29 décembre 2009

Films pour enfants et plus certainement pour adultes

Where the wild things are
by Spike Jonze, with the voices of Forest Whitaker, James Gandolfini...(2009)

by Wes Anderson, with the voices of Georges Clooney, Merryl Streep, Jason Schwartzman, Bill Murray, Owen Wilson... (2009)


Je sors tout guilleret du film "Fantastic Mr. Fox" et il me semble bon de partager quelques petites pensées avec vous. D'autant que cette semaine correspond à la sortie française de "Where the wild things are" ("Max et les maximonstres") et qu'il n'est pas inintéressant de comparer les deux films.

Deux adaptations de livres pour enfants, des classiques de bibliothèques d'écoles. Deux jeunes réalisateurs américains aux univers riches, l'ami Spike Jonze de "Being John Malkovitch", l'ami Wes Anderson de "The Life Aquatic with Steve Zissou". Et deux résultats singuliers et fascinants.

"Where the wild things are" offre une plongée quasi brute dans un univers enfantin inquiet et sauvage. Max se dispute avec sa mère, saute en bateau pour rejoindre l'île des Maximonstre, grosses peluches dangereuses de 3 mètres de hauts. Les voici courant, dormant empilés les uns sur les autres, marchant dans le désert ou construisant des cabanes. Voici 40 pages d'album illustré changées en 1h30 d'images sensuelles et intenses, en scènes traduisant l'incertitudes, en pures plaisirs musicaux et esthétiques.

Wes Anderson, quant à lui, plonge dans l'enfance comme on déballe un immense coffre de Playmobile ; et d'ailleurs, on y mélange aussi les Legos, les musiques de ses vieilles cassettes à bande, et les blagues du grand frère que l'on ne comprend pas trop. Voici donc Mr Fox, le voleur de poule, déclencheur d'une guerre totale avec les 3 fermiers du coin. Les détails défilent réjouissants et innombrables, les images flottent sépia entre les traits d'esprits, et l'énormité du combat fermier / animaux s'écoule réjouissante dans sa folie démesurée.

Deux approches assez différentes donc, l'état de nature ici, la finesse d'esprit du newyorkais francophile là, mais certaines intentions restent étonnamment proches. Il s'agit ainsi de films ayant le plus profond respect pour l'enfance et les enfants.

L'innocence enfantine est assurément réelle puisque la sagesse vient avec l'age et les expériences, mais ce cliché d'innocence m'agace un peu. Je ne peux m'empêcher d'y voir une excuse pour servir des histoires cul-culs, plates, niaises, du prémaché et du gag facile. Ce n'est pas le cas ici, et cela fait un peu penser aux aspirations de Christophe Honoré quand il écrit ses livres pour enfants ; il souhaitait ainsi écrire un livre pour enfant sur la mort de son père, il aspire à des livres pour enfants offrant de vrais sujets.

Et c'est bien le cas ici où s'affichent la cruauté, la ruse, les conflits de groupe, les angoisses. Les grosses peluches géantes ou les poupées renard présentent une étonnante profondeur de sentiments, une belle épaisseur aux douces fragilités, jamais unidimensionnelles. L'un des aspects les plus fascinants de ces deux films est certainement la direction d'acteurs ; pour une fois, il semble possible d'utiliser ce terme pour le doublage d'un film d'animation. Clooney, Merryl Streep, Forrest Whitaker ne sont pas ici comme arguments marketing pour l'affiche, ils sont gages de la profondeur des personnages, la clé qui permet de suivre le réalisateur et d'entrer dans son univers. Grosse bête toute poilue au ventre rond capable d'émouvoir le spectateur, simplement car c'est un vrai personnage, un être ; les acteurs de doublage ne surjouent pas, il est d'ailleurs assez saisissant d'entendre ces poupées parler comme des adultes. Après quelques minutes d'adaptation, il ne persiste qu'une envoûtante justesse.

Alors bien sûr, ces films ne sont pas des objets communs et leur succès au box office américain a été plutôt limité. Comment aurait-il pu en être autrement ? Lors des premières projections tests de "Where the wild things are", la moitié des enfants s'est enfui terrifiés par les images. Et d'ailleurs, dans la salle où j'étais, une mère et ses deux gosses est partie au bout de 10 minutes. Films sur l'enfance peut-être pas totalement destinés aux enfants, pas à tous les enfants, rien qu'à ceux aimant bidouiller des histoires un peu bizarres.

Et d'ailleurs, ce positionnement bâtard laisse sceptique certains adultes également. Certains critiques de Télérama s'étonnent qu'on puisse s'amuser durant 90 minutes avec de grosses peluches sur un écran, chose qu'on ne fera jamais avec son fils. Et mon collègue considère "Mr Fox" comme l'un des plus mauvais films qu'il ait vu ces dernières années, il m'a vivement déconseillé d'aller le voir...

Mais la plongée dans ces univers uniques vaut assurément de prendre le risque d'être décontenancé.




Une invention du mensonge bien sage

The invention of lying
by & with Ricky Gervais, with Jennifer Gardner (2009)

Et si le mensonge n'existait pas et n'avait jamais existé ?
Nul ne peut dire ce qui n'est pas et voici le serveur présentant un vin qui n'a pas l'air terrible ce soir ou une secrétaire annonçant à son patron qu'elle le déteste. Point de départ simple et efficace pour une comédie, et les situations singulières ne manquent pas dans les premières minutes : comment travailler pour la publicité sans mentir ? comment donner espoir à un malade quand on sait qu'il va mourir ce soir et ne peut s'empêcher de lui dire ? comment tourner un film quand les concepts de fictions et d'acteurs sont inimaginable ?

Bien entendu, un homme va un jour dire un mensonge et se libérer de l'emprise du réel. Un petit homme ventripotent, récemment viré, rembarré par une jolie fille dès le premier rendez-vous : un petit loser, mais un loser malin, c'est plus drôle ainsi. Il peut donc améliorer son ordinaire, et redonner un peu de bonheur aux gens, car bon, il veut leur bien.

Le parti pris du film est assez original finalement car cette invention du mensonge n'est pas contagieuse. Seul le petit homme rond ment et invente des histoires, et personnes ne s'interroge. Voilà un système poussé à son extrême, qui génère quelques scènes magnifiques et grandioses : voici notre petit homme rond apportant les tables de la loi dictées par l'homme qui réside dans le ciel, deux feuilles de papier collées sur des boîtes de pizza... Epiphanie à la pizza bientôt reproduite sur des vitraux d'Eglise...

Mais cette absence de contagion du mensonge n'est pas le seul parti pris extrême du film. Voici une population qui ne sait mentir, mais semble surtout incapable de raisonner irrationnellement. Ainsi, avant d'envisager un mariage, il faut songer aux potentiels des deux parents, afin de ne pas pénaliser les enfants. Satire simple de la société américaine, assurément, mais dont le lien avec le mensonge ne semble pas évident, et peine à vraiment se renouveler dans la seconde moitié du film.

Car le parti pris le plus extrême du film est assurément son faux rythme. L'absence de mensonge semble rapidement générer une absence de spontanéité chez les protagonistes, tournant leurs idées 7 fois dans leur tête avant d'oser prononcer une parole. La folie à froid du début, parfois vertigineuse, se change bien vite en absence de folie, un humour distant, pas désagréable, mais peu stimulant. Il y a bien quelques saillies, quelques sursauts, mais les idées ne semblent utilisées que mollement, les situations pas poussées à leur extrême, les possibilités du scénario pas explorées totalement. Quel monolithisme des personnages ! Quel patience dans les situations : où sont les comédies de l'Age d'Or et leur rythme haletant, leurs dialogues mitraillettes ?

Un film singulier donc, un peu frustrant par sa sagesse et son manque d'exploration...



28 décembre 2009

Clint ne sait pas trop quoi faire de Mandela

Invictus
by Clint Eastwood, with Morgan Freeman & Matt Damon (2009)

Afrique du Sud, début des années 90, fin de l'apartheid, voici Nelson Mandela libéré après 27 ans d'emprisonnement, le voici bientôt élu président de la République. Le plus dure est-il fait ? Ce sont 43 millions de personnes qu'il faut réconcilier et guider vers de nouveaux idéaux, en plus de résoudre les graves problèmes économiques et réinsérer le pays dans la communauté internationale. Forger une identité, tout un défi.

Une partie de cette construction identitaire s'est lancée grâce à la Coupe du Monde de rugby de 1995, remportée par les Springpbocks sur leur sol. Le rugby, cet emblème blanc, détesté par les noirs ; mais lors de la finale, Nelson Mandela descendra sur le terrain en maillot Springbock devant une foule enfin arc-en-ciel. En fin politique, le prix Nobel de la paix a tiré profit de l'événement pour créer un peu de vivre ensemble, en particulier en demandant l'aide de François Pienaar, capitaine de l'équipe.

L'histoire est belle et naturellement, voici un film pour la conter. Affiche ambitieuse avec l'ami Clint Eastwood à la réalisation et deux grosses têtes d'affiche pour le casting. Les deux comédiens se glissent parfaitement dans les costumes requis : le vieux sages noirs et le sportifs blonds et attentifs. Comme Clint sait toujours construire des plans magnifiques, c'est un spectacle haut de gamme qui s'écoule à l'écran, mêlant paysages, population, sport mondial et réunions politiques soft.

Difficile de ne pas comparer cette leçon politique avec le "Milk" de Gus Van Sant, les hésitations et ruses tactiques du député gay de San Francisco. Entre autres choses, Harvey Milk s'investissait dans le nettoyage des crottes de chien pour recevoir les grâces des électeurs et faire accepter sa réforme des droits homosexuels ; il tâtonnait dans son militantisme de proximité, échangeaient des paroles dures avec ses opposants au conseil municipal. Rien de tout cela ici : la gestion de l'Afrique du Sud post-apartheid semble bien plus simple que celle du conseil municipal de San Francisco dans les années 70 ! Le film d'Eastwood manque terriblement de tension, jouant uniquement le sous-entendu pour évoquer les enjeux politiques et les obstacles. Voici Nelson Mandela fronçant soudain les sourcils et maugréant : "mais bon sang, comment allons-nous faire pour stopper Jonah Lomu ?"

Le contenu historique et politique laisse donc un peu le spectateur sur sa faim, celui qui aurait aimé voir un peu plus loin que la belle histoire sportive et sociétale. Doucement superficiel dans son élan général, le film flotte cependant magnifique durant ses quelques passages dans les townships, dans les superbes plans de rugby, des images sportives d'une qualité rarement vue sur grand écran.

Mais la meilleure idée du film n'a rien à voir avec le casting de stars, les travellings d'Eastwood ou la qualité du chef op'. A son arrivée au pouvoir, Nelson Mandela est entouré de gardes du corps noirs, bien peu nombreux ; le président réembauche donc les anciens agents de sécurité afrikaner, générant une forte tension raciale, pleine d'anciennes rancoeurs. Voilà un exemple simple d'une collaboration nécessaire entre noirs et blancs, un exemple terriblement frappant. La progressive collaboration de ce petit groupe se goûte comme une miniature métaphorique et simple, une jolie perle dans ce film pas totalement convaincant.