Quelques goûts clairs. Quelques préférences. Des préférences douces, sans envies de bondir, pleurer pour toute raison.
Des affinités. Petites boussoles.
Je ne suis pas un passionné - pas un passionné visible.
Passionné touché, les yeux qui brillent au plus.
Le coeur battant ne se touche pas à distance. Bouillir à feux doux d'un frémissement en dedans.
Un murmure, murmure, un murmure.
Mais un murmure sans fin.
Le grommellement qui ne peut se contenir ni s'arrêter; le murmure rauque de la petite vapeur plus que tiède.
Le tremblement, le vacillement - surprise, la déstabilisation face à quelque beau, à certaine force d'émotion.
Le vrombissement en sourdine face aux chansons de The National, à leur prestations de concert.
Leur instabilité.
Recherche d'une note, au sens de ton, au sens de tonalité, tout cela sans sens musical. Laisser vibrer mélodies, accords, voix et quelques mots, pour toucher une humeur.
Faire surgir une humeur.
Et donc la traquer.
L'attendre, imprévisible.
Des concerts fragiles, donc, j'en ai déjà parlé ici. L'esprit ne se proclame pas toujours quand il est esprit instable.
Souvent leurs paroles voient se répéter deux phrases à la suite, presque sans variation, incantation, faisons venir, répéter pour une insistance sans excès, une idée fixe juste là, avouée et non proclamée.
La répétition. La formule. La petite phrase.
Peu de mots me frappent autant que la phrase
"I'm sorry I missed you
I had a secret in the basement of my brain"
Le ton nonchalant, juste laisser paraître le trouble derrière le rideau.
L'instabilité. Le regard qui saute ailleurs parfois, pour une petite ombre d'idée. Une question.
Un quoi, un quoi secret.
Un fil fin et fluctuant pour guider l'oreille vers cette incertitude, le quoi secret discuté en réunion privée avec soi. Juste un brin tiré, une enveloppe autour du brin et la voix déroule, laisse approcher l'oreille près du chanteur aux yeux presque fermés.
La silhouette blonde aux gestes contenus guidant la peur dans la voix.
Je peux regarder le coeur battant cette voix et son quoi et la silhouette qui la soutient agrippée au micro.
Je l'écoute sur le disque. J'aime la revoir sur la scène, traquer la vidéo.
La première offre le son de la couverture vocale, une belle qualité.
Mais les silhouettes sautent, l'oeil enregistrer passant trop vite d'un morceau de corps à un autre.
La deuxième vidéo n'offre pas bon son, grande qualité. Mais les images regardent plus, laissent monter la tension du groupe.
Et en dessert, une autre comptine incertaine, dans un cadre plus puissant, la grande foule de Glastonburry. Les violons et les milliers de yeux entourant la voix, la grande scène.
Mais toujours une comptine fragile au dedans,
et ma petite passion contenue, vibrante, invisible.
Ruby Sparks(2012) by Jonathan Dayton & Valerie Faris with Zoe Kazan, Paul Dano, Annette Bening, Antonio Banderas, Steve Coogan
Un auteur écrit le portrait d'une femme dont il a rêvé et celle apparaît réellement dans sa vie.
Contrainte : traitez le thème dans une esthétique de cinéma indépendant US.
Difficile de ne pas caricaturer ainsi la trajectoire du film Ruby Sparks. Car difficile de ne pas s'amuser à étiqueter les petits clichés qui parsèment son histoire, comme des petits résidus de pitch parsemés en passages obligés. L'auteur bloqué, un roman génial publié à 19 ans, l'angoisse de la page blanche à 29 ans ; il tape ses textes sur une machine à écrire ; il voit un psy ; il n'a qu'un chien, sa seule relation de 5 ans a été un échec. Ceci n'est que la situation initiale.
Au moins les choses sont claires, et disposer d'un imaginaire clair n'est pas forcément mauvais pour un film. D'autant que les choses se bouscule assez rapidement : l'auteur écrit donc le portrait d'une femme rêvé, dont il tombe peu à peu amoureux, et celle-ci apparaît finalement chez lui. Telle qu'il l'a créée. Pour de vrai. Oui, pour de vrai !
Le film peut donc décoller.
Mais le film décolle peu, en partie qu'il décide de ne pas décoller. A savoir, présenter cette situation fantastique d'une manière pragmatique, voire naïve. Bon sang, en effet, que se passerait-il vraiment si un personnage de roman apparaissait vraiment chez son auteur tel qu'il l'a imaginé ? Sursaut, peur de folie, envie de vérifier, gardons les pieds sur terre ; puis profitons au mieux des choses telles qu'elles sont arrivées. Le postulat fantastique traité en conte réaliste au mode mineur, un parti pris que ne quittera presque pas le film.
Et le parti pris ne pénalise pas le film a priori, la situation reste belle à explorer.
Alors visualisons l'apparition du personnage sur ce mode. Imaginez un auteur un peu perdu dans son écriture, écrivant pages et pages sur une femme aimée et imaginée - et qui la découvre chez lui au réveil. Alors quoi ? Surprise et folie et course et extase ?
Oui, l'auteur est surpris, et court, mais pour se cacher. Pour vérifier doucement qu'il n'est pas fou. Rentrer de sa chambre, sortir de sa chambre. Téléphoner caché sous son bureau. Sortir à nouveau. Faire une expérience, chercher un témoin, un regard objectif pour nier sa folie. La réaction prévisible du voisin d'à côté ; une réaction que nous aurions vous ou moi. C'est le parti pris, et la réalisation simple, neutre, sans pic de folie, ne dérape pas de ses rails ; on comprend vite l'idée. Hormis le surgissement magique et quelques blagounettes, le film poursuivra sur son programme de comédie romantique modeste, les pieds sur terre.
Mais continuons à suivre le film.
Continuons à suivre.
Mais peu à peu, certaines idées passent et semblent comme laissées de côté pour ne pas déroger au programme et au ton établi. La femme-de-ses-rêves change de comportement si l'auteur retouche son manuscrit après l'apparition ? L'auteur-créateur fait quelques expériences amusantes - "Ruby se sent si mal quand elle est loin de moi" et aussitôt celle-ci reste collée à lui, fondant en larmes dès qu'il lâche sa main pour répondre au téléphone - mais il n'en abuse pas, et le film non plus, n'exploitant jamais une telle expérience plus d'une scène ou deux. Ruby veut vivre sa vie de son côté ? Elle passe une nuit seule, et aussitôt l'auteur craque, la fait revenir. Chaque embranchement potentiel, déviation du fil narratif, est balayée rapidement, pour revenir coller au noya dur. Au rêve impossible de l'auteur pas assez mûr pour une relation.
Un programme basique de comédie indépendante US, façon Juno, sans trop exploiter le potentiel du pitch. Sans improviser et développer sur le pouvoir du créateur et sa responsabilité, sur le potentiel de contrôle, sur tous les déclenchements et conséquences et cascades qui pourraient en débouler. Jamais on n'emprunte le chemin de la folie vertigineuse comme avait pu le faire le mystérieux "Being John Malkovich", plus biscornu, plus malade, plus inventif, plus sur le fil du suivons-ce-chemin-fou-et-voir-ce-qu'on-trouve.
Vous l'avez compris, cela m'a un peu déçu. Le film ne semble pas laisser beaucoup de prises à l'imagination, et court le risque d'être vite oublié, il me semble. Il suit son parti-pris, attitude respectable, mais laissant des regrets par rapport à son potentiel.
Pourquoi alors écrire autant sur un film qui ne remplit pas totalement son potentiel ?
Car malgré ses limites, et de par ses limites, le film offre un jolie source d'idées sur l'écriture.
Une idée assez jolie du film est le commentaire fait sur la manière de bien écrire un personnage. On l'a vu, quand l'auteur tente de contrôler sa création, les réactions créées sont caricaturales et invivables. Qu'elle se sente mal loin de lui et qu'elle soit sans arrêt ravie, la caricature mono-dimensionnelle ne fonctionne pas. On peut supposer que le film veut montrer ainsi la naïveté du garçon immature, confronté à l'absurdité de vivre avec une fille tout le temps contente. On peut aussi y lire en creux ce qui fait la qualité d'une bonne écriture, la mise en place d'un personnage complexe : la nuance, l'absence d'uni-dimensionnel, l'histoire du personnage. Quand l'auteur décrit cette femme, avant son apparition, son portrait s'étire sur pages et pages de détails, et c'est ce qui la rend si réelle et juste quand elle apparaît. Quelles que soient les limites du scénario par la suite, cela reste une joli commentaire.
Mais là où ce commentaire devient un peu plus frappant pour le spectateur, c'est quand il prend le film à son propre jeu. En effet, les scènes les plus décevantes, les plus vite oubliées, sont justement celles mettant en jeu des personnages trop taillés à la serpe : beau-père baba, agent littéraire dragueur drogué, ou même les petits clichés de l'auteur ancien surdoué, quand la caractérisation se fait paresseuse, le film ne trouve pas grand chose sur quoi s'appuyer. Le commentaire créatif offert par le film offre sa propre critique, pas vraiment favorable. Le méta-texte pris à son propre jeu. Le film offrant un miroir pour se regarder lui-même et oubliant de se découvrir un peu moins beau qu'il ne croit.
Et le jeu de miroir à double sens prend même une troisième voie quand on regarde les noms du générique avec plus d'attention. Les réalisateurs sont Jonathan Dayton & Valerie Faris, sans film depuis l'immense succès indé de Little Miss Sunshine. On peut comprendre que l'histoire de l'auteur vaguement écrasé par son succès les ait séduit ; on peut comprendre qu'ils aient souhaité traiter la chose sur leur mode réaliste avec un peu de fantaisie ; on peut comprendre aussi qu'ils aient manqué de recul dans le dosage.
Mais la plus grande surprise provient de l'auteur du scénario. Zoe Kazan, 30 ans (soit l'âge de l'auteur bloqué), elle-même actrice de Ruby dans le film. Elle est l'auteur de tous les personnages du film, dont celui qu'elle joue, une créature issue de l'imagination d'un auteur. J'ai perdu le compte du nombre de miroirs impliqués dans un tel va-et-vient : Jouant le rôle d'une personnage inventé quand elle a elle-même inventé le personnage... Et je serais curieux de voir comment s'est monté le projet du film...
Voilà en quoi ce film est finalement mémorable. Petite romance pas désagréable au contenu théorique un peu faible, elle devient un beau petit objet d'étude - au final, cela offre un peu de gymnastique d'esprit.
Ces derniers temps, j'ai écouté beaucoup de hip hop.
J'ai l'impression de dire cela régulièrement, tous les deux ou trois mois. Comme si ce n'était pas encore une habitude bien acquise, logique, admise. Une habitude datant disons de début 2008, l'exploration systématique des médiathèque, plonger dans les grands classiques. Une habitude d'au moins 4 ans maintenant - et pourtant, toujours l'impression d'être un débutant, un petit nouveau qui se rend compte, oui, qu'il écoute du hip hop régulièrement ces derniers temps.
Peut-être faudrait-il alors préciser un peu le hip hop que j'ai écouté dernièrement. Afin d'expliquer plus clairement cette perception d'un changement d'habitude.
Oui, il y a 4 ans, j'avais plongé dans les classiques du rap, les gros albums des années 90, les grands canons. Le Wu Tang, Nas, A Tribe Called Quest, Eminem, De La Soul, NTM, les pilliers, les bases. J'avais ensuite saupoudré des noms un peu moins connus, du rap plus indépendant, Mos Def, quelques compil Rawkus, Gangstar, Mobb Deep, Lords of the Underground, au gré des noms piochés ici ou là. Un goût un peu plus large, un peu plus d'exploration, ouvrir les portes aux sons variés du hip hop.
Ces derniers temps, oui, j'ai écouté pas mal de hip hop. Mais dans des chapelles différentes.
J'ai posé doucement les pieds dans le foisonnement récent, ce tumblr hip hop où les mixtape gratuites jaillissent mois après mois, les flows jeunes offrent leurs états d'âme, leur folie dans l'instant. Une jungle, une abondance assez folle où les sons et voix changent, où les réputations se construisent sans qu'aucun disque soit encore vendu. C'est fou. C'est dépaysant. Des hip hop différents de ceux entendus par moi jusqu'à présent, parfois plus électronique. Une nouvelle fraîcheur. J'en parlerai plus, des belles chansons de Frank Ocean, d'A$AP Rocky, de Schoolboy Q, les français de 1995, de ces jeunes, le hip hop de maintenant.
Mais j'ai aussi dégustés avec plaisir le classement des meilleurs producteurs hip hop, publié sur Passion of the Weiss à l'hiver dernier. Délicieusement agrémentés de mp3, des noms inconnus, des sonorités en tout sens, toutes les époques - et toujours les jolis textes du sites. Une variété hip hop comme j'en avais rarement explorée, un tel éventail...
Le site Passion of the Weiss est une superbe porte d'entrée sur la culture hip hop, l'histoire des sons et des hommes. Un assemblage de passionnés pointus, prêt à partager : j'ai écouté récemment avec surprise et plaisir un de leur podcast, ciblant l'underground hip hop de Los Angeles entre 1990 et 94. Oui, c'est pointu, deux heures et de commentaires érudits, pleins d'humour, une émission magnifique, offrant de belles pistes à suivre.
Beaucoup, beaucoup de pistes à déguster, avec toutes ces sources variées.
J'ai posté certains titres sur mon tumblr, certaines vidéos. Mais il serait dommage de ne pas en faire profiter ce blog, tirer profit de l'espace offert, plus vaste que ceux des habituels posts tumblr...
Alors je recommence aujourd'hui avec ce Mad Kap de 1993, entendu après le mix de l'underground de LA. Le beat est simple, la petite mélodie efficace, le flow digne et fluide entre les différentes voix : "Dopest Verse", difficile de trouver un titre plus symbolique de ce hip hop que j'ai écouté dernièrement...
Jackie, bien sûr. Jackie Kennedy.
Quelle autre Jackie ?
L'assemblage joue sur les stars. Jackie Kennedy l'icône. Dans un texte d'Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature. Mis en scène par Denis Marleau, ancien directeur du Theâtre frnçais au CNA, habitué d'Avignon, récemment passé par la Comédie Française. Avec Sylvie Léonard, actruce multiprimée.
Mais l'important, oui, c'est Jackie. Jackie, la Jackie, son long monologue.
Sa présence.
Sa silhouette, son image. Une telle figure, une image médiatique, dont tout le monde a capté l'image, la photo, ici, ailleurs, depuis des années. Une femme d'image, et la mise en scène embrasse l'aspect médiatique frontalement : un caméraman la suit sur scène, pour maintenir en permanence un gros plan sur grand écran Noir et Blanc en fond de scène ; la femme en interview, en représentation, et son image transmise, ses lèvres mobiles immenses, ses sourires, ses regards contrôlés à la caméra - en contrepoint de ses paroles - l'image et le verbe.
Oui, un flot du verbe, comme d'infinies tirades cousues les unes aux autres par coutures imperceptibles ; comme un seul immense monologue d'une heure cinq, presque sans reprendre son souffle au coeur des mouvements. Un ton presque doux, posé, comme plat, à la limite du neutre ; une presque voix blanche. Pourquoi pas ?
C'est un spectre qui s'adresse à nous, une figure du passée, un personnage qui ne cache son statut de morte. Seule survivante - selon la légende du clan Kennedy décimé et riche en tragédies ; survivante même morte, la dernière, seule qui à continuer tout droit.
Et peut enfin s'exprimer. Sortir du cadre de l'image et des couvertures de magazine, et parler, parler, partager enfin sa condition de première dame ; première dame, l'expression consacrée, si creuse, et si vraie : celle vue en premier, en permanence.
Voilà tout un beau programme. Tout est bien assemblé, les symboles bien amenés : le côté médiatique, renforcé par des photos jaillissant sans fin des magazines qu'elle feuillète, et le flot de parole, le jaillissement, la profondeur caché qui parle toute seule, comme inarrêtable. Et pas n'importe quelles paroles, les paroles de Jelineck, la poète des femmes tiraillées, écrasées par la société et les désirs conventionnels dont elles ne peuvent se détacher.
Et tout cela n'a aucunement capté mon attention.
Jackie, lançant sa glossolalie de manière étouffée, puis prenant pied tout doucement par les répétitions, comme une parole tournant en boucle là-bas, on ne sait où, pour faire continuer son show, même si c'est enfin un show intime.
Jackie évoquant ses robes, son obsession du vêtement, sa seule marque. Glissant des paroles sur les autres Kennedys, sur la cervelle de Jack s'échappant après le coup de feu ; glissant une obsession sur Maryline - bien sûr, comment ne pas en parler, Maryline ?
Enfin, il y avait certainement bien plus que tout cela, mais je n'ai pas écouté plus d'un tiers de la pièce. Une pièce dont le rythme m'a semblé bien monocorde ; choix conscient, je n'en doute pas, figure sous contrôle toute sa vie, et revenant des morts : pas étonnant que la parole soit offerte égale, souvent égale. Une mise en scène dont les jeux de regard entre public et caméra ne m'ont pas intéressé ; encore un choix de mise en scène maîtrisé, pour offrir un peu de variation, et souligner le côté médiatique et la connaissance de Jackie de ce jeu. Une mise en scène dont le soin des costumes et des accessoires m'a paru fort superficiel, flattant le petit public, proche des obsessions bêtes des biopics de cinéma ; force est de constaté, avouns-le, que retrouver autant de numéros du magazine Life, autant de robes parfaites, est un jolie travail d'accessoiriste et de costumière.
Un spectacle dont le texte lui-même ne m'a jamais donné envie d'être suivi, d'en suivre les variations et les méandres ; oui, Jack, oui, les Kennedy, oui, la première dame et ses toilettes, oui, les fausses-couches, oui, Maryline - and so what ?
Non, Jackie Kennedy ne m'intéressait pas vraiment auparavant, et le spectacle ne m'a pas offert d'angle d'accroche pour m'y intéresser. Ne m'a pas proposé d'ouverture à approfondir sur le statut de la femme bourgeoise des années 50-60, sur le jeu médiatique, sur la politique américaine, sur le goût du paraître.
Beaucoup d'éléments assemblés, et si peu au final.
La lumière ne se rallume pas pendant les 5, 10 premières minutes. Histoire contée dans la pénombre.
Ainsi début le spectacle de Kim Kilpatrick, "Voler dans l'ombre : Histoire d'une Femme aveugle" (Flying in the Dark: A Blind Woman's Story). Premier spectacle complet de la conteuse d'Ottawa, membre bien connue de la scène de la ville et des amateurs d'Ottawa Storyteller. On peut entendre souvent ses histoires, leur ton léger, l'humour, le pouvoir de l'expérience vécue, souvent surprenante. Kim raconte des histoires autobiographiques avec un parfait sens du conte, et une belle capacité à mettre en valeur son sujet : ses expériences de femme aveugle. Toutes les choses super liées au fait d'être aveugle, comme le dit le titre de son blog, Great Things About Being Blind ; et aussi, bien sûr, les réactions surprises, la tendance de certains à sous-estimer les capacités des aveugles, surjouant l'empathie naïve jusqu'à la condescendance.
La première partie du spectacle offre ainsi un parfait exemple du style de Kim, l'univers poétiques et drôle de ces histoires. Un spectacle sur sa vie de femme aveugle - alors tout commence donc par les expériences de jeunesse, sa puissante imagination, ses premières petites luttes avec la stupidité des autres, que ce soit une voisine la traitant de bébé ou une institutrice lui interdisant toute activité dangereuse - à savoir, toute activité. Le flot du récit est fluide, porté par les images, petite fille rêvant de dragons sortant d'oeufs en chocolat, choisissant les couleurs des feutres à leur parfum. Et bien sûr, les grandes premières, première journée dans sa nouvelle école à la maîtresse compréhensive, la lecture en braille sous les couverture, le premier trajet seule dans la rue avec sa canne blanche - pour aller acheter des chewing-gums.
Les récits volent, les sourires flottent dans le public. L'imagination, la technique du récit, l'humanisme.
Mais le spectacle me surprend fortement dans sa deuxième partie. Pour réussie qu'ait été la première partie, elle ne m'avait pas vraiment surprise ; correspondant au style de Kim tel que j'avais pu y goûter une demi-douzaine de fois, drôle, moquant la bêtise avec douceur, presque optimiste - toutes ces choses super, super ; 30 minutes étirant et enrichissant en petits détails les tranches de 5 minutes que j'avais entendues.
Ou placer pourtant le début du deuxième acte par rapport à ces schémas et idées ?
Portraits esquissés de plusieurs héros ayant dépassé le handicap, Terry Fox courant à travers le Canada avec une prothèse à une jambe, Bethoven composant des musiques somptueuse comme si la surdité ne pouvait rien y changer ; portraits de grands modèles qui, tous, offrent des mots désabusés dès leur deuxième phrase.
Kim ne sait plus faire entendre l'assurance de ses modèles.
La tonalité a basculé par ce système joliment trouvé, et la deuxième partie sera celle du doute, des moments d'angoisse, petits ou grands, des interrogations sur l'écriture, sur le message à véhiculer, sur la capacité à gérer le stress. Quelques minutes plus tôt, la maladresse bête ou méprisante se voyait ridiculisée par les compétences de Kim, son sens de la vie, son habilité à faire les choses par elle-même ; maintenant, le ridicule des stupides persistent, mais pousse la tête de Kim un peu plus sous l'eau dans ces moments d'inquiétudes...
Comment écrire ce spectacle ? Comment monter tout cela ? Comment assembler toutes ces choses super liées au fait d'être aveugle ? N'y a-t-il pas aussi des moments moins agréables ?
La première partie donnait du volume à l'image basique de la petite fille aveugle, donner vie et couleurs au schéma en deux dimensions. La seconde partie offre une troisième dimension d'un autre type, la profondeur souterraine, l'interrogation, les incertitudes et angoisses, le lot de tous, la condition humaine, ses doutes.
Le récit se fait lui-même plus déstructuré, sautant d'anecdotes, de portraits rapides vers des séances d'écritures de groupe pour débloquer la création du spectacle ; surgissent des instants de la vie de tous les jours où l'angoisse de la création empiète sur les activités habituelles. Par touches, les mêmes commentaires bêtes réapparaissent, comme dans l'enfance, comme toujours ; "de quelle couleur sont vos boutons ?" demande une infirmière par téléphone, "médicaments anti-stress ? ma pauvre, tout doit être tellement stressant dans votre état" s'exclame la pharmacienne. Bêtise à faire peur plutôt qu'à faire pitié. Bêtise qui donne envie d'un câlin bien au chaud dans sa chambre, incapable du rire haut de l'enfance criant "mais si, je peux". Les choses liées au fait d'être aveugle sont aussi les interrogations du sujet moderne, comment aurait-on pu en douter ?
Cette profondeur sombre m'a fasciné - pourtant, dieu sait si j'avais aimé les histoires de Kim entendues auparavant, leur humour parfaitement temporisé. Son "style". Cela m'apprendra aussi, bien sûr, à proclamer "je connais son style" sur la foi d'une demi-douzaine de textes courts...
Qu'importe les limites de mon sens critique. Cette épaisseur, et cette bien jolie composition souple, donne une réalité moins idéalisée, plus nuancée, à son humanisme dynamique. Elles demanderaient à être écoutées de nouveau.
Quel intérêt y-t-il aujourd'hui à présenter l'enquête d'un meurtre au cinéma ? Un polar classique ?
Bien sûr, il y a toujours le suspens associé à l'enquête, ainsi que l'intérêt du fait divers comme reflet d'une société ; n'était-ce pas Sartre lui-même qui raffolait des faits divers ? Mais par delà la curiosité liée au thème, quel est l'intérêt de présenter une telle histoire au cinema ? Que montrer après Seven, après les écrans de télé déjà surchargés d'enquêtes en tout genre, plus ou moins malignes, plus ou moins bien réalisées ?
Il y a toujours le risque de se retrouver avec un résultat vide, scolaire, presque ennuyeux. Ce qui serait somme toute acceptable pour un écran privé, regardé d'un oeil distrait en finissant la glace du dessert après une journée un peu longue au boulot ; mais qui ne fait pas vraiment sens d'un point de vue cinématographique...
Bien sûr, les films policiers intéressants n'ont pas manqué ces dernières années, et sans même chercher longtemps, je songe à La Nuit Nous Appartient ou Le Petit Lieutenant ; l'angle parodique de Hot Fuzz est réjouissant, mais rappelle les difficultés d'une telle entreprise menée sous un angle sérieuse. Le jeune canadien Ed Glass-Donnelly emprunte donc un chemin périlleux : petite ville rurale d'Ontario, une femme retrouvée nue et assassinée, un policier envoyé par la province pour assister le duo d'officiers locaux. Le tout agrémenté d'une histoire de rédemption, le flic un peu violent qui s'est récemment converti à la religion. Tout y est, rien ne manque pour un petit polar rural ; mais que pourra-t-on retenir ?
Dès les premiers écrans, l'oeil est accroché par la beauté des images. Les petits éléments narratifs se mettent en place, mais l'attention reste surtout en éveil face à ces superbes cadres, une photo léchée, à la fois lumineuse mais blafarde, un arrière-goût de ciel gris et de boue, un sens de l'espace ajusté. La réalisation est soignée, un soin pas si éloigné d'ailleurs de celui apporté aux images du plutôt superficiel Daydream Nation. Un autre exemple de film indépendant pour maniaque de l'image, bien réglé, assurément tourné en numérique, et la campagne d'Ontario résonne superbe à l'écran, assez fascinante.
Mais le soin maniaque de la réalisation atteint quelques sommets saisissant par l'apparition de la musique, clouant le spectateur dans son siège. Des voix envahissent tout l'espace, une sorte de choeur gospel où flotte également la voix rauque d'un chanteur blues / country, mélopées saccadées ; offrant une atmosphère multiple, des échos de campagne nord américaine, les chants d'une foi mélancolique, un élan pieux mêlant nouveau et ancien testaments, appel à la rédemption christique mais aussi reconnaissance de la violence humaine, du meurtre. Le film se fait vidéo musical, montage de séquence courtes, clip de chanson où la lumière des plans se double de travellings réglés, de mouvements joliment tissés. L'effet est très fort.
Voici le poids d'une légende locale, la matière de plusieurs articles du journal local, les histoires que raconteront les anciens dans trente ans, quand on fera vivre encore le souvenir du meurtre, "du" meurtre de la ville. Le poids d'une sorte de tradition orale, ce qui construit doucement l'identité d'une région. Voilà de quoi expliquer un peu l'intérêt porté à ce meurtre précisément, dans cette petite ville.
Car il faut bien être honnête, l'enquête ne réserve pas vraiment de rebondissements. Un témoin, un unique suspect, une paire d'interrogatoires, un seul détail pour dénouer le tout ou presque ; un dira poliment que la trame est minimaliste. L'enquête est assez décevante en soi, presque étriquée, et la durée du film donne envie d'en voir plus : 75 minutes à peine !
Glass-Donnelly a définitivement pris le parti de garder un intrigue simple, dont l'absence de rebondissements est presque caricaturale. Comme s'il semblait dire : il fallait un prétexte, mais laissez-moi filmer, laissez-moi assembler la musique, choisir les comédiens, les visages marquants, laissez-moi montrer. Car si la trame policière est assez anodine, si l'histoire de rédemption elle-même manque un peu d'envergure, il reste le souvenir de visages, de voix, de paysages ; groupe de paysans germanophones, cette grand-mère aux rides sublimes offrant le thé et montrant un ours en tricot, les commentaires d'une commère sirotant un café au lait dans le dinner du coin. Oui, on aimerait recevoir un peu plus de ce film, un peu plus d'histoire, mais on reçoit déjà de beaux moments d'humanité, la captation de la vie d'une petite ville d'Ontario, loin, perdue.
Il n'est souvent pas besoin de grand chose pour justifier une envie de cinéma : l'envie de filmer certaines personnes et certains endroits.
Capital Slam Finals are coming soon: the Ottawa slam champion will be known on June 10th!
I have already published some pictures of the 8 finalists in a previous post, pictures shot during the semi-finals. I have published videos of the semi-finals performances by Rusty Priske and Sean O'Gorman. The idea of mixing the two approaches was rather obvious: assembling video clips from the 8 finalists in order to offer some teaser for the finals...
I had videos for 3 of the Capital Slam finalists. But thanks to Rusty, I was able to get into contact with Greg Boyd and Ragaeed who had shot other semi-finals performances. Perfect complement to get a taste of the competition to come. Thanks to them to make their videos available!
Don't miss the finals. In addition to the tough competition surrounding the Ottawa slam championship, the night will provide the 5 new members of the Capital Slam team...
CAPITAL SLAM FINALS
FRIDAY, June 10th, 6:30PM
Alumni Auditorium - University of Ottawa
If you want to check videos of full performances from Capital Slam semi-finals, check Greg's and Ragaeeb'sYoutube channels...
Panda Bear, une longue histoire d'amour, un coup de foudre début 2007 par l'immense Bros, morceau de 12 minutes à samples, à étages, à couches, à échos - une chanson monde comme il y a des livres mondes, une oeuvre multiple dont les écoutes n'épuisent pas l'épaisseur, la capacité de renouvellement et de fraîcheur. J'en parlais le 31 décembre 2007 ici, et le texte n'a pas trop mal vieilli, même s'il ne pouvait prévoir que ma fascination pour Bros serait intacte début 2011...
La sortie de Tomboy était donc un événement : un nouvel album de Panda Bear !
Le précédent, Person Pitch, offrait généreusement 7 titres, dont 2 durait près de 12 minutes. Dans Tomboy, il y a 11 titres, dont 2 seulement dépassent les 5 minutes - et sans aller plus loin que 7 minutes. Un album pop de Panda Bear ?
Pas vraiment, d'autant que la musique de l'ami Panda est à diffusion lente, se laisse doucement apprivoiser, avec gentillesse, mais avec patience. Un album doux au flot léger et frais, avec toujours cette voix à la fois nimbée d'écho et à la belle clarté, avec toujours cette limpidité des sons, ces petites rythmiques répétées encore et encore avec d'infimes variations. C'est beau, c'est agréable, c'est un bel album à écouter un matin de week-end, ou un soir dans la lumière tamisée d'un canapé, ou pour une promenade aux pas paresseux entre le vert printanier des bourgeons ; un album pour rêveries paisibles, où l'esprit se laisse guider par les ondes pour inventer ses propres paroles ou tisser ses propres images.
J'ai déjà écouté Tomboy plus d'une douzaine de fois ; je garde toujours cette double impression, accueil agréable, poli, engageant, mais aussi ce léger sentiment d'insaisissable, de perpétuel dépaysement ; marcher sur une toile vaguement distendue, léger sentiment d'ivresse. Une petite perte de repères, dans le bon sens du terme, la liberté offerte chaque fois, jamais vraiment épuisée par la répétition. Preuve d'une certaine richesse de la musique ; ou d'un amour certain de ma part pour cette musique - donc d'une richesse que j'y trouve, ou que j'y crois trouver ; une musique aidant à l'invention. Laissant toujours la porte ouverte, et les fenêtre également pour quelques courants d'air dans les rideaux.
Et voici maintenant une vidéo pour le titre Alsatian Darn, un de mes préférés de l'album, un qui me reste en mémoire au milieu de cette grande homogénéité.
Bon, la vidéo est d'un minimalisme basique assez frustrant, à la limite de l'onde d'accompagnement Winamp. Oui, c'est abstrait, des motifs répétés distordus par de sortes de vagues ; ce n'est pas très subtile et répète en gros traits "voici une musique abstraite et sensuelle, voyez comme je la représente !". Il y a bien quelques petites variations, un côté bricolé et basse définition plutôt attachant ; mais cela semblerait un peu bâclé par comparaison à la musique elle-même.
Alsatian Darn, c'est un petit précipité de Panda Bear, les rythmes entrant sur la pointe des pieds, une guitare répété, un son assez organique, jamais froid, et la voix qui murmure à l'oreille tout en restant dans une distance d'écho ; l'effet proximité / intimité / volume typique sur Tomboy. Le fil se construit, puis se distent ici, là, à droite ou gauche, rendant muet une composante pour accentuer l'autre, un jeu discret et fluide, comme des amorces de ponts. Jusqu'aux 3 minutes où Panda Bear commence à jouer avec l'expression Say What, le mot Say modulé en boule de caoutchouc souple, propice aux accents placés en différents points ; un petit climax, ces Say distendues résonnent souvent à mon oreille, un motif marquant, frappant, touchant. Et une fin de morceau lentement refermée, laissant un peu d'air et d'espace à la musique sans parole, comme on reprend son souffle, on détourne le regard pour profiter de l'instant juste une poignée de seconde, une conclusion de morceau propre et en pente douce.
Même si la vidéo n'est que basique, elle donne un bon prétexte - si besoin était - pour commencer à parler un peu de Tomboy...
I's been a week now since Capital Slam semi-finals and I've already shown pictures of the 8 future finalists as well of the organizers. But other poets performed that night, starting with the 4 other semi-finalists: Vanessa Baker, Brad Morden, Grace Defined and Danielle K.L. Gregoire. And other poets shared their texts too, before the competition or after it: Sarah Mussa, Kimbit, OpenSecret and Chris Tse.
I don't have pictures for all of them, some of my pictures are not really good... But they are OK for sharing and remembering some moments of the night...
Vanessa Baker
Brad Morden
Grace Defined
Kimbit
OpenSecret
Chris Tse
May, 7th, 2011 - Capital Slam semi-finals - Alumni Auditorium of the University of Ottawa
"Unpaid Wages" by Sean O'Gorman Capital Slam semi-finals - May, 7th, 2011 - Alumni Auditorium, University of Ottawa
I keep exploring the pictures and videos that I took during Capital Slam semi-finals last week. Obviously, some are not good enough to be shared, but some are surprisingly decent - as an pure amator photographer, I take the blame for the bad acquisitions, and I acknowledge the quality of my camera for the good ones...
But I am really happy with some videos, for instance the first minute of the first poem by Sean O'Gorman, entitled "Unpaid Wages". Sean is one of the people in charge of Urban Legends, the slam series taking part at Carleton University; a great poet, with interesting texts, nice rhythms, with a soft but deep way of performing.