Bright Star by Jane Campion, with Abbie Cornish & Ben Wishaw (2009)
"Je recherche les instants poétiques. Ces moments où les mots veulent sortir trop vite, se bousculent, s'échappent, incontrôlables."
La poésie romantique offrait lyrisme et débordements, et John Keats en fut un des plus beaux représentants du Royaume-Uni. Verve magnifique et bouffées follement amoureuses nimbent ses plus beaux poèmes, parfaits témoins de sa légende ; amoureux fou pendant trois ans de Fanny Brawne, il meurt de la tuberculose à 25 ans. Ses derniers vers témoignent d'un amour immense & désespéré, dément - Fanny et John n'ont pourtant pas échangé plus que quelques baisers.
L'histoire laisse rêveur, touchante aux yeux d'un large public, bien plus large que les spécialistes de vers romantique. Il est presque surprenant que le cinéma ne s'en soit pas emparé plus tôt ou plus souvent, étant donnée la stature de Keats dans le monde anglo-saxon.
Jane Campion s'attaque donc au mythe rempli d'enthousiasme et de respect. Elle n'hésitait pas à parler de "la première grande histoire d'amour moderne", plus touchante que Roméo & Juliette - simple fiction. Les costumes du XVIIIème siècle s'animent donc parfait à l'écran, les jeunes visages, un superbe accent britannique & une belle diction ; esthétiquement proche de la perfection.
Pourtant, le film ne m'a pas totalement convaincu. Je le reconnais, je suis certainement passé à côté des subtilités de la langue anglaise, très recherchée, niveau trop élevé pour mon anglais moderne et pas totalement courant. Mais c'est l'élan du film qui a plus fait question à mes yeux : où allait-il ? avec quelle envie de lyrisme, quel bousculement, quelle envie d'images qui s'échapperaient toutes seules ?
L'interview de Nicolas Sornega m'a à nouveau revenu en mémoire. Cherchant à réaliser un documentaire sur le poète Matthieu Messagier, il avait avoué s'être trouvé dans une impasse. Comment montrer la poésie de Messagier à l'écran ? Pas par l'interview, ni les lectures banales de vers, mais en faisant soi-même de la poésie, par les images & son film lui-même.
Et c'est quand Jane Campion se fait poète que Bright Star s'élance et trace des vers à l'écran, rendant hommage à la poésie. Voici Keats allongé au sommet d'un arbre en fleur, voici un coeur de voix d'hommes qui se prolonge dans la scène suivante, un plan très large sur un champs au vert magnifique, une entrée au bois dans un décor enneigé. Les jeux de teintes sont souvent brillants, la mise en scène maîtrisée, comme ce superbe plan de 1-2-3 soleil improvisé avec une gamine rousse. Beau, vif, frais comme un amour de vingt ans.
Mais l'ensemble du film ne tient pas cette folie et goût esthétique purement cinématographique. Sans même parler de la longue marche à la mort de Keats, beaucoup de passages génèrent une étrange déception. Keats et Fanny assis côte à côte, mêlant leurs doigts, pendant que Keats offre, ému, ses plus beaux vers d'amour ; beau, mais tellement classique, presque distant et froid, avec un jeu convenu : comme les regards instables de Keats semblent prévisibles. N'y avait-il pas moyen de chercher un montage plus original, peut-être plus éloigné de la réalité, plus fantaisiste ? La conventionnelle biopic apporte un peu trop de sagesse aux élans picturesque magnifiques de Jane Campion.
A tel point que je me suis interrogé : suis-je vraiment intéressé par une telle histoire d'amour ? Amour débordant de jeunesse, amour fou, amour tragique et donc éternel. Le déroulement du film m'a surtout donné une impression d'histoire mono-dimensionnelle, plus que de mythe idéal & indépassable.
Je n'aurais certainement pas dit cela il y a quelques années ; mais même grandiose & follement romantique, cette histoire d'amour en costumes m'a paru bien plate, m'a à peine touché.
Quel intérêt à retranscrire avec tant de respect cette histoire réelle ? Comment aurait-on pu s'y prendre pour éviter les pièges de la reconstitution ?
Explorer la place de Keats dans le public actuel aurait pu être intéressant, en partie mêlée avec les faits historiques. Quoique les risques de superficialité deviennent plus grands, puisqu'il faut développer deux demi-films. D'ailleurs, oups, l'expérience a été réalisée pour une autre figure tragique de la littérature anglaise, Virginia Woolf. The Hours ; quoique Prix Pulitzer, le roman n'est pas loin de la catastrophe et de la caricature, et le film ne surnage que grâce à ses actrices...
De même, quelques plans de nature, bruts, m'ont laissé espérer une poésie discrète et puissante comme celle de Lady Chaterley de Pascale Ferran. Bien sûr, le caractère platonique des amours de Keats rendait impossible des élans sensuels comme ceux de Marina Hands ; mais cette plans de fleurs et de nature m'ont paru assez sous-exploités par Jane Campion...
Ou n'aurait-il pas fallu tenter une expérience plus folle, un système mêlant rêve et réalité historique ? Une approche façon Todd Haynes cherchant à capter Bob Dylan dans I'm not there, irrespectueuse des faits bruts, mais visant au respect de la légende, de l'image, du travail de l'artiste. Démarche très risquées & instables, mais les rares moments fantaisistes de Bright Star laissent quelques regrets...
Mais d'une certaine manière, cette approche totale & débridée a déjà utilisée pour rendre hommage à John Keats ; il s'agit d'Hyperion, le cycle de Science-Fiction de Dan Simmons. L'histoire de Keats apparaît à travers un clone créé à partir du code génétique du poète, et la destinée de l'univers se voit liée au poète romantique, les planètes nommées comme ses poèmes, les lieux, les personnages. Hommage post-moderne indépassable, à la créativité vertigineuse, qui m'avait fait rêver de la destinée de Keats pendant de longues semaines ; Bright Star paraît bien pâle par comparaison.