16 janvier 2010

Une nouvelle fois agacé par Jason Reitman

Up in the air
by Jason Reitman, with Georges Clooney, Vera Farmiga, Anna Kendrick (2009)

Sauter d'avion en avion constitue le quotidien de l'homme d'affaire moderne, l'employé modèle do monde global, et Ryan Bingham se veut un exemple parfait. 300.000 miles en avion l'an passé, plus que la distance Terre - Lune, et 320 nuits passées dans des hôtels loin de chez lui. Mode de vie idéal pour ce prosélyte d'une vie sans attache, une vie de voyageur léger sans vraie possession ni relations véritables pour surcharger son sac à dos. Les tempes grisonnantes de Ryan ne ternissent pas son sourire et sa gouaille, voilà exactement comment il souhaite vivre, là haut, tout là haut, redescendant juste au sol pour manier l'une de ses innombrables cartes de grand voyageur.

Ryan, c'est Georges Clooney, et qui d'autre aurait pu aussi bien se glisser dans la peau de ce personnage ? Georges déroule parfaitement son rôle de séducteur, cool, doucement cynique, parfois un peu maussade aussi, et devrait logiquement se voir nommer aux Oscars ; parfait professionnel s'amusant sans retenue dans ce rôle fait pour lui.

"Up in the air" nous offre un Clooney réjouissant mais surtout une fable à la thématique bien moderne. Ryan vole ainsi aux quatre coins des Etats-Unis pour aller annoncer leur licenciement à des employés, agent chargé de sous-traiter la mauvaise nouvelle en échange de mots bien choisis et d'une brochure de réinsertion. Jolie idée fort contemporaine, prometteuse, et qui semble riche de possibilités quand le bel équilibre de Ryan se voit bousculer par plus contemporain que lui : une jeune cadre aux dents longues suggèrent d'annoncer les licenciements par webcam pour économiser les coûts. La sous-traitance des ressources humaines déshumanisée se voit rattrapée par la nouvelle économie numérique, le face-à-face semble prometteur, d'autant que les comédiennes offrent un joli répondant à Clooney.

Mais hélas, si Jason Reitman sait parfaitement choisir ses sujets, fortement dans l'air du temps, il ne me semble pas vraiment à la hauteur pour les exploiter à fond."Thank you for smoking" m'avait laissé un goût de cynisme soft sentant bon la pause superficielle, "Juno" m'avait paru bien surcoté une fois assimilées les quelques ficelles de son scénario, et ce "Up in the air" ne m'a pas semblé beaucoup décoller non plus. Le film débute sur un bon rythme, scènes un peu faciles dans les aérogares et images de nuages, plans aériens des villes visitées, mais le film se fait peu à peu plus frustrant au fil des minutes. Tant d'idées qu'il aurait été bon d'insérer, tant de scènes peut-être pas tellement bien filmées, tant de superficiel !

Les visages licenciés défilent en vitesse, lâchant à peine une phrase ou deux, et l'effet fait sourire au début, mais n'évolue pas : un autre cadrage, un peu plus de temps pour laisser l'humanité s'installer ? Non. La répétition pour surligner la déshumanisation, j'imagine, mais elle confine surtout au monodimensionnel ici, rien que l'envie d'exploiter une idée pas trop mal.

Même répétition creuse dans les vues aériennes des villes visitées : pourquoi aucune vue sur le terrain, aucune prise des quartiers en restructuration dans l'Amérique profonde ? Envie d'insister sur les voyages sans prise sur le réel du Clooney voyageur, peut-être. Mais question de budget, I presume, pour pouvoir filmer presque tout en studio, mais quelques vues en voitures, sur le terrain, auraient-elles coûté beaucoup plus ? Elles auraient pu ouvrir un contre-champ pas inintéressant.

Je pourrais également m'attarder sur la sous-exploitation de l'outil Internet dans un film cherchant à évoquer l'économie moderne. Mais le plus déplorable est certainement ailleurs, plus que dans les détails qu'il aurait été possible d'inclure pour donner du corps au film, le plonger au plus près du réel. Ce n'est somme toute qu'une comédie hollywoodienne, que diable, alors n'insistons pas plus la sous-exploitation du réel et du social. Mais hélas, la comédie se met elle-même à frustrer le spectateur par son absence de folie et son dérapage vers une morale conventionnelle et conservatrice.

A mi-film, Ryan accepte finalement de se rendre au mariage de sa soeur, dans le fin fond des Etats-Unis. Respiration salvatrice pour le récit, quittant enfin les décors répétitifs d'aéroports, changement de rythme agréable pour quelques passages tendres en couples ; ouf. Mais la respiration se fait peu à peu coeur du film, son idéal de moins en moins secret, la voie à choisir, la morale : oui, Ryan a tout faux en refusant les attaches et les liens sociaux, la voilà la vie véritable, la vie de couple, la construction d'une famille sans laquelle on n'évolue qu'en vase creux. Peut-on faire plus binaire et aussi peu subtile ? Le film ne joue plus alors d'aucune ambiguïté, laissant plonger Clooney dans ses regrets, vainqueur désabusé de ses rêves de voyageurs à 10 millions de miles, solitaires sans espoir dans son monde d'aéroport.

Jason Reitman ne ménage aucune troisième voie et il n'y a là rien de trop surprenant dans ce joli faiseur sans vraie profondeur. Il tisse des comédie agréables, faussement subversives mais très, très gentillettes, constituant une sorte de cinéma du milieu à l'américaine. Un peu moins formatées que les grosses comédies romantiques superficielles d'Hollywood ; quoique, le succès aidant, quelques gros noms devraient s'ajouter à ses prochains casting... Mais définitivement trop conventionnelles, superficielles et sans aspérités pour rejoindre le plus intéressant cinéma indé US. Verre à moitié plein ou moitié vide, tout dépend des points de vue pour ce film plutôt sympathique au final, pas trop stupide, aux comédiens agréables. Mais le fort soutien critique finit toujours par perturber mes séances de Reitman, générant chez moi un profond agacement en songeant à toutes les portes stylistiques, scénaristiques ou idéologiques que Jason ne sait pas ouvrir.


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