en 1998, au moins deux livres de ma façon médiumnique : Chryséléphantine et Jean-Marien.
Le second consacré à mon frère pendu en 1999, le premier à un enfant sage, tous deux sont impubliables comme de nature à troubler l'ordre public de mon entourage.
Voici la première page des Pays Immobiles. J'avais aperçu ces mots dans une revue sur la rentré littéraire de la rentrée 2005, et ce passage m'avait longuement fasciné. Je ne connaissais pas Bayon, ni ses livres, ni ses critiques culturelles, mais j'ai gardé ce nom à l'esprit pour son évocation de l'hygiène de l'écrivain. L'écrivain écrit, même s'il ne publie pas, même si personne ne le lit ; l'écriture comme équilibre, besoin de saisir le monde, moyen de réflexion, d'auto-analyse.
J'écris pour comprendre ce que je pense, disait un auteur.
Cette déconnexion du statut d'écrivain et de la question de la publication, je l'ai exploré un peu plus dans quelques livres de Villa-Matas, son obsession des écrivains sans oeuvres, auteurs cessant d'écrire ; du moins de publier, griffonnant des mots sur le premier papier, gribouilles minuscules et illisibles comme Robert Walser, ou même auteur censuré comme Reinaldo Arenas, censuré mais écrivant comme voeux de survie. Ecrire par besoin, par nécessité.
"Le cinéma ne peut pas être simplement un désir ou une envie. C'est trop violent pour ça", dit Claire Denis. Ecrire, c'est un peu cela aussi, pas seulement le plaisir d'être lu, un élan, un non-choix, une pulsion : il faut écrire.
Bayon écrit, il écrit beaucoup apparemment, presque compulsivement, tisse des scènes dans son style riche, joue avec des personnages et des situations ; et beaucoup de souvenirs - d'où les situations de publications impossibles. Alors Bayon a fait une sélection, pioché des chapitres ici ou là, ajouté quelques autres textes et obtenu Les pays immobiles, livre cadavre exquis, éclats de scènes en une vingtaine de chapitres, deux trois pages à une douzaine de feuilles. Etrange à lire, le ton comme principal fil directeur pour lier les sursauts et changements de directions survenant régulièrement.
Mais quel ton. Une lange au vocabulaire recherché, choix de mots recherché, accumulation de termes aux minces variations pour tisser une ambiance, offrir de l'épaisseur. Bayon, c'est une forme d'anti-écriture minimale, un goût du mot choisi et peu courant, le jeu des sonorités et des termes rares, et les phrases résonnent souvent surprenantes et superbes. Denses, évocatrices, mais souvent plus lisibles que ses denses performances critiques dans le cahier cinéma de Libé.
Pourtant, si l'on peut entrer dans le livre par fascination pour le maniement de la langue, les scènes esquissés séduisent peu à peu par leur originalité propre. Souvenirs ou fiction, difficile de trancher souvent, mais qu'importe, qui s'en soucie, nombreux sont les chapitres aux trouvailles savoureuses, aux réflexions riches et passionnantes. Toute une série de scènes passionnantes en Afrique noire colonisée, terre de naissance de Bayon, se perdant seul lycéen blanc dans des booms noires, giflant un benêt grassouillet, se rappelant d'un architecte homosexuel au serviteur nubile et à la nudité permanente ; fascinantes description de terres souvent réduites au cliché. Mais d'autres chapitres laissent une empreinte permanente, sauvage description méticuleuse d'une bagarre nocturne à Montmarte, somnambulisme hanté par un jeune frère décédé - du réalisme poétique au quasi fantastique. Le livre se clôt sur une terrible situation, auteur servant en rêve à l'examen de conscience d'un mourant.
Les idées foisonnent, la langue offre ses parfums profonds, variées et rares. Un délice, un plaisir d'écrivain, pour sûr, une joie de lecture, qui donnerait envie de goûter à un roman plus suivi ; mais ces scènes sont exquises.
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