10 avril 2010

La puissance poétique d'Arenas contre l'oppression cubaine

Old Rosa
by Reinaldo Arenas (1971)

La vieille Rosa a passé toute sa vie à travailler, faisant prospérer sa petite ferme cubaine. Petite exploitation devenue peu à peu grande installation, employant forces ouvriers, que Rosa mène à la baguette, de son autorité omniprésente. Rosa n'est pas femme à se laisser marcher sur les pieds. Elle a pris l'ascendant sur son maris dès le début de son mariage, ses trois enfants obéissent et travaillent la terre, les ouvriers ne rouspètent; même durant ses prières, Rosa reste inflexible, invectivant le Seigneur . . . Reinaldo Arenas focalise la première partie de son livre sur cette femme de caractère, travailleuse, investie, extrêmement autoritaire, cherchant sans cesse à améliorer sa ferme, même quand, surprise, la bande de vagabonds finit par remporter la révolution et installe le régime communiste. Quitter MA propriété, le travail d'une vie ? Quelle idée ? . . . Arenas dresse un superbe portrait avec cette femme monolithique, vivant pour le travail de la terre, sans vraiment songer à la religion, ni à sa famille, ni au monde qui l'entoure. Il la confronte aux changements instables de la société cubaine, mariage de la fille avec un nègre, place des homosexuels, absurdité de la révolution, et il tisse cette histoire en une suite de phrases sans fin, sans paragraphes, écrites dans un élan verbal fascinant, poétique, débordant d'énergie . . . Car Reinaldo Arenas écrivait pour survivre dans le Cuba des années 70, homosexuel plusieurs fois embastillé, courant l'île pour fuir le régime castriste, et écrivant, écrivant dès que l'occasion se présentait, sur le moindre bout de papier, morceau d'affiche . . . Et c'est un peu de cette expérience qu'il présente dans la deuxième partie du livre, la vie emprisonnée du fils homosexuel, souffrant entre deux factions presque aussi hostiles : mâtons machos et stupides, folles cubaines surjouant une homosexualité de paillettes, chansons pour filles et maquillage. Arturo est surtout sensible, envoûté par la musique, déboussolé par son immense solitude, cherchant un peu de vie intérieure et de rêve dans ce monde de travail forcé, de rapports de force, de cannes à sucre tranchées et de carnaval clandestin entre prisonniers . . . Alors, peu à peu, Arturo cherche un équilibre, parfaitement intégré en surface, le plus populaire des folles du camp, tout en s'évadant par l'écriture dès que l'occasion se présente. Jouer l'intégration pour obtenir du temps, du temps pour soi, du rêve et de la beauté rien que pour soi. Peu à peu, il quitte l'écriture et se contente de rêver, inventant de somptueux paysages, convoquant des animaux et musiques et végétations et architectures fantastiques, envoûtants, fascinants. Les mots coulent sans fin dans un rythme ininterrompu, une immense beauté poétique au coeur de ce contexte inhumain, et le livre se lit à haute voix de plus en plus fort, de plus en plus vite, et se relira longtemps encore.

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