Small Town Murder Songs
by Ed Gass-Donnelly (2011)
Quel intérêt y-t-il aujourd'hui à présenter l'enquête d'un meurtre au cinéma ? Un polar classique ?
Bien sûr, il y a toujours le suspens associé à l'enquête, ainsi que l'intérêt du fait divers comme reflet d'une société ; n'était-ce pas Sartre lui-même qui raffolait des faits divers ? Mais par delà la curiosité liée au thème, quel est l'intérêt de présenter une telle histoire au cinema ? Que montrer après Seven, après les écrans de télé déjà surchargés d'enquêtes en tout genre, plus ou moins malignes, plus ou moins bien réalisées ?
Il y a toujours le risque de se retrouver avec un résultat vide, scolaire, presque ennuyeux. Ce qui serait somme toute acceptable pour un écran privé, regardé d'un oeil distrait en finissant la glace du dessert après une journée un peu longue au boulot ; mais qui ne fait pas vraiment sens d'un point de vue cinématographique...
Bien sûr, les films policiers intéressants n'ont pas manqué ces dernières années, et sans même chercher longtemps, je songe à La Nuit Nous Appartient ou Le Petit Lieutenant ; l'angle parodique de Hot Fuzz est réjouissant, mais rappelle les difficultés d'une telle entreprise menée sous un angle sérieuse. Le jeune canadien Ed Glass-Donnelly emprunte donc un chemin périlleux : petite ville rurale d'Ontario, une femme retrouvée nue et assassinée, un policier envoyé par la province pour assister le duo d'officiers locaux. Le tout agrémenté d'une histoire de rédemption, le flic un peu violent qui s'est récemment converti à la religion. Tout y est, rien ne manque pour un petit polar rural ; mais que pourra-t-on retenir ?
Dès les premiers écrans, l'oeil est accroché par la beauté des images. Les petits éléments narratifs se mettent en place, mais l'attention reste surtout en éveil face à ces superbes cadres, une photo léchée, à la fois lumineuse mais blafarde, un arrière-goût de ciel gris et de boue, un sens de l'espace ajusté. La réalisation est soignée, un soin pas si éloigné d'ailleurs de celui apporté aux images du plutôt superficiel Daydream Nation. Un autre exemple de film indépendant pour maniaque de l'image, bien réglé, assurément tourné en numérique, et la campagne d'Ontario résonne superbe à l'écran, assez fascinante.
Mais le soin maniaque de la réalisation atteint quelques sommets saisissant par l'apparition de la musique, clouant le spectateur dans son siège. Des voix envahissent tout l'espace, une sorte de choeur gospel où flotte également la voix rauque d'un chanteur blues / country, mélopées saccadées ; offrant une atmosphère multiple, des échos de campagne nord américaine, les chants d'une foi mélancolique, un élan pieux mêlant nouveau et ancien testaments, appel à la rédemption christique mais aussi reconnaissance de la violence humaine, du meurtre. Le film se fait vidéo musical, montage de séquence courtes, clip de chanson où la lumière des plans se double de travellings réglés, de mouvements joliment tissés. L'effet est très fort.
Voici le poids d'une légende locale, la matière de plusieurs articles du journal local, les histoires que raconteront les anciens dans trente ans, quand on fera vivre encore le souvenir du meurtre, "du" meurtre de la ville. Le poids d'une sorte de tradition orale, ce qui construit doucement l'identité d'une région. Voilà de quoi expliquer un peu l'intérêt porté à ce meurtre précisément, dans cette petite ville.
Car il faut bien être honnête, l'enquête ne réserve pas vraiment de rebondissements. Un témoin, un unique suspect, une paire d'interrogatoires, un seul détail pour dénouer le tout ou presque ; un dira poliment que la trame est minimaliste. L'enquête est assez décevante en soi, presque étriquée, et la durée du film donne envie d'en voir plus : 75 minutes à peine !
Glass-Donnelly a définitivement pris le parti de garder un intrigue simple, dont l'absence de rebondissements est presque caricaturale. Comme s'il semblait dire : il fallait un prétexte, mais laissez-moi filmer, laissez-moi assembler la musique, choisir les comédiens, les visages marquants, laissez-moi montrer. Car si la trame policière est assez anodine, si l'histoire de rédemption elle-même manque un peu d'envergure, il reste le souvenir de visages, de voix, de paysages ; groupe de paysans germanophones, cette grand-mère aux rides sublimes offrant le thé et montrant un ours en tricot, les commentaires d'une commère sirotant un café au lait dans le dinner du coin. Oui, on aimerait recevoir un peu plus de ce film, un peu plus d'histoire, mais on reçoit déjà de beaux moments d'humanité, la captation de la vie d'une petite ville d'Ontario, loin, perdue.
Il n'est souvent pas besoin de grand chose pour justifier une envie de cinéma : l'envie de filmer certaines personnes et certains endroits.
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