30 mars 2009

Guerre de poupées et de fantômes au drap blanc

No ones does it like you
by Department of Eagles (2009)

Roulement grinçant de guitare, une marche au pas presque dansante sur laquelle hululent une douce voix caverneuse ; assemblage en patchwork doux, et tout naturellement surgissent des soldats de plomb en tissus, s'en allant à la guerre en flottant devant l'horizon remplie aux crayons de couleurs.

Une guerre de poupées, c'est amusant, les hautes toques de fourrure noire face aux masques de velours rouges, les visages pâles éberlués contre les jolies cuisses aux hautes chaussettes ; les bombardes contres les mitraillettes. Un grand jeu dans le jardin, une première guerre mondiale où les filles s'habillent en rouge, mais continuent à danser, car les garçons ne comprennent rien aux vrais jeux et aux divertissement véritables. Qu'ils continuent à jouer à l'amputation ou à jeter les cadavres d'un brancard à l'autre, rien ne vaut une belle chorégraphie ; et ce même si le fantôme au drap blanc n'est pas dans notre camp.

Bien entendu, il faut bien finir par s'affronter, cela sert à cela un champ de bataille. A faire couler le sang. Et l'on n'est plus aussi naïf qu'en 1914, on a la télévision et internet et les terroristes du 11 septembre, on sait ce que c'est que mourir au combat.
Alors le sang gicle à grande gerbe et l'on se tord ; et les poupées sont mortes.


Trois segments et un centre troublant entre l'humour

Memorîzu 
by Kôji Morimoto, Tensai Okamura and Katsuhiro Ôtomo (1995)

Une station spatiale abandonnée, tournant au rythme du souvenir et d'une cantatrice.

Un jeune chercheur déclenchant une alerte bactériologique en gobant une gélule bleu et rouge.

Une ville surchargée d'immenses canons, tirant sans fin vers un ennemi invisible.

Difficile de dégager une véritable unité entre les trois segments de ce long métrage animé japonais. La mémoire, pour tous les trois ? Elément évident du premier tronçon, arrière-plan de la dernière section, étendue comme une vision uchronique des délires guerriers de la première mondiale : casques dorés, villes immenses devenues abords de tranchées. Mais où classer la partie centrale et son dénouement burlesque, sa chute un peu facile ?

Pourtant moins travaillées esthétiquement, cette section centrale fascine fortement dans toute sa première partie, dépouillée des clichés qui peuvent alourdir un peu les autres tiers. Ici, un simple chercheur gobe une nouvelle pilule pour combattre sa fièvre ; à son réveil, tous ses collègues du centre de recherche ont été terrassés, gisent sur le sol, affreuses grimaces et membres distordus. Il appelle les secours, enfourche son vélo pour s'échapper, et ne cesse de rencontrer des cadavres, être saisis par la mort en pleine action, oiseaux tombant en plein vol. Vision d'horreur dans la lumière éclatante du soleil, attaque biologique introduite dans un dessin animé guilleret.

Certes, rapidement, les avions déversent bombes et missiles sur le pauvre cycliste, étirant l'idée comme un gag qu'il faut pousser au maximum ; mais l'idée originale impressionne et dérange toujours malgré cet humour énorme. Un homme devenant arme biologique par l'intermédiaire de sa seule transpiration, diffusant la mort tout autour de lui, et plus rapidement encore quand les émotions l'assaillent et le font suer plus intensément. Un seul homme pour tuer tous les autres malgré, l'attentat suicide biochimique.

27 mars 2009

Le combat pour le droit à faire la fête des années 80

(You gotta) Fight for yoru Right (to Party) 
by the Beastie Boys (1986)

Le Hip-hop, musique de la revendication, dénonciation d'inégalités et d'une société qui va mal. "Ses textes intéressants nous apprennent notamment que la société est en crise", proclame justement Fulzati.

Mais quel droit plus essentiel que celui de faire la fête ?

Les Beastie Boys l'ont bien compris et le hurlait haut et fort au milieu des années 80 avec ce single profond. Pas envie d'aller à l'école, pas envie de faire les devoirs, pas envie de se couper les cheveux ou de s'habiller proprement, nous sommes jeunes, nous voulons faire la fête !

Il est assez impressionnant de voir à quel point le titre et sa vidéo offre une grande tranche d'années 80. Grosse guitare façon heavy metal commercial, voici une des premières approches d'introduction de rock dans le hip-hop, quelques mois après "Walk this way" de Run DMC et Aerosmith ; merci Rick Rubin. Clichés 80s, avec les coupes de cheveux des filles, les cheveux longs des hardos et les couleurs tartes de la vidéo calibrée pour la télévision, les fils à papa qui ressemblent à un Tom Hanks jeune. La fête présentée à l'image semble d'ailleurs terriblement étriquée, par rapport à des grands bazars façon "The Party" de Black Edwards ; on sent le budget limité pour la vidéo, avec juste assez de figurants pour tenir dans le cadre de la caméra, mais pas plus.

Mais cette patine vintage rend encore amusante la vision de ce classique débile...

24 mars 2009

Une tranche d'Angleterre contemporaine

Tamara Drewe 
by Posy Simmonds (2008)

Campagne anglaise, les haies le long des routes où ne peuvent passer deux voitures de front, verdure des près humides peuplés de vaches et de moutons, et de grandes propriétés agricoles plantées au coeur de villages paisibles. Voilà un cadre idéal pour développer des gîtes pour écrivains, havre de paix où ils pourront se concentrer sur leur écriture, leurs chapitres, leurs personnages et leur récit. Voilà une ambiance terrifiante pour des adolescents désoeuvrés, l'absence du plus petit événement. Les deux faces du calme...

Mais Tamara Drewe revient prendre possession de la propriété de sa mère et les choses changent, comme on pouvait s'en douter ; comment la venue d'une journaliste si séduisante ne pouvait-elle modifier l'équilibre sommeillant du village, surtout maintenant qu'elle est encore plus mignonne avec son nez refait ?

Le village et le refuge pour auteurs deviennent alors le cadre d'un ballet aux personnages très anglais, galeries d'archétypes du royaume britannique. La mère de famille dévouée aux cheveux gris, sortie d'un feuilleton de la BBC. Deux adolescentes aux bonnes joues et au goût pour la bière, dès leurs 16 ans. L'auteur à succès qui reprend encore et encore sa formule de détective privé, le bien nommé Dr. Inchcomb. L'universitaire américain à la mèche grasse par dessus ses lunettes. La rock star sombre à la barbe de trois jours et au regard so cute. La jeune fille sexy rédigeant des chroniques dans les tabloids.

Non, ces personnages bruts ne sont pas très surprenants pour le lecteur français, et pourtant, il est difficile de les imaginer dans un contexte bleu blanc rouge ; ils sont profondément britanniques, superbe tranche de société anglaise. D'autant que ces archétypes possèdent une épaisseur appréciable, dépassant la figure monodimensionnelle. Les figures s'interrogent, monologues, songent et cherchent avec une finesse agréable pour une bande dessinée, et le terme roman graphique prend toute son ampleur dans de tels ouvrages.

Cette profondeur est véhiculée par la construction libre et bâtarde du livre, qui mélange avec à propos les paragraphes rédigés et les cases dessinées, les fausses coupures de presse et les flash back introspectifs. Un dessin léger et doux, comme crayonné et coloré au crayon de couleur, qui transmet toutes les strates du récit, depuis les interrogations sur le couple aux moments d'humour à froid, le jeu médiatique ou la mort sous le piétinement des vaches, événement envisageable seulement sous la plume d'un grand auteur britannique.


23 mars 2009

La disparition comme moteur de l'écriture

Docteur Pasavento 

Pasavento est un auteur reconnu et invité à de nombreuses conférences. Un jour, il décide de pousser au maximum sa passion pour Robert Walser, et comme lui, de disparaître, de tout abandonner pour chercher une écriture purement personnelle. Débute ainsi de longues méditations permanentes du nouveau Docteur Passavento, agrémentées de quelques voyages, quelques rencontres, et beaucoup de littérature. Certains n'auront pas le coeur à suivre le rythme doux de cette du beau malheur, perdu par le fil du récit qui ne donne pas l'impression de beaucoup avancer, parfois. Car comment vraiment avancer quand on veut disparaître ? Mais, une fois acceptée cette disparition et ces temps morts, le lecteur pourra se régaler de l'érudition de ce Docteur et de certaines grandioses idées fixes associées à la rue Vaneau de Paris.

19 mars 2009

Les idées jaillissent au coeur des feuilles et des boucles rousses, et l'on comprend peut-être mieux la fille du RER

La fille du RER 
par André Téchiné, avec Catherine Deneuve et Michel Blanc (2009)

Flotter en roller sur le bitume, zigzags dans la lumière d'août, vive clarté dans les ondulations rousses, et les rayures de la jupe de couleurs vives roulent pleinement libres. L'adolescente glisse magnifique et fluide entre le pont du RER et les pavillons de banlieue, les touches vertes, jaunes et tendres des feuilles et des arbres.

Elle glisse, cherchant toujours un emploi de secrétaire, plongée dans la musique de ses écouteurs jaunes, elle glisse jusqu'à la maisonnette familiale, sa mère gardant les enfants, leur racontant des histoires et traçant des vagues dans le sable. Elle roule et file le long des voies sur berges, file et sentant un regard séduisant masculin, sentant un bras longuement tatoué passer ses doigts entre les siens. Elle n'est pas du genre à se laisser draguer, mais elle roule encore avec lui, plus souvent, et bavarde par clavier interposé, les paroles sans bruit de deux chambres qui se répondent à distance, de regards qui plongent l'un dans l'autre grâce aux images instables des webcam.

Une fille de 17 ans dans une lointaine banlieue tranquille des années 2000, fille des images, du ballet des trains et aussi fille des sentiments de ses presque 18 ans, la douce inquiétude, le spleen et le rêve, l'absence de vrai boulot et l'absence d'une véritable envie d'en charger ; l'absence du père, les aléas d'une première expérience de couple. 
Et les échos de la télévision et du journal de 20h.

Un matin, la jeune fille trace trois croix gammées au marqueur sur son ventre, s'érafle le visage au couteau, coupe quelques mèches rousses ; elle se rend au commissariat et porte plainte pour agression, agression à caractère antisémite ayant eu lieu dans le métro. Elle n'est pas juive, les croix gammées sont à l'envers et les témoins inexistants, mais l'affaire embrase les journaux télévisés et les unes de quotidiens, et deux plus tard, l'Elysée lui fait part de son soutien dans cette épreuve difficile.

Cette partie de l'histoire, la plus romanesque, la plus incroyable, tout le monde la connaît, puisqu'elle a eu lieu en août 2004, même pas cinq ans. André Téchiné s'empare du fait divers inimaginable, et invente tout le reste, tisse une histoire autour de l'invraisemblable. Des personnages et des figures et un contexte et un cheminement possible, sans surligner, juste un réseau de proposition, une suggestion cohérente. On lui reprochera certainement de ne pas creuser plus et de ne pas mener vraiment plus l'enquête, mais le film n'a pas l'ambition de la vérité, il creuse simplement un filon plausible et crédible pour en extraire du sens ; pas nécessairement le sens profond de l'affaire ni sa vérité, plus capter un air du temps et la brise de notre époque.

Capter une brise, ce n'est pas empiler les preuves d'un dossier judiciaire, coller les témoignages et les images d'archives ; le documentaire focalise sur son sujet et l'air du temps ne se piège pas en focalisant, la mélodie en sourdine d'un bref instant s'évapore et s'infiltre dans les recoins, dans la coupe d'une robe et le ton d'un présentateur télé, dans la demeure moderne d'un avocat et un mari divorcé ravi de loger dans un hôtel de luxe, dans la rêverie d'une adolescente en barque sous l'averse. La caméra flotte pour entraîner derrière elle les images superbes, les plans silencieux et rêveurs, jouant sur les impressions et laissant du temps aux personnages, et soudain jaillit, discret et intense, un dialogue profond et argumenté, quelques phrases pour critiquer le jeu médiatique, démonter la stratégie de communication du gouvernement et ajuster les contre-déclarations. La réflexion politique concentrée en saillies précises et subtiles au milieu des plans de nuage, d'orage et de l'or clair des feuilles dans les cheveux roux ; quel bel et puissant équilibre. 

Lire et parcourir les livres pour construire le monde dans un village mexicain

El ultimo lector 
by David Toscana (2005)

Le dernier puits ayant encore un peu d'eau dans Icamole, pauvre village mexicain touché par la sécheresse, jalousement gardé secret par son propriétaire ; les villageois doivent attendre les mules rapportant les bidons depuis la ville voisine, traînant la charrette aux milieux des camions, mais Remigio peut se pavaner rasé et le visage frais, son eau n'est pas réservée à la seule consommation. Mais voilà maintenant ce dernier puits rendu inutilisable par une visiteuse imprévue, fillette de la ville en jolie robe blanche ; cadavre dormant paisiblement au fond du puits.

Comment cacher le corps ? Comment imaginer d'où elle vient, qui l'a placée là ?
Seule solution au mystère, la littérature, et les livres de la bibliothèque de Lucio, dernier lecteur du village hormis les trois élèves de l'école venant consulter les encyclopédie. Bibliothécaire consciencieux, il trie les livres fournis par l'état ; les meilleurs survivent, et les symboles de la littérature facile, des bons sentiments convenus, les phrases au style paresseux et abusants des parenthèses sont jetés à la cave, dévorés par les cafards. Heureusement, les petites filles n'apparaissent sous la plume des auteurs masculins que pour le désir et la folie qu'elles suscitent, et ceux même dans les ouvrages non censurés et livrés aux cafards.

Alors Remigio apprendra que la fillette s'appelle Babette et a jeté son parapluie dans la Seine pendant la révolution française. Que les petites filles doivent s'enterrer sous les racines d'un arbre et que les fruits s'en trouveront fertiles, au risque d'en devenir souriants. Que le dernier sentiment humain avant de mourir, ce n'est pas l'injustice et la douleur profonde, non, le dernier, c'est la honte, comme celle des boucs que l'on poignarde dans l'abdomen et les regardant droits dans les yeux.

Lucio tournent les pages de ses livres et en donne la lecture au village, à son fils au puits accueillant la petite fille, aux policiers, aux bigotes, à la mère dépossédée de son enfant. Le récit et la construction pour repousser la bêtise et corriger les fautes d'orthographe sur les reliques des église, pour construire le monde et remplir tous les vides.

17 mars 2009

Abracadabrandesquement cul-cul et esthétiquement fascinant

Magnificent obsession 
by Douglas Sirk (1954)

Bob Merrick, jeune héritier milliardaire, profite de la vie ; un sportsman, dit-on, passant ses journées dans des activités profondes comme battre des records de vitesse en bateau. N'est-ce pas attendrissant ? Vie de risques, et l'accident survient, sans trop gravité car le SAMU a pu dénicher un respirateur artificiel non loin.

Mais voilà, cet appareil appartient au Dr. Philipps, en cas d'accidents cardiaques, et justement, l'attaque survient au même instant ; et le brave docteur succombe pendant que l'appareil médical sauve le jeune sportif superficiel. Ce dernier est secoué par la nouvelle, on s'en doute, et tente de se faire pardonner de la veuve ; fort maladroitement ; il tente de lui parler malgré sa résistance, et celle-ci glisse sous les roues d'une automobile, se voyant condamnée à rester aveugle à vie...

Le jeune Merrick est définitivement bouleversé et tiraillé par la culpabilité. Il va appliquer la philosophie de feu Dr. Philipps ; aider les autres en secret, sans arrêt, pour faire le bien autour de lui. Merrick multiplie les dons anonymes, en particulier en soutien à la pauvre veuve Philipps, chez qui il se rend en secret tous les jours pour lui faire la lecture ; l'aveuglement permet de conserver son anonymat. Et, qui sait, les études de médecine qu'il a repris permettront peut-être d'opérer l'aveugle, tellement séduisante au demeurant ?

Le scénario est abracadabrandesquement mielleux, saturé de morale facile et de sentimentalité bon marché. On parle du premier grand mélodrame de Douglas Sirk, maître du genre à Hollywood dans les années 50, mais le scénario paraît terriblement difficile à faire décoller. Et pourtant, le spectacle reste assez fascinant ; femmes magnifiques aux longues robes colorés, sourires éclatants et brushings parfaits, mines éplorées devant tant de misère humaine éparpillée dans de riches propriétés aux bords de lacs verdoyants. D'infinies cartes postales dans un technicolor superbe, aux cadres travaillés et inventifs. Un profond plaisir des yeux en laissant défiler les dialogues étouffés, en fond sonore, comme un accompagnement dérisoire au travail plastique ; tant de virtuosité pour une histoire aussi cul-cul !

16 mars 2009

No you girls never know how you make the boys feel

No you girls 
from the album Tonight: Franz Ferdinand, by Franz Ferdinand (2009)

Tonight: Franz Ferdinand, troisième album du groupe écossais, et toujours la même capacité impressionnante à proposer des tubes efficaces. Il est certainement un peu réducteur de présenter ainsi cet album cohérent, mais les premières écoutes font sauter au visage une poignée de titres évidents, sautillants et souriants, qui donnent immédiatement envie de danser et rire, même tout seul chez soi.

La déclaration du groupe en 2003 n'était-elle pas : "écrire des chansons pour faire danser les filles" ?

Le groupe a fait du chemin et rempli quelques stades, mais leur nouveau single reste fidèle à la recette, presque jusqu'à la parodie. De légers ajustement à peine discernables, une basse magnifique, une guitare plus discrète, de jolis claquements de mains. Et ce sens de la chanson pop, quelques vers à peine mais limpides, presque stupides, juste parfaits pour être repris en coeur : "No you girls never know how you make the boys feel"

Et comme toujours, les vidéos du groupe sont travaillées esthétiquement, jouant à fond la carte "anciens élèves d'école d'art anglaise". Assez superficielle, cette fois, mais extrêmement léchée, et le morceau se suffit à lui-même !

15 mars 2009

La loupe intime est un appareil sensible pour présenter une question sociale

Welcome 
de Philippe Lioret, avec Vincent Lindon (2009)

Calais, dernière épreuve avant d'atteindre l'Angleterre, les immigrés serrent les dents pour dénicher le passeur et le camion adéquat. Mais quelle dernière épreuve que cette Manche à franchir, Bilal le découvre assez vite ; après 4000 kilomètres à pieds depuis le Kurdistan, ce bras de mer résiste et les contrôles sont serrés. Tourné vers son but, ivre d'abnégation, il va perfectionner son crawl et rejoindre l'île anglaise à la nage, par ses propres moyens ; c'est ainsi qu'il rencontre Simon et fait découvrir au maître nageur la réalité des clandestins de Calais, la brutalité de la répression et des contrôles, la dureté de leur quotidien.

Scénario limpide et clairement posé, voici une tranche de réalité de notre société des mouvements globaux et de prévention policière, présentée à travers les figures du jeune kurde et du maître nageur d'âge mûr. Aborder un grand problème en suivant à la loupe une situation individuelle, voici une approche classique, et le film suit la méthode à la lettre, l'incarnation pour placer les problématiques à échelle humaine. Tout l'équilibre du film se joue dans le dosage entre les histoires respectives de Bilal et Simon, clandestinité de l'un, divorce pour l'autre, la subtilité du suivi du personnages, et l'espace laissé aux éléments de réels tels que les contrôles policiers ou le travail des bénévoles.

Jeu délicat, bien entendu, et il n'est pas rare de s'interroger sur certains choix. On peut comprendre l'isolement et le chacun pour soi des clandestins, mais pourquoi une si faible présentation d'autres réfugiés ? Pourquoi cette scène dans la cuisine avec l'ex-épouse, et au contraire pourquoi si peu de temps auprès des bénévoles ? Pourquoi ces accords de piano larmoyants bien insistants ?
Mais ces reproches sont assurément induits par les attentes soulevés par le film, et les exigences qu'on lui assigne en terme d'ambition ; on ne parvient pas à apprécier la justesse de la tentative de traversé, caché dans un camion un sac plastique sur la tête, ou l'impression d'authenticité des interventions policières présentées. Le genre de film où chacun pourra trouver quelque chose à redire, caricature légèrement trop appuyée ici, regard un peu trop triste de Vincent Lindon là ; ce qui devrait générer une certaine retenue à saluer à sa juste valeur ce que le film livre, car l'enthousiasme induit fait songer à tout ce que le réalisateur aurait pu proposer également. Cela prouve tout de même la part de réussite de l'oeuvre, pour imparfaite qu'elle soit, qui ose introduire un message engagé dans un film touchant un large public. 

14 mars 2009

Les marionnettes du Gangsta Rap

Bigger the better 
by Puppetmastaz (2005)

Les marionnettes du hip-hop poussent le gros son à fond et voici un tube dans le plus pur esprit gangsta. Un sample bête, méchant mais puissant, des paroles stupides juste pour le plaisir de faire sonner les mots le plus vite possible, et un clip doucement parodique : les marionnettes s'amusent des réflexes hip-hop, avec gros 4x4 et chaînes bling-bling.

Puppetmastaz, collectif d'une vingtaine de marionnettes venues d'Allemagne, un des fleurons du hip-hop germanique aux concerts spectaculaires. Sanglier, lapin, crapaud, chauve-souris, rhinoceros se passent le micro et échangent les rimes les plus stupides, toujours soutenu par des musiques lourdes et aventureuses. Les Puppetmastaz collaborent ainsi souvent avec les électroniciens les plus pêchus d'Allemagne, pour un mélange détonnant.

Et comment résister à un groupe capable de rapper "the bigger the better the fatter the cheddar" ?


13 mars 2009

Leçon d'économie du récit pour une touchante rédemption

Gran Torino 
by & with Cleant Eastwood (2009)

Walt survit misanthrope dans cette banlieue délabrée du Michigan ; vétéran de la Corée et retraité des lignes de montage Ford, il tond sa pelouse et boit des bières sans vraiment déserrer les mâchoires depuis la mort de sa femme. Le voisinage est tombé aux mains de famille vietnamiennes Hmong, les gangs de petite envergure patrouille, et Walt astique sa superbe Ford Gran Torino en parlant à son chien.

La situation est clairement posée dès l'entame du film, les différents fils d'opposition, les schémas narratifs évidents ; l'Amérique disparue et ses immigrés, la paternité et la transmission, la mort. Le début du film déroule les scènes d'expositions et les intermèdes comiques, le vieil homme raciste noyé dans la communauté étrangère. Premier tiers distrayant sans totalement convaincre en lui-même ; une version longue de la bande-annonce, d'une certaine manière, prévisible, aux traits un peu épais, presque agaçante quand pour certaines scènes à l'écriture presque bâclée ; sans véritable grâce, sans encore de force.
Constat peut-être un peu sévère car la salle rit et passe un bon moment. Finalement, en y réfléchissant, ces quelques clichés s'avéreraient assurément amusants dans un film de genre, une toile millésimée ou un film hystérique second degré à la Tarantino.

Mais malgré les minces risques de décrochages, l'attention reste en éveil puisque Walt, c'est Clint Eastwood, et parce que la réalisation est de Clint Eastwood. Même si les dialogues initiaux semblent parfois écrits avec une mine mal taillée, la longue silhouette aux mâchoires serrées rappelle quel grand acteur Mr Eastwood a toujours été, dégageant une présence impressionnante. Et la qualité des images pour ces scènes un peu triviales attrape l'attention elle aussi ; comme toujours, chez Eastwood, la caméra flotte en travelling, mais proche des visages et des petites maisons, sans risquer le tragique parfois surjoué de Mystic River. Les sens cinéphiles se maintiennent actifs face à cette maîtrise discrète.

Et peu à peu le savoir-faire se fait plus évident et l'histoire se fait plus profonde, l'image plus belle et le regard paresseux du début se découvre fasciné. Les personnages caricaturaux prennent doucement corps et révèlent leur humanité, leurs facettes, leurs interrogations ; et ce même jusqu'au pasteur pâle et roux dont on ne donnait pas cher après quelques minutes : le jeune prêtre sans expérience, un peu ridicule, se révèle capable d'écoute, patient soutien, source de colère et d'abnégation. Ce personnage de pasteur ne constitue pas le coeur du récit, mais il illustre l'envolée limpide et complexe du film, ne dévoilant ses ressorts et ses figures qu'avec patience.

A travers la belle rédemption du vieillard misanthrope, Clint Eastwood livre une leçon d'économie du récit, la justesse de son classicisme. Au début du film, il a posé doucement les jalons de son histoire, esquisse peu à peu ses personnages et encre les traits sans se presser, sans avoir peur de livrer longuement l'exposition durant le premier acte. La trajectoire du film s'affiche plus puissante alors, à l'aide de contrastes saisissants, à la manière des magnifiques plans silencieux, Walt méditant dans l'ombre, vieil homme finalement muet au combiné avec son fils, ou longue silhouette aux poings ensanglantés par sa colère sourde. Trajectoire déchirante qui dégage une profonde émotion que le jazz rocailleux du générique ne dissipe pas, imprégnant profondément la mémoire.

12 mars 2009

Derrière le miroir SF, la déchirante vie des drogués californiens

A scanner darkly 
by Philip K. Dick (1977)

Une nouvelle drogue en Californie, terriblement efficace, affreusement prenante. Capable d'entraîner les pires lésions cérébrales ; des cafards partout sur le corps, sur les bras, à rester sous la douche des heures durant pour effacer la sensation, même si elle revient aussitôt une fois le robinet éteint. Ou pire, les deux hémisphères du cerveau cessent de communiquer, et deux personnalités prennent possessions du corps du camé ayant abusé de cette Substance D. And D is for Death.

Alors la brigade des stupéfiants infiltrent ses agents pour filer les agents, pour démasquer la puissance à l'origine de cette terrible substance ; mais d'où vient-elle, qui peut donc inonder le marché avec cette efficacité macabre ? Il s'agit de cibler les gros dealers, ceux qui permettront de démêler les ficelles et remonter la filière, et Fred reçoit ainsi la mission de suivre les faits et gestes de Bob Arctor, au comportement louche. Batterie de caméras et de micro vont permettre d'enregistrer toutes ses activités, les moindres phrases de ses discussions hallucinées avec ses camarades drogués. Éternellement rivés au canapé, brassant les sujets de discussions les plus improbables et les plus ressassés.

Seul petit détail, Fred et Bob Arctor sont une seule et même personne ; Bob Arctor, la fausse identité de l'agent Fred. Chargé par ses services aveugles d'étudier ses propres agissements...
 
Les caméras captent les actions en trois dimensions, les agents portent des costumes aux visages changeant sans cesse et les drogues se consomment terribles et futuristes ; pourtant, le côté science-fiction n'est qu'un artifice en carton pâte, deux ou trois accessoires placés dans le décors pour l'ambiance et offrir un sourire de connivence au lecteur. K. Dick tisse ici une fresque intimiste sur le monde de quelques amis drogués, leurs habitudes, leurs discussions, leur humour improbable, délicieux d'absurdité et d'incohérence, et leur paranoïa toujours sur le point de les engloutir. Un regard juste et remplie d'empathie sur le rythme désinvolte et tragique de ces êtres isolés dans leur logique : quelques instants d'absolu, et de longues heures d'attente et d'inquiétude, ne pas retrouver cette douceur pour manque d'argent ou de fournisseur ou que sais-je ?

L'un d'eux a aperçu Dieu un jour ; une porte conduisant vers le jugement dernier. Vision sublime, vision passive, il n'a pas osé pousser la porte durant les premiers jours. Mais celle-ci a disparu à jamais, et n'est jamais réapparue.

Philippe K. Dick observe et écoute ses personnages avec une tendresse infinie, et ses mots finaux résonnent déchirants. Un livre écrit en souvenir à tous ses camarades drogués, cherchant juste à passer un peu de bon temps ; des enfants jouant la rue, et continuant à jouer encore et encore malgré les signes désastreux les entourant.  Un livre en souvenir d'une quinzaine de ses camarades, la moitié décédée, l'autre moitié atteint de lésions permanentes. Une telle punition pour avoir voulu jouer dans la rue comme des enfants ?

Philippe K. Dick n'est pas un personnage du livre, dit-il, il est le roman. Par delà l'humour des dialogues entre camés ou la paranoïa schizophrène des personnages, c'est cette humanité qui reste à l'esprit une fois les dernières pages dégustées. 

11 mars 2009

Symphonie de couleurs et de sourire pour un Bonheur à l'ombre subtile

Le bonheur 
par Agnès Varda, avec Jean-Claude Drouot (1965)

Le bonheur, des couleurs éclatantes et une vie douce dans la banlieue parisienne encore provinciale. Fontenay-aux-Roses, au début des années 60, la campagne est à portée de main, de regard et de chaque week-end, et les bois accueillent magnifiquement François et sa famille tous les dimanches. Deux jeunes enfant jouant dans les herbes et faisant la sieste sous les arbres, les parents peuvent rester tendrement étendus, et se réjouir de la douceur d'être ensemble, de ce bonheur de vivre.

Les images flottent, les couleurs sourient et les pique-nique n'acceptent de s'arrêter que pour laisser place aux déjeuners dominicaux dans les jardins familiaux. 
Voici une ville où il est impossible de parler sans sourire.

Sourire du menuisier empruntant la 2CV camionnette de son oncle, volant le quignon de pain d'une baguette, songeant aux lions du zoo de Vincennes, et souriant encore à la postière aux jolies barrettes sur ses cheveux blonds bien peignés, souriant au visage éclatant de la jeune fille, à sa parfaite amabilité. Oh, et en plus, vous allez bientôt déménager ? Justement à Fontenay-aux-Roses ? Quelle coïncidence.

Alors on partage un café sur une grande terrasse au soleil. On bavarde, on plaisante. Les clients aux autres tables commandent une bière magnifiquement blonde, une menthe à l'eau, un mystère au chocolat. Le regard saute du visage aux écriteaux, des petits détails aux alentours, l'oeil accommode au loin ou sur son épaule, sur la droite pour ne voir que la moitié du regard vert sous les mèches blondes, capture une cigarette allumée tout près ou le panneau d'une bouche d'incendie. Un rêve surgit, éclair, une autre image, tout est léger, et les images tourbillonnent dans le soudain silence, Mozart s'est tu pour quelques instants, mais la ronde ne s'arrête pas et les visages toujours plus éclatants dans la découverte de cette rencontre.

Et, somme toute, "le bonheur, ça s'additionne", n'est-ce pas ?
Alors, François aime Emilie comme il aime Thérèse, sa femme. Il aime les deux, et il n'y a aucun problème à cela. Il aime la douceur de Thérèse, sa tendresse, sa vie avec les petits et leur famille qui s'installe joliment. Il aime Emilie, radieuse, attirante, qui fait bien mieux l'amour et s'amuse plus dans l'amour. François aime les deux femmes, "c'est bête de se priver de vie, d'amour". Et les dialogues sourient encore dans toutes les bouches, la jalousie ne semble pas exister à Fontenay-aux Roses en 1965 et tout le monde danse au bal le samedi, les couples tournent sans fin, et François avec Thérèse, et François avec Emilie, et François avec Thérèse.

La longue bande claire du bonheur dont les couleurs ne prennent jamais de repos, n'élèvent jamais la voix et ne semblent jamais se trouver face à des soucis, des problèmes.
François peut même parler de son nouvel amour à sa femme et les voici faisant aussitôt l'amour dans la forêt pendant la sieste des petits.

Le drame n'est qu'un battement de coeur s'accélérant soudain, et rapidement contrôlé. Les incompréhension des pêcheurs face à la recherche, les gémissements d'un enfant, un ralenti ressassé trois fois dans le silence d'une forêt, deux bouquets de fleurs jaunes sur une terre sombre, dans une ombre un peu plus présente.
Au milieu du bonheur, le drame n'est que changement de couleurs des habits, la chemise à carreau brune côtoie la robe de chambre violet sombre dans des tableaux inimaginables l'été. Mais bien vite reviennent les toiles bleu lavande et les pull moutarde pour l'automne, les teintes n'éclatent plus de rire mais sourient encore. Au milieu du bonheur et de l'amour que l'on ne peut perdre totalement, l'angoisse se dissipe comme une veste sombre que l'on repose dans l'armoire, superficielle, incapable d'attaquer la certitude de cheminer joyeux et sans reproche, sans aucun reproche, à nouveau en famille.

10 mars 2009

Demi-déception pour la représentation de la guerre au Liban

De Niro's game 
by Rawi Hage (2009)

La semaine passée, je parcourais une interview de Doris Lessing, où elle se plaignait des mauvaises habitudes critiques. Trop comparatives, pas assez focalisées sur les intentions propres de l'auteur. Difficile pourtant ici de se contenter des seules intentions de Rawi Hage. Il tisse l'évolution d'un jeune de Beyrouth, noyé dans la guerre des années 80, la perte de proches, la fascination pour les gangsters, les tentations de la milice. On suit doucement ses repères égarés, mais le récit peine à séduire vraiment, style classique, raccourcis scénaristiques schématiques, particulièrement dans un dernier quart poussif : était-il vraiment nécessaire de loucher vers une vague intrigue d'espionnage international, qui dilue l'effet de l'immersion dans Beyrouth en guerre ?

Certes, le contexte reste très intéressant, mais il est bien difficile de comprendre l'avalanche de prix : hormis cette efficace plongée libanaise, qu'apporte ce livre littérairement, sur la durée, pourra-t-on le lire avec le même intérêt dans plusieurs années  ? Doris Lessing nous offre à nouveau un autre angle d'analyse, évoqué au début du Golden Notebook : on lit ce livre pour sentir l'époque récente, comme un beau reportage bien écrit, tout du moins dans sa première moitié, efficace et juste. 

8 mars 2009

Toute la puissance du jeu politique terriblement contemporrain

Harvey Milk 
by Gus Van Sant & Dustin Lance Black, with Sean Penn (2009)

Harvey Milk, premier homme politique ouvertement homosexuel à être élu, fut assassiné à la mairie de San Francisco en 1978, un an environ après sa prise de fonction. Gus Van Sant et le scénariste Dustin Lance Black trace l'épopée politique de ce précurseur, parti du quartier gay de Castro pour atteindre la mairie ; cheminement passionnant pour son implication pour la reconnaissance des droits homosexuels et son modèle d'engagement. Cette biopic subtile offre une superbe reconstitution des années 70 dans la ville du Golden Gate Bridge, brasse image d'archives, cheminement des figures impliquées, exemple vivant de la question du droit des minorités.

Cette vivacité et cette variété permette d'éviter les limites terribles du biopic, focalisée sur la fidélité de la reconstitution et des maquillages, sans parvenir à offrir grand chose d'autre. Bien entendu, Sean Penn est magnifique par son incarnation de Harvey Milk, distillée avec finesse et variation, performance impressionnante par son amplitude ; le ravissement du spectateur ne tient pas à la simple estime de découvrir le grand mâle se glisser dans la peau sensible de l'homosexuel, c'est une personne complexe et vaste qui navigue sur l'écran, passionnée, rusée, charismatique et tourmentée. Une vaste palette similaire a été utilisée de la même manière pour l'ensemble du film, convoquant les moments intimes, les archives télévisuels, les joutes verbales, les discussions politiques, le plaisir esthétique d'images en contre-jour ou d'arrière-plans flous. Bien entendu, le film affiche son engagement envers les droits homosexuels, mais la multiplication des angles d'approche crée un effet rappelant celui fourni par Elephant du même Gus Van Sant : proposer au spectateur des éléments, des propositions d'explications et des pistes, sans surligner ni toujours trancher.

Car l'aspect le plus fascinant du film tient à sa présentation du jeu politique, fournie par l'intermédiaire de la riche personnalité de Harvey Milk. L'engagement du film pouvait faire craindre une hagiographie, suivre le fil de la victoire de la justice sur l'obscurantisme, le dépassement linéaire et idéalisé des embûches. En effet, Harvey Milk parvient peu à peu à donner du poids à sa cause, mais pas à la manière d'un sur-homme lumineux. Il milite, il comprend les ficelles du jeu politique ; sa victoire politique tient autant à la justesse de ses discours et son charisme naturelle qu'à sa faculté d'adaptation. S'allier aux syndicats par des actions communes. Raser sa barbe et passer un costume plutôt qu'un pull moulant. Supporter une loi anti-grotte de chien pour sortir de son rôle monodimensionnel de militant cloisonné. Se rendre au baptême du fil d'un autre élu pour souder leur lien en vue de votes serrés. Mise en valeur de l'importance de la pratique politique, pour manipulatrice et rusée qu'elle puisse sembler au premier regard ; sans sens de la présentation, sans capacité à communiquer intelligemment ses vues au grand public, le plus puissant théoricien ne parviendra jamais à faire avancer les choses.

"Nous devons convaincre 90% de la population que nous, les 10% restants, avons raison dans notre combat". Voici un magnifique résumé de la pratique politique : définir des règles justes, mais aussi savoir faire sentir cette justesse à la majorité, la faire comprendre et la rendre évidente peu à peu, même si la majorité n'est pas toujours touchée directement par ces questions. Cette effort de conviction peut passer par la démagogie, comme le rappellent les archives télévisées du film à la rhétoriques proches de celle des plus superficiel néo-conservateurs. Elle peut aussi passer par la pédagogie, la capacité à rester ouvert au monde et à l'écoute, le sens du compromis et ce petit grain de finesse dans la communication politique à la limite de la ruse. Ces qualités ne font-elles pas écho aux points fort d'un certain Barack Obama ? 

7 mars 2009

Le rap et la vie intense de la Nouvelle Orléans avant Katrina

Triksta 
by Nik Cohn (2006)

Un cinquantenaire blanc irlandais se promène et vit fasciné dans la Nouvelle Orléans de la fin des années 90. La ville de ses rêves adolescents vibre de musique et de l'énergie de la rue des quartiers noirs, discussions sur le pas de la porte, deal et les basses lourdes du bounce, cette variante moite du rap. Atmosphère dangereuse et vivante qui sera balayée quelques années plus tard par l'ouragan Katrina.

Quand ce cinquantenaire n'est autre que Nik Cohn, le récit résonne en musique et s'infiltre dans les communautés de rappers. Nik Cohn a écrit la première histoire du rock au tout début des années 70 et reste hypnotisé par les musiques intenses, les témoignages authentiques de jeunesse et d'énergie brute. Amoureux du rap depuis ses débuts, il parvient peu à peu à fréquenter producteurs, propriétaires de maisons de disques, les MCs qui zigzaguent entre les peines de prison et les balles des gangs rivaux. Petit blanc européen au coeur de ce milieu noir du sud des Etats-Unis.

Nik nous offre donc une chronique de ses années passées à naviguer dans ce monde du bounce. Il raconte avec passion les stars locales trop vite assassinées, les jeunes cherchant la fortune dans les rimes, les femmes timides au rap intense, les producteurs passionnés de son et incapables d'arriver à l'heure à une session d'enregistrement. Il chercher à capter ces rencontres et leur richesse, la profondeur de cette culture restant cachée pour les classes moyennes blanches nourries de clichés. Et Nik raconte également sa place durant son exploration, sa position d'intrus, d'extérieur étrange moqué, de possible contact avec les majors de la musique ; n'est-il pas un auteur de New York, aux relations dans les gros labels ?

Triksta navigue donc entre deux richesses. Riches détails des portraits de rappers, de leur vie, de leurs idéaux et des battements du coeur de cette Nouvelle Orléans tellement rythmée. Et les profondes introspections de Nik, interrogeant ses craintes raciales inconscientes, sa place d'intrus, ses rêves plus ou moins irrationnels de participer au grand jeu du rap et ciseler des morceaux forts, Nik lucide sur ses limites, Nik perdu entre ses doutes et sa fascination.

Le rap est un jeu difficile dont les joueurs ne sont pas simples à apprivoiser. Nik n'est pas parvenu à ciseler ses rêves de rap exigeant, mêlant les rythmes de toutes les musiques de la Nouvelle Orléans, livrant les histoires intimes de ces individus aux vies de luttes. Pourquoi chercher si loin si un tube brutal centré sur le sexe permet d'atteindre la richesse, même après trois remix ?

Mais le livre n'est pas le simple constat d'échec du dialogue entre deux mondes, simplement l'impossibilité de concrétiser ce dialogue matériellement au travers d'un disque. Car le dialogue n'est resté pas resté stérile humainement, comme le montre l'amour de Nik pour les figures croisées, sentiments forts évidents dans la tonalité du livre ; la joie simple de voir un jeune inconnu débarquer chez Nik un cassette à la main et se mettre à improviser un rap sur le pas de la porte, soutenu par les énormes enceintes de la voiture, moments précieux et presque insaisissables.

Insaisissables dans leur ampleur, mais la force de ces moments et rencontres transparaît en creux dans le dernier chapitre, écrit juste après le passage de Katrina. Récit du désastre fourni par le témoignage d'un producteur perdu dans la ville inondée pendant six jours. Et terrible sentiment de perte : les quartiers les plus vivants de la Nouvelle Orléans ont été rasés et seront totalement réhabilités, permettant d'éliminer la folie et la violence des noirs pauvres. La Nouvelle Orléans reconstruite en Disneyland jazz pour touriste, craint Nik. La ville qui le fascinait n'existe plus que par quelques disques et par ce livre.

6 mars 2009

Le plaisir pop coupable maintenant sur grand écran

Watchmen
by Zack Snyder (2009)

Pouvait faire dans la demi mesure pour transposer à l'écran une oeuvre riche et dense comme le comics Watchmen ? Bande dessinée sortie au milieu des années et qui allait influencer, semble-t-il, la majeure partie des bande dessinées de super héros qui allaient suivre : les hommes masqués entraient dans leur ère moderne, figures cyniques, névrosées, maladroites, parfois fascistes. Le tout présenté dans une histoire à tiroir jouant avec les codes pop et les limites du bon goût.

C'en est presque surprenant mais le film parvient, bon an mal an, à respecter l'esprit et la forme de l'oeuvre. Pour la forme, l'inquiétude n'était pas trop de mise avec Zack Snyder à la réalisation, auteur du monstrueux film de spartiates 300. Il remplit donc son rôle à merveille, dégainant à tout va les effets numériques et les costumes colorés, les effets de lumières, les travelling et les musiques pop les plus efficaces, même prévisibles. Le résultat est dense et fascinant, fourmillant de détails, parfois potache et à la limité du déséquilibre : une sucrerie de plus de presque 2h45 pour animer maniaquement les cases du comics. Les cases s'enchaînent quasiment identiques à celle du papier glacé, c'est heureux vue la puissance du livre.
Les quelques baisses de rythme correspondent à celle du récit BD, avec quelques minimes innovations dans l'excès : une scène de cul un peu trop dilatée peut-être, des combats souvent très ensanglantée. Complaisant ? Clin d'oeil très appuyé à la série Z ? Ces passages excessifs ne font que renforcer l'impression de plaisir coupable que donne parfois le film : tellement ridicule, tellement énorme, tellement divertissant - toujours guidée par cette volonté de condenser une mythologie pop américaine fascinante dans ses forces et ses faiblesses.

Mais par delà l'accumulation de clins d'oeils, de références et d'hémoglobine, la force de Watchmen tient toujours autant à ses personnages sombres. Le Comédien, tête brûlée désabusée et fascisante, maniant napalm au Vietnam et fusil à pompe dans les émeutes newyorkaise. Rorschach, maniaque caché derrière un masque de tâches d'encres, découpant en morceaux les pédophiles tout en refusant de céder à la règle du mensonge d'état, même apparemment bénéfique. Ces deux figures écrasent quelques peu de leur aura sombre et sans espoir les autres archétypes présents  ; impression renforcée par l'absence de charisme hors du commun des acteurs : professionnels, efficaces, se laissant guider par les personnages, sans véritable valeur ajoutée.
Bien sûr, le profond pessimisme du Comédien et de Rorschach peut un peu donner l'impression d'une philosophie d'adolescent rebelle, poussée à l'extrême de sa logique superficielle : humanité pourrie, . Mais d'une certaine manière, cette justice cynique fournit un écho cohérent avec les schémas presque surréalistes de la politique internationale des années 80, où l'équilibre de la terreur se comptait en milliers de têtes nucléaires des deux grandes puissances. Le pessimisme rebelle et adolescent manquait-il totalement de pertinence dans un monde où des cow-boys dirigeaient les plus grandes armées et les plus gros missiles, voire dans celui des invasions en Irak et des tortures illégales ?

Cette impression s'estompera peut-être après plusieurs mois d'Obama, mais l'avenir commence tout juste alors les Watchmen ont encore quelques mots à nous dire derrière leur costume de hibou et leur peau bleue scintillante.

4 mars 2009

Yes, I still love rock'n'roll

Sugar Kane 
by Sonic Youth (1992)

Depuis plusieurs mois, je papillonne musicalement, goûte un peu à différents styles. Toujours pops, d'une certaine manière, toujours de la musique de jeunes, des musiques pas véritablement faites par des musiciens ; électronique, hip-hop, un peu de folk, un peu de rock. Sauter ici ou là pour le plaisir de la surprise, je m'enivre de changement et de sinuosité et relâche un peu ma modeste discipline : je suis un peu moins les buzz du moments et préfère goûter à des périodes méconnues, le début des années 90. L'excitation ne vibre plus tellement pour toutes ces next big things qui s'évaporent rapidement. Je ne bondis plus aussi vite sur les têtes d'affiche folk des blogs ni sur les jeunes rockers des couvertures NME. Je prends mon temps. Je varie et je flâne.

Mais certaines chansons m'empêchent toujours de prononcer cette phrase qui me tente dans mes moments le plus snobs : "oh, finalement, je n'aime plus tellement le rock, il ne m'excite plus trop". Impossible de formuler un tel jugement après avoir presser si souvent la touche Repeat à l'écoute de Sugar Kane des Sonic Youth. Un appel de guitare, une batterie qui se lance, rideau électrique vaporeux qui accueille doucement les déclamations de Thurston Moore, tout s'assemble toniquement et sans effort, me prenant par la main.

Et le refrain éclate, "And I know" sous des boucles de guitares aiguës et ascendantes, accélérant encore et encore pour faire bondir la foule et balancer les têtes aux cheveux longs, sales, gras et ravis. Sauter et sauter sans fin, l'évidence de la simplicité et du dynamisme.

Deux minutes de solos s'invitent pour faire mine d'offrir un morceau plus expérimentale, pour autoriser une jolie respiration en rupture de rythme au bout de quatre minutes de chanson. Juste pour le plaisir de réaccélérer et repartir de plus belle, scier le même bois électrique à grand coups de riffs et de batterie. Une formule idéale, un plaisir sans hésitation, de l'énergie et de l'intensité : Repeat.

2 mars 2009

Théâtre d'ombres et de désir : mais souvenez-vous, c'était l'an dernier

L'année dernière à Marienbad 
by Alain Resnais, avec Delphine Seyrig & Giorgio Albertazzi (1961)

L'orgue improvise et l'image fait défiler un ballet de silhouettes immobiles, silencieuses, en noir et blanc. L'oreille capte deux phrases quand la caméra glisse à portée des couples, bribes de dialogues incongrus, détachés de tout contexte, ridicules et inquiétants comme l'enregistrement sur bande des bavardages incohérents d'un dîner entre amis. Un palais et ses mannequins retirés, élégants dans leur smokings et le cheveux finement peigné, ils jouent aux cartes ou parient, ils bavardent aussi ; mais la plupart du temps, ils restent immobiles, décor humain plus statique que les décorations vivantes du riche palais allemand. Paravent de corps plantés dans les allées, aux ombres comme piliers, et seule la caméra reste dynamique, flottant et virevoltant, magique ; Alain Resnais la laisse superbement respirer comme toujours.

Une caméra papillonnant dans un décor d'ombres de cires, l'orgue hante les images aux contrastes gothiques, et un couple flotte au ralenti lui aussi. Souvenez-vous, nous nous sommes croisés l'an passé, à Marienbad, auprès de cette statue mythologique ; vos yeux lointains, inquiets, et votre rire soudain. Elle ne se souvient pas. La photo ne prouve rien. Le décor de la chambre blanche non plus, il n'y avait pas de grand miroir dessus la cheminée, je n'ai jamais possédé de peignoir blanc. Elle résiste, elle nie, elle l'écoute car il raconte encore et encore, les fragments minutieux et détaillés ; vous n'aviez jamais l'air de m'attendre, vous ne m'attendiez jamais, mais nous nous retrouvions toujours, marchions dans les jardins, le longs des lacs. Je ne suis jamais allée à Marienbad ; dans une autre ville alors.

Spectres figés, bougeant à peine, mécaniques, et les deux fantômes surgissent ici, marchent dans un couloir peuplés et maintenant vide ; le noir et blanc joue de tous ses contrastes, blanc surexposant la chambre immaculée, ombre du bar noyant tous les danseurs sauf leurs cheveux brillants, les sourcils dessinés longs et charbonneux de la femme. Partir, attendre un an encore ? Tenter plutôt de gagner au jeu des 1 3 5 7 allumettes ? Plutôt mobiliser encore et encore les souvenirs, les images gravées dans la mémoire et qui pourtant deviennent, parfois, maintenant, en bout de course, qui deviennent, c'est étrange, plus flous, indéterminées.

Une immense palette d'images, de mouvements, de théâtralité pour présenter la folie amoureux d'un souvenir passionné ; angoissant, profond et mystérieux comme un amour fou, enivrant et déboussolant et superbe.

1 mars 2009

Tout le fun d'un blog délirant et aquarellé

Notes - 1- Born to be a larve
by Boulet (2008)

Compilation de notes de blog posté par le dessinateur Boulet. Dérisoire et fun comme un bon blog, rempli d'anecdotes de tous les jours, de petites réflexions, de rêves. Lecture à picorer avec jubilation, guidée par la variété et la beauté de dessin, crayonné Noir & Blanc ou magnifiques planches à l'aquarelle. Bien entendu, il est certainement plus amusant de découvrir de telles planches au jour le jour, directement sur Internet ; mais la publication papier n'érode pas l'intérêt de l'exercice, d'autant plus que des planches de commentaires ont été ajoutées, regard de l'auteur sur les épisodes avec 2 ou 3 ans de recul...