23 juin 2009

Un joli goût de Charlie Chaplin dans un sous-sol du Fringe Festival

Inclement Weather
by Nicolas di Gaetano

21/06/2009 - Ottawa Fringe Festival

Pantalon large, petite moustache, cheveux courts mais bouclés, poivre et sel, il vient de surgir d'une longue caisse en bois bleue ; regarde sur sa gauche, une lueur commence à clignoter. Une cloche, quelques coups répétés, un souffle de vent, bruits de roues sur des rails métalliques, le train passe ; regards affolées, les yeux zigzaguent de droite et de gauche, la lèvre tremble, le regard reste suspendu hébété une fois le convoi passé. Le train ne s'est pas arrêté.

Le tonnerre résonne sans se faire attendre, la pluie, le vent, la silhouette se met à grelotter devant les quatre rangées de dix spectateur, souriant au sous-sol du Café Alternatif de l'Université d'Ottawa. Aucune parole n'a encore été prononcée mais le public est quasiment conquis par ces quelques minutes, plaisir simple de retrouver un système familier et des repères comiques, cette silhouette rappelant Charlie Chaplin aux mimiques justes et drôles. Le voyageur, ou le vagabond, ou l'étranger, on ne sait pas trop, va peu à peu jouer tout seul pour tuer le temps. Prendre un bain dans sa malle. Imaginer un vélo avec son parapluie. Pagayer jusqu'à une chute d'eau : c'est fou ce qu'on peut faire avec une malle et un parapluie, avec un bon talent de comédien.

Nicolas di Gaetano délivre ses numéros avec douceur, sans trop en rajouter, jouant du regard et interagissant avec le public. Le sel du spectacle tient ainsi aux petits dialogues qui se nouent avec le public, transmission d'un cornichon au premier rang, et surtout collection de mots proposés par le public. Notre vagabond parle très mal l'anglais, en effet, migrant perdu dans un pays froid, voulant aller là-bas, dans cette direction, sur la droite de la scène, côté cour. Il parle à peine l'anglais, mais veut s'exprimer, alors, quand il grelotte, il jette un regard vers le public, et récolte le mot "cold", joue avec content de posséder dorénavant cette nouvelle pièce dans son vocabulaire. Jeu naïf avec les mots, les objets et les mimiques : cinquante jolies minutes de théâtre dégustées avec joie un dimanche après-midi.

21 juin 2009

Découvrir MacIvor au Fringe Festival d'Ottawa

Wild Abandon 
by Daniel MacIvor - directed by Dave Dawson, with Zach Counsil 


Une vingtaine de personnes dans la salle, dispersées sur la douzaine de rangées de chaises installées au sous-sol. Quatre tentures noires pendent sous quelques projecteurs colorés, trois paires de photos grand format, un oeuf en plâtre d'un volume généreux ; un longue chaîne glisse du plafond au plancher en milieu de scène. Un seul comédien au physique massif, aux joues rouges & lisses, au corps étonnamment jeune : Steve nous parle de sa solitude.

Le Fringe Festival débute ce week-end à Ottawa et voilà que reviennent d'agréables souvenirs de festivals de théâtre. Les barrières entourant l'Université d'Ottawa se sont recouvertes d'affiches de spectacles fixées sans discontinuer sur du carton, les abords des salles permettent d'élargir sans effort sa collection de flyer colorés : vous cherchez un spectacle pour ce soir ? Vous aimez rire, vous aimez l'humour noire ? Vous devriez venir découvrir notre spectacle dans le marché, nous jouons dans moins de trente minutes, vous pourrez voir deux des comédiennes les plus intéressantes d'Ottawa ; et nous avons reçu aujourd'hui même de très bonnes critiques dans l'Ottawa Citizen. Nous comptons sur vous !

Réminiscence du festival d'Avignon, ses rues en immense continuum d'affiches et de défilés de troupe, l'incessant ballet des flyers reçus et des petites scènes improvisées pour attirer le spectateur ; les us des comédiens ne varient pas tellement d'un continent à l'autre. Ottawa n'offre pas 800 spectacles comme le festival off d'Avignon, mais le programme propose presque 200 références sur une trentaine de pages, une douzaine de salles à explorer pendant la semaine de réjouissances.

Nous n'avons pas lancé notre exploration du théâtre canadien par l'ostensible Pornstar, son affiche mariant fesses nues et tour de Toronto ; nous sommes allés goûter à Wild Abandon du dramaturge Daniel MacIvor, présenté en sous-sol de l'Université d'Ottawa. Monologue d'une petite heure nous présentant le solitaire Steve, angoissé, doucement paranoïaque, troublé par les interrogations parentales, par l'amour comme preuve de haine, par les différents rôles sociaux de la danse. Spectacle nimbé d'humour sombre, d'excitation désabusée, et le comédien jongle joliment avec les différentes voix présentées, enchaînant avec fluidité les différents états d'âme de Steve. Défi assurément peu évident : MacIvor a créé cette pièce pour sa propre interprétation, et l'on devine les tiens forts entre l'écriture du texte et son jeu de comédien. Mais les circonvolutions absurdes et angoissées sont suffisamment plaisantes pour survivre à une deuxième création : comment résister à la scène d'ouverture, dépeignant un Steve adolescent dans un restaurant, agressé à la fourchette par la femme qu'il imaginait être sa vraie mère ?

Le théâtre de MacIvor méritera certainement une plus ample exploration, vue sa place dans la dramaturgie canadienne des 20 dernières années. Et le Fringe Festival devrait également réserver d'autres jolies découvertes, suggérées par la fin de soirée passée dans un petit parc près de l'Université. Croisement de comédiens et de musiciens échangeant flyers et impressions sur le public de leur spectacle. Un joueur de cornemuse explique que le Canada est certainement le deuxième pays de la cornemuse après l'Ecosse ; il multiplie lui-même les collaborations, il a même repris les Clash avec le groupe ska Rudeboy aperçu le week-end dernier au Westfest. Sur scène, les Snakecharmers laisse couler leur fascinant flot musical : la basse virevolte doucement autour des riffs lancinants de cithares, les mots africains résonnent au dessus des secs bondissements de tam-tam. Un danseur enthousiaste laisse onduler ses membres devenus caoutchouc sous les teintes de l'expérience sonore, et même immobile, on l'accompagne doucement les yeux mi-clos.

20 juin 2009

Une histoire classique, où les indécisions et les mystères racontent plus que le récit

Two Lovers 
by James Gray, with Joaquin Phoenix & Gwyneth Paltrow (2008) 

Travailler dans la boutique familiale, vivre à nouveau dans sa chambre chez ses parents, le même petit quartier et sa communauté étriquée ; flotter les épaules rondes dans une lumière terne ; Leonard ne parvient pas vraiment à sortir de sa dépression, la séparation d'avec sa fiancée ne se dissipe pas. Il ne lève plus vraiment les yeux en marchant et trébuche tout de même, maladroit, il ne voit plus trop où aller ; ne rencontre pas grand monde hors sa famille. Mais deux jeunes filles se matérialisent peu à peu dans son entourage, blonde voisine pétillante, brune relation de ses parents. Les épaules de Leonard se redressent doucement et son teint reprend quelques couleurs.

Two Lovers. Un titre comme un étiquette posée sur un cahier en début d'écriture, un terme général, un label extrêmement simple : tiens, je vais tenter d'écrire un film sur un homme perdu entre deux maîtresses. Un titre mince comme un pitch ou comme la phrase d'accroche d'une bande annonce, un titre comme un programme pour le projet dans son ensemble : Leonard est attiré par la blonde sensuelle, garde un oeil sur la brune timide et sûre, il n'y aura pas de grand rebondissement à attendre. Le titre s'affiche honnête, le fil du récit n'est qu'une banale ficelle placée entre deux punaises sur un panneau de liège, sans twist inouï, sans large ramification, sans l'idée géniale d'un scénariste petit malin. Pas fantôme revenant consoler sa fiancée ni d'amants vieillissants avec des flèches du temps inversées, rien qu'un homme tournant la tête d'une fille à l'autre en un classicisme assumé ; récit compact comme un tragédie, à la fin prévisible qui aura lieu sans surprise en temps voulu.

L'absence de surprise et d'originalité narrative n'a jamais empêché la profondeur d'une récit et la densité de ses thèmes, véhiculée dans sa grandeur formelle. La puissance d'une versification géniale se trouve ici remplacée par le soin apporté aux images, lumière au gris terne, passé, immobile, urbain et terriblement engoncé, à la minutie des cadres tendus par le peintre James Gray. Les plans s'écoulent au plus proche des êtres et des murs, silhouettes au glissement piétinant entre une porte et une fenêtre, entre deux cheminées de briques, une portion de Brooklyn réduite à ses intérieurs et petites cours et rues aperçues au plus bas du sol ; un Brooklyn d'où l'horizon semble avoir disparue, où le plan large se voit quasiment interdit, tout bonnement inconcevable. James Gray tisse minutieusement l'étouffement de Leonard, son monde étriqué, l'enfermement familiale dans des pièces aux vieux bibelots de Juifs de Russie. Thème classique des films de James Gray, la vision du microcosme russe du Brooklyn est poussé aux limites de sa logique d'enfermement communautaire ; évoluer dans une telle Little Odessa distille une douce impression de claustrophobie. A la sortie de ce film, le spectateur se découvre souvent pris d'une envie de marcher longuement dans de larges avenues joliment éclairées.

Cette puissance formelle souligne l'épaisseur psychologique du drame présentée. Le récit ne parcourra qu'une mince distance entre les punaises de début et de fin, mais ce fil apparemment étriqué, sans vraie bifurcation, vibre sans cesse comme les regards fous de Leonard d'une fille à l'autre. La blonde, sensuelle, séduisante, sensuelle, instable, déjà engagée dans une relation complexe avec un riche rival inatteignable ? La brune, douce, plaisant à ses parents, timide, toujours à l'écoute, attentive, aimante ? Leonard saute de l'une à l'autre, terriblement passionné par la vigueur blonde, pas totalement insensible à la douceur brune, et le voici jonglant avec téléphone portable et sorties ici ou là, dîner sur Manhattan ou fête de famille dans une salle des fêtes de Brooklyn ; souvent, sa mère le réveille en fin de matinée.

Oui, Leonard offre une figure de grand adolescent, par son contexte familiale et par ses réactions instantanées, ses réactions immédiates aux propositions qui se présentent : allons en boîte ce soir, allons dîner avec mon amant, allons déjeuner tranquillement au bord de la plage, partons pour San Francisco demain matin, allons-y ! Indécision puérile, jugerons la plupart, instabilité chronique ; n'oubliez pas qu'il prend des pilules pour atténuer ses envies suicidaires, il n'est pas très bien dans sa tête, ce garçon ! Mais n'oublions pas non plus qu'une pilule n'est pas synonyme d'un diagnostique chronique : Leonard a été rompu d'avec sa fiancée par pression familiale il y a quatre mois à peine, après de longues années de vie commune, de nombreux projets de mariage. Quatre mois seulement ; peut-on imaginer retrouver une vraie sérénité en une poignée de mois après s'être trouvé aussi déboussolé ?

En offrant peu à peu des détails supplémentaires, des bribes de l'arrière-plan, le film dessine délicatement un espace de liberté pour le spectateur, un jeu de pistes et d'hypothèses potentielles ; une zone d'indécision et d'interprétation, plutôt agréable pour ceux appréciant de pouvoir construire leur propre histoire à partir du récit qui se déroule à l'écran, loin des cheminements corsetés et unidimensionnels des scénarios. Quatre tentatives de suicide préalables ? Avant cette rupture, juste avant, juste après, étalée sur plusieurs mois ? Signes d'une instabilité profonde ou simplement d'une sensibilité débordante ? Difficile de cerner totalement les personnages, de les résumer en quelques phrases : ils naviguent de quelques pas à peine sur les courts centimètres du fil narratif, mais ils naviguent chargés de toutes leurs dimensions affectives et de toute leur histoire personnelle, que l'on ne devine pas toujours, de même que les personnages peinent à lever toute incertitude concernant leurs relations.

Two Lovers, un film à l'histoire classique et prévisible, mais où, finalement, la présence de mystère s'affiche évidente, le mystère comme caractéristique intrinsèque du sentiment amoureux : que pense l'autre, bien sûr, interrogation classique, mais surtout, le film met en scène un mystère plus profond ; pourquoi une telle attirance ? Leonard ne peut se détacher de la blonde magnifique ; fidèle assurément au sursaut de vitalité qu'elle a généré, attiré irrépressiblement par la sensualité, certes, par la folie douce, l'insouciance, le besoin d'amitié de cette femme ; mais bon sang, pourquoi accepte-t-il docilement sa passion en dépit de tous les signaux contraires offerts par cette femme, son amour profond pour son amant, la manière dont elle se sert de Leonard sans rien lui offrir en échange, rien qu'un peu de tendresse amicale ? Pourquoi continuer à aimer ainsi ? Et cette question se transpose aux autres personnages, en particulier celui de la brune douce et sérieuse : mais pourquoi continue-t-elle à aimer ainsi ce Leonard, aussi instable, tellement indécit ?

En laissant ce mystère ouvert, tout du moins en y maintenant une part d'incertitude, Two Lovers met en scène une caractéristique que les comédies romantiques classiques approchent à peine, ou très schématiquement. Pourquoi se découvre-t-on amoureux et pourquoi reste-t-on parfois fidèle à l'étincelle originale en dépit des vents contraires ? Le film n'hésite pas à s'afficher faible, indécis, et même sans solution, juste ouvert sur l'avenir : comme dans toute tragédie, seul le compromis permet de survivre et continuer, seule la concession aux idéaux permet de respirer encore un peu après l'amour fou.


18 juin 2009

Quelques gouttes de ska canadien pour faire danser la foule

Concert de Rudeboy 
14/06/2009 - Westfest, Westboro, Ottawa 

Le dimanche, au Westfest, n'a décidément rien de country, par rapport au samedi dédié au folklore nord-américain. Fin d'après-midi et voici les Rudeboy, leur trombone et leurs musiciens en short, dansants et blagueurs.

Pas besoin de beaucoup d'indices, il s'agit bien de ska. Un gros clin d'oeil aux Rude Boys anglais du début des années 80, un peu voyous, écoutant des groupes comme The Specials ou Madness ; on se souvient ainsi du titre A message to you Rudy des Specials appelant les Rude Boys à la modération, joli titre relancé en France par une pub de téléphonie mobile avec Marcel Dessailly...

Les Rudeboys connaissent parfaitement les canons du ska depuis leur début en 1997 dans la ville québécoise de Val-des-Monts, à une cinquantaine de kilomètres au Nord d'Ottawa. Ils lancent le trombone et font rouler la basse et laissent rire l'orgue de leurs musiciens hilares aux chapeaux décontractés. Une énorme énergie capable d'enflammer les clubs de la capitale, d'après l'introduction donnée par un présentateur de la radio CBC, et la démonstration donnée au Westfest ne vient pas lui donner tort : au bout d'un petit quart d'heure, c'est une bonne grosse trentaine de personnes qui dansent en tout sens devant la scène, jeunes filles à la robe mauve levant les pieds ou petits garçon mimant les différents instruments dans son T-shirt bleu clair.

On sourit et bouge et danse sans réfléchir en s'agitant un peu dans tous les sens, rien de très original là-dedans, mais c'est cela, généralement le ska : des chansons sans grande surprise mais capables de faire danser une foule entière sur tout son spectre générationnel. Le guitariste en short navigue de droite à gauche sur la scène, finit par sauter dans la foule ; l'homme au trombone lance une reprise ska du thème du Parrain, il porte d'étranges lunettes rondes et blanches pour ce dernier morceau ; la pluie annoncée n'arrive toujours pas dans le ciel bleu un peu nuageux, l'air flotte léger et radieux.




16 juin 2009

Le garage fou de Boom Creek pour un dimanche en famille

Concert de Boom Creek 
14/06/2009 - Westfest, Westboro, Ottawa 

Le parc est encore clairsemé, quelques familles éparpillées sur la pelouse ; sur scène, un quatuor brut déverse son rock bruyant dans la lumière de juin.

Après un samedi country, le Westfest d'Ottawa offre sa scène aux groupes de la ville, et le milieu de l'après-midi voit l'arrivée d'un rock garage à l'impressionnante rugosité. Pour Boom Creek, le concert représente tout, disent-ils sur leur site, la Première Vérité Ultime de leur Philosophie, et cette vérité s'affiche évident sur la scène du quartier de Westboro. Le bassiste dodeline de la tête dans sa veste beige, le batteur assassine sans fin ses fûts, le guitariste et sa barbe font hurler les cordes encore et encore en un blues fort saturé ; le chanteur en marcel blanc vocifère et glapit sans retenue, saturant le micro et les enceintes de paroles incompréhensibles mais à l'énergie incontestable. Entre deux morceaux, il peine à aligner deux mots, ses phrases hachées sans fin par les halètements de sa respiration à bout de souffle ; son visage tremble d'un rouge asphyxié, pense-t-il à respirer de temps en temps entre deux strophes ?

Voici donc les petits Stooges d'Ottawa, une démo de cinq titres à peine enregistrée et diffusée sur CDR dans le festival. Un son fort et énorme, pavé de blues basique, des Rolling Stones primitifs ou des Whites Stripes jouant plus rapidement ; quand le chanteur annonce un morceau sur un chien, on regarde un peu mieux le fil du micro qui s'enroule autour de son cou ou de son bras, on repense à Iggy, vont-ils se lancer dans I wanna be your dog ? Certes non, mais l'air de famille sonore reste marqué : voilà du garage débordant d'énergie, avec pour seul prétention d'être un bon moment de rock, un très gros moment de rock.

Les vagues surchargées de décibels déferlent sur la pelouse éparses, les parents restent sur leur nappe de goûter et les enfants courent tout près de la scène. Peut-être auront-ils gagnés quelques acouphènes durant l'expérience, mais ils auront goûtés à la puissance d'amateurs convaincus ; et les têtes blondes ne semblent pas s'en plaindre : fillette en robe bleue tout au bord de la scène, gamin de trois ans tournant sans arrêt autour de ses parents, les bras écartés, le jeune jet du rock. Juste devant lui, une grande blonde tatouées sur les membres et le dos ondule dans son short en jean.



14 juin 2009

Des légendes de la country canadienne dans un festival de quartier

Prairie Oyster at West Fest
13/06/2009 - Westboro, Ottawa

Richmond Street est coupée à la circulation et les barbecues grésillent sur les trottoirs entre quelques musiciens éparpillés ou des séances de cinéma gratuites du "Best date movie". Le Westboro organise son festival pendant trop jour, Richmond la commerçante s'offre aux piétons et aux activités sous le ciel bleu tout juste arrivé à Ottawa. L'été semble maintenant un peu plus proche, les shorts & T-shirts sourient dans les rues.

Plaisir de déambuler un samedi soir au coeur de cette communauté, s'amuser à écouter deux adolescents jouant des percussions sur toute une batterie de casseroles et bidons, le soir approche mais les lunettes de soleil n'ont aucune envie de retourner dans leur étui durant cette promenade de blocs en blocs ; au bout de la section fermée à la circulation, un petit parc occupé par la scène principale, entourée de stands de ravitaillement. Cuisine jamaïquaine au curry, brownies & cookies, et les habituelles stands de hamburgers américains ; mais du fast-food politiquement correct : les doubles hamburgers en version "organic food" font face à d'étranges veggie dogs, saucisses végétariennes. Munis du carton contenant le steak de soja, on s'installe sur une petite bute, à l'écart de la pelouse centrale, surpeuplée de canadiens à chaises pliantes. Une rangée d'arbres masquent la vue mais la musique s'écoule en arrière-plan, bande son pour cette soirée propice au bavardage.

Ce samedi soir, au West Fest, c'est soirée country, et les guitares acoustiques nonchalantes se faufilent entre les branches, maniées par des groupes aux visages invisibles & anonymes, inconnus magnifiques. Entre deux groupes, les enceintes diffusent d'improbables meddleys, majoritairement électroniques, c'est samedi soir, tout de même. Comme c'est amusant de retrouver Rufus Wainwright bidouillé en version électro minimale par Supermayer, en plein coeur d'une soirée dédiée à la country.

Mais résonne finalement Ring of Fire de Johnny Cash : fini de rigoler, voici en effet les Prairie Oyster, têtes d'affiche de la soirée. Une immense institution de la country canadienne, plus de 30 ans de carrière au compteur et une ribambelle de singles classés à la première place des tops country. La troupe remplit la scène de ses 7 membres aux instruments variés, slide guitare, piano, trombone, violon, et une joli collection de guitares, bien sûr. Les vétérans offrent ici leur premier concert de l'année, et même si leur pic de gloire semble plutôt dater des années 80, leur musique est joliment interprétée et déchaîne un mignon enthousiasme du public. Les familles dansent et s'agitent sur les roulements de basse généreux, les morceaux s'étirent sur cinq, six minutes, réservant de plaisants solos de piano ou de guitare. Toute la communauté est aux anges ; seule cette paire de blondes cinquantenaires gardera peut-être une légère amertume à l'issue du concert : malgré d'incessantes tentatives et l'aide d'une ligne blanche tracée sur le bitume, elles ne sont jamais parvenues à retrouver les pas de danse de leur numéro favori.

12 juin 2009

Up, quel savoir-faire de Pixar

Up 
by Pete Docter & Bob Peterson (2009) 

Une princesse vêtue d'une immense robe longue, drapés bleu blanc, diadème, et la voici face à un crapaud. Un baiser ? Devinez dans quel sens a lieu la transformation ? Deux grenouilles courant dans la Nouvelle-Orléans, zigzagant entre les musiciens de jazz, recherchant les sorciers vaudou aux pouvoirs spectaculairement colorés.  Chanson, romantisme, humour avec animaux parlants, quelques indices encore : "La princesse et la grenouille", futur dessin animé de Disney pour les fêtes de fin d'année 2009. Le vieux studio cherche à ressortir son savoir-faire et remettre en marche sa machine à classiques, et la bande annonce délivre une étrange surprise, goût sympathique et terriblement daté.

Une poignée de minutes plus tard, le court-métrage de Pixar prend fin, et la jeune firme numérique a enterré son aîné à l'imagination moribonde.

Un délice de cartoon simple, impeccablement réalisé, original, frais, à l'idée magnifique : un groupe de cigogne livre les bébés de toutes espèces dans le monde, magnifiques peluches façonnées par des nuages à l'air bonhomme. Idée simple et sans grand développement, sans aucun dialogue, à la poésie un peu simple mais adorable. Le constat est sans appel, les sourires s'étirent sur tous les visages de la salle, un immense plaisir ; tout le monde a déjà oublié le futur grand classique en carton du vieux Disney.

Et le long métrage Up vient difficilement estomper cette envie de comparer les deux alliés rivaux, cette impression de voir Pixar manier avec génie les recettes du vieux magicien pour enfant. Difficile en effet de ne pas songer à un vieux cartoon de Disney quand on résume l'argument d'Up : un vieux monsieur suspend des ballons et il s'échappe par l'air, quittant les gratte-ciel polluant peu à peu son espace ; n'y avait-il pas un mignon cartoon de Disney où une petite maison de campagne se voyait peu à peu entourée d'immenses immeubles au regard sombre ?

Pixar fait preuve d'une impressionnante capacité à convoquer plus ou moins implicitement des références, sans jamais donner dans la bête citation surlignée et ultra-référencée. Ici, un bricolage à la Wallace & Gromit, là des chiens parlant rappelant le succès récents des comédies canines aux Etats-Unis, un vieux monsieur grincheux à forte lunette à la M. Magoo, un explorateur en zeppelin des années 40. Il n'est pas rare que les images évoquent d'autres souvenirs cinéphiles, des images pop presque convenues, mais le cocktail coule avec une fluidité délicieuse, sans agacement aucun, d'autant que le mélange se voit relever par des choix courageux pour un dessin animé à vocation très grand public. Lancer le film par cinq minutes sépia singeant les actualités cinématographiques d'avant guerre ; puis enchaîner par dix minutes de romance muette... Se focaliser sur un vieux monsieur au caractère détestable. S'autoriser des sautes de récit osées et démodées, faisant passer un ballon d'une ville nord-américaine au Vénézuela sans transition. Donner au garçonnet une silhouette obèse et asiatique. Tant de détails pas si consensuels, dont s'est fait l'écho la critique américaine ; les agents marketing s'en sont arrachés les cheveux : comment vendre des T-shirt représentant un vieux monsieur à la vue courte et à la mâchoire carrée ?

Par dessus tout, cette audace et ce sens du mélange servent un récit distrayant et un joli tissage d'atmosphère. Tout un goût pour le suivi du personnage, le temps et le soin accordés aux détails, un exquis sens de l'absurde, rappelant les rythmes doux du cinéma muet et burlesque : y a-t-il image plus décalée que celle d'un septuagénaire tirant sa maison volante à l'aide d'un tuyau d'arrosage ? Dix minutes plus tôt, la maison de bois s'envolait dans un glissement superbe de ballons colorés et les larmes montaient aux yeux devant cette fluide poésie numérique ; tout cela tient dans le même film, et l'on pardonne sans efforts les quelques moins bien d'une course-poursuite devant ce savoir-faire.

8 juin 2009

une sombre densité psychédélique pour les Horrors

Sea within the sea 
by The Horrors (2009) 

The Horrors, groupe NME s'il en est. Couverture en août 2006 soit 6 mois avant la sortie de l'album, articles péremptoires, description des fan et de leurs costumes gothiques, sauveurs du rock cela va sans dire, et pendant ce temps-là, en France ou aux Etats-Unis, les Horrors restent plutôt méconnus. Parfois évoqué pour ce fait de gloire, une vidéo réalisée par le célèbre Chris Cunningham, là aussi avant la sortie du moindre album. Difficile de les imaginer sortant vraiment des îles britanniques malgré leur 1er album apparemment honnête ; ils font la première partie des Artic Monkeys ou des Black Rebel Motorcycle Club, mais que pourront-ils créer à partir de leur mélange punk-gothique frustre ?

D'autant que l'on n'entend plus vraiment parler d'eux après mi-2007 : perdus dans de longues sessions d'enregistrement, le spectre du deuxième album prétentieux et toute la mythologie...

Mais la maturation semble avoir été bénéfique pour leur nouveau Primary Colours. Bien entendu, ils restent un phénomène terriblement anglais : le NME crie au génie, la liste de leurs concerts de l'été ressemble à un long tour de l'Angleterre dans tous ses recoins rocks. Mais les critiques étrangères sont bienveillantes, des toujours anglophiles Inrocks jusqu'aux très américains Pitchfork, et mêmes le fanzine canadien Exclaim!. Les Horrors ont lâché la bride à leurs pulsions psychédiliques sombres, les guitares hurlent toute leur réverb' et crie soudain leur sursaut punk, des claviers étranges papillonnent, et le chant navigue loin, loin, tout au fond de l'écho : noisy, goth, au synthétisme minimale, de jolis morceaux de cold wave encore dynamique. Leur Sea within the sea est ainsi un agréable morceau de bravoure de plus de 7 minutes, rugueux et rigide, droit, cotonneux et nébuleux, souriant bizarrement sur sa tout fin.


5 juin 2009

Une magnifique demi-video dont la fin oublie la tonalité du morceau

Two weeks 
by Grizzly Bear (2009) 

Quatre silhouettes dans une petite église de bois. Quatre garçons bien peignés dans leurs amis du dimanche dérisoires, mèche instable, légèrement grasse sur leurs joues rondes. Une mince mélodie de piano, des choeurs entre en jeu, doux, ce doit être la chorale. Une voix placide se pose lentement et marche à son rythme entre les élans chantant.

La nouvelle vidéo de Grizzly se lance minimale, troublante, une atmosphère provinciale et mince, désuète dans son pull gris et ses pantalons de velours côtelés ; quatre figures étrangement souriante, rayonnante sans que l'on se devine pourquoi si ce n'est le goût du chant, singulièrement lumineuse ; une affiche peinte pour un savon des années où le bébé s'affiche potelé et aux rondeurs trop rouges. Des visages pleins l'écran et un jeu de regard très simple, sourire détendus et radieux mais insidieusement crispants, de doux bonds d'images suivant la tonalité légère du morceau, cristallin et fragile, nuancé, subtile.

Les images défilent en une mince scène déshumanisée, une installation chaleureuse mais distantes, à l'éclat insaisissable, pas vraiment partagé par le spectateur en quête de repère. Un jeu mécanique boisé, ballet d'automates du XVIIème siècle, robots organiques car faits de bois, de cuivre et de cuir ; voilà en quelques secondes une vidéo rappelant le décalage absurde et humaniste des films de Roy Anderson.

Mais la vidéo monte soudain trop vite une marche, convoque lumière intense et auto-inflammation dans une envie de progression mal maîtrisée. Les images veulent évoluer, trop raconter, changer trop vite ; le morceau évolue légèrement sur la fin, peut-être un peu plus mécanique, mais de manière infime, indécelable, deviné après plusieurs écoutes. La vidéo se fait trop démonstrative et perd la musique en route, tente de vivre sa vie et devient creuse : la fin ne fonctionne pas, il me semble, mais les deux premières minutes restent douces et délectables.


4 juin 2009

Le déferlement d'une Screwball Comedy des années 30

Twentieth century 
by Howard Hawks, with Carol Lombard & John Barrmore (1934) 

Broadway, les années 30, un metteur en scène lance une jeune polonaise inconnue, contre les avis de ses associés : bon sang, cette jeune fille est incapable de jouer, une vraie catastrophe ! Mais le diamant est bien, il suffit de le polir, et bien vite, l'étoile s'installe sur la porte ; et la comédienne dans les bras de son mentor. Mais, avec un homme si possessif, le couple peut-il durer, malgré les succès ?

Encore une comédie sur Broadway et son microcosme du show business, comédie auto-référante produite si souvent par les studios américains : bien entendu, la recette fonctionne dans les premières séquences, dialogues au rythme de mitraillette, humour cinglant, gags distrayants, mais comment tout cela va-t-il évoluer, lancé sur cet élan efficace mais prévisible ? Et là, au tiers du film, tout le petit se trouve rassembler dans un train, unité de lieu qui donne véritablement le coup d'envoi à une folie débridée : une immense farce sans contrôle, et il y a même un nom précis pour ce déchaînement, la Screwball Comedy.

Le train s'enfonce dans la nuit et surgissent les figures les plus improbables. Voici un fou échappé de l'asile couvrant les murs de stickers religieux. Voilà un duo de juifs allemands, chanteurs à la barbe immense et à l'accent à couper à couteau. Les assistants du metteur en scène rejoue le duo de Laurel & Hardy, boule massive déboussolée & mince échalas ouvertement ivre. Vous ai-je parlé d'un pistolet ou d'un projet de péplum scénique mettant en scène Marie Madeleine au milieux de chameaux ? Le metteur en scène et son ancienne protégée atteigne des sommets d'hystérie insoupçonnés, rebondissant sur chaque idée et la première lubie venue, hurlant, riant, s'arrachant les cheveux, et les comédiens sont bluffants dans leur amplitude folle.

Et comptez sur Howard Hawks pour ajouter une tonalité elle-même un peu démente, un peu sombre, un peu ambiguë. Ce qu'il faut de cynisme discret, le discret arrière-plan sensuel, aux sous-entendus forts ; affichant un fétichisme ostensible pour une longue épingle, initialement planté dans le gras de la fesse. Les cadres et les images semblaient vaguement statiques dans les premières minutes, mais un coup d'oeil à la date de sortie permet de prendre conscience de l'originalité du film et de son réalisateur : voilà un déferlement débridée qui a 75 ans.