6 juillet 2009

Un blockbuster élégant mais étonnamment creux

Public Enemies
by Michael Mann, with Johnny Depp, Christian Bale & Marion Cotillard (2009)

Une histoire de gangster célèbre, quelques courses-poursuites, fusillades, un peu d'amour, de grosses têtes d'affiches ; pas de robots ni de vaisseaux spatiaux, pas de 3D : voici le blockbuster d'auteur pour l'été, grand film à l'ancienne à grand sujet et sans tics pop pour teenagers. Public Enemies de Michael Mann, le plus auteur des réalisateurs à gros budgets.
Quel dommage qu'il n'y ait pas vraiment d'histoire ni de contenu pour autant.

John Dillinger a été le dernier grand gangster éliminé par la police à Chicago, dans les années 30 ; trahi par sa compagne d'alors, abattu froidement à la sortie d'un cinéma, en pleine rue, par un bataillon de policiers. Histoire complexe idéale pour le grand écran, avec héros romantique, histoires d'amours, grands personnages historiques et tout le côté spectaculaire des gangsters de la prohibition. Pouvait-on rêver mieux pour un scénario de film, c'est à se demander pourquoi aucun film n'a été réalisé plus tôt.

Hélas, une grande trame historique ne suffit pas pour un film, même avec une abondance de personnages, de scènes spectaculaires et de plans léchés à la caméra numérique haute définition. Le film s'écoule fluide avec des acteurs justes mais une question s'infiltre peu à peu, insidieuse mais rapidement obsédante : que raconte vraiment ce film ? Quel est son sujet, de quoi parle-t-il, que veut-il nous apporter ? D'un braquage de banque à un dîner en tête à tête avec Marion Cotillard, d'une réunion du FBI naissant à une traque nocturne en forêt, le spectateur s'étonne de ne pas trouver vraiment prise. Des plans plutôt bien filmés, parfois surprenants, mais dont on est incapables de dire ce qu'ils véhiculent vraiment, quels sentiments ou symbolismes ils peuvent suggérer. De même pour les acteurs, dont la justesse se déroule étonnamment monocorde et plate, sans vie, sans épaisseur. Bon sang, mais quid ?

L'interrogation est renforcée par le thème du film, les gangsters de la prohibition, sujet largement traité à l'écran. Pourquoi donc vouloir filmer à nouveau une telle histoire, vouloir la présenter à notre époque ? Pourquoi Dillinger après les Incorruptibles, Scarface, voire même Amrican Gangster et son deal de drogue 70s, après les costumes du Parrain et sa trame narrative haut de gamme ?

Quelques éclats thématiques surgissent pourtant autour des méthodes du FBI. Une guerre déclarée au banditisme. La torture des témoins et des suspects. Les fusillades sans presque aucune sommation, tirant pour tuer. Parce qu'il faut faire respecter la loi et la justice à tout prix. Voilà le léger message livré avec une balourdise parfois impressionnante : peut-on tout se permettre dans la lutte contre le crime (entendre : contre le terrorisme) ? Les premières scènes de tortures ont déjà suscité quelques soupirs, peut-on faire plus convenu dans un film américain post-Irak qu'une scène de torture, même James Bond en a subi récemment ; quand le tortionnaire s'attaque finalement à une femme, la scène devient juste désagréable, pas plus signifiante, juste moche ; quand la scène est interrompu par "il est indéfendable de faire cela à une femme", on ne sait plus trop qui blâmer, du réalisateur paresseux, du scénariste, ou de l'actrice qui a accepté ce passage tellement mécanique dans son jeu d'acteur. Heureusement, les 2h30 du film arrivent bientôt à leur terme à cet instant...

Public Enemies navigue donc dans des mers assez surprenantes. Plutôt joli et bien cadré, mais à l'image trop souvent lisse, sans personnalité. Aux comédiens sobres et plutôt justes, mais dont la sobriété confine rapidement à une distance et une opacité sur laquelle on ne trouve aucune prise. Films aux scènes souvent descriptives, brutes, sans commentaires, mais dont les passages sensés livrés un message sont bien maladroits. Pas vraiment désagréable, mais un peu agaçant si l'on y réfléchit trop ; peut-être suffit-il de laisser s'écouler les images mystérieuses sans chercher à les capter.

Comme ces scènes où Dillinger va au cinéma, admirant longuement les acteurs en noir & blanc sur l'écran, où défilent des comédiens aux mêmes fines moustaches.

Ou ces instants de violence pure, déchaînements de coups de feu sans fin dans les rues de Chicago, filmés sans musique aux plus près des personnages. Voici "Le Soldat Ryan" à Chicago, la guerre urbaine, la guérilla la plus brute comme dans les rues du Proche Orient. L'homme est une bête sauvage en tout point du globe : y a-t-il grand chose d'autre à en dire ? Qu'importe, les panaches de flammes sortant des mitraillettes s'affichent magnifiques et fascinantes dans les ténèbres chères à Michael Mann.


4 juillet 2009

Le jeune Trombone Shorty étouffe le révérend

Concert de Trombone Shorty
27/06/2009 - Ottawa Jazz Fest
La foule debout tape du pied, bras en l'air et battant des mains, hurlant de joie : samedi 26 juin, plus grosse affiche du festival de jazz d'Ottawa, le public est nombreux et enthousiaste devant la performance ; cependant, il ne s'agit pas encore du concert d'Al Green, la tête d'affiche, mais d'un groupe de la Nouvelle Orléans, mené par l'impressionnant Trombone Shorty.

Cette équipe de 7 musiciens libère une énergie impressionnante à la suite du leader, le grand Trombone Shorty. Le jazz funk bondit sans fin entre les mains de ces jeunes gens aux looks parfois surprenant, tel cet immense et massif Big D derrière ces tam-tams, aux airs de rapper échappé d'un clip Gangsta Rap. Tous excellents techniciens, de la guitare à la basse, de l'impressionnant batteur au saxophone sauvage ; et pourtant, le patriarche du groupe ne dépasse pas les 26 ans. Mais Trombone Shorty s'affiche en leader incontestable, bête de scène sautant du trombone à la trompette, maniant parfois toute sa troupe du bras pour accompagner au mieux un long solo de saxophone.

Le public amateur de jazz se retrouve face à une vivacité magnifique, libération d'énergie brute et polie, la puissance d'un grand concert en plein air ; voici donc les paisibles quinquagénaire d'Ottawa qui s'essaient à quelques pas de danse hip-hop sous les conseils du bavard Trombone Shorty. Un bavardage plein de tchatche, sorti tout droit de la grande ville de la Nouvelle Orléans, à l'accent nébuleux, à la fois nonchalant et tendu : "N'hésitez pas à aller boire des bières. Plus vous boirez, et plus vous aurez l'impression que notre musique est bonne !"

L'euphorie musicale aboutit même à une réussite insoupçonnée : un medley décent et efficace de musique de Michael Jackson. Trois ou quatre morceaux enchaînés en version funk instrumentale, avec riff de saxophone pour Bad ; la foule réagit ravie, danse, chante, devient folle, et voici peut-être le meilleur moyen de rendre hommage au King of Pop. Loin de l'overdose médiatique et des articles similaires, voici cette pop efficace vivante, partagée par ce public immense, par tous ces amateurs de musique.

Après cette performance surprenante et explosive, le révérend Al Green fait presque pâle figure. Groupe professionnel, certes, mais dont le son est réglé sans finesse, dont la personnalité des musiciens est effacée derrière l'égo immense du performer soul. Peut-être la foule aurait-elle été moins tentée de s'agacer si le révérend a pris la peine de chanter un peu plus, de lancer moins de roses dans la foule ou de passer moins de temps à se rouler par terre.

Certains errent déjà nostalgiques du génial Trombone Shorty et de son gilet de corps sans manche, cherchent à en piéger encore un peu de magie du côté de la boutique de CD. Las, le kid de la Nouvelle Orléans est arrivée sans disque, tous les exemplaires ayant été vendus lors des concerts précédents ; ce qui est peu surprenant. Attitude un peu jeune, se dit-on, tellement moins professionnelle que le vétéran révérend, et tellement plus fraîche et musicale.




2 juillet 2009

La guerre comme un grand ballet burlesque

Catgut Strung Violin
by Tricklock Company, directed by Elsa Menéndez

28/06/2009 - Ottawa Fringe Festival

De magnifiques moustaches se recourbent loin sur les joues, courbes parfaitement circulaires au-dessus des uniformes, des galons et des médailles. Les impressionnantes postiches oscillent au grès des lèvres mobiles et de leurs mous pincées, des haussements d'épaules, des pas décidés et des froncements de sourcils, la situation n'est pas facile ; le recrutement de nouveaux soldats demande un peu d'imagination et de ruse. En particulier pour rallier des jeunes innocents comme ce jeune joueur de violon au teint roses et aux yeux immenses. Il faut de l'obstination, de l'à-propos, du rythme, et les accords de piano entêtant martèlent les péripéties de la scène muette et incongrue. Moustache, piano et humour visuel, le Fringe Festival nous présente à nouveau un bel hommage au cinéma muet, fin et drôle dans son jeu subtilement outré, et collant parfaitement au propos de la pièce ; la guerre est une farce, une immense arnaque ridicule aux gestes et déguisements amusants.

Catgut Strung Violin parvient à maintenir ce rythme tout au long des soixante minutes de spectacles, les aventures d'un garçon trop jeune et naïf envoyé à la guerre, assurément au Vietnam. Les trois comédiens rivalisent de trouvailles de mouvements, la guerre est définitivement absurde quand des soldats sur le point d'être fusillés se mettent à danser les yeux bandés, en entonnant un chant folk traditionnel. Soldats un peu enfantins et clowns, multipliant les acrobaties, poiriers et roues, pour enfiler leurs chaussures, ou sautant en sous-vêtement au milieu d'un champs de mines, large marelle boueuse et morbide. Presque aucune parole dans ce balai burlesque, si ce n'est le contenu des lettres envoyées par le candide violoniste à sa très chère maman. Le spectacle parvient à ne pas trop se perdre dans ses réjouissants numéros burlesque, maintenant tant bien que mal son équilibre entre rire et gravité sous-jacente ; parfois, rarement, toute musique cesse, et le silence se fait dense sur scène, le poids terrible de la peur et de la mort après une immense explosion : les éclats de rire ravi se taisent aussitôt, le public observe fasciné et touché, le spectacle touche à son but.

Oui, malgré quelques excès d'enthousiasme comique parfois, le spectacle s'affiche comme une très belle réussite, correspondant à la mission artistique de la Tricklock Company, du Nouveau Mexique :

"Tricklock Company is an international theatre organization founded in 1993 whose mission is to create, tour and produce theatrical productions and is a permanent resident company committed to artistic risk, physicality, absurdism, and poetic work."

"We, TRICKLOCK COMPANY, assert that theatre is a provocative and vital tool for examining the human experience and we present our findings through our work. We assert that theatrical performance is a movement intrinsic to the evolution of our culture".